Pepoly, Marco Flaminio [signé] [1649], LA LETTRE DV SIEVR PEPOLY COMTE BOLOGNOIS, ESCRITE AV CARDINAL Mazarin, TOVCHANT SA RETRAITTE hors du Royaume de France. , françaisRéférence RIM : M0_2205. Cote locale : A_5_64.
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LETTRE DV SIEVR COMTE
Pepoly Bolognois, escrite au Cardinal Mazarin
touchant sa retraitte hors du Royaume.

MESSERE IVLES,

Ie viens d’apprendre par la voye de la Renommée,
vne nouuelle qui m’a dautant moins surpris,
que ie l’auois preueuë long-temps y a par tes procedez ; je connois
ton humeur altiere & turbulente, dont i’ay toûjours predit
qu’il en seroit de toy à Paris, ainsi que de Sejan à Rome, &
que l’or que tu recueillois en France, te seroit vn autre or de
Tholoze. Et qui n’auroit preueu que Mazarin seroit à la France
autant pernicieux & dommageable qu’vne sinistre Comete
le peut estre aux regions, ou parties de son aspect ? parce qu’en
imitant les singes, lesquels plus qu’ils montent haut, plus ils
découurent & montrent leur derriere ? Par tes superbes déportemens
tu as fait rechercher ta naissance, & tes actions passées
qui ne ressentent que le Charlatan & le Comedien. Dequoy
tu as laissé des marques notables à Paris : & finalement
tu t’es fait enroller Pantalon de Venise, pour croire annoblir
ton pere & toy sous vn nom de Citadin Venitien, pour vn
refuge & azile des personnes qui ne sçauent où cacher les thresors
que tu as pillé & desrobé à la France par des voyes & inuentions
estranges, qui ont rendu le Roy & les Princes en l’estat
où l’on les void auec le peuple que tu as mis en chemise
pour enrichir les tiens, & acheter des alliances des Grands,
dont toy ny les tiens n’auroient esté dignes de les seruir.

Il estoit aisé à preuoir qu’en montant si haut & qu’estant arriué
à l’extremité, il falloit tomber & rendre la cheute dautant
plus lourde qu’elle vient de plus haut, & par ces mesmes
voyes de trahison, de fourbe & maligne inuentions que tu as

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tasché d’y paruenir par les mesmes, mais auec plus d’authorité
par poisons, meurtres, prisons, & autres cruautez, tu as creu de
te maintenir en ce festes des honneurs mondains.

 

Pour-croire de te pouuoir rendre digne de la qualité de premier
Ministre d’Estat, apres le refus qu’a fait le Pape Vrbain
VIII. de te receuoir Cardinal, qui a laissé couler vnze années
sans faire aucune promotion, afin que tu ne fusses du nombre
des promeus : tant a-il bien connu & tout le sacré Consistoire,
ton indignité & incapacité, qui ne pouuuoit que deshonnorer
cét Ordre ou Senat de l’Eglise, & iamais n’y a consenty que
vaincu d’importunités, & menaces de malheurs & guerres
en Italie & autre partie de la Chrestienté où il auoit interest.
Au contraire, tu t’es porté auec annimosité contre Sa Sainteté
mesme : de sorte qu’en haine de tes sentimens & exclusions
l’on a éleu Innocent X. lequel a esté si mal traitté de toy,
que tu as empesché quatre Nonciatures ou legations qu’il deuoit
enuoyer en France, sçauoir est, vn Nonce pour sa conjoüissance
à sa promotion à la Papauté, & puis vn autre pour
se condouloir de la mort de Louïs XIII. d’heureuse memoire :
Vn autre pour se conjouïr de l’heureux auenement à la
Couronne de Louïs XIV. Et de plus, tu as retenu par vn despit,
en cette Cour le Seigneur Guido Bagny Euesque d’Athenes,
qui auoit esté enuoyé par Vrbain VIII. & dont la delegation
ou nonciature estoit finie par la mort du Delegant ou de
celuy qui l’auoit enuoyé : & mesme apres les trois ans passez
de sa nonciature, tu l’as voulu continuer sans permettre à Sa
Sainteté d’enuoyer vn Nonce en France ; ne te souciant
par mesme offense contre nostre Superieur de nuire audit
sieur Bagny, en ce qu’il n’est point enuoyé ny auoüé de Sa
Sainteté, ny entretenu par elle, ny aussi par toy, & le retiens par
force. De sorte qu’il s’entretient en cette Cour à ses despens,
qui sont si mediocres que tu tasche par là de faire patir diminution
à l’honneur & splendeur ordinaire des Nonces Apostoliques.

