Anactofile [signé] [1649], L’OYSEAV DE RIVIERE, OV LE TOVRNOY NAVAL. DEDIÉ AVX MARINIERS. , français, latinRéférence RIM : M0_2587. Cote locale : C_8_13.
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L’OYSEAV
DE RIVIERE,
OV LE
TOVRNOY
NAVAL.

DEDIÉ AVX MARINIERS.

A PARIS,
Chez PIERRE VARIQVET, ruë sainct Iacques,
à l’Enseigne du Gril, prés S. Benoist.

M. DC. XLIX.

-- 2 --

LECTEVRS,

 


pictoribus, atque poëtis,
Quidlibet audendi semper fuit aqua potestas.

 

-- 3 --

AV GENEROSISSIME
ET
ROBVSTISSIME CORPS
DES
MARINIERS,
SALVT, HONNEVR,
& Dilection.

MESSIEVRS,

Facit indignatio versum.

-- 10 --

S’ENSVIVENT LES NOMS
des Tenans & Assaillans au Tournoy Naual,
tirez du Roman de la Marine.

ROLAND de la Greve.

RENAVT du Port sainct
Bernard.

RODOMONT du Port
au Foin.

ASTOLFE de l’Escole.

MANDRICART du Port
Malacquais.

HVON de la Tournelle.

FERRAGV du Guichet.

ROGER de la Grenoüillere.

RODRIGVE du Terrain.

GRIFON du Pont Rouge.

QVICHOT du Fauxbourg
S. Marceau.

POLEXANDRE de l’Isle.

SACRIPENT de la Tour
de Nesle.

ORONDATE du Pré
aux Clercs.

ALMANSOR de l’Isle-Louuiers.

MAVGIS des Gobelins.

GANELON du Mail.

DARDINEL de la Pallée.

NORANDIN de l’Arche.

TANCREDE de la Riue.

-- 11 --

L’OYSEAV DE RIVIERE
ou le Tournoy Naual.

I.

 


GRAND, Illustre, & Robuste Corps,
Hommes Marins, Tritons d’eau douce,
Dont la Seine en son lict de mousse,
Craint les retentissans accords :
Petits Dieux de cette Riuiere,
Grands Rosseurs de son onde fiere,
Allant à mont, ou descendant,
Et dont, pour fendre son derriere,
Chaque croc vaut bien vn Trident.

 

II.

 


Cheualiers des flottans Tournois,
Bande aquatique, Hostes de l’Onde,
De qui la maison vagabonde,
Nage auec des aisles de bois :
Souffrez qu vn Mignon d’Hyppocrenne,
Mesle cette sainte Fonteine,
Où l’on pesche tous les Rebus,
Auecque l’eau de vostre Seine,
Afin de vous parler Phebus.

 

-- 12 --

III.

 


Ie sçay que le caquet bon-bec
De Madame la Renommée,
Per tout, vôtre gloire a semée,
De son preconisant rebec :
Mais, comme sans la Cornemuse,
Qu’anime Madame la Muse,
Vôtre honneur mourroit dans vn mois,
Il ne faut pas qu’elle refuse,
Sa Cornemuse, & mon Hautbois.

 

IV.

 


Dailleurs, comme quelque ialous,
Du los, qu’à vous donner i’aspire,
Diroit, que ie veux m’introduire,
Dédiant cet écrit à vous :
Mes Vers ne sont point mercenaires,
Quoy qu’auec vos sœurs Harangeres
Vous ayez en Cour la faueur ;
Ces viandes par trop legeres,
A mon goust, n’ont point de saueur.

 

V.

 


Vos vertus, & vos nobles faits,
Remplissent seuls ma conscience,
Qui voit qu’en vous gist la science,
Et de la guerre, & de la Paix :
Vôtre grand courage aux batailles,
Fit-il pas tant de funerailles,
Quand ses vastes coups il rua,
Qu’il fut l’Hector de nos murailles,
De nos Tours le Gargantua ?

 

-- 13 --

VI.

 


Ie reprends quasi mon estoc,
Quand ie reguinde mes pensées,
Au faiste des choses passées,
Iusques à ce Bachique choc :
Où nos Soldats, malgré la rage
Du froid, qui tenoit le passage,
Dans les plaines de Iuuisi,
N’estant battus que de l’orage,
Triompherent en cramoisi.

 

VII.

 


Ce fut là que nos Caualiers,
Tres-habiles gens en manége ;
Pour fondre la glace, & la neige,
S’erigerent en Sommeliers :
Le zele vineux qui les guinde,
Les transportant de brinde en brinde,
Sans leur donner aucun repos,
Leur promet tous les Poulets d’Inde.
Sous l’Enseigne du Dieu des Pots.

