Servien, Abel [?] [1649], HARANGVE DE MONSIEVR SERVIENT FAICTE AVX HOLANDOIS, Sur le subiet de leur Traitté de Paix auec l’Espagnol. , françaisRéférence RIM : M0_1556. Cote locale : C_5_43.
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HARANGVE
DE MONSIEVR
SERVIENT
FAICTE AVX
HOLANDOIS.

Sur le subiet de leur Traitté de
Paix auec l’Espagnol.

MESSIEVRS,

Il y a trois années que nous passasmes icy Monsieur Dauaux
& moy, par ordre du Roy & de la Royne Regente sa
Mere, pour concerter auec vos Seigneuries ; auant que nous
rendre à Munster, la conduite que nous aurions à tenir auec
Messieurs vos Plenipotentiaires dans cette importante negociation,
qui tient depuis si long-temps les yeux & les esperances
de toute l’Europe attachées sur le succez qu’elle doit

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auoir, maintenant leurs Majestez m’ont fait l’honneur de me
renuoyer en ce lieu pour acheuer ce qui ne fust a’ors que
commencé, & pour resoudre par vos prudents aduis les
moyens de mettre vne derniere fin à ce grand ouurage, en
bien affermissant le repos que toute la Chrestienté en attend.

 

L’on iugea prudemment en ce temps-là, que pour mesnager
auantageusement dans le Traitté de Paix les interests
de la France & de vostre Estat, il n’y auoit rien de si vtile que
de conseruer vne estroitte vnion entre les Ministres du Roy,
& les vostres, que de s’entr’ayder par offices mutuels & sinceres
à obtenir ce qu’vn chacun doit iustement pretendre & de
faire cognoistre aux ennemis communs, plustost par des effets
que par des paroles, que les vaines pretentions qu’elles
ont tousiours euës de ietter de la diuision entre nous pour en
profiter à nos despens ne leur reüssiront iamais.

Mais si alors il fust trouué à propos de conuenir ensemble
des precautions dont il falloit vser pour n’estre point surpris
pendant le cours de la negociation : combien est il plus necessaire
auiourd’huy que nous sommes à la veille de conclure
le Traité d’ouurir les yeux plus que iamais pour se guarentir
de tous les preiudices qu’on pourroit receuoir par trop de
confiance ou de facilité, ayant affaire auec vne Nation qui est
en possession de n’obseruer les traittez qu’elle fait, qu’autant
qu’ils sont aduantageux pour ses desseins, & qui a tesmoigné
iusques icy par toutes ses actions plus d’enuie de sortir de la
guerre presente pour en recommencer vne autre dans quelque
temps qui leur soit plus heureuse, que de faire vne paix
durable & sincere.

Certes, Messieurs, c’est vne fatalité glorieuse pour vostre
pays, qu’apres auoir esté si long-temps le theatre de la guerre,
& l’escole où toutes les autres Nations en sont venu apprendre
le mestier, il soit deuenu le lieu où se tiennẽt les plus principaux
conseils de paix, & que le mesme lieu & climat qui a
esté la source de toutes les hostilitez qu’on exerce à present
contre l’Espagne, produise aussi les remedes dont on se doit
seruit pour les faire cesser, comme si la constance incomparable

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de vos genereux ancestres, & la grandeur de courage qu’ils
ont fait paroistre, en fondant parmy tant de peines & de dangers
ce florissant Estat, luy auoit acquis le priuilege de donner en
cette rencontre le bransse aux plus importantes resolutions
qu’on doit prendre aux affaires publiques.

 

Voicy desia la seconde fois depuis qu’il a esté resolu d’entrer
en traitté auec l’ennemy, que les Ambassadeurs d’vn grãd
Roy, le plus puissant amy de vostre Repulique, sont venus
consulter auec vous par quelles voyes honnestes & seures on
le doit faire, personne ne peut reuocquer en doute que sa Majesté
tenant le premier rang dans l’alliance, pouuoit pretendre
que ses aduis & ses interests y fussent considerez par preference,
veu mesmes qu’il sagist de finir vne guerre où elle a
si liberalement employé les richesses de son Royaume, & le
sang de ses subjets pour la deffence de ses alliez : mais comme
elle cherche sa principale satisfaction dans celle de ses amis,
& qu’elle a tousiours preferé leur aduantage aux siens propres
tandis qu’on a eu les armes à la main, elle veut bien encore
auiourd’huy le mesme qu’on est sur le point de les quitter,
elle veut de bon cœur remettre au iugement d’autruy ce
que l’ordre de la bien-seance deuroit faire dependre du sien,
& vous faire proposer des choses dont elle deuroit estre recherchée.