Et comme tu n’a point crainte de brauer sa Sainteté & de
la tenir en ceruelle, tu l’as encore forcé, tant par menaces,

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que par presens faits à ses Nepueus & autres qui ont credit
dans le Consistoire, d’orner ton frere du Chapeau de Cardinal
qui a cousté à la France sept millions, tant pour lesdits presens
que pour les somptuositez & magnificences de ses Palais,
les despences, ornemens & autres esclats pour esblouïr sa
naissance dans l’or de France, & mesme pour le rendre digne
de la qualité de Vice-Roy de Cathalogne, mesme auec
despens de la vie & de l’honneur de Monsieur de la Motthe-Audencourt,
que tu as calonnié pour faire occuper sa place à
tondit frere, mais ledit Seigneur a fait voire par ses iustifications
tes calomnies & fausses accusations.

 

Et non seulement t’es-tu contenté de déprimer des Mareschaux
de France, mais aussi de detenir au prison des Princes
du Sang en la personne des Pere & des enfans.

Et quand tu as veu que tes finesses & artifices ont estés reconnuës
preiudiciables à la France, & qu’il se trouueroit des
gens qui ne auroient du ressentimet, tu as voulu abattre la iustice,
à ce qu’elle ne puisse prendre connoissance de tes Crimes
& forfaits, dont voulant mettre a bas l’hautorité du Parlement
elle s’est releuée par contrepoids ; & comme tu l’as apprehendé,
tu as traitté auec Galeraty Secretaire deputé d’Espagne
dans S. Germain en Laye au Cabinet en Conseil estroit
& secret pour faire ta paix auec l’Espagnol, & pour cet effet tu
as resolu de mouuoir cette guerre Ciuile & faire sousleuer la
France en la seule attaque de Paris, & donner par là sujet
aux ennemis de recouurer nos conquestes & aux Huguenots
de se sousleuer & profiter de nos émotions.

Sur tout comme Italien Ecclesiastique ie suis combatu de
deux contraires passions ; l’vne de l’affection que ie te porte &
de la compassion de ta misere : L’autre de la joye commune &
du bien public qui resulte de ta disgrace, par laquelle tous nos
autres, tant Ecclesiastiques que Seculiers, conceuons pour l’asseurance
de la Paix entre les Princes Chrestiens, laquelle
pour ton interest particulier, tu as tousiours differé & empesché,
quelque auantageuse qu’elle aye peut estre, parce que

