Saint-Joseph (révérend père dom Pierre de = R. P. D. P. D. S. J.) [1649], CATECHISME DES PARTISANS, OV RESOLVTIONS THEOLOGIQVES touchant l’Imposition, Leuées & Employ des Finances, Dressée par Demandes & Responces, pour plus grande facilité. , françaisRéférence RIM : M0_652. Cote locale : D_1_9.
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CATECHISME
DES PARTISANS,
OV
RESOLVTIONS THEOLOGIQVES
touchant l’Imposition, Leuées & Employ
des Finances,

Dressée par Demandes & Responces, pour plus
grande facilité.

PAR LE R. P. D. P. D. S. I.

A PARIS,
Chez, GARDIN BESONGNE, ruë
d’Escosse pres S. Hilaire,

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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AV LECTEVR.

IE ne doute point (Mon cher Lecteur) qu’apres auoir
ietté les yeux sur ce petit ouurage, tu ne souspires en
ton cœur & n’ayes des desirs inutiles, en souhaitant qu’il
eust esté composé il y a trente ans dans la creance qu’il auroit
peu seruir de barriere a l’auarice qui a fait tant de rauages
en France, & qui est la source de tous les maux que
nous souffrons. Mais puis que nous ne pouuons pas r’appeler
le passé, tout ce que ie te demande est d’eleuer ton
cœur à Dieu, & le prier auec ferueur, qu’il inspire dans
celuy des Partisans vn mouuement de contrition & de
restitution volontaire, sans attendre d’y estre forcez par
les Loix & la seuerité de la Iustice.

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CATECHISME DES PARTISANS,
ou resolutions Theologiques, touchant l’imposition, leuées
& employ des Finances.

DEMANDE.

Qv’est-ce que le Roy ?

RESPONCE.

Vous m’auriez fait plus de plaisir de me demander qu’est-ce que
Dieu, puis qu’à l’imitation d’vn Ancien, apres auoir pris du temps
pour y respondre, ie serois quitte en aduoüant mon ignorance ; Car
aujourd’huy la flaterie met la Royauté en vn tel poinct, l’interest, l’ambition &
l’auarice s’en forment vne idée si estrange, que si Dieu venoit en terre, non plus
dans la vie abiecte de Iesus-Christ, mais dans l’esclat, la splendeur & la vertu de
l’vn de ses Seraphins, à peine trouueroit-il place, non pas dans la maison du Roy,
mais parmy les domestiques d’vn Fauory.

D. Ie ne m’informe point quel peut estre le sentiment de ceux qui n’ont point
d’autre Dieu que leur interest, ny d’autre Religion que la satisfaction de leurs
sens : Ie demande quel est le vostre, & quel doit estre celuy d’vn veritable Chrestiẽ ?

R. Puis que vous le desirez ainsi, & qu’il ne m’est pas permis de vous refuser,
& que d’ailleurs dans les Catechismes que nous dressons pour l’instruction des
Enfans dans les mysteres de nostre creance, nous commençons par l’estre de Dieu,
qui est le fondement de tout, en leur aprenant ce qu’il est : encore que nous sçachions
par la foy que Dieu est incomprehensible, & que nous n’ayons point de
noms ny de termes par lesquels nous le puissions parfaitement exprimer ny definir.
De la mesme maniere & par proportion pourtant, car il ne faut iamais faire de parallelle
des hommes auec Dieu. Ie diray que le Roy est l’image viuante de Dieu, le
caractere de sa Majesté, de sa grandeur, de son authorité & de son independance.
Le premier mobile sous cét Empire immuable, qui par ses ordres donne le branle
& le mouuement à tous les inferieurs. C’est le Souuerain visible sous ce supreme
inuisible, pour la direction & l’exercice de sa prouidence & de sa iustice tẽporelle
sur les hommes, sans autre dependance que celle de Dieu. En vn mot, c’est le premier
rayon emané de ce Soleil increé : le premier ruisseau de cét Ocean infini, qui
communique les lumieres & les eaux pour la direction du corps & des biens de
fortune, & auquel en cette qualité nous sommes attachez apres Dieu, par plus de
deuoirs qu’à aucune autre puissance temporelle.

D. Le Roy est-il le maistre de la vie de ses sujets ?

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R. Oüy, mais non pas en la maniere que l’entend la Polytique de Machiauel ;
mais en celle que nous aprenons de l’Euangile : c’est à dire qu’exerçant la Iustice de
Dieu sur les hommes, il a droit de leur oster la vie, ou de la leur conseruer, conformement
aux Loix de Dieu, & non autrement ; ou à celles qu’il a establies, & qui ne
derogent point à celle de Dieu, s’il ne veut pecher. Car c’est vne chose qu’il faut
bien obseruer, ce qui sert comme de fondement aux responses qu’on doit faire à
toutes les questions qui se peuuent proposer en ces matieres. Que les Roys ne sont
pas d’eux mesmes absolus & independans, qu’il n’y a que Dieu qui possede cette
perfection par soy-mesme & de soy-mesme, & qu’ils dependent absolument de luy,
& ne peuuent rien au delà de ses loix, ny de ses ordonnances, comme les Gouuerneurs
des Prouinces sont obligez de suiure les ordres & les commandemens des Rois.
Et c’est pour cette raison que dans l’ancien Testament il estoit ordonné au Roy de
prendre le hure de la Loy de la main du Prestre : & que dans celuy de la Nouuelle
alliance, on luy fait baiser celuy de l’Euangile, lors qu’il assiste au sacrifice auguste
du Corps de Iesus Christ, pour luy monstrer l’obligation qu’il a de suiure les ordres
de Dieu & de l’Euangile, & la protestation continuelle qu’il fait de les obseruer.
Ainsi le droict de vie & de mort qu’a le Souuerain sur ses subiets, doit estre reglé
par ces regles diuines & infaillibles, lors qu’il s’agist ou de tirer vengeance des crimes
ou de tirer vengeance des crimes ou de pardonner aux coulpables. Et c’est sur
ce fondement que S. Paul les propose comme redoutables, n’ayant pas inutilement
le glaiue à la main : & que le Chancelier refuse de sceller les lettres de grace, lors
qu’il voit qu’elles ne sont pas dans l’ordre de la Iustice.

D. S’il y a des imittes au pouuoir des Roys touchant la vie des hommes, y en a
t’il aussi en ce qui regarde leurs facultés ? Le Roy n’est-il pas le maistre de tous les
biens de ses subiets ? N’a-il pas droict d’en disposer selon son plaisir, sans autre motif
ny consideration que sa seule volonté ? En sorte que quand il prendroit tout, il
n’vseroit que de son droict, & s’il en laisse quelque chose, c’est vne grace & vne
aumosne qu’il fait de laquelle on luy a obligation, & à laquelle il n’estoit point
obligé ?