 

VIII.

 


Là les plus morfondus Pietons,
Faisoient mille & mille gambades ;
Et d’vne trogne de menades
Caprioloient en Hannetons :
Là, pour faire enrager Bellonne,
Qui iuroit comme vne Felonne,
Nos Satyres, ou nos Guerriers,
Vouloient auoir vne Couronne,
De Pampre, & non pas de Lauriers.

 

-- 14 --

IX.

 


LOVIS luit sur nôtre Horison ;
Les Canons ont la gueule morte :
Nous ne franchirons plus la porte,
Que pour aller tirer l’Oyson :
Témoin cette belle sortie,
Qui se fist auec modestie,
Quand Paris sortit hors de soy,
Pour se mettre de la partie,
Dont il voyoit estre son Roy.

 

X.

 


Faisons-en vn plaisant crayon,
Pourueu que de cette lumiere,
Dont mon Roy brûloit la Riuiere,
Il me donne vn ioyeux rayon :
Vous verrez vne Naumachie,
De son attirail enrichie,
Que font ces flottans escadrons,
Et la grande Seine fléchie,
Sous les coups de leurs Auirons.

 

XI.

 


Loin de Paris, prés de Nigeon,
Est vn endroit où l’eau bricolle,
Là le fleuue qui caracolle,
Est propre à faire le plongeon :
L’Amphitheatre on y fabrique,
Non de iaspe, ou de marbre antique,
L’Aire, & le Parterre sont d’eau ;
La chaussée y sert de Portique,
Et Pair de transparant Rideau.

 

-- 15 --

XII.

 


Aux riues de chaque costé,
On vit s’éleuer teste à teste,
Deux mas, dont le sublime faiste,
Aux yeux du Soleil fut pointé :
Sur eux on fit tendre le cable,
Qui, d’vn des costez sur le sable,
Rendoit au tour de son Moulin :
L’on voit vne chose semblable
Chez le grand sauteur Cardelin.

 

XIII.

 


L’Oyson, ce sanglant Electeur,
Pend au cable, ce lieu de gloire,
(Estroit Theatre de victoire)
Et fait vn Roy d’vn fier luteur :
Ce cable est la Scene branlante,
Sur qui la meute violente
Des concurrents semble voler,
Et dont l’aspect nous represente
Vne chose au milieu de l’air.

 

XIV.

 


De son Cor Madame Renom,
Qu’on nomme quelquefois sans queuë,
Galoppant toute la banlieuë,
Publia les ieux à haut son :
Sçachant cette bonne nouuelle,
Chaillot auec Passi sautelle :
Vaugirard, en nauets vanté,
A cette feste solemnelle
Enuoya plus d’vn Deputé.

 

-- 16 --

XV.

 


La Seine porte sur son dos,
Pour voir courre la Mommerie,
Vne vogante Galerie,
Qui fait ioüer flots auec flots ;
Mille Gondoles de Venise,
Sous qui la Riuiere se frise,
Semblent par diuers mouuements,
(Tant on y voit de gaillardise)
Danser au son des Instruments.

 

XVI.

 


Maint Patron, & maint Iouuenceau.
Mainte femme, & mainte Pucelle,
Occupoient l’Isle Macquerelle,
Qui n’est pas loin du Bord de l’Eau :
Le Galand fait icy la foulle ;
Entre les Donzelles se roulle ;
Fait de l’Isle la place aux veaux ;
I’ay bien peur que la terre y croulle,
Et qu’on fasse des Bastardeaux.

 

XVII.

 


Raillerie à part : le desert
Qu’on voyoit dans cette Isle verte,
Auoit la face si couuerte,
Qu’alors on l’eut bien pris sans vert :
Dame Nature, ce me semble,
Et la belle saison ensemble,
Ont trauaillé cet échaffaut,
Sur qui, si la terre ne tremble,
On ne peut craindre le deffaut.

 

-- 17 --

XVIII.

 


Belle Isle, sejour de renom,
Bosse verte du Dieu de Seine,
Colline, où l’Amour se promeine,
Va, quitte ton infame nom,
Eminence de la Riuiere,
Sous qui son eau n’est iamais fiere ;
Que Paris, iusqu’aux Temps derniers,
T’appelle l’Isle Mariniere,
Du nom de nos Grands Mariniers.

 

XIX.

 


De plus quelques Balcons volans,
Pendoient aux murs de la chaussée ;
Et sur mainte perche dressée,
N’étoient que des châteaux branlans :
On n’y grimpoit point sans Echelles,
Et trop souuent, à faute d’aisles,
On faisoit de beaux entrechats :
Les gens n’y sembloient qu’hirondelles,
En nids de bouë & de crachats.