Au premier voyage que nous fismes icy pour en deliberer
auec vos Seigneuries, nostre venuë excitã des plaintes publiques,
& on fit des declarations contre nous, comme si en proposant
les moyens d’acquerir vn durable repos à ses Prouinces,
nous eussions trauaillé à destruire les fondemens de cet
Estat, à cause qu’il s’est formé & agrandy par la guerre, maintenant
les maximes de ce temps là sont tellement changées,
que pour rendre les Ministres du Roy odieux, il suffit que les
Espagnols fassent publier que nous venons en ce pays pour
differer ou interrompre la paix : de cette sorte deux accusations
toutes contraires & qui se destruisent Ie puis dire auec
verité que nos accusateurs n’ont pas esté mieux fondez en
l’vne qu’en l’autre.

Ie veux bien croire qu’ils ne peuuent abreuuer de ces fausses

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opinions que la populace, & que les sages connoissans le
lieu d’où elles viennent, sçauent fort bien le iugement qu’on
en doit faire : mais dans vn pays où la commune a part aux deliberations
plus importantes, toutes les impressions qu’on lui
donne quoy que faussement, ne sont pas à mespriser, & c’est
tousiours vne marque de preoccupation d’esprit vn peu dangereuse
de receuoir fauorablement tout ce qui vient de la
part des ennemis & de rendre si legerement les amis autheurs
de toutes les choses qui ne plaisent pas.

 

Ce sont les premiers effets de la communication que l’on
commence d’auoir auec les Espagnols qui sçauent merueilleusement
bien l’art de seduire les peuples par de semblables
artifices, Vos Seigneuries s’en apperceuront encore mieux,
quand ils auront acquis plus de familiarité parmy vous, leurs
Partisans ont desia l’authorité de partager les esprits dans vos
Prouinces, d’y faire agiter des questions & glisser des opiniõs
nouuelles qui ne sont auantageuses que pour eux, qui sont
preiudiciables à vos meilleurs amis, & que l’experience fera
bien tost connoistre de dangereuses consequences pour cet
Estat, quelles pratiques & quelles diuisions parmi vous, n’aurez
vous point à craindre lors qu’ils auront entrée en vos
maisons, si vostre prudence n’y remedie de bonne heure, ie
veux esperer que les sages Conducteurs de l’Estat conseruãs
l’authorité qui leur est deuë, sçauront bien contenir toutes
choses dans le deuoir, & qu’ils apprendront à tous les autres
autant par leur exemple que par leurs remonstrances, que
pour acquerir vn repos asseuré par la paix, il faut demeurer
dans les anciennes maximes qui ont esleué vostre Republique
au degré de prosperitê où elle est, il faut conseruer soigneusement
les vieilles amitiez quand elles ont esté vtiles &
asseurées, garder les soupçons & les defiances pour les ennemis,
& n’employer pour les amis que la franchise & la confiance
pour preuenir les mauuais effets qui pourroient naistre
d’vne affection mal recogneuë.

Vos Seigneuries se peuuent encore te souuenir des bruits
qui furent respandus dans ce pays il y a quelque temps, que
le Traitté entre la France & l’Espagne estoit conclud sans

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vostre interuention, on sçauoit que les aduis en estoient venus
d’Anuers & de Bruxelles, on y mesloit des circonstances
qui ne pouuoient estre veritables, on ne laissa pas d’y adiouster
foy & de faire par tout des plaintes de la France, auec autant
de licence, que si on luy eust peu veritablement reprocher
vne semblable infidelité, les Espagnols furent bien tost
contraints de destruire eux mesmes l’imposture dont ils auoient
esté les autheurs, par l’offre qu’ils firent de quatre
meschantes places, qui estoit vne condition de paix bien disproportionnée
à celle de tous les Pays-Bas, qu’ils auoient
auparauant fait croire qu’on vouloit donner au Roy par ce
Traitté clandestin : mais ils n’ont pas demeuré long-temps de
recommencer vne batterie toute contraire, en faisant publier
par leurs adherans, que nous ne voulions point de paix, nous
qui à leur compte, la voulions achepter auparauant par vne
action honteuse, & par l’abandonnement de nos alliez, la refusans
auiourd’huy, quelques fauorables conditions qu’on
nous presente. Nous faisons, disent-ils, naistre tous les obstacles
qui la retarde & empeschons mesme que vos Seigneuries
n’acceptent celles qu’on leur offre : si bien que nous voila
declarez ennemis du repos publiq par le iugement d’vne nation
qui s’imagine que sa vaine pretention à la Monarchie
vniuerselle, luy a desia acquis le droit de rejetter sur autruy
les fautes dont elle seule est coupable.