R. Nullement. Ce sont des maximes impies, damnables, & abominables, qui
ne sçauroient estre approuuée ny authorisées parmy les peuples les plus barbares &
les plus dénaturez, & qui n’ont esté inuentées que depuis quelques années par des
sangsuës populaires, par des hommes de gourmandise, de luxure & d’auarice, pour
seruir de pretexte aux vols & aux violences qu’ils ont faites à l’oppression de tout
le monde, qui sont cause des troubles & des mouuemens que nous voyons à nostre
grand regret, & dont les sentimens auroient esté tous contraires s’ils auoient esté
en estat d’estre pressez, au lieu que non pas leur merite, mais la fortune ou le mauuais
Genie de la France es auoit mis en celuy de mettre les autres au pressoir, afin
d’en exprimer le sang, comme ils ont fait presque iusqu’à la derniere goutte. Il faut
donc raisonner sur les biens, de la mesme sorte & par proportion que sur les vies, &
mettre en tout & par tout les loix de Dieu, de l’Euangile & de la Charité, comme
vn flambeau pour seruir de conduite, afin d’euiter les écueils & les precipices qui se
rencontrent dans les fonctions de la puissance souueraine.

D. Et quoy le Roy n’a-il pas le pouuoir de faire des impositions & des leuées sur
ses Peuples ?

R. Ouy. Aussi ne sçauroit-on tirer le contraire de ce que nous venons de dire,
où nous n’auons respondu qu’à la folie des impies, qui voulant tout mettre en la liberté
du Roy & vie & biens, sans autre regle, ny saison, que sa seule volonté, iustifieroient
les cruautés des plus barbares & rendroient les plus cruels tyrans impeccables

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dans leur conduitte. Ils peuuent donc imposer des contributions, ils peuuent
faire des leuées Mais tousiours dans l’ordre de la Iustice Chrestienne & dans
les circonstances necessaires pour faire qu’elles ne soient pas criminelles.

 

D. Enseignez nous qu’elles sont ces conditions ? car c’est le poinct le plus important
en cette matiere & sans lequel, ny estant pas instruits comme il faut ; nous
ne sçaurions à quoy nous resoudre dans les occurrences qui se peuuent presenter.

R. I’aduouë que cette question est de grande consequence & bien necessaire, Mais
aussi vous diray-ie qu’elle en enueloppe & enferme tant d’autres auec elle, que pour
luy donner tout le iour qu’elle demanderoit afin qu’il n’y restat rien à expliquer,
il faudroit composer vn volume de plus de trente feüilles. Neantmoins pour vostre
satisfaction presente, en attendant peut-estre que ie le fasse plus à loisir, ie tascheray
de l’esclaircir par quelques veritez que ie proposeray sans autre ordre que celuy
auec lequel elles se presenteront à ma memoire. Premierement. Que comme diuers
Royaumes peuuent estre regis par diuerses Loix, ie ne traitte ces matieres que pour
la France & par les regles sous lesquelles les François doiuent estre regis. 2. Que
le Royaume de France n’est pas vn estat tyrannique, ou le Souuerain n’ayt pour obiect
de sa conduitte que sa seule passion. Que c’est vn Royaume Chrestien, & Catholique,
& qui depuis Clouis a fait gloire de se tenir ferme aux maximes de l’Euangile
par dessus tous les Royaumes de la terre, ce qui a donné à nos Roys le nom
glorieux de tres-Chrestiens. 4. Que nos Roys ont leur Domaine separé d’auec
celuy de leurs subiets ; Que plusieurs prouinces de la France ne sont pas neés auec
l’Estat, & n’y ont point estez vnies par les conquestes de nos Princes : mais se sont
volontairement soumises & données, auec des conditions & des reserues, tant pour
leurs personnes que pour leurs biens, auec les contributions qu’elles deuroient, faire
& la maniere auec laquelle elles les feroient : ce que les Roys ont stipulé, accordé
& promis, & ont obligé tant eux que leurs successeurs à les entretenir. Car si les
contracts entre des particuliers sont reciproquement obligatoires, il ne faut point
douter qu’ils ne le soient d’auantage, lors qu’ils regardent le public, eu des communautez ;
& qu’il ny aye obligation en conscience de les obseruer de part & d’autre
auec sincerité & bonne foy De ces veritez qui sont notoires d’elles-mesmes ; il s’ensuit
que le droict que le Roy à de faire des impositions & des leuées sur ses subies,
doit estre reduit dans les limittes de la necessité, lors que son Domaine n’est pas
suffisant pour y subuenir, & selon les concordats pour les Prouinces qui se sont
données.

D. Mais sans faire distinction de Prouinces, dites-nous qu’elles sont ces necessitez ?

R. Ces necessitez sont la conseruation de la personne du Roy : son rachapt s’il
estoit en captiuité ? La deffence de l’Estat contre les ennemis est rangers & domestiques :
Le repos & la tranquillité des peuples, contre les factions, les rebellions, les
vols, les iniustices, les violences des particuliers, & toutes choses generalement
quelconques qui causent la ruine, ou dommage notable au bien public. Car comme
le Roy n’est pas moins obligé de proteger son peuple & le deffendre de l’oppression
qui luy est faite par les puissans dans son Royaume, que de l’incursion & inuasion
des ennemis estrangers, le peuple n’a pas moins d’obligation de contribuer pour sa
deffence contre ceux là, & sa deliurance de ces ennemis domestiques, que contre
ceux qui combattent sous les liurées d’vn Prince estranger. Au si il n’y a point de
doute que le Roy peut imposer & que le peuple doit contribuer ce qui est necessaire
en telles occurrences Ie ne parle point des droicts feodaux, ny des [1 mot ill.] qu’on appelle
au quatre cas, parce que tout cela est reglé par les Ordonnances generales, ou
par les coustumes locales.

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D. Comment se doiuent faire ces impositions & ses leuées ?

R. Elles se doiuent faire selon la condition & a proportion des facultez & des
Biens de chaque particulier & comme au sol la liure en sorte que personne n’en soit
exempt. Car comme tous ont égal interest à la conseruation du Roy, & au bien de
l’Estat, aucun ne se peut dispenser de contribuer au repos de l’vn & de l’autre. Et
comme dans le corps toutes les parties n’agissent pas par égale contribution à la conseruation
du tout, mais chacune selon sa portee & sa condition, ainsi ce seroit vne
chose ridicule & honteuse de demander autant de contribution à vne pauure qu’à
vn riche, lors qu’il est question de faire des leuées pour les necessitez de l’Estat.