 

XX.

 


Conceuez comme vn camp volant
De mouches, de freslons, de guespes,
Semblables à de noirs & longs crespes,
Entre ses dents va grommelant ;
Et comme d’vn épais nuage,
Il assiege vn ample fromage,
Qui caché dessous semble noir ;
Telle estoit l’Isle & le Riuage,
Que la foulle empeschoit de voir.

 

-- 18 --

XXI.

 


Phebus à nostre Grand LOVIS
Osta son chappeau de lumiere,
Et retira ses yeux arriere,
Que mon Prince auoit ébloüis :
Le iour de ce grand Diademe,
Par qui s’allume le iour méme,
Fût presqu’étint à son aspect,
Et son œil à la Polipheme,
Cligna de honte ou de respect.

 

XXII.

 


Le Soleil cacha la lueur,
De ses traits dorez, qui nous percent,
Et qui, picquant au vif, ne versent,
Hors de nos corps que la sueur :
Il amassa force nuage ;
D’azur & de blanc fut l’ouurage,
Bien ferme, quoy qu’humide & mol ;
Et de ce reluisant ombrage,
Il vous fist vn beau parassol.

 

XXIII.

 


Muse prenons vn doigt de vin,
Enfin nous serions pulmoniques :
Voicy nos Heros magnifiques,
Dignes d’vn Chantre tout diuin :
Ie vous saluë, ô braues Hommes ;
Honneur du païs où nous sommes,
Ou plustost de tous les humains ;
Ce n’est pas pour gauler des pommes,
Que ces perches sont dans vos mains.

 

-- 19 --

XXIV.

 


Les Trompettes d’vn haut éclat
Sembloient animer tout le monde ;
Et réjoüissant l’air & l’onde,
A nos Heros crioyent, Viuat :
Les Hauts-bois d vne vilanelle,
Leurs sonnerent vn boute-selle,
Qui dit, Leuez-vous sur vos piez ;
Gardez si bien vostre vaisselle,
Qu’à faux iamais vous ne frappiez.

 

XXV.

 


Mars, ce Capitan, detestoit,
Voyant des barques & des armes,
Qui ne versoient ny sang, ny larmes,
Et que sans playe on se battoit :
Les Iousteurs sur le Camp liquide,
Poussoient d’vn mouuement rapide,
Au lieu de Cheual, vn Batteau ;
Le choc n’y fut point homicide,
Et rien n’y coula que de l’eau.

 

XXVI.

 


Ie voy ces fameux Champions,
Qui quelque iour dedans l’Histoire,
Feront litiere de la gloire,
Des Renauts, & des Scipions :
Si de beaux noms ie les baptise,
Le Roman de leur vaillantise,
Plus que la Cassandre au Palais,
Croistroit-il pas la chalandise,
Des Courbez, & des Rocolets ?

 

-- 20 --

XXVII.

 


Ie voy venir l’vn des premiers,
Dont l’honneur en relief s’éleue ;
C’est le bon ROLAND de la Greve,
La fleur de tous les Mariniers :
Apres luy, par la pleine molle,
RENAVT du Port sainct Bernard vole ;
Et ces deux grands au rouge groin,
ASTOLFE du Port de l’Escole,
Et RODOMONT du Port au Foin.

 

XXVIII.

 


Ce dernier est vn maupiteux,
Qui nazarderoit vn Hercule,
Il ne redoute Arrest, ny Bulle,
Tant il est fougueux, & quinteux :
En suitte HVON de la Tournelle,
Fait gambades sur sa Nacelle :
Et MANDRICART de Malaquais,
De qui la boüillante ceruelle,
Ne craint ny Sergent, ny Laquais.

 

XXIX.

 


Item FERRAGV du Guichet,
Homme sujet à sa colere ;
Et ROGER de la Grenoüillere,
Font en voguant maint ricochet :
RODRICVE du Terrein s’auance ;
GRIFON du Pont Rouge, & sa lance,
Figurent vn cueilleur de nois ;
Mais certes à l’honneur de la France,
Il gaula plus d’vn Polonois.

 

-- 21 --

XXX.

 


QVICHOT du Fauxbourg sainct Marceau,
Homme d’Estat, vient à la fisle,
Et puis POLEXANDRE de l’Isle,
Pennade en son flottant Chasteau :
SACRIPENT de la Tour de Nesle,
Va iurant plus dru que la gresle ;
ORONDATE du Pré-aux-Clers,
Deuant qui tout obstacle est fresle,
Court plus viste que les éclairs.

 

XXXI.