 

Ie sçay bien, Messieurs, que ceux qui ont quelque connoissance
des affaires n’ont pas cette croyance de nous, les soins
que la Royne a pris depuis le commencement de sa Regence
de faire cesser en diuers lieux les troubles qui pouuoient retarder
le Traitté general, la guerre qui a esté terminée en Italie
par son authorité, celle qui a esté appaisée en Dannemark
par son entremise où vostre Estat a trouué son compte, les
conditions moderées dont nous nous sommes contentez dãs
le Traitté de l’Empire, les diligences continuelles que nous
auons faites depuis l’ajustement de la satisfaction du Roy
pour sur monter les autres difficultez qui concernent le public
& nos Alliez, & la declaration innocente que nous auõs
faite il y a long temps de la part de sa Majesté, qu’elle est preste

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de restablir l’amitié entre les deux Couronnes, en laissant
les choses où il a pleu à Dieu de les mettre, pour ne tomber
pas dans les longueurs qu’vne trop exacte discussion des anciens
differens eussent peu causer, sont des marques bien euidentes
des saintes intentions de sa Majesté, & du desir extreme
qu’elle a d’aduance de tout son pouuoir le repos de la
Chrestienté :

 

Mais quand vos Seigneuries n’en auroient pas receu tous
ces tesmoignages, quand Messieurs vos Deputez de Munster
ne vous auroient pas representé nostre Traitté auec l’Espagne
sur le point d’estre conclud par la facilité que nous y auons
apportée, le sujet de mon enuoy vous en donneroit vne
preuue bien conuaincante, puisque i’ay ordre de prendre sans
perte de temps, auec vos Seigneuries, les dernieres resolutiõs
pour la conclusion de la paix generale, & de conuenir auec
elles de ce que chacun deura faire en execution des Traittez,
pour la rendre durable apres qu’elle aura esté concluë. Voyla
Messieurs, en substance ce que contient ma Commission, &
ce que i’ay à traitter maintenant auec vos Seigneuries, qui est
bien contraire à l’opinion que plusieurs personnes mal informez
en auoient prise.

Ie n’estime pas que vos Seigneuries croyent la bonne Foy
des Espagnols si grande qu’on y doiue auoir vne entiere
confiance, & mespriser toutes les precautions que la prudence
oblige de prendre contre les manquements qu’ils
ont accoustumé de faire ; Il n’y a personne d’entre nous
qui ne cherchast toutes les seuretez possibles, s’il vouloit
feulement loger son argent, ou faire l’acquisition d’vne
Terre ; Ie ne sçaurois croire que pour faire vn Contract
où il s’agist de toute la fortune d’vne longue Guerre, de
l’honneur & de la seureté de deux puissants Estats. Il se
trouue quelqu’vn, Il se trouue quelqu’vn, dis-ie, qui ayme
mieux se fier en la promesse seule d’vn mauuais payeur,
que de prendre de bonnes Cautions pour s’asseurer, ce n’est
pas ce qu’on escript dans vn Traitté, ny la diligence dont on
vse pour le faire plustost auiourd’huy que demain, ny les
seings ou les sceaux qu’on y adiouste qui en asseurent l’execution :

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C’est l’estat où on demeure apres qu’il est fait, tant
par ses propres forces que par le nombre des Amis pour se
faire tenir parole, si l’Ennemy veut mãquer de Foy, ou pour
se deffendre s’il est attaqué ; Vn des plus Grands Personnages
de l’Antiquité a esté de cet aduis, quand il dit : Litem
non esse inpositis armis, sed in abiecto armorum & seruitutis metu.
En effet, Messieurs, que nous seruiroit maintenant de finir
vne Guerre où nous ne pouuons que gaigner, & où les Ennemis
ne sçauroient iamais que perdre, si nous laissons quelque
subiet de craindre qu’elle recommence en vn temps qui
ne nous sera peut-estre pas si fauorable, leur procedé nous
donne de tres iustes causes de defiances, puis qu’ils ont fait
paroistre iusques icy plus de dessein de nous des vnir, que
d’intention de se reünir sincerement auec nous, & qu’encore
à present nous voyons clairement qu’ils trauaillent beaucoup
plus à rompre nostre alliance, que satisfaire nos alliez dans
leurs interests legitimes.