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pour maintenir la guerre en diuers endroits tu as pris pretexte
de faire des leuées sur le Royaume de France des centaines
de millions de liures, dont il ne s’en est distribue que la
dixiéme partie aux armées, qui ont beaucoup paty & commis
des excez estranges par la licence qu’on leur donnoit à faute
d’estre payez, ce qui est arriué mesme au regiment des Gardes,
& ce dequoy l’on a fraudé les armées qui monte aux
deux tiers de ce qu’on a fourny des contributions extraordinaires
est demeuré en ta disposition pour bastir des superbes
Palais en Italie & fonder la fortune des tiens auec
vne si ambitieuse & superbe magnificence que pour couurir
les defauts de ta naissance tu n’a pas espargné des millions
pour acheter l’alliance ou parenté de quelques Nobles
d’Italie, ainsi que le sieur Magaloti fut appellé par toy de la
Toseane en France, sous la promesse de luy donner le baston
de Mareschal, & commandement aux armées, à charge & condition
qu’il t’auoüeroit pour son parent, afin d’illustrer ta famille,
ce qu’il a protesté en presence de plusieurs Seigneurs
François n’auoir iamais voulu t’accorder ny soüiller sa Race
de ton sang : autant en a tu fait au Seigneur Strossi appellé,
par toy en France pour mesme effet : Et comme ie regrette
en cela ton malheur, ie suis d’ailleurs consolé dans le rauissemẽt
de la joye publique, pour voir que ta disgrace sera la cause
de la prochaine Paix entre les Princes Chrestiens, à la dépression
des forces Turquesques pour la conseruation de la
Chrestienté, d’autant que nous auons descouuert icy ; & le crime
est trop manifeste par toute l’Italie, que le grand Turc t’auoit
assigné huict cens mille Chequints ou Sultanins par chacun
an, afin d’empescher & opposer des obstacles à la Paix des
Princes Chrestiens, afin qu’estans en paix ils ne fassent diuersion
de ses forces, & l’empeschassent de prendre Candie &
autres lieux de sa bien-seance : Ce qui a esté effectué durant
deux ans par vn noble Raguzien, nommé Francesco Maria
Sacri : dont comme l’on s’est apperceu à Rome que ton frere
auoit en ton nom receu ladite somme, l’on n’a point fait de difficulté

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de l’expedier, ainsi que l’on sçait, afin de retirer cette
somme auec les autres iniquement & injustement encoffrez,
qui sont tombez dans les despoüilles qui reuiennent & appartiennent
à la Chambre Apostolique.

 

Et d’autant que les François sont tres-sensibles aux offences,
autant qu’ils ont esté liberaux aux recompenses des
trahisons que tu fis à Casal contre ceux qui t’auoient commis
leur Traitté de Paix entre les mains, qui sont, le Pape,
l’Empereur & l’Espagnol, comme tu as apprehendé leur juste
indignation, afin de les sousmettre à tes volontez, tu as
tenté par deux fois d’abattre ce grand Corps par l’abessement
de son Chef, qui est cette noble & incomparable ville
de Paris, laquelle tu crois & publie de pouuoir dompter &
ranger à ton plaisir & volonté par les quatre F, Famine,
Feu, Fer ou glaiue & Fleuue, ou innondation ; desquelles
miseres, la prudence du Parlement les a deliurez & rendra
le procez que l’on te fera plus criminel, puis que tu es la
seule cause & sujet de toutes leurs calamitez publiques.

Voila mon cher amy ce que j’auois à te dire des choses qui
se publient de par deç[1 lettre ill.] de ton ministere & procedé scandaleux ;
afin qu’en estant aduerty, tu te garde des peines & punitions
que les François t’en pourroient faire raisonnablement
souffrir.

Et parce que pour excuser ton ignorance ; tu as dressé
en ton Palais la plus superbe & somptueuse Bibliotheque
de la France, qui va du pair & au niueau de ton escurie
qui la soustient (qui est vne indice de la profanation des Muses)
auec des bestes, tu dois recueillir cet aduis des liures de
l’Antiquité, que comme les Anciens vouloient faire des sacrifices
solemnels, ils couronnoient les bœufs & animaux les
plus richement qu’ils pouuoient pour les rendre plus agreable
victimes : qu’aussi doit-tu prendre garde & reconnoistre que la
France ta orné & honoré du Cardinalat & du ministere
auec des Benefices & reuenus sortables pour te sacrifier &
immoler à la iuste vengeance du peuple François. Tu receura

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cét aduis d’vne personne qui t’est autant affectionnée
que la necessité de tes affaires semble le requerir, ne pouuant
pour le present te rendre autre assistance que de parolles,
en attendant les occurrences où ie puis me tesmoigner
par effet,

 

Tres-affectioné & deuotionné
seruiteur MARCO FLAMINIO
PEPOLY.

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Pepoly, Marco Flaminio [signé] [1649], LA LETTRE DV SIEVR PEPOLY COMTE BOLOGNOIS, ESCRITE AV CARDINAL Mazarin, TOVCHANT SA RETRAITTE hors du Royaume de France. , françaisRéférence RIM : M0_2205. Cote locale : A_5_64.