D. Quel iugement faites-vous donc de ceux qui ne se contentent pas de ne rien
contribuer, encor qu’ils soient fort riches, mais qui se seruent de ces occasions pour
s’enrichir, apliquant à leur profit particulier, & pour s’éleuer au delà de leur naissance
& de leur condition, vne partie de ce, qui estoit necessaire & destiné pour la
conseruation du public.

R. Ie responds que ce sont des monstres d’hommes, qui n’en ont que la figure exterieure ;
qui sont l’execration du Ciel, & doiuent estre l’auersion & l’abomination
publique plus dangereux & plus punissables que les ennemis estrangers, comme les
abscéz, qui se forment dans le corps, sont plus dangereux & à craindre, que les pustulles,
qui s’esleuent sur la peau ; qu’ils pechent mortellement & n’en peuuent estre
absous qu’apres la restitution.

D. Les Roys peuuent-ils pas faire des leuées pour aduancer la fortune & faire la
maison de ceux qu’ils iugent particulierement dignes de leur faueur & de leur
amitié ?

R. Nullement, Car supposé que l’Estat n’est pas tyrannique, & qu’ils ont leur domaine
pour en disposer à leur gré, la seule necessité leur donne la liberté de foüiller
dans la bource de leurs peuples, qui est comme vn bien estranger, & sur lequel hors
cette circonstance ils n’ont point de droict. Et si pour leur satisfaction particuliere.
comme pour le luxe des bastimens, d’habits, d’ameublemens, de bals, de comedies,
& autres diuertissemens qui regardent le plaisir des sens, ils n’ont pas cette liberté,
& ne peuuent en conscience employer à ces choses que leur domaine & non pas la
sueur & le sang des miserables, a plus forte raisonne le peuuent-ils pas faire pour l’agrandissement
des personnes particulieres, qui d’ailleurs pour l’ordinaire abusent
de ces biens, s’en seruent pour les prodiguer en luxe & se damner, & bien souuent
pour se faisant des creatures, se rendre insolens & insupportables aux peuples, &
formidables à leurs propres maistres.

D. Du moins ne pouuez-vous pas desnier qu’ils ne puissent imposer quelques
sommes, quand ce ne seroit que sur les denrées, pour l’aduancement des communautez
& l’entretien des congregations regulieres ?

R. Encore moins, s’il faut ainsi parler, non pas que le pouuoir soit moindre, ou le
mal plus grand, de faire des impositions & leuées pour ceste fin, que pour la satisfaction
insatiable de quelques fauoris : mais ie veux dire, que comme les pechez sont
plus grands, quand on se sert dans les charmes des mots de l’Euangile, plustost que
des termes prophanes : le mal est en quelque maniere plus dangereux & à craindre,
quand sous le manteau de pieté & de deuotion, il veut passer pour vn bien qui merite
la recompense du Ciel, auec la loüange des hommes : parce qu’entretenant l’esprit
dans cét aueuglement, il l’empesche de se connoistre, de s’amander & d’en faire penitence
Et mon esprit est dans vn estonnement dont il ne sçauroit sortir, de voir des
impositions publicques & permanentes, sur les choses que la nature donne & qui
sont necessaires pour la vie des hommes, pour estre employez en des superbes bastiments,

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pour ne dire peut-estre au change, & à la banque, qui ne ressentent rien de la
pauureté, ny de l’humilité religieuse. Nous ne lisons pas ces conduites dans le vieil
Testament, ny aucunes impositions excepté les decimes, pour les Leuites, les Recabites,
les Scribes ny les Pharisiens : l’Eglise durant quinze siecles n’a eu connoissance,
ny pratique, de ces maximes, & elles n’ont commencé à paroistre & auoir cours
que dans nos temps, & dés qu’on a quitté la Theologie de l’Euangile & la Morale
veritablement Chrestienne.

 

D. Quelles impositions se peuuent & doiuent faire ?

R. On ne sçauroit bien constamment, ny auec vne détermination arrestée respondre
à ceste demande. Il y en a de plusieurs sortes. Les vnes se font par imposition
pecuniaire sur les fonds, ou sur les personnes, ou sur tous les deux, qu’on nomme tailles,
reelles, personnelles, ou mixtes. Les autres sur les denrées necessaires à la vie &
qui croissent dans le Royaume, comme sur le vin & le sel. Les autres sur les choses
qui entrent des Royaumes estrangers dans le nostre, ou sortent du nostre pour passer
dans les estrangers, qu’on appelle doüanes ou traittes foraines pour celles qui regardent
les tailles mixtes, il semble qu’elles soient les plus iustes & les plus equitables :
car comme l’Estat contient & le sel, & les hommes, il est bien raisonnable que
l’vn & l’autre contribuë à sa conseruation, dans vn ordre & proportion conuenable.
Pour celles qui concernent les choses necessaires à la vie & qui croissent dans le
Royaume, ce sont les plus dures & les moins Chrestiennes : car quelle apparence de
mettre de l’enchere, sur ce dont les pauures ne se peuuent passer, & que la nature nous
donne pour nostre entretien, ou sans trauail, ou auec peu de trauail ? n’est-ce pas assez
que ie paye ou pour ma terre, ou pour ma personne, selon ma condition & mon trauail,
sans payer pour le vin qui vient sur ma terre, qui n’est que le fruict de mou
fonds & de mon labeur ? Il n’en est pas de mesme des doüanes & traittes foraines,
lesquelles estant des marques de l’authorité du Prince, tiennent en quelque sorte de
la nature de son domaine : d’autant que le Roy estant le maistre de son Estat, il a droit
par cette seule consideration, sans autre necessité, d’empescher ou de permettre le
commerce auec les estrangers, principalement pour les choses dont on se peut passer
facilement & qui pour l’ordinaire ne seruent qu’au luxe & à la vanité : de façon
qu’il peut tirer reconnoissance de la permission qu’il donne du transport reciproque
de ces marchandises, dedans ou dehors son Royaume ; Mais aussi cette taxe doit
estre moderée, ne doit estre que dans les villes frontieres, pour les entrées ou sorties
du Royaume, & non pas dans le Royaume, pour ce qui passe d’vne prouince à l’autre,
ce qui seroit rendre l’Estat estranger à soy-mesme ; ny pour toutes ces entrées de
villes, lesquelles quelque tiltre specieux qu’on leur donne, sont tousiours des marques
de diuision, entre les freres, dans vne mesme maison & sous vn mesme pere.