 


ALMANSOR de Louuiers les suit,
Auec moulinets de parade,
Faisant de sa longue Estocade,
Peu de besogne, & bien du bruit :
MAVGIS des Gobelins forcenne ;
Il connoist la Bievre, & la Seine ;
Pour sa Lance il brandit vn mas,
Il en menace vne douzaine,
Et morgue les plus fierabras.

 

XXXII.

 


Le Roide GANELON du Mail,
Suit DARDINEL de la Paslée,
Dont l’haleine seche & bruslée,
Sent le Vin, le Tabac, & l’Ail :
Puis NORANDIN de l’Arche arriue,
Auec TANCREDE de la riue ;
Et plusieurs autres de renom,
Que d’honneur à present ie priue,
Faute d’auoir trouué leur nom.

 

-- 22 --

XXXIII.

 


Quatre volontaires Forças,
Poussoient leurs Barques peinturées :
Leurs secousses reiterées,
Font vn chemin à tour de bras :
L Onde qui tout autour se roüe,
Auec l’écume qui se ioüe,
Et qui petille aux enuirons ;
Semble rire, & faire la moüe
Aux moteurs de leurs auirons.

 

XXXIV.

 


Apres tous ces nobles Coureurs,
Voicy la glorieuse Barque,
Qui doit éleuer le Monarque,
Entre tous ces Maistres Tireurs :
Ie ne croy pas que l’Onde dorme,
Aux coups de la gaye Chiorme,
Dont ce Brigantin est bordé,
Sur qui bransle la plateforme,
D’où l’Oyson est escaladé.

 

XXXV.

 


Au sommet le gaillard drappeau,
Ioüe aux barres auec Zephire ;
Et badinant sur le Nauire,
Fait vn Pannache à son Chasteau :
Cent Lances, qui font de l’ombrage,
Sont comme vn bois taillis, qui nage,
Au milieu des Ondes planté ;
Qui pour son assiette volage,
Pourroit estre dit Bois floté.

 

-- 23 --

XXXVI.

 


Ce Foncet estoit decoré,
Plus qu’vn Theatre, où des Machines ;
Et de teintures les plus fines
Par ondes estoit coloré :
C’est pourquoy sur sa face pure,
La Seine en fit vne peinture,
Comme en vn Miroir, sans pinceau :
Les couleurs de cette figure,
Fut l’ombre qui brilla dans l’eau.

 

XXXVII.

 


Les Nymphes d’vn lieu reculé,
Comme des Taupes, l’eau creuerent ;
Quitterent quenoüille, & fermerent
Leur maison de verre à la Clé :
Elles vinrent voir la machine,
Certain taffetas de la Chine,
Plus changeant que col de Pigeons ;
Couuroit leur prestance diuine :
Et leur coiffure estoit de ions.

 

XXXVIII.

 


Le Dieu de Seine se paroit,
D’vn Collier où mainte coquille,
Dans vne tissure gentille,
Lordre S. Michel figuroit :
Aucun du peuple n’eust la grace,
De voir comme la teste basse,
Ce Dieu fit honneur à mon Roy :
Et mes Lunettes de Parnasse
Ne le découurirent qu’à moy.

 

-- 24 --

XXXIX.

 


Nos Braues faisant cependant,
Trois, ou quatre salues Tragiques,
Lardent l’Oison à coups de Piques,
Auant que d’y mettre la dent :
Tost apres la charge on entonne ;
Le long Riuage, qui bourdonne,
Fait le tacet à ces Clairons :
Et la gaye Echo, qui resonne,
Anime iusqu’aux Auirons.

 

XL.

 


Dans l’espoir de reduire au sac,
L’effort de son antagoniste ;
Des Braues dont i’ay fait la Liste,
Chacun tient bon sur son Tillac :
A voir leur posture si fiere,
Ils n’auoient pas beu de la Biere,
Chose dont ie iurerois bien :
Car cette potion amere,
Ne donne pas si beau maintien.

 

XLI.

 


Leur Haubert leger, & mouuant,
A leur Nef peut seruir de voile :
Leurs membres sont armez de toille,
Comme sont les moulins à vent :
Chacun se menace de Berne ;
Mais ie sçay comme on se gouuerne
Chez la gent qui vit du Batteau ;
La Paix se fait à la Tauerne,
De’la guerre qu’on fait sur l’eau.

 

-- 25 --

XLII.

 


Le grand ROLAND est déja prest,
D’ouurir la liquide carriere ;
Il fait écumer la Riuiere ;
Déja sa Lance est à l’arrest ;
D’ailleurs RENAVT teste baissée,
A la Perruque herissée ;
Campé comme vn Gladiateur,
D’vne course au choc élancée,
Fait risposte à ce fier Acteur.

 

XLIII.

 


Ainsi que deux Taureaux faschez,
Leur zagaye s’est rencontrée ;
Si la pointe eust esté ferrée,
Ils estoient tous deux embrochez :
Leur bois, & leurs costes plierent :
Tout court les Ondes s’arresterent,
A l’aspect de ces Escrimeurs ;
Et les deux Basteaux reculerent,
Malgré tout l’effort des rameurs.

 

XLIV.

 


Le Peuple rangé sur les bords,
Ouure les yeux au lieu de rire ;
Et ne se peût tenir de dire ;
La Peste, qu’ils ont les reims forts :
Ce pendant RODOMONT se peine,
De brosser par l’humide plaine ;
Et d’vn longissime Baston,
Au bon ASTOLFE dans la Seine,
Fait faire le saut de Breton.

 

-- 26 --

XLV.

 


De Iousteur deuenu Poisson,
Si par dépit il bat le fleuue,
C’est qu’il est le premier, qu’on treuue,
Auoir moüillé son Calleçon :
Auec luy sa Lance est peschée,
Qui sembloit faire la faschée,
Et vouloit aller à vau-leau :
Le pauuret d’vne Ame touchée,
Est tout estourdy du Batteau.

 

XLVI.

 


Le Diaphragme à ce coup là,
Se sentit gratter l’Assemblée ;
Et d’vne salue redoublée,
Fit de ses mains vn grand Clacla :
MANDRICART planté sur la pouppe,
De sa bondissante Chalouppe,
Et plus roidy que son long bois,
Les Zephirs, & les Ondes couppe,
Et se demange en son Harnois.

 

XLVII.

 


HVON le regardant venir,
Plus viste qu’vn traict d’Arbaleste ;
Pour faire vie à la tempeste,
Fait frime de la soustenir :
Mais d’vne gentille glissade,
Il receut de biais l’estocade,
Que son Emule, luy porta :
Et dans cette fausse tirade
MANDRICART se precipita.

 

-- 27 --

XLVIII.

 


Ainsi pour estre trop boüillant,
Il vint rafraischir sa chemise,
Et par vn trop de vaillantise,
Fut répandu l’homme vaillant :
Helas ! c’estoit bien grand dommage,
Il estoit vn grand personnage :
De mesme Vlisse le finet,
Fit que par son propre courage,
Maistre Aiax fut sanglé tout net.

 

XLIX.

 


MANDRICART pour ce malheur là,
Ne nagea qu’en l’onde de Seine :
Mais Aiax dans la Stygienne,
Sans en renager, deuala,
(En passant cette parabole,)
Mais FERRAGV dans sa Gondole,
Tous ses rameurs fait enrager,
Et ne promet pas poire molle,
A son Competiteur ROGER.

 

L.

 


ROGER d’ailleurs lasse les bras,
De ceux qui poussent sa Nacelle ;
Esperant de la bailler belle,
A FERRAGV ce fier abras :
L’vn ne se mocqua pas de l’autre ;
Leur verte rencontre les veautre,
Dans le Royaume des goujons ;
Et iettant les Lances au peautre,
Leur fait faire deux beaux plongeons.

 

-- 28 --

LI.

 


Et si dans ce pas hazardeux,
Aucun ne gagna la victoire,
Pour auoir tous deux esté boire,
Ils se consolerent tous deux :
Ils nagent mieux que leur Nacelle,
Sans Callebasses sous l’aisselle :
Leur bras, auiron naturel,
Qui fut trop, & trop peu fidelle,
Fend l’onde, & retourne au duel.

 

LII.

 


D’vne fougue de Capitan,
QVICHOT sous soy fait trembler l’onde ;
Sa mine rogue, & furibonde,
Seroit eau beniste à Sathan.
Le grand POLEXANDRE se braque,
Dessus sa petite Carraque,
Pour receuoir mon Caualier.
Et son long-bois, qu’au poing il saque,
Se darde plus fort qu’vn bellier.

 

LIII.

 


Au grand choc de ce Fortunal,
QVICHOT plus fier que trois Doms Diegues,
Ne s’esquiua pas nettes gregues ;
Il les laua dans le Canal :
Sa valeur fût bien étourdie,
De souffrir cette tragedie,
Et, debusqué de son Chasteau,
Son ardeur, au moins attiedie,
Ne tasche plus qu’à vaincre l’eau.

 

-- 29 --

LIV.

 


Le fendant & roide GRIFON,
Vole dans la lice ondoyante,
Sa trogne reuesche, & morguantẽ,
A quelques traits du grand Typhon :
RODRIGVE fait dans sa fregatte,
Vne flottante caualcate,
L’onde en murmure à gros boüillons :
L’vn & l’autre petit Pyrate,
Se heurtent comme tourbillons.

 

LV.

 


Les lances au choc forcené,
Imitent deux fronts de Licorne :
RODRIGVE reçoit vn escorne,
Le pauure homme est desarçonné ;
Il assoma demy-douzaine
Des gens, qui guident sa carrenne,
Sur eux il trebucha de biais,
Et dans sa nef, non dans la Seine,
Fit vn saut de Gille le Niais.

 

LVI.

 


ORONDATE à coup d’esperons
Broche, & vient à bride abbatuë ;
C’est à dire, qu’il s’euertuë
De bien donner aux auirons :
Il ne demande que castille ;
Plus asseuré que la Bastille
Il montre, qu’il est chaut lancier :
Sa Perche où mainte couleur brille,
Vient roide, comme de l’acier.

 

-- 30 --

LVII.

 


SACRIPENT, qu’on croyoit voler,
Fait tant le fier, & le brauache,
Qu’il luy semble que sa patache
Couppe lentement l’onde, & l’air :
Du heurt, que ces braues donnerent,
En arc leurs gaules se courberent,
SACRIPENT fut si bien atteint,
Que les grands bras qui le choquerent,
L’enléuerent comm’vn corps saint.

 

LVIII.

 


ALMANSOR de l’Isle Louuiers
Fait voile en tres-bonne posture ;
MAVGIS a le corps en mesure,
A l’arrest sont leurs grands leuiers :
Mais ALMANSOR, quoy qu’il essaye,
Ne s’en reuint pas sauue braye,
Il fit deux pas à reculons ;
Et feru de l’Archizagaye,
Au Soleil monstra les talons.

 

LIX.

 


GANELON cueille des Lauriers
Dans la plaine d’vne riuiere ;
ADARDINEL dans la cariere,
Il fit perdre les estriers :
D’vne botte, quoy que non franche,
DARDINEL eust quasi reuanche ;
Son bois obliquement venu,
Au bon GANELON dans la hanche,
Mit mon Caualier à cû nû.

 

-- 31 --

LX.

 


TANCREDE, & le grand NORANDIN,
Opposez comme deux machines,
Voguent à basses iauelines,
Leurs barques passeroient vn dain :
Mais vne gaillarde fortune,
Compose vne ligne commune,
En ioignant deux extremitez,
Et des deux lances n’en fit qu’vne,
De bouts l’vn sur l’autre portez.

 

LXI.

 


Aussi bien que les Argoulets,
A ce coup les armes iousterent,
Leurs Maistres elles relancerent
Dans ce jeu plus que Freres-Lais :
Tous deux donnent du nez dans l’onde,
Lachesis, Dame furibonde,
Semble les enterrer dans l’eau ;
Mais reuenant bien tost au monde,
Ils percent ce flottant Tombeau.

 

LXII.

 


En fin les voila tous meslez
Dans vn agreable desordre,
On en veut decoudre, on veut mordre ;
Et les plus roides sont sanglez :
En fin toute lance est fatale :
Chacun trousse son homme en malle,
Les mouïllez font tomber les secs,
Et cette guerre iouialle
Est vn nouueau ieu des eschecs.

 

-- 32 --

LXIII.

 


RODOMONT d’vn masle heurtis
Fait faire plus d’vne culbute,
De tant de Pions, qu’il debute,
Fort merueilleux est l’abbatis :
En somme vne chienne de lance,
Luy vient cogner dessus la pance
Si perpendiculairement,
Que son destin ioüe à la chance,
Et luy fait changer d’élement.

 

LXIV.

 


Le bon ASTOLFE reuanché,
Fit cette plaisante merueille ;
RODOMONT receut la pareille,
Tant en ioüe il fut bien couché :
Auec luy dessus l’onde flotte,
Sa terrible & rouge calotte,
L’Enseigne de ses nobles coups,
Et qui, comme vne Bourguignotte,
Le fit remarquer entre tous.

 

LXV.

 


ROLAND, MAVGIS, GRYFON, RENAVD,
ORONDATE, HVON, POLEXANDRE,
Auec GANELON firent Flandre,
Et sçeurent qu’il y faisoit chaud :
Vne risposte bien actiue,
Qui mit leur linge à la lessiue,
Les passa maistre du métier ;
Et la chance vindicatiue
Ne leur donna point de quartier.

 

-- 33 --

LXVI.

 


Mais c’est trop ioüer du long-bois,
Il faut ioüer de la maschoire :
Mariniers, la seconde gloire,
Vous demande d’autres exploits :
Bel Oyson, bel Oyseau tres-digne,
Pour chanter ta mort d’estre vn Cygne.
Ta mort vn nouueau Roy fera,
Sous qui, l’honneur le plus insigne,
Du ROY-BOIT se rabaissera.

 

LIXVII.

 


Ton sort n’est point à regretter,
Tu meurs au milieu des batailles :
A tes ioyeuses funerailles
Il plaist à LOVIS d’assister :
Captif aislé, danseur de corde,
Qu’il faut que pour regner on morde ;
Voy, celebre pandu d’Eté,
Tes bourreaux sans misericorde,
Dont ta fin est la Royauté.

 

LXVIII.

 


Le Martial son des clairons
Fend l’air d’vne inuisible voye ;
Et l’eau semble sauter de ioye
Sous le bransle des Auirons :
La Musique nous fit entendre,
Vn chant pour qui l’ame est bien tendre ;
Car comme l’Oyson n’estoit pas,
Ou du Caystre, ou du Meandre,
Les Haut-bois chantoient son trépas.

 

-- 34 --

LXIX.

 


Voicy cet Admiral Batteau,
Où nos Heros aux ames fieres,
Aux tranchantes dents maschelieres,
Flottent sur le branlant chateau :
Brigade, d’honneur échauffée,
A qui de plumes vn trophée,
Tient lieu de l’Antique Toison ;
Ie suis vain d’estre vn Sieur Orphée,
A qui sera le Sieur Iason

 

LXX.

 


Lors FERRAGV qui se guinda,
A l’Oyson donne l’escalade :
Vous diriez que cet Encelade
En veut à l’Oyson de Leda :
Tout son appetit se debande ;
Il a la bouche aussi gourmande,
Qu’vn assiegé qui meurt de faim ;
Et pour fripper cette viande,
Il ne veut ny paste, ny pain.

 

LXXI.

 


Son ratelier est affilé,
Et sa machoire est bien ferrée :
De tout il sçait faire curée,
Autant du frais que du salé ;
Mais il ne fit pas chere entiere,
De cette indigeste matiere :
Le tour lasché du Cabestan,
Au fond de l’humide carriere,
Vous relance mon Capitan.

 

-- 35 --

LXXII.

 


ROLAND, QVICHOT, HVON, RENAVT,
Sont prests de fondre sur la proye,
Au contenu d’vne pauure Oye,
Deux cens dens vont donner l’assaut ;
Leur brusque, & plaisante furie,
Se iette sur sa fripperie,
Et dans de si sanglants trauaux,
L’Oye est pis qu’à la boucherie ;
On la tire à quatre cheuaux.

 

LXXIII.

 


L’vn deuient de l’autre enuieux :
Et concurrents, & camarades,
Ils se donnent mille ruades,
Et se mangent le blanc des yeux :
RENAVT, homme à l’humeur sanguine.
A QVICHOT dessus la poictrine,
Donna si beau Mea Culpa,
Que iamais coup de Coulevrine,
Plus fort gabions ne frappa.

 

LXXIV.

 


Pendant que mon Barbet dans l’eau,
Cul par sus teste on precipite ;
Les trois autres de chair non cuite,
Taschent d’auoir quelque morceau,
Plus que leurs dens la beste est dure :
Et la plus perçante morsure :
Y treuue vn solide rempart,
Certes pour nerf, & pour iointure,
Elle auoit du fil de Richart.

 

-- 36 --

LXXV.

 


Lors le moteur du Mouliner,
Las de voir branler la machoire,
Et de voir tant manger sans boire,
Les lasche dans l’onde tout net :
Leur soif s’eschaufe dauantage,
Dans ce froid, & fade bruuage ;
On les y precipite en vain :
Mais ils aymeroient le naufrage,
Si la Riuiere estoit de vin.

 

LXXVI.

 


L’Oyson rendit à ces premiers,
Sa iacquette de plume grise,
Et pour cette legere prise
Il eut bon marché des Limiers :
Les Trompettes cornent requeste.
Aussi tost de pieds & de teste
RODOMONT, ROGER, SACRIPENT,
Autour de cette pauure beste,
Font de trois corps comme vn Serpent.

 

LXXVII.

 


Leurs grands museaux sont tous rougis :
L’Oyson n’est plus que d’écarlate :
Alors de la grande fregate,
Suruiennent TANCREDE, & MAVGIS ;
Leur honorable faim se ruë
Tant qu’elle peut, sur la chair cruë,
De ce Monarchique festin ;
Mais vne escarmouche bouruë,
Se fait de mâtin à mâtin.

 

-- 37 --

LXXVIII.

 


L’on void vn gay carimara ;
De pieds, de mains, chacun s’attrappe,
Il veulent tous mordre à la grappe,
Et se battent à qui l’aura :
La corde est le champ de bataille ;
D’où se debusque la canaille :
Le combat est aërien ;
Et cependant qu’elle chamaille,
On luy dit qu’elle ne tient rien.

 

LXXIX.

 


Le cable à secousses lasché,
Croulle sa pesante voiture :
L’vn cheut, comme vne poire meure ;
(Et c’est autant de déniché)
Et l’autre que son poids accable ;
Depuis le talon iusqu’au rable,
Entre quatre vents estendu,
Et tenant d’vne main le cable,
Represente au vif vn pendu.

 

LXXX.

 


RODOMONT le plus acharné,
Tient bon sur la capilotade :
La corde, de mainte cassade,
Ne peut seurer cet obstiné :
Sa dent estoit si bien anchrée,
Dans cette sanglante curée ;
On ne le pouuoit démarer ;
Et de la grand Oye éuentrée,
La petite Oye il sçeut tirer.

 

-- 38 --

LXXXI.

 


Le pauure MAVGIS & ROGER,
Que le desespoir & le cable,
Plongerent dans l’eau iusqu’au fable,
Auoient déja beu sans manger :
RODOMONT plus dur qu’vne roche,
Repousse tout ce qui l’approche :
Ie croy, que le liquide Dieu,
Sur le nez luy donna taloche,
Pour luy faire quitter le lieu.

 

LXXXII.

 


DARDINEL, RODRIGVE, ALMANSOR,
Fort bons à la petite guerre,
Bien armez de bec & de serre,
Sur le gibbier prennent l’essor :
A peine leur gentil courage,
Sur la viande faisoit rage,
Que la corde les reclama,
Et ce chaud desir de carnage :
Dans le fleuue se reprima.

 

LXXXIII.

 


NORANDIN, GRIFON, GANELON,
POLEXANDRE, ASTOLFE, ORONDATE,
Quittent l’Admirale Fregate,
Auec MANDRICART le felon :
L’Oyson, tout mort qu’il est, en tremble ;
Leur maschoire aux rasoirs ressemble :
Leur griffe sçait tout immoler :
Ils sont chiens & chasseurs ensemble,
Et leur chasse se fait en l’air.

 

-- 39 --

LXXXIV.

 


Sur l’Oyson les voila lancez ;
L’vn sur son compagnon se veautre :
L’vn se pend aux iambes de l’autre,
Les bras aux bras sont enlacez :
Par leurs postures excentriques,
Par leurs corps droits, courbez, obliques,
Ce tres artiste embrassement,
Qu’on void dans la Salle aux ANTIQVES,
Est figuré naïuement.

 

LXXXV.

 


Le cable chargé les abat,
Comme le vent gaule les pommes :
Il semble qu’il pleuue des hommes ;
De rire on fait vn beau sabat.
Les plus affamez se tourmentent,
Se cassent le nez, & s’edentent,
L’Oyson est Arracheurs de dents :
Plusieurs à soupper se repentent,
D’auoir tant fait là les fendants.

 

LXXXVI.

 


Ils sont tous mis en desarroy :
Et la dureté de la beste,
A leurs assauts fit si bien teste,
Que pas-vn ne pût estre Roy :
L’Oyson rendit ses chasseurs buses ;
Car ne pouuant faire de ruses,
Et voyant leurs becs de Gerfaut,
Il crut voir autant de Meduses,
Et fut endurcy comme il faut.

 

-- 40 --

LXXXVII.

 


Las de tirer & retirer,
Enfin ils tirerent leurs guestres,
Et furent ainsi passez Maistres ;
Chose bien dure à digerer :
Au souper ils s’en reuancherent ;
Et plus heureusement tirerent,
Cent Poulets d’Inde qu’vn Oyson :
Et tant de muids, qu’ils de foncerent,
Du fleuue leur firent raison.

 

LXXXVIII.

 


Voila tout, dont il me souuient ;
Voila tout, si ie ne me trompe :
Ainsi se passe toute pompe :
Le Roy s’en va, la nuit suruient,
Le Soleil fut boire dans l’onde ;
Ainsi ne fit pas tout le monde :
Les plus fins allerent au vin :
C’est l’Hyppocrenne où ie me fonde,
Et le fondement est diuin.

 

ANACTOFLE.

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Anactofile [signé] [1649], L’OYSEAV DE RIVIERE, OV LE TOVRNOY NAVAL. DEDIÉ AVX MARINIERS. , français, latinRéférence RIM : M0_2587. Cote locale : C_8_13.