 

Si Messieurs vos Deputez ont rendu compte à vos Seigneuries
de toutes les propositions qu’on leur a faites, en
traittant auec eux, ie suis asseuré que de tous les articles d’importance
qui ont esté agitez, les Espagnols n’en ont point accordez
où ils n’ayent voulu adjouster pour condition, qu’on
traitteroit sans la France : à quoy si on se fust contenté de respondre
par le silence, sans repaistre les Ennemis d’esperances,
nous aurions vn peu moins d’occasion de nous plaindre.

Nous auons cet aduantage qu’on ne nous a point fait de
semblables recherches depuis que nous les auons reiettez auec
vn mespris semblable à celuy des femmes vertueuses qui
s’offencent des discours de cajollerie qu’on leur veut faire : Si
Messieurs vos Deputez en auoient fait autant, suiuant les ordres
reïterez qu’il a pleu à vos Seigneuries de leur enuoyer,
il y a long temps que nous aurions obtenu la paix auec vne
entiere satisfaction de toute la France, & de vostre Estat : mais
certes ie ne le puis taire, l’esperance que quelques-vns ont
donné aux Espagnols de traitter auec eux à nostre preiudice,
& les conseils qu’on leur a donné à l’oreille de tenir ferme
contre nous est le seul obstacle qui les a empeschez iusqu’à

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present de venir à la raison.

 

Voulons-nous donc auoir vne bonne paix en peu de tẽps,
le moyen en est facile & honorable, il ne faut que demeurer
constament dans l’obseruation des Traittez d’alliance, guerir
vne fois pour toutes les Espagnols des pretentions qu’ils
peuuent auoir de nous diuiser, tenir pour suspect & dangereux
tout ce qu’ils offriront sous cette condition, & que Messieurs
vos Plenipotentiaires agissent à Munster en vrays Alliez
pour nos interests, comme nous auons tousiours fait pour
les vostres.

Voulons nous rendre cette mesme paix ferme & durable,
nous n’auons qu’à faire connoistre aux ennemis par nostre
vnion, qu’ils ne peuuent iamais contreuenir au Traitté qui
sera fait, sans auoir à combattre la France & les Prouinces vnies
en mesme temps dont ils ont esprouué les forces auec le
succez qu’vn chacun a veu, & qu’ils auront tousiours subiect
de craindre, si nous nous conduisons auec cette prudente
fermeté, nous en verrons bien-tost de tres bons effets, la paix
sera concluë en peu de temps auec reputation & aduantage,
nous cüeillerons ensemble les plus agreables fruits qu’elle a
accoustumé de produire à l’ombre d’vne seureté inuiolable,
sous laquelle nous pourrons sans crainte nous descharger des
despences qu’il faudroit supporter si nous demeurions dans
vn estat incertain, & nous aurons cette satisfaction de n’en
auoir pas achepté les conditions par aucune sorte de manquement.

Si nous prenions vne autre conduitte nous pourrions bien
faire chacun en particulier vn Traitté auec l’Espagne. Mais
nous en perdrions l’effet en le signant, l’ennemy qui ne s’y
porte qu’à regret & qui le croit desauantageux, formeroit en
mesme temps les desseins de le rompre à la premiere occasion
fauorable qui s’en presenteroit ; les doutes & les mefiances
s’augmenteroient de tous costez au lieu de cesser, chacun seroit
obligé de chercher de nouueaux moyens & de nouueaux
amis pour se guarantir du peril ; Il ne faudroit pas moins de
despence & de gens guerre pour viure dans vne semblable
paix, qu’au milieu des hostilitez, & ie ne sçay comment ayant

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pû mieux faire & traitter plus honorablement, nous nous
pourrions iustifier enuers la posterité d’auoir troublé de gayeté
de cœur & par vne precipitation non necessaire, l’heureux
estat de nos affaires.