D. Que dites-vous des subsistances ?

R. Le mesme que i’ay dit des tailles, puis qu’il n’y point de difference. Ce n’est
qu’vn nouueau nom inuenté depuis peu d’annees, pour donner nouuelle couuerture
à l’oppression : qui a plus causé de ruynes à Estat en six ou sept ans, que les tailles
n’en auoient fait en cinquante, que la barbarie des partisans & de leurs commis.
Et que Dieu veüille que celuy qui en a esté l’inuenteur, n’en ressente point à present
la punition, dans la violence de ces flames qui ne s’esteigne iamais.
D. Vous venez d’auancer vne parole qui m’estonne & qui en fera bien estonner
d’autres, hé quoy le Roy est il de moindre condition qu’vn particulier ? que peut-il
pas le mettre en party ? & ceux qui en traittent de cette sorte, sont-ils pires que
ceux qui font vn autre trafic pour l’auancement de leur famille & l’éleuation de leurs
enfans ? y a t’il rien en cela qui ne soit licite ?

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R. Vous n’estes pas le premier qui auez proposé cette difficulté, c’est le manteau
dont se couurent tous les hommes qu’on nomme d’affaires, pour voler auec impunité
& en bonne conscience si leur semble, & le Roy & ses suiects. C’est sous ce
pretexte, que leurs maisons sont cimentées du sang des peuples, que leurs ameublement
sont composez des larmes des veufues, & qu’ils portent sans rougir iusqu’au
pied de l’autel & a la Table de Iesus Christ, la pourpre & le luxe tiré de la
substance des orphelins & des miserables. Or pour vous releuer de c’ét estonnement
& les desabuser, il faut obseruer que dans ce fait ce n’est pas le nom qui fait le crimo,
mais la chose qui est exprimée par ce nom : ie veux dire que ce n’est pas le terme
de Party, ou de Partisans, qui est odieux, & à detester, mais ce qui nous signifie
par iceux.

D. C’est ce qu’il y a long temps que ie desire de sçauoir, & que ie vous prie de
m’enseigner ?

R. Les noms comme vous sçauez, n’ont point de signification, que celle que les
hommes leur donnent, ou qui prennent cours dans la suite des temps. Ainsi ces
mots de Party & de Partisan, comme ces autres de Traité & de Tritant, qui disent
la mesme chose, ne disent rien de soy de mauuais, & sont indifferens pour estre
appliquez en bien ou en mal de maniere que tous les Marchands qui viuent de
trafic & en gens de bien, peuuent estre appellez Traitans, & toutes leurs ventes &
achapts des traitez : mais ie prends ces mots selon le cours commun qu’ils ont en
France de puis quelques années, ou l’on appelle Traitans où Partisans, vne secte
de personnes qui composent auec le Roy, de certaines sommes liquides, que la necessité
des affaires l’oblige de leuer sur ses peuples, à beaucoup moins qu’elles ne se
montent, comme au quint ou au quart prés & contracts & actes par lesquels ils
stipulent, c’est ce qu’on nomme Traitez ou Partis.

D. Et qui a-il en tout cela qui ne soit iuste & honnorables ?

R. Vous le conceuerez plus facilement si nous en posons le fait, suiuant la methode
des Iurisconsultes quand il s’agist de quelques resolution Supposons donc
par exemple, que pour les necessitez de la guerre & l’entretien des armées, il aye
fallu imposer & leuer sur le peuple douze millions de liures, que l’on a distribué
partie en augmentation des tailles, partie en taxes sur les Officiers & partie en creation
de nouueaux offices Pour leuer cette somme, ont traite auec des personnes
qui s’en chargent, moyennant neuf millions, qu’ils fournissent au Roy, ou peut
estre moins, le reste leur reuenant bon pour leurs peines le dis en ce cas, que ces
personnes offencent mortellement qu’elles volent ce quart au Roy & à l’Estat,
qu’elles sont obligées de le restituer, & n’y a personne qui les en puisse dispenser.

D. Mais ils font des auances & rendent l’argent plus promptement & plus
prest au besoin.

R. Il n’importe : pource, que, si tout Chrestien est obligé d’assister son prochain
gratuitement, lors qu’il en est en necessité, principalement s’il peut faire sans
aucune perte, il y a bien plus d’obligation d’assister le Roy, qui est le pere & le
protecteur du peuple, & pour les necessitez de l’Estat, & si l’on ne peut pas auancer
quelque chose laquelle reuient tousiours, comment est ce qu’on contribueroit de
sa bource aux despenses necessaires pour le public : ioint que comme tous les interests
des particuliers, sont essentiellement engagez dans ceux du general, tous ces
traitans ou partisans, qui font partie du corps de l’Estat, son obligez d’y contribuer
ce qu’ils ne peuuene moins faire, que par l’auance des sommes qui leur reuiennent
auec le temps.

D. Si cela est ainsi que vous dites, les Tresoriers de l’espargne & autres ne sont

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pas sans, puis que leurs plus grands profits, viennent des auances qu’ils font, & des
grosses remises qui leur sont faites, ce qui met le prix de leurs chaages a des sommes
immenses au de la des gages qui leur sont attribuez ?

 

R. Il n’y a point de difficulté en cela, leur condition dans ces occasions n’est
point differente d’auec celle des Partisans, dont ils peuuent porter le nom, puis
qu’ils en font l’office.

D. Mais les vns & les autres, ne prennent point ces grosses sommes dans leurs
bourses, ils l’empruntent du tiers & du quart, dont ils payent l’interest, ce qui n’est
pas raisonnable qu’ils fassent à leurs despens ?

R. A cela ie responds deux choses. Premierement, que les obligations de ces
particuliers qui leur prestent auec interest sont vsuraires, & par ainsi suiettes à restitution
En second lieu, qu’il y a bien de la difference, de prendre de l’argent d’autruy
à cinq ou six pour cent, afin d’auancer au Roy, pour apres le reprendre sur soy-mesme,
& cependant en retenir par ses mains, & en prendre, quinze, dix-huict, ou
vingt pour cent. Et c’est pour ce suiet que tous ces Partisans & Tresoriers sont punissables,
puisque faisant auance du bien d’autruy, ils en prennent plus du Roy, qu’ils
n’en donnent pas aux particuliers ; Ce qu’on ne sçauroit desauoüer estre vn vol public,
punissable par toutes les Loix diuines & humaines, si l’on ne veut renoncer non
seulement au Christianisme, mais au sens commun.

D. Que dites-vous des Tresoriers des guerres, qui profitent sur les payes de la
Milice, & des Capitaines, qui retiennent la solde des soldats, & cependant leur permettent
de voler pour s’entretenir ?

R. La mesme chose que i’ay dit des autres, que ce sont des larcins, qui non seulement
obligent à restitution, mais qui sont punissables par toute sorte de Loix politiques.
Et ce que ie trouue de plus estrange dans cét abus ; est qu’au lieu d’en faire
scrupule, on en fait gloire & estat comme d’vn profit iuste & legitime : Car auiourd’huy
dés lors qu’vne personne a eu la commission pour leuer vne Compagnie ou vn
Regiment : on ne fait point la petite bouche, de dire, il y a tant de bon pour moy :
i’auray tant de passe-volans, suffira que ma Compagnie où mon Regiment soient
composez de tant d’hommes, la solde des autres sera pour moy. Sans parler des profits
des quartiers d’Hyuer, où l’on rançonne les lieux que l’on a pour garnison, qui
est vn nouueau genre de vol & de larcin public. Aussi la pluspart ne s’engagent point
dans ces exercices, par le desir de l’honneur, ny du seruice du Roy & de l’Estat, mais
par celuy de profiter par ces voleries & pilleries, qu’ils se persuadent estre permises
& legitimes. Dites le mesme des Tresoriers qui composent des Ordonnances, & des
assignations que l’on a tiré sur eux.

D. Depuis quelques années, on a inuenté vne nouuelle sorte d’imposition, sous le
nom d’Aysez & sous-Aysez, qui a fait beaucoup de bruit, & dont plusieurs se plaignent,
& à mon iugement auec raison : Ie vous prie de m’en dire le vostre ?

R. A cela ie ne sçay que vous respondre. Le cœur me saigne quand i’y pense Cette
inuention n’est pas des hommes, elle ne peut estre sortie que de l’Enfer, pour la
ruyne vniuerselle de l’Estat en general, & de chacun en particulier : Qui met les
François dans vne condition plus rude qu’ils ne seroient pas sous la domination du
Turc, & par laquelle il n’y a personne dans le Royaume, de quelque condition qu’il
soit, qui puisse s’asseurer d’auoir vn teston en propre, & dont il puisse faire estat.

D. Ie vous prie de m’expliquer plus clairement ?

R. C’est que sous la domination du Turc, les taxes sont arrestées & publiques,
ou chacun sçait ce qu’il doit par reste, apres quoy il possede son bien en repos &
tranquillité. Au lieu que si outre les Tailles & mille impositions qui sont sur les

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denrées, que l’on rend infinies par des augmentations si estranges, que les peuples
succombent sous le faix : Si, dis-ie, outre cela, il est permis à vn Ministre ou à vn Fauory,
qui abusera de l’authorité du Prince, de taxer les particuliers quand bon luy
semblera, & à telles sommes qu’il luy plaira, sous le pretexte qu’ils sont accommodez
dans leur condition, & les contraindre de payer, ou de gre, ou de force : qui ne
voit que c’est mettre tout le bien ces particuliers au pillage de ces insatiables, & qui
ne diront iamais, c’est assez, encore qu’ils ne trouuent plus rien à prendre. Il y a encore
vn autre mal dans cette maudite inuention. C’est la methode que l’on a tenuë
pour ces leuées : car ie ne dïray en cecy que ce dont ie suis témoin, qu’ayant fait signifier
des taxes d’Aysez, ceux ausquels la signification estoit faite, ayant recours
aux partisans à Paris, ou à leurs sous-traittans ou Commis dans les prouinces, en
estoient facilement dispensez, en donnant à sousmain le quart ou le tiers de leur taxe,
au lieu desquels on en substituoit d’autres. Si bien que c’estoit vne porte ouuerte
à vn brigandage public, & pour vn million, par exemple, de traité qui en venoit au
Roy, ou pour mieux dire à ses fauoris, il s’en leuoit quatre ou cinq sur le pauure
peuple. Iugez si en ce cas la condition des François, qui se disent libres par dessus
toutes les nations du monde, n’est pas plus mal-heureuse que celle de ceux que nous
appellons esclaues sous l’Empire du Turc ?

 

D. Bon Dieu ! ne verrons-nous iamais la fin de ces miseres ?

R. Ce sera quand il plaira à ce Maistre Souuerain, d’ouurir les yeux du Roy & de
Reine Regente, pour voir le sac & la misere, ou ces pestes ont reduit les peuples, leur
toucher le cœur de compassion à l’endroit de l’Estat, qui n’est plus qu’vn Hospital
de miserables ; & leur inspirer l’ardeur & le zele, pour tirer la vengeance proportionnée
au crime, de ceux qui ont ainsi ruiné le Royaume, en abusant de leur nom & de
leur authorité.

D. Vos resolutions me consolent d’autant plus qu’elles sont claires & faciles ; &
si ie ne craignois de vous importuner, i’aurois grande passion de sçauoir vostre senti
ment sur la matiere des prests ?

R. Cette matiere est trop vaste pour la bien éclaircir, quant à present, pource
qu’elle enferme auec soy tout ce qui concerne les vsures, ou vous sçauez que la Theologie
à la mode, & la Morale du temps, ont tant trouué de distinctions, & leur ont
donné de si belles couuertures, que les plus. Iuifs sont les plus habiles & les plus iustes,
qui sans risquer, tirent plus de profit de leur argent. Neantmoins parce que ie
voy bien que vostre demande ne regarde que les prests que l’on fait au Roy, & en la
maniere qu’on les fait à present, c’est à dire, auec des douze, quinze, dix huict, ou
vingt pour cent de profit De cette sorte ie fais la mesme responce, & par les mesmes
raisons, que i’ay fait touchant les partisans & les Tresoriers. Car encore qu’il y aye
quelque difference touchant le nom & la maniere dont on tire le profit. Neantmoins
la fin & l’effect en sont tousiours les mesmes ; Au contraire, il y auroit lieu de rendre
ceux-cy plus coupables & plus criminels, puisque les autres ne manquent point de
raisons apparentes pour se couurir, que ceux-cy ne peuuent aucunement appliquer
en leur faucur. Aussi tout le monde sçait l’opposition de Monsieur l’Archeuesque
de Paris auec la Sorbonne, à la Declaration enuoyée à la Chambre des Comptes,
pour authoriser ces maudits prests, mais plustost ces infames vsures, & les rendre
licites à toutes sortes de personnes.

D. Quel iugement faites-vous donc de ceux qui prestent pour prester ?

R. Mon sentiment est, qu’ils pechent mortellement, encore qu’ils le prestent
gratuitement, & sans participer à ce profit infame & criminel que les autres en tirent.
Semblables en quelque sorte, à ceux qui presteroient l’eschelle à vn voleur de

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nuict, sçachant bien que c’est pour aller piller la maison d’autruy : ou, qui de propos
deliberé fourniroient des armes à vn furieux, dont il se seruiroit pour meurtrir son
prochain, ou se rendre homicide de soy mesme.

 

D. Ie voy bien que ie vous diuertis trop long-temps, mais encore ie vous prie
d’agréer, que ie vous fasse deux ou trois demandes, qui me semblent extremement
necessaires en cette matiere. Posé donc que ces Partis, ces Aduances, ces Traitez &
ces Prests, soient illicites & obligent à restitution. Le Roy qui semble seul interessé
dans cette occasion, ne peut-il pas remettre ces gains sordides à ceux qui les ont receus,
& les laisser dans la possession de ces richesses, qu’ils ont amassées par des voyes
si dures & si peu Chrestiennes ?

R. Quelque Casuiste à la mode & de la nouuelle impression, vous pourroit respondre,
auec des distinctions si alambiquées, que vous auriez de la peine à les conceuoir.
Et moy suiuant les Canons de l’Eglise & dans la sincerité du Christianisme,
ie vous responds simplement que non, s’il ne veut luy-mesme se charger de la restitution,
qui en doit estre faite à son peuple, qui en a souffert la violence & le larcin.

D. Quelle raison auez-vous de cela, la chose n’est pas de si petite consequence,
qu’elle ne merite bien de la sçauoir ?

R. Il faut supposer pour l’entendre, que lors que l’on a dessein de faire des impositions
& leuées sur le peuple par la voye des Partisans, on fait vne masse commune
de ce qui est necessaire pour l’Estat, & de la part qu’il faut pour ceux qui
prennent le party ; de maniere que s’il faut, par exemple, trois millions de liures,
pour subuenir aux affaires, il en faut imposer quatre, afin que les partisans ayent
leur part, & que le Roy aye tousiours, non pas son compte, comme l’on parle, mais
pour parler plus Chrestiennement, ce dont il a besoin pour la manutention de son
Estat. Ainsi comme le bien des peuples n’est pas au Roy, & qu’il n’en peut prendre
que pour subuenir à la necessité & non pas aduantage : qui ne voit qu’ayant tousjours
ce qu’il luy fant, ce qui entre dans la bourse des partisans n’est point à luy,
mais à ses Subjets, ausquels il doit estre rendu, & duquel il n’a point de puissance de
les priuer, pour le laisser en la possession & iouyssance de ces sangsuës inhumaines.

D. Ie voudrois bien sçauoir, quel est en ce point le pouuoir des Magistrats ? peuuent-ils
pas les remettre & les dispenser de la restitution ?

R. Cette demande, à mon iugement, vous auroit semblé inutile & superfluë si
vous y auiez bien pensé. Car si nous venons de monstrer que le Roy [1 mot ill.] le
peut pas, ses Magistrats le peuuent encore moins, lesquels n’agissent qu’au non &
dans l’authorité qu’ils tiennent du Prince. Ils sont comme les Confesseurs, qui n’ont
point de puissance pour disposer du bien d’autruy, sans leur consentement, & les vns
& les autres faisans la fonction de Iuges, ils sont obligez de faire rendre le bien à
qui il appartient, sous peine de s’engager eux mesmes dans l’obligation de restituer.

D. Sont-ils obligez d’en poursuiure la restitution & la punition pour le bien &
l’exemple du public ?

R. Ouy, puis qu’ils sont preposez à la Iustice, & que le Roy leur commettant
son authorité, s’est dechargé sur eux de ce qui regarde son administration, autrement
ils pechent & sont responsables à la Iustice de Dieu, aussi bien qu’à celle des
hommes. En effet si nous les voyons tous les iours agir auec tant de seuerité, contre
les larrons particuliers ; que pour le vol d’vn manteau en vn coin de rue, ils s’estimeroient
criminels s’ils ne faisoient prendre le voleur, non tant pour l’expiation de
crime, que pour l’exemple & la terreur du public : que ne sont-ils pas obligez de
faire, & quelles armes ne doiuent-ils point mettre entre les mains de la l’Iustice, pour
punir ces brigandages publics, & par cette vengeance arrester le cours de ces pestes

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des Estats & sangsuës des Republiques ?

 

D. Si cela est ainsi, ie trouue la condition des Magistrats bien rude & bien perilleuse
pour la conscience.

R. Il vous est libre d’auoir telle pensée qu’il vous plaira, fur la difficulté qui se
rencontre dans l’exercice de la Magistrature, mais cela n’empesche point, que la verité
ne demeure constante en la sorte que ie viens de la proposer, si l’on s’en veut seuir
Chrestiennement, & selon les regles de l’Euangile. Aussi l’Escriture saincte defend
aux personnes de s’engager dans ces charges, si elles n’ont vn cœur masle & genereux,
pour resister auec courage à la licence des meschans, & pour la punir auec
le mesme esprit lors qu’elle viendra à leur connoissance, sans se rendre esclaues de sa
fortune, ny de la faueur ; noli quærere fieri iudex, nisi valeas trrumpere iniquitates. Et
si l’on sçauoit les conditions & les qualitez, que l’on requeroit en la personne des
Iuges dans l’ancienne Loy, il n’y a aucun qui ne restast estonné, en les comparant
auec celles dont on se contente auiourd’huy, pour leur donner l’authorité sur la
vie & sur les biens des hommes. N’estimez donc pas que la difficulté en la matiere
que nous traittons ; puisse deuant Dieu seruir d’excuse aux Magistrats, Ie le repete
encore, que dans ce deplorable estat, ou ces harpies humaines ont reduit la France,
& dans le peril de laquelle, celuy de l’Eglise se rencontre, ils sont obligez sous peine
de crime, non seulement de leur faire rendre gorge, mais de les punir. Et s’il se rencontroit
quelqu’vn qui osast tenir le contraire, il meriteroit d’estre l’anatheme des
hommes, comme il le seroit en effect, & de Dieu & des Anges.

D. Et si le Roy d’authorité absoluë les veut laisser dans la possession de ces biens
si iniustement amassez, qu’il fasse vn Edict d’abolition, & l’enuoye aux Cours
Souueraines pour le verifier.

R. I’ay desia dit que par les regles de la conscience, le Roy ne le peut pas, parce
que ce n’est pas son bien ; Et pour ce qui regarde les Magistrats des Cours Souueraines,
ils ne seront point absous deuant Dieu, pour dire le Roy nous l’a commandé ;
car comme ils sont establis & preposez pour seruir de lien entre le Roy & les
peuples & pour l’administration de la Iustice auec equité, ils doiuent dire, SIRE,
cela n’est pas iuste ; ils doiuent faire leurs remonstrances, & si au preiudice d’icelles
on veut passer outre, ils doiuent laisser agir la puissance Souueraine par elle
mesme, sans y prester leur nom & leur consentement, & sans se souiller du sang de
leurs freres, ny s’engager dans le peril de la restitution, par vne iniuste & illegitime
approbation.

D. Mais comment faire cette restitution au peuple, puis que vous dites que c’est
à luy à qui le tort est fait : Faut-il aller dans les Prouinces & informer de ce dont
chaque particulier peut auoir esté vexé, afin de le luy rendre ?

R. Non, il n’est pas necessaire de prendre cette peine, ny de proceder en la maniere
que vous vous figurez, & qui seroit aussi ridicule comme impossible. Il y a
vne autre façon de restituer & qui est fort aisée, qui est, de soulager le peuple d’autant
de ce qu’il doit contribuer pour la necessité de l’Estat, en luy imposant rien
du tout iusques à ce que le pressis de ces sangsuës soit employé. Par exemple, en
cette année il faut trente millions de liures pour faire la guerre, il faut les prendre
dans la bource des Partisans, & des Traittans, & non pas les imposer sur le
peuple, qui par ce moyeu se trouuant dispensé de la contribution qu’il deuoit faire
cette année, se trouue par mesme voye restitué de ce que l’on luy a exigé de trop
les années precedentes. Et cette restitution ainsi faite n’est-elle pas bien iuste ? n’est
elle pas bien aisée ?

D. Vous me fermez la bouche, & i’aduoue que ie ne me fusse point aduisé de

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cette couuerture, qui certainement comme vous dites, est bien aisée & bien iuste,
quand mesme elle ne seroit pas Chrestienne. Mais, s’il vous plaist, & sans changer
de propos. Les Partisans & toute cette secte de gens, sent-ils en seureté de
conscience, pourueu qu’ils ne soient pas recherchez ? Ces richesses leur appartiennent-elles,
& les peuuent-ils garder sans offence, pource qu’on ne les inquiete pas
soit parce qu’ils les tiennent cachées, soit pource qu’ils ont de la faueur & des amis
qui les mettent à couuert de la recherche ?

 

R. Non. Car supposé ce qui est certain, que c’est vn bien iniustement acquis &
qui ne leur appartient point, quand il n’y auroit que Dieu seul, à qui rien ne peut-estre
caché, qui en eust la connoissance, leur conscience n’en seroit pas moins
chargée, ny moins obligée de restituer : comme nous apprenons de l’Escriture Saincte,
que le fratricide de Caïn ne fut pas moins abominable, encore qu’il n’y eust
que Dieu qui en fust le temoin : comme le larron qui vole vne maison durant l’obscurité
de la nuict, & lors que tous les domestiques sont enseuelis dans le sommeil,
est plus criminel & plus punissable, que s’il auoit commis le mesme larcin pendant
le iour, pource qu’il adiouste à son peché vne circonstance odieuse, qui luy donne
liberté sur la vie comme sur les biens. Ainsi les pretextes dont on se sert, pour rauir
les biens des peuples, ne sont que des circonstances, pour en rendre le [1 mot ill.]
d’autant plus grand qu’on a moins de liberté de s’en deffendre & de les preuoir. Et
si celuy qui a trouué quelque chose, ne peut licitement la garder, ny l’estimer legitimement
sienne, qu’a pres s’estre informé à qui elle peut appartenir : à plus forte
raison les Partisans qui ont le sang des pauures sont ridicules, s’ils se persuadent
qu’il leur appartient & qu’ils le peuuent retenir, sous le pretexte qu’ils n’en
sont pas recherchez, par les raisons que vous auez proposées, ou telles autres qu’on
pourroit se figurer.

D. Peuuent-ils dénier, en estant interrogez par les Iuges, à cause de leur honneur,
dont il semble qu’ils feroient perte s’ils confessoient la verité, ayant tousiours esté
dans l’estime de personnes de merite & de probité sans se messer de ces infamés
commerces ?

R. C’est vne question qui est en controuerse parmy les Casuites & dont ils ne
seront de long-temps d’accord, pour ce qui concerne la Confession ou negation,
lors que l’honneur s’y trouue notablement & inseparablement engagé Cela neantmoins
n’empesche pas, que tous ne demeurent dans vn mesme sentiment, qu’il faut
absolument satisfaire à l’interest ciuil de la personne lezée, quelque circonstance
qui puisse empescher d’aduouer le fait, pour la conseruation de l’honneur. Ainsi
quand on fulmine vn Monitoire, pour la reuelation d’vn vol fait la nuit, encore que
le voleur ne soit pas tenu de se declarer, à cause de sa vie & ce sa reputation qui y
sont interessez, il n’est pourtant moins obligé de restituer que s’il l’auoit absolument
declaré. Et cét exemple est si clair, qu’il n’y a personne qui n’en puisse facilement
faire l’application.

D. Ie voudrois bien sçauoir, comment les Confesseurs se doiuent comporter
dans ces occasions, & s’ils peuuent donner l’absolution à ces personnes, lors qu’elles
se presentent au Sacrement de Penitence ?

R. Ouy, Pourueu qu’ils restituent actuellement & entierement & non autrement :
car sans cela leur absolution est nulle, & si auec le peché qu’ils commettent
ils s’engagent eux-mesmes dans l’obligation de restituer.
Nous auons cy-deuant proposé l’exemple des Confesseurs, pour monstrer l’obligation
des Iuges, il ne faut aussi en ce lieu, qu’appliquer ce que nous auons dit des Iuges,
pour connoistre quel est le deuoir des Confesseurs.

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D. Peuuent-ils pas appliquer ces restitutions en œuures pies, comme en aumosnes,
ornemens d’Eglise, fabrique de Chappelles & telles autres actions de pieté
Chrestienne ?

R. Non, parce qu’ils ne sont pas maistres du bien d’autruy, & n’en peuuent
aucunement disposer à son preiudice, sans son consentement. Cela est bon pour vn
bien mal acquis ou possedé iniustement, lors qu’on en ignore, ou le maistre ou l’heritier :
en ce cas il y a obligation de le donner aux pauures, ou l’employer en autres
œuures de pieté, dont le merite & la recompense deuãt Dieu regarde non celuy qui
restituë, car il ne donne rien du sien, mais celuy à qui il appartenoit & qu’on ne luy
peut rendre, ny aux siens, à cause qu’on ne les cognoist pas : Mais il n’en est pas de
mesme au suiet que nous traittons, parce qu’encore que l’on ne cognoisse pas chaque
particulier, pour luy rendre sa cotte-part : C’est assez que l’on sçache que c’est le bien
public, auquel on peut le restituer, comme i’ay dit auec facilité, en le mettant dans les
coffres du Roy, afin qu’il s’en serue dans son vrgente necessité, & en soulage d’autant
ses peuples, en les exemptant des Impositions dont le bien de son Estat le forceroit
de les charger, pour sa conseruation & la leur.

D. Est-il permis de prester son nom aux partisans pour mettre le bien à couuert,
ou tenir en sa maison leur argent, effets & meubles, afin qu’ils soient en seureté &
ne puissent estre découuerts ?

R. Non, Car s’est s’opposer au bien public & au particulier, & aux Loix de la
Iustice & de l’equité. C’est estre receleur d’vne chose dérobée : Et il est sans doute,
qu’outre le peché mortel qu’il y a, lors que les sommes sont notables, l’on fait iniure
à autant de personnes qu’il y en a d’interessées, & que l’on entre dans l’obligation
de restituer.

D. Ceux qui ont veu cacher, ou transporter d’vne maison à autre, de l’argent,
ou des meubles, sont-ils tenus de le dire en estant interrogez ?

R. Ie dis bien dauantage, qu’ils ne doiuent pas attendre l’interrogation : qu’ils
sont obligez de la preuenir, & d’en donner aduis ou à la Iustice, ou à ceux qu’ils
sçauent y estre interessez, ou qui ont pouuoir d’y apporter le remede necessaire
pour le repos des vns & des autres.

D. Les Officiers peuuent-ils entrer dans les Partis ?

R. Non, parce qu’ils sont Iuges, & que l’vne des principales conditions d’vn bon
Iuge, est d’estre entierement des-interessé. Et s’il ne leur est pas permis d’estre les
Iuges des causes qui regardent leurs parens, à plus forte raison ne peuuent-ils point
cognoistre de celles, ou ils seroient engagez par leur propre interest.

D. Que diriez-vous donc de ceux qui ne se contentent pas d’entrer en secret
dans les Partis, mais qui en outre se font donner des Commissions du Conseil, pour
connoistre de tous les differents qui regardent le Party, au preiudice de la iurisdiction
des Iuges ordinaires ?

R. Ie dis que cette demande est si estrange, qu’elle porte sa responce, par l’horreur
qu’elle imprime en la proposant. Bon Dieu ! se pourroit-il bien faire, qu’il y eust
des Officiers si peruertis d’esprit & perdus de conscience ? Et neantmoins on le dit,
& mesme dans Paris, & qu’on l’a obserué dans le Party des Amortissements sur le
Clergé. A quoy ie n’ay que les souspirs & les larmes pour toute responce.

D. I’ay du desplaisir de vous auoir fait cette proposition, puisque vous en estes si
fortement touché, ayant bien iugé qu’elle n’estoit pas necessaire : Et pour vous diuertir
de cette pensée, Dites-moy, s’il vous plaist, en matiere de restitution, suffit il à ces
partisans & hommes d’affaires qui traitent immediattement auec le Roy ou auec ses
Ministres, de restituer ce qu’ils ont receu du bien du peuple & qui est tourné en leur

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profit particulier. En vn mot, ont ils satisfait à la iustice de Dieu, en rendant ce qui
est entré dans leurs coffres ?

 

R. Non, Ce n’est pas assez, ils sont encore responsables de toutes les vexations
illegitimes qui ont esté faites par leurs Commis, & toutes autres personnes employées
à leurs receptes. Il ne faut point de preuue pour cette resolution : Elle se iustifie
d’elle-mesme. Car s’il y a obligation de reparer le dommage, qu’auroit fait vn
bœuf ou vn cheual dans l’heritage d’autruy : Si vn Capitaine est responsable des
violences d’vn soldat, à plus forte raison le sont les partisans, de ceux qu’ils employent
en leurs Commissions, ou ils agissent sans crainte & auec impunité. Iugez de
là, à quelles restitutions ils ne sont point obligez, par tant d’excez & de voleries
commises par ces Commis, & par cette engeance maudite de fuziliers, demons incarnez
& non pas des hommes, qui auec le feu, le fer & le sang, exerçoient plus de
cruauté en leuant la Taille, que ne feroient des Barbares en vn païs de conqueste.

D. Les enfans auancez dans les charges, ou les filles mariées de cette sorte de
biens, sont-ils obligez de restituer ?

R. Ouy. Le Canon y est formel, principalement lors qu’ils ont connoissance
que ces biens ont esté acquis par cette voye. Ainsi ces sommes immenses que l’on
donne en mariage à des filles de neant, qui excedent celles des Princesses ; Ces grandes
charges de prix presque inestimable, que l’on voit acquises & possedées par des
personnes tirées de la lie du peuple, & dont les peres peut-estre ont porté la mandile,
ou sont venus à Paris auec des sabots, monstrent bien la profession qu’ils ont exercée,
de quelle sorte ces facultez sõt acquises, sur qui elles ont esté pillées, & à qui
elles doiuent estre restituées, si l’on ne veut participer à la damnation eternelle, de
ceux qui les ont si iniustement amassées.

D. Ie ne me lasserois iamais de vous interroger, tant vos resolutions sont Chrestiennes
& conuainquantes ; Ie supersede pourtant afin de ne point exceder en importunité.

R. Vous pouuez continuer sans cette apprehension si vous l’auez agreable.

D. C’est assez pour cette rencontre. En vne autre occasion, puis que vous le trouuez
bon, Ie vous prieray de m’esclaircir sur quantité de difficultez qui me donnent
du scrupule touchant l’administration des Finances dans les charges de Chancelier,
Sur-intendant, Intendants, Secretaires, & tous les autres Officiers qui composent le
Conseil, qu’on appelle de Direction ou de Finances.

R. Ce sera quand il vous plaira, la matiere n’est pas moins importante ny difficile
que celle que nous venons de traitter. En attendant, ie me recommande à vos
sainctes prieres.

FIN.

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Saint-Joseph (révérend père dom Pierre de = R. P. D. P. D. S. J.) [1649], CATECHISME DES PARTISANS, OV RESOLVTIONS THEOLOGIQVES touchant l’Imposition, Leuées & Employ des Finances, Dressée par Demandes & Responces, pour plus grande facilité. , françaisRéférence RIM : M0_652. Cote locale : D_1_9.