Anonyme [1652], LA VERITÉ PRONONÇANT SES ORACLES sans flatterie. I. Sur la Reyne: II. Sur le Roy. III. Sur le Duc d’Orleans: IV. Sur le P. de Condé. V. Sur le Parlement: VI. Sur le Duc de Beaufort. VII. Sur le Coadjuteur: VIII. Sur le Parlement de Pontoise. IX. Sur Paris: Et sur l’Estat. , françaisRéférence RIM : M0_3998. Cote locale : B_17_18.
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LA
VERITÉ
PRONONCANT
SES ORACLES
sans flatterie.

I. Sur la Reyne : II. Sur le Roy.

III. Sur le Duc d’Orleans : IV. Sur le P. de Condé.

V. Sur le Parlement : VI. Sur le Duc de Beaufort.

VII. Sur le Coadjuteur : VIII. Sur le Parlement
de Pontoise.

IX. Sur Paris : Et sur l’Estat.

M. DC. LII.

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LA
VERITE
PRONONÇANT
ses Oracles sans
flatterie.

LA REYNE, dit-on, n’a jamais regardé les progrez
de l’Estat qu’auec despit : Les quatre batailles
gaignées par Monsieur le Prince de Condé,
ont esté les quatre principaux motifs de cette
grande auersion, dont nous ressentons les effets :
Si le Prince de Condé n’eust iamais vaincu, la Reyne ne
l’eust iamais attaqué : son bon-heur a esté la cause de son malheur,
& son mal-heur, celle de nos calamitez.

Mazarin n’a esté appellé à la confidence de cette Princesse,
que parce qu’il estoit subjet naturel du Roy d’Espagne :
Cette qualité-là fait considerer par la Reyne, comme vn
homme capable de seconder auec plus de complaisance
tous les desseins qu’elle brassoit contre la France : Les succez

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n’ont iamais dementy cette presomption ; garde l’aduenir.

 

Lors que le Mazarin entreprit d’attenter aux Priuileges
de la Robe, la Reyne pretendoit acheuer la desolation de
l’Estat, pour nous mettre hors de defence, & mettre son frere
le Roy d’Espagne en estat de nous pouuoir attaquer, sans
aucun danger d’estre vaincu. Si les Parlements ne le fussent
vnis dans cette conjoncture, l’Estat estoit perdu ; s’ils
se fussent plutost vnis, ils l’eussent entierement conserué.

Les sieurs Charton & Broussel, qui furent reconnus pour
les plus eschauffez, furent arrestez, comme on sçait, par ordre
de la Regente, & eslargis par vn souleuement public,
qui fit bien reuomir à la Reyne ces deux morceaux, mais qui
luy en laissa les conuulsions iusqu’auiourd’huy : Le peuple
fit-il bien en cette occasion ? Il pouuoit mieux faire, s’il eust
bien poursuiuy : mais en tout cas, la tyrannie fut abbatuë, &
irritée par ce seul coup.

La Reyne outrée ne pense plus qu’à se vanger ; elle
interesse le Prince à cette vengeance : sa trop grande facilité
luy fait condescendre ; il assiege Paris, & pour gaigner
le cœur de la Reyne, il perd celuy de toute la France :
La Cour prenant auantage de cette hame, le fait arrester : l’affection
des peuples se rechaufant, enfin pour les Princes, elle
est obligée de l’eslargir.

Voyla les motifs d’vn double desespoir de la Reyne contre
l’Estat : Paris luy arrache deux prisonniers d’entre les
mains ; toute la France luy arrache les trois Princes : il faut
qu’elle creue, ou qu’elle en prenne sa reuanche ; elle allume
le feu aux quatre coings de la Monarchie.

Son flambeau, c’est le restablissement du Cardinal Mazarin
qu elle r’appelle, lors que les troubles domestiques sont
à la veille d’vn accommodement : Ainsi tout retombe dans
la combustion : la presence du Tyran ranime tous les bons
François. Elle s’opiniastre a le soustenir pour les opiniastrer à

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le choque, parce qu’elle est asseurée, que la France ne le fera
tomber qu’auec ses propres mains.

 

Toutes les Loix diuines & humaines ont esté forcées
pour appuyer ce belistre : Tout ce qu’il y a de sainct dans
l’Estat a esté violé : Les Princes du Sang ont esté mesprisez ;
les Remontrances de tous les Parlements ont esté sifflées,
les larmes de tous les peuples ont esté regardées par la Reyne,
sans aucun sentiment ; le Throsne a branslé sans qu’elle
s’en soit aucunement émeuë, & parce qu’elle se vengeoit,
elle a trouué des douceurs dans les amertumes de tous les
gens de bien.

Cet attachement pour le Card. Mazarin, a fondé dans la
sote creance de certains, le soubçon d’vn mariage entre luy &
la Reyne : Il en est beaucoup qui en ont iugé auec moins de
moderation : Tout le monde a conclu que cette Princesse
estoit, ou mal conseillée ; ou mal intentionnée, ce dernier est
plus probable.

Lors qu’on luy a representé qu’elle s’en alloit ruiner tout
l’Estat, n’a-t’elle point respondu, que si le pain luy manquoit
en France, son frere estoit assez puissant pour luy en donner
en Espagne. Si cela marque que nostre desolation luy
est fort indifferente. Elle montre encor bien plus en abusant
de nostre soumission que nostre aueuglement est bien
pitoyable : Obeyr à qui nous outrage, respecter qui nous
persecute, Permettre qu’vn implacable s’assouuisse aux despens
de tout nostre Estat : Si nous ne sommes aussi sots qu’elle
est enragée, que s’en faut-il ?

Ne s’est-elle pas vantée qu’elle ruyneroit de bon cœur
la moitié de la France, pour se vanger de l’autre, & par mesme
moyen de toutes deux ? Ne luy a t’on pas oüy dire,
qu’elle allumeroit les guerres ciuiles pour y faire perir les
plus redoutables ennemis du Roy son frere, puis qu’elle
n’auoit peu les faire perir en les abandonnant au milieu
des dangers, comme Mon. le Prince de Condé, & Mon.

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le Comte de Harcourt deuant Lerida ? N’a-t’elle pas
protesté qu’elle n’entreroit iamais dans Paris, que dans vn
vaisseau flottant sur le sang de ses citoyens. Ne luy a t’on
point veu donner ordre, chemin faisant, de ruiner le reste
des moissons, que la fureur des soldats auoit espargnées ?
Ne sçait-on pas qu’elle demande à ceux qui viennent de Paris
si elle peut encor esperer que la famine la vengera bien-tost
de cette grande Ville ? Bon Dieu qu’elles paroles, si elle
n’a fremy en les auançant, il faut bien qu’elle ait vn cœur à
l’épreuue de tout sentiment humain.

 

Elle a desia reüssi dans la plus part de ses intentions des
quatre parties de la France, les trois sont sur les dents : il
n’y a que Paris qui luy pese beaucoup sur les bras, parce
quil a encor vn peu de pain : Mais si nous ne nous reveillons
vn peu, il est à craindre qu’elle en viendra bien-tost à
bout.

Il en est bien encor de si sots dans cette ville de Paris, qui
demandent que le Roy vienne, & qu’il vienne mesme sans
cette condition qu’on luy prescriuoit il y a vn mois : Mais
ces bons simples ne sçauent pas que la Reyne nous veut préscrire
des conditions à son tour : Donnons-luy Monseigneur
le Duc d’Orleans, le Prince de Condé, le Duc de Beaufort,
& le reste des braues : Sacrifions-luy toute l’Elitte du
Parlement : faisons sortir auec le baston blanc nos meilleurs
Frondeurs, qui sont tous, ou nos voisins, ou nos
parens, ou nos amis : Et c’est lors qu’elle reuiendra dans Paris,
parce qu’ayant commencé d’assouuir sa soif dans le sang
de tous les genereux qu’elle craint, elle acheuera fort facilement
de l’assouuir dans celuy des laches qu’elle ne craint
point.

Et bien nous desirons que la Reyne reuienne : desirons plutost
la peste, & la venue de ce fleau de Dieu sera moins à craindre :
parlons plutost franchement ; mais parlons plus generalement
que les Princes.