 

Il importe donc extremement de preuenir tous ces inconueniens,
& pour cet effet de sçauoir au vray comme nous aurons
à passer dans vn nouueau genre de vie, en sortant de celuy
que nous allons quitter, il importe de bien esclaircir cõme
nous aurons à viure ensemble, lors que nous y serons arriuez
en expliquant sans ambiguité ce que nous deurons faire
les vns pour les autres, en cas que nous receuions quelque
nouueau par nostre ennemy commun, vous me permettrez
de vous dire, Messieurs, que vous y auez plus d’interest que
nous, le Corps de vostre Estat apres vn penible exercice continué
l’espace de quatre vingt ans, doit viure desormais dans
vn profond repos qu’il n’a point encore esprouué. Il a besoin
d’vser de bons remedes pour se guarentir des maux qui arriuent
ordinairement apres de si notables changemens, & qui
pourroient deuenir mortels, si on ne se seruoit de puissantes
precautions pour les preuenir.

Quant à nous, Messieurs, ce ne sera pas chose nouuelle
pour la France d’estre en paix auec l’Espagne, nous sçauõs déja
iusques à quel point on s’y peut fier & cõme on se doit deffendre
des pratiques & des entreprises qu’elle a accoustumé
de faire sous la couuerture de l’amitié. Nous auons de bonnes
loix qui reglent iusques où se doit estendre la communication
qu’on peut auoir auec des ennemis dangereux qui ne
se reconcilient iamais, que pour mieux paruenir à leurs fins,
nos Magistrats sçauent comme il faut punir ceux qui y contreuiennent,
l’experience du passé nous rendra encore plus
sages à l’aduenir, mais ie ne sçay si la forme de vostre Estat
vous permettra si tost de tenir en bride comme il faut, l’humeur
entreprenante de cette Nation qui a tousiours plus aduancé
ses affaires par des menées secrettes que par les armes,
puisque mesmes auant la conclusion de la paix elle a eu l’audace
d’enuoyer ses Emissaires sous des emplois supposez, pour
attaquer & diffamer vos amis en vostre presence.

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Si les Espagnols sont tellement aueuglez de leur passion,
qu’ils osent bien trauailler ouuertement aupres de vous à separer
ou mescontenter vos Alliez, qui est tousiours le premier
démembrement qu’on tasche à faire dans vn Estat qu’on
veut affoiblir. Pouuez vous douter qu’ils ne passent bien-tost
plus auant, & qu’apres auoir desarmé vostre lion de son espée ;
ils n’essayent aussi de luy arracher cette poignée de fleches,
qui est le symbole non seulement de l’vnion qui doit
demeurer entre vous, mais de celle qui attache vos Alliez
dans les interests de vostre Estat.

Ie supplie vos Seigneuries de faire vn iugement aussi fauorable
de ce que i’ay l’honneur de leur dire, que les intentions
de leurs Majestez que i’explique, sont droittes & sinceres, elles
n’ont aucune pensée de retarder la paix, les precautions
que nous auons à prendre ensemble ne sont ny longues ny
difficiles, il n’est question que de pouruoir solidement à la
seureté du Traitté qui doit estre fait, & cette seureté ne consiste
qu’à executer de bonne foy les precedens, à reparer les
contrauentions qui y ont esté faites & à donner ordre qu’ils
soient obseruez religieusement à l’aduenir, sans qu’vne des
parties y puisse apporter des interpretations preiudiciables à
l’autre : car pour en parler franchement, quand on donne vn
contract aux Docteurs à consulter, c’est plustost auec intention
de plaider que de satisfaire à ce qu’il conuient, qui dans
dans les alliances ne doit iamais estre interpreté que selon
l’equité & la bonne foy, toutes les subtilitez doiuent estre
tournées contre les ennemis & non pas contre ceux qui ont
employé toute leur puissance & leur propre sang pour leur
grandeur, tout cela estãt aussi iuste que necessaire, & pouuãt
estre resolu en deux iours, on ne peut pas dire que ce soient
des retardemens recherchez, & ceux qui auroient cette opinion
feroient trop euidemment cognoistre, que pour les contenter
il faut que toutes choses passent selon le desir des Espagnols.

La France demeurera tousiours constamment attachée d’afection
auec les Prouince vnies, & comme il n’y a encore iamais
eu de manquement de son costé, vous deuez estre asseurez,

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Messieurs, qu’il n’y en aura point à l’aduenir, mais son amitié
est assez pretieuse, & vous l’auez esprouuée assez vtile
& aduantageuse à cet Estat, pour ne la deuoir pas pretendre
toute entiere en ne donnant qu’vne partie de la vostre. La
Iustice veut bien pour le moins que les conditions de nostre
societé soient esgales, dans l’assistance que la France s’obligera
de donner à cet Estat, en cas que les ennemis rompent le
Traitté nous ne ferons aucune distinction des interests que
vous auez à demesler auec eux, ny des lieux par où ils vous
pourront attaquer, nous estimons que le mesme doit estre fait
de vostre part, autrement ce seroit monstrer à l’ennemy l’endroit
par où il nous peut faire du mal plus facilement, sans
que vous nous y interessiez, nous croyrions de luy apprendre
qu’il peut vn iour sans crainte recommencer les hostilitez par
vos Prouinces qui sont voisines de l’Allemagne, si nous luy
auions declaré que nous ne reprendriõs point les armes pour
vous secourir, qu’en cas qu’ils vous attaquent par la Flandre,
cette Prouince faisant seulement vne partie de vos frontieres,
& à vostre esgard ce que tous les Pays-Bas sont à l’esgard
de la France, par ce qu’ils ne sont aussi qu’vne partie de sa
frontiere, il n’y a personne de nous qui ne creust estre mal accompagné
d’vn amy que nous tiendrions par la main droite
s’il ne se remuoit point quand il nous verroit assassiner par le
costé gauche, lors que la paix sera faite, il ne restera qu’vn interest
seul & indiuisible à la France, qui est que le Traitté soit
obserué : il ne sçauroit estre rompu en vn lieu que la rupture
ne deuienne generale, & vn des articles ne peut estre violé,
que tous les autres ne soient esbranlez, le corps de la Monarchie
estant composé de plusieurs membres differens, ne peut
estre blessé en l’vn que tous les autres ne s’en sentent par cõmunication,
& il seroit bien mal-aisé qu’on me pût faire voir
de quelle sorte les ennemis pourroient recommencer la guerre
contre nous du costé d’Italie ou d’Espagne, sans qu’elle se
fist aussi en mesme temps dans les Pays-Bas, & par tout ailleurs
où nous sommes voisins.

 

Ie ne puis encore comprendre surquoy fondent leur apprehension

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ceux qui font semblant de craindre que l’obligation
reciproque & illimitée qui doit estre accordée entre
nous, n’apporte plus de contrainte que de seureté à vostre Estat,
& ne soit plus propre à l’engager dans les nouuelles guerres,
qu’à luy faire asseurement ioüir des effets de la paix, s’ils
prennent la peine de considerer que cette obligation n’est
pas nouuelle & qu’elle est desia contenue dans les Traittez,
ils aduouëront qu’il n’y a autre deliberation à faire sur ce sujet,
que pour sçauoir si l’on veut obseruer l’alliance ou la rompre,
le malheur qu’a eu l’Espagne dans cette guerre & les pertes
qu’elle a faite luy seruiront d’vn puissant aduertissement
pour n’en recommencer iamais de semblables contre la France
& vostre Estat tant qu’ils demeureront alliez, le contraire
arriueroit certainement si elle nous voyoit diuisez par quelque
distinction de lieux ou d’interests, ou par quelque autre
mesintelligence, le fauorable succez qu’elle se promettroit
en nous attaquant separement, luy donneroit l’enuie de l’entreprendre,
& alors quand l’vn des deux Estats seroit contrainct
de rentrer en guerre, ie ne sçay pas auec quelle seurereté
ny auec quel mesnage l’autre pretendroit de ioüir de la
paix, ayant deux si grandes puissances en armes dans son voisinage.

 

Vous voyez, Messieurs, clairement que nostre vnion au lieu
d’estre le subiet de vos apprehensions, en doit estre l’vnique
remede & que nous n’asseurerons iamais si bien le repos de la
France, & de ses Prouinces, qu’en demeurant inseparablement
vnis.

I’en pourrois donner d’autres preuues tres-concluantes à
vos Seigneuries, si ie ne craignois de les ennuyer, si elles ont
agreable de deputer des Commissaires auec lesquels ie puisse
conferer plus amplement sur tout ce que ie viens de representer,
& qui ayent pouuoir suffisant pour en traitter auec
moy, Ie leur descouuriray auec beaucoup de sincerité les sentimens
de leurs Majestez, ie m’asseure que vos Seigneuries les
connoistront portez au bien & grandeur de cet Estat, autant
qu’à l’aduantage de la France, & qu’ils en donneront vn nouueau

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tesmoignage de la constante affection du Roy & de la
Reyne Regente enuers vos Seigneuries, dont cependant leurs
Majestez m’ont commandé de les asseurer.

 

FIN.

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