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Ils n’en veulent qu’au Mazarin : & nous en voulons
au Mazarin, & à la Reyne, encor plus à la Reyne
qu’au Mazarin : Ce n’est pas à l’épée qui a fait le
meurtre, mais au bras qui I’a maniée, que la Iustice
s’en doit prendre : Le Mazarin n’a esté que l’instrument
des passions de la Reyne : Il n’a rien faict
qu’elle n’ait voulu, parce qu’elle l’eust bien empesché
de faire si elle ne l’eust point voulu. Mais si le
Cardinal Mazarin vouloit s’enrichir, la Reyne vouloit
nous appauurir : Et cét estranger n’a iamais eu
de mauuais dessein, que cette Estrangere n’ait encor
fait paroistre innocent, en encherissant par dessus.

Quand nous rauirons le Mazarin à la Reyne, ne
sçauons-nous pas que la lacheté est vne assez feconde
mere, pour luy fournir d’autres executeurs ou
instruments de ses passions. Ce n’est rien fait que de
rauir vn baston à vn desesperé ; s’il quitte le baston,
il prendra l’épée, & par consequent il est plus à craindre :
il faut donc luy oster l’épée & le baston ; c’est
à dire, luy lier les mains.

La Reyne estant possedée de l’esprit de vengeance,
est desesperée : elle tient vn baston, qui est le C.
Mazarin, nous luy voulons rauir, prenons garde
qu’elle ne prenne l’épée & le cousteau ; ce qu’elle
fera d’autant plus asprement, que plus elle sera irritée
par la violence que nous luy faisons : C’est donc

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peu que de luy rauir le Mazarin : il faut encor la
rauir à elle-mesme ; il faut luy lier les bras ; il faut
luy oster toute sorte de pouuoir ; il faut la mettre en
tel estat que nous ne soyons plus en estat de la craindre.

 

Mais quoy sommes nous François ; pouuons-nous
voir sans des ressedtiments dignes de ce que
nous sommes, que deux Espagnols, nez fubjets
naturels du Roy d’Espagne gouuernent l’Estat ? ie
dis moy qu’ils nous trahissent, & qu’ils s’entendent
secrettement auec l’Espagne ; qui me contre-dira
auec raison ? font-il quelque chose, qui ne fauorise
cette creance ; ou qu’est-ce qu’ils font qui puisse raisonnablement
la contredire.

Le feu Roy qui connoissoit fort bien la Reyne,
ne luy vouloit iamais laisser la Regence : Les flateurs
luy firent succomber, mais apres auoir oüy dire de
la bouche d’vn Roy mourant : helas ! vous ne connoissez
point la Dame, Nous la connoissons bien maintenant ;
Mais nous la connoistrons encor mieux, si
nous voulons auoir la patience d’estre vn peu plus
sçauans : Helas ! que nostre ignorance nous estoit
bien plus aduantageuse, & qu’il nous eust bien mieux
valu de ne sçauoir point ce qu’elle sçauoit faire, parce
que nous ne sçaurions pas maintenant que nous
viuons sous la tyrannie.

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Esclatons donc, mais esclatons efficacement
parlant en bons François, & criant hautement,
nous ne voulons ny la Reyne ny le Mazarin, Ceux
qui disent que le Roy les protege, mentent, parce
que le Roy ne sçait point qu’il ne peut point les proteger :
ce sont ses ennemis & les nostres, s’il ne les
cognoist point il faut les luy faire cognoistre, afin
qu’il sçache que nous sommes ses Subiets pourueu
qu’il soit nostre Roy : Pour l’Apologie de la Reyne
ie ne dis autre chose si ce n’est qu’elle est femme.

LE ROY

Qui a esleué le Roy ? N’est-ce pas le Mazarin ?
Qui le possede ? N’est ce pas la Reyne ? Qui le
fait agir ? N’est-ce pas l’vn & l’autre ? Ie soustiens
donc qu’il ne peut estre bon Roy qu’auec miracle,
parce qu’il n’a iamais apris l’Art de Regner que de
ceux qui ne le sçauent point.

Le Mazarin l’a esleué, il faut donc qu’il en ait
fait vn fourbe, car il ne peut luy auoir appris que
ce qu’il sçait : Si le Roy est fourbe, malheur à
l’Estat qu’il gouuernera : La Reyne le possede, elle
ne luy fera donc gouster que du sang, car ce n’est
que le sang qu’elle respire, Que peut-on esperer de
tout cela.

Quelque beau naturel que le Roy ait eu, estant
tendre il a esté capable de receuoir toute sorte
d’impressions : Il n’a peu receuoir que les impressions
qu’on luy a donné : Ceux qui luy ont donné
des impressions sont ceux qui l’ont esleué ou qui le
possedent encor : Ceuy qui l’ont esleué & qui le

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possedent encor sont tous ou violents, ou fourbes,
ou sanguinaires, ou cruels, ou vindicatifs ? Peut-il
donc auoit receu des impressions qui ne soient de
mesme nature.

 

Cette humeur naturellement bien faite, mais
neantmoins, desbauchée par l’artifice, ne sçauroit
estre corrigée que par vne Espouse. La Reyne consentira
t’elle au mariage ? Si la Politique n’est point
menteuse, elle le differera tant qu’elle pourra,
parce que la continuation de son pouuoir est incompatible
auec le mariage du Roy.

Il y faudra neantmoins consentir, parce que les
necessitez de l’Estat le requerront : On parle de
Madmoiselle, ie croy bien que cela se feroit si la
Iustice estoit escoutée : Mais cette Princesse est trop
genereuse & trop clair voyante, il faut vn naturel
moins ingenieux ou plus lasche pour meriter que
la Reyne ne s’y oppose point ; ou pour le moins il
faut que la Reyne soit sans pouuoir. La vertu est
auiourd huy desaduantageuse pour les affaires
d’Estat, parce que les meschans gouuernent : pour
meriter d’estre esleué il faut faire voir qu’on ne le
merite point : Neantmoins si l’Estat m’en croit il
creuera plustost que de permettre l’entrée du lict
Royal à d’autre qu’à la fille de deux branches Royalles
d’Orleans & de Montpensier.

LE DVC D’ORLEANS.

Le Duc d’Orleans n a iamais fait paroistre qu’vn
bon naturel : Ceux qui l’ont veu raisonner, disent
qu’il est fort profond dans la Politique : tout le
monde confesse qu’il a les bras plus foibles que son

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esprit : Son mal est qu’il se deffie trop de luy mesme ;
s’il sçauoit congnoistre qu’il a plus d’esprit que tous
ceux qui l’approchent il seroit sans pareil ; Cette
ignorance qu’il a de ce qu’il vaut nous fait beaucoup
languir, parce qu’elle le rend susceptible de toutes
sorte d’impressions.

 

Le Mazarin s’en preualut pour l’emprisonnement
des Princes ; & c’est lors que si le Duc d’Orleans
se fust crû il eut regardé tous les deffis qu’on
luy donnoit du Prince de Condé comme des illusions
nous ne sommes pas en vn temps où la vertu
corrige le naturel. Tels que nous sommes, tels
nous mourons : quand la vertu nous est aggreable
nous la suiuons, dés qu’elle nous desplaist nous la
condamnons.

Mais que faut-il dire sur la langueur que nous
auons veu dans les affaires, Est-ce le Duc d’Orleans
qui l’a causee ? Ie veux taire ce que i’en iuge,
pour ne dire que ce qu’on en dit.

Il est bien constant que le Duc d’Orleans a escouté
toute sorte de personnes ; Le Coadjuteur, la
Chevreuse, Chasteau neuf & le reste des Mazarins,
n’ont iamais esté rebutez : Il est bien probable
que les conseils de ces Messieurs n’ont iamais
visé à terminer les affaires, parce que leurs interests
dit on ne s’y retrouuoient point.

On dit que le Coadjuteur a tousiours fomenté
dans l’esprit du Duc d Orleans vn certain deffi de
la puissance du Prince de Condé : si cela n’est pas
vray, cela n’est pas trop mal fondé. Le Coadjuteur
hayt le Prince de Condé, cette haine ne peut subsister
que par le soupçon qu’il entretient dans l esprit

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du Duc d’Orleans pour s’y rendre necessaire.
Si le Duc d’Orleans s’est deffié du Prince de Condé
il n’a iamais agy auec vigueur pour seconder ses
desseins, Raisonne la dessus qui voudra.

 

Vn homme qui entend tout le monde, ne peut
qu’il n’en reçoiue des impressions diuerses, à moins
qu’il ne soit independant de toute sorte de conseil
estranger : Le Duc d’Orleans n’a pas cette qualité
parce qu’il se deffie par trop de soy mesme, quoy
qu’il puisse & qu’il sçache luy seul plus que tous les
autres. Se peut-il donc que les Partisans de deux
partis contraires l’ayt attaqué sans le faire bransser
diuersement selon les mouuements qu’il en receuoit :
Qui reçoit le bransle de diuers mouuements
n’agit iamais vniformement le party qu’il appuyoit
par preferance ne pouuoit qu’il ne marchât d’vn
pied languissant. Ie n en dis pas dauantage, parce
que tout le monde en dit assez.

LE PRINCE DE CONDÉ.

Le Prince de Condé a l’esprit perçant, ambitieux,
hardy, vigilant, actif, infatigable, à l’espreuue
de la fortune & de ses reuers : Voila les qualitez
qu’on luy donne, Elles sont en elles mesmes
toutes innocentes, elles peuuent estre mauuaises
en leurs obiets. Ses ennemis mettent ces qualitez
dans l’excez, ses amis les retiennent dans la moderation
& dans les bornes. N’escoutons ny les vns
ny les autres, parlons auec indifference & iugeons
de cela sans passion.

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Auant le blocus de Paris c’estoit le Dieu de l’Estat :
Il n’y auoit que l’enuie qui luy peust contester
pour lors, ces sept qualitez sus nommées, dans leur
plus parfaite moderation ; mais l’enuie n’est que
l’ombre de la vertu. Apres le siege la haine a changé
les iugemens, parce qu’elle a alteré les imaginations,
dans ceux qui ne reglent leurs iugemens qu’à
l’interest.

Mais, sans flater le dé, quel fut le crime du Prince
de Condé dans ce siege. C’est sa trop grande passion
pour maintenir l’authorité Royalle : C’est sa
trop grande soumission aux ordres d’vne Souueraine :
Parlons franchement, luy qui estoit inuincible
se laissa vaincre par les larmes de la Reyne ; elle l’engagea
sa parole par les adresses de femme, & par les
charmes de souueraine ; sa parole engagée l’obligea
à la poursuite qui a causé toutes ses trauerses & les
nostres. Iusques-là ie ne voy point de plus grand
manquement que celuy de n’auoir point esté Prophete
pour preuoir les fautes de ce dessein.

Les autres disent, que si l’ambition de ce Prince
n’eut esté fort moderée, il n’y auoit pas plus loing de
luy à la souueraineté, que de sainct Germain à Paris :
i’en iuge autant, & auec moy tous les plus sensez :
Pourquoy est-ce donc qu’il ne se laissa point gaigner
à ce charme ? Parce qu’il n’est pas moins vainqueur
de l’ambition que de nos ennemis ; Parce qu’il vouloit
seruir non pas destruire son Roy. Il n’a donc
point esté mal heureux que d’auoir esté sujet d’vne
femme, ou de n’auoir peu desobeïr sans fonder le
soubsçon raisonnable d’vne ambition desreglée.

Laissons le Siege : Passons à son emprisonnement :

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qu’est-ce qui l’arreste ? quel crime ? quel attentat ?
C’est son courage, c’est sa vertu ? & par contre coup
c’est l’ingratitude, c’est la méconnoissance : S’il eust
peu craindre ses obligez, ou si ses obligez eussent
eu du cœur il estoit sans danger. La Reyne ne le fait
arrester, que parce qu’il l’a seruie ; Parce que s’il ne
l’auoit point seruie, elle n’eust seulement pas ozé
ietter les yeux sur luy que pour l’admirer.

 

Le voila donc en prison, pour y auoit tenu pendant
trois mois les ennemis de la Reyne qui s’attendrit
le premier ? de l’obligé, ou du de obligé. La
Reyne est capable de toutes les foiblesses des femmes
excepte des genereuses : La compassion & les
tendresses, luy sont inconnuës. si elle pleure, ce n’est
iamais que de desespoir.

Le peuple, qui pretendoit auoir esté desobligé par
le Prince se repent de s’en estre vangé par complaisance
à son mal-heur. L’affection rafroidie se reschaufe
viuement : on n’en veut plus qu’aux fers qui
captiuent la gloire de l’Estat : On voit que la Reyne
bute à la tirannie, parce qu’elle n’a point de frein :
on crie, Liberté, liberté. Les ennemis du Prince
voyant que son eslargissement ne peut plus estre refusé,
se disposent à le procurer : le Coadiuteur mésme,
qui ne voudroit iamais ouÑ—r parler du Prince
que par vn Deprofundis ou dans vne Oraison funebre,
fait le bon valet : Il n’y a plus d’ennemy. Le Mazarin
mesme pour preuenir l’affect on publique
s’en va faire le Geolier. Le Prince sort, le Mazarin
s’en va, tout le monde respire :

Qui nous enuie donc ce repos : C’est le Prince de
Condé disent quelques-vns : C’est la Reyne disent

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les autres : L’vn & l’autre est vray : Mais la Reyne
attaque, & le Prince se deffend : ainsi par diuers
motif les deux sont les deux causes de nos malheurs :
Il est question du restablissement de Mazarin,
la Reyne le veut, le Prince ne le veut pas : la
Reyne en cela, choque tout le peuple ; le Prince,
le fauorise. La Reyne neantmoins est resoluë de
r’auoir son Mazarin à quelque prix que ce soit : Elle
ne le peut sans perdre le Prince ; elle s’y resout :
Le Prince se retire, la Reyne le poursuit à main armée.
Voila nos troubles r’alumez.

 

Quelques vns ont dit que le Prince eut bien desorienté
la Reyne & tout son Conseil pretendu ; s’il
se fut retiré à Stenay, & s’il se fut contenté d’enuoyer
son frere à Bordeaux. Ie ne suis pas trop esloigné
de ce sentiment : Et ie pense que la Reine eust
fait dans cette conioncture comme l’Asne de Buridan,
qui mourut de faim entre deux boisseaux d’auoine
ne sçachant pour quel se determiner. Ie suis
bien asseuré que le Prince eut eu en moins d’vn mois
vne armée de vingt mil hommes, & que la Reyne
eut esté contrainte de respecter les Loix de l’Estat
qu’elle auoit enfreintes par l’establissement de son
beau Conseil. Le Roy n’eut pas esté obligé au voyage
de Gayenne, parce qu’il eut esté vn peu trop dangereux :
que les Politiques discourent là dessus, le
champ en est beau.

Bordeaux fut preferé par le Prince ; parce que
son dessein estoit de s’y retirer sans faire la guerre :
La necessité de sa deffense l’obligea d’armer : Cet
armement a soustenu toutes les forces de l’Estat
esclaues de Mazarin, pendant cinq ou six mois.

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Les Gens du mestier confessent que tout autre que
le Prince eust succombé dans moins de quinze
iours.

 

La necessité des affaires, le r’appelle : Il arriue
en Polexandre, c’est à dire d’vne façon qui ne
trouuera peut-estre point de creance dans l Histoire,
Il trouue vne armée de huict mil hommes : Il
signale son retour par vne desroute de Mazarins,
il est receu dans Paris, dans le Parlement, & dans
le cœur des peuples les Mazarins en enragent,
les Frondeurs s’en resiouїssent, la Cour desespere.

Me voila maintenant où tout le monde m’attend.
On croyoit quelle Mazarinisme ne dureroit
pas quinze iours ; les commencemens fottifioit
cette creance ; l’vnion qu’on esperoit plus forte entre
luy & le Duc d’Orleans n’y contribuoit pas de
peu. Le Coadiuteur, & la Cheureuse sa Coadiutrice
ne paroissoit plus deuoir estre en credit : Le
Mareschal de l’Hospital, & le Preuost des Marchands
n’estoient plus regardez que comme des
instruments sans force. Enfin on esperoit tout de
luy.

Le peuple neantmoins qui ne iuge que de l’escorce
s’est plaint de sa conduite : On luy a tout imputé,
les aduantages & les desauantages. On le fait
la cause de cette langueur qui a paru dans les affaires :
On veut croire qu’il ne regarde que ses interests ;
le Coadiuteur trauaille beaucoup pour establir
cette creance : les vns la reçoiuent, les autres
la reiettent ; Voyons ce que nous en deuons
iuger.

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La langueur est sans doute vn effet de la conduite
qu’on a tenu : c’est pourquoy afin que la longueur soit
vn mauuais effet, il faut que la conduite qui en est la
cause soit mauuaise. Si le Prince auoit esté le maistre
& le premier mobile de cette conduite, ie luy voudrois
imputer tous les desordres qui en ont esté les funestes
consequences : Mais n’ayant iamais esté l’independant ;
les raisonnables peuuent il le blasmer de
n’auoit point fait ce qui ne dependoit point de luy.

On sçait comme il a fait quand il a esté le maistre :
à Chastillon, à S. Denis & au Faubourg S. Antoine :
de là on peut coniecturer ce qu’il eut fait, si ses volontez
eussent esté les maistresses dans les autres occasions.

Quel est donc ce fatal remora de tous les grands
desseins de l’Estat. Quand le Prince arriua, il eut
vne armée a conduire, vne puissante ligue de Mazarins
dans Paris à rompre l’esprit du Duc d’Orleans à
menager. Chacun des trois demandoit le Prince tout
entier : il a fallu neanmoins qu’il se soit partagé, pour
se donner aux vns & aux autres selon leurs besoins.
Quelque lent qu’on soit, pourueu qu’on aille, lors
qu’on trouue tant d’obstacles, on va bien viste : quand
le Prince s’est donné à son armée, il en a bien battu
les ennemys ; quand il a entrepris la ligue des Mazarins,
s’il ne la rompuë il l’a bien affoiblie : quand il
s’est attaché au Duc d’Orleans, il en a dit on, presque
detaché le Coadiuteur, il est du moins asseuré que les
visites n’en ont point esté si frequentes. Si pendant
qu’il eut esté à la teste de ses troupes, quelque autre
que luy eut esté capable de rompre la ligue des Mazarins,

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de fortifier le Duc d’Orleans contre les souplesses
du Coadiuteur, ie ne doute pas que nous n’eussions
desia oublié le nom de Mazarin : Mais comme
il a fallu qu’il se soit partagé à tant de necessitez ; les affaires
ont esté plus lentes que l’impatiẽce des peuples.

 

Quelques passionnez en attendoient plus de violance.
Ils disent qu’il falloit se deffaire du Coadiuteur,
puis que le Coadiuteur estoit vn obstacle au bien public.
Si ce Prelat ne meurt que par les mains ou par
les ordres de ce Prince, il sera immortel : il ne doit
perir que par l’entreprise de quelque esprit plus bas
& de quelque plus lasche main, Le Prince n’est capable
que de faire des coups de Prince : si le public se
ressent des intrigues du Coadiuteur, que le public s’en
vange. C’est à tort que le public attend que le Prince
soit l’instrument de ses passions : il trauaillera bien
pour ses interets, mais il ne les poussera point par vn
coup de lascheté.

D’autres passionnez, aussi fols que les precedents
disent que le Prince ne deuoit point menager le Duc
d’Orleans & le Parlement auec tant d’attachement ;
ces politiques ne regardent que leurs interets ; ils voudroient
qu’vn premier Prince du Sang, se fut comporté
en Tribun du peuple : Ils voudroient qu’il eust
iustifié par sa conduite les calomnies de la Cour, qui
ne reproche au Prince que la violance : mais il a dementy
ses reproches par l’experience d’vne moderation
inoüye. Les violances sont des brutalitez, lors
qu’elles ne se font que par le caprice d’vn particulier :
lors qu’elles se font par le concert des sages, ce sont
des coups d’Estat.

-- 19 --

Au reste il n’est pas croyable, disent certains, que
le Prince ait iamais esté en dessein de pousser le Roy
à bout : Il a voulu menager les interests de sa Maiesté
& les interets des peuples : si la Cour eut esté moins
malicieuse & mieux conseillée, tout se fut apaisé. Et
lors quelle a veu que le Prince armé de sa iustice
estoit assez fort pour luy resister, & peut estre pour
la conuaincre, si elle n’eut esté plus opiniastre qu’il
n’a esté ambitieux ; ne falloit il pas que d’opiniastre elle
vint raisonnable. Mais elle s’est preualuë de la generosité
qu’elle a reconnu en luy : C’est ce qui nous a
fait languir, parce que nous auons tousiours reculé de
luy donner le coup de grace.

Quelle est donc la cause de la longueur des affaires :
C’est la necessité que le Prince a eu de se partager
à des emplois dont le moindre demandoit tout
vn Prince de son merite. C’est la dependance d’vn
superieur qui agissoit par d’autres ressorts : C’est sa
moderation qui luy a tousiours fait menager les interets
du Roy, à mesure qu’il destuisoit ceux du
Mazarin son Fauory : C’est l’imagination des peuples
qui traittent de longueur ce qui va plus lentement que
leurs desirs.

Si nos affaires auoient eu tant de langueur, ceux
de la Cour en auroient eu plus de vitesse : car il
n’est pas possible qu’vn party soit lent, que le contraire
ne s’en preualle.

Quels sont les aduantages de la Cour ? qu’à
telle profité de cette langueur pretenduë. Auec
huit mille hommes le Prince en a fait perir vingt-cinq
mil, il a dissipé la ligue qu’elle fomentoit depuis

-- 20 --

si long-temps dans Paris : Il a fait auorter tous
ses desseins. Il a sauué Paris lors quelle le destinoit
au sang & au carnage : il a fait ce que tout autre
que luy ne pouuoit point faire. Si c’est languir, le
procedé de la Cour est donc mort, ou nos impatiences
sont trop precipitées.

 

Le Parlement.

Le Parlement n’a iamais esté reduit à vne necessité
plus chatoüilleuse. Pour reprendre cet affaire de
plus haut, les vns disent qu’il est la premiere cause de
nos troubles, parce qu’il n’a iamais attaqué le Mazarin,
que lors que le Mazarin s’en est pris à luy, comme
il fit par le Conseil de son d’Emery ; qui voulut attenter
à ses priuileges en retranchant ses gages.

Pour moy ie n’acuse pas le Parlement de s’estre
oposé à la puissance du Mazarin en cette conioncture :
Mais de ne s’y estre pas plustost oposé : faisant comme
il a fait il a paru interessé ; s’il eut fait comme ie
viens de dire il eut paru genereux : En tout cas il n’a
failly que d’auoir trop tard bien fait ; Et la faute n’a
esté qu’vne simple indulgence de sa iustice, ou bien
vne mesconnoissance de son pouuoir. Mais puis qu’il
faut parler franchement ne dissimulons rien. La verité
ne sera desagreable qu’aux parties gangrenées de
ce corps. Le tout me dementira ou m’aduoüera selon
ce que rendiray.

-- 21 --

Quand le Parlement a porté vn Arrest de Iustice,
les iniustes mesmes qui ont esté d’vn aduis contraire,
entrent neantmoins en participation de la gloire qui
en reuient. Quand c’est vn Arrest iniuste, les iustes qui
s’y sont opposez, portent reciproquement le blasme,
coniointement auec les mauuais Iuges. On ne dit pas
c’est tel ou tel qui a iugé : mais c’est le Parlement qui
a porté Arrest. Quoy que le Parlement ne soit que
les particuliers qui le composent, il est vray neantmoins
qu’on peut dire que le Parlement a bien iugé,
& que le particulier a mal iugé.

Si l’on faisoit, comme dans l’Areopage d’Athenes,
où les noms de ceux qui auoient este d’vn sentiment :
& les noms de ceux qui auoient esté de l’autre,
estoient le lendemain exposez en public ; nous
veirions bien-tost vne admirable reforme dans le
Parlement : mais le mal est que les mauuais Iuges
sont icy pesle-mesles auec les bons : les vns & les autres
portent indifferemment la gloire & le blasme de
tout ce qui s’y conclud. Cela supposé, voyons ce
qu’on en dit pour ce qui est des affaires du temps.

On en parle diuersement : les vns disent que le
Parlement a choqué les deux partis : les autres asseurent
qu’il a fauorisé le Mazarin ; le reste soustient
qu’il a esté pour les Princes. Voila bien des iugemens
de celuy qui n’en a que de Souuerains & de
definitifs il faut s’entretenir sur les trois.

Ceux qui disent que le Parlement a choqué les
deux partis, disent qu’il a declaré ; qu’il a fait long temps
languir les Princes auant que d’en obtenir des Arrests ;

-- 22 --

qu’il n’en a iamais porté que de captieux ou
d’impuissans : voila pour prouuer qu’il a choqué les
Princes : pour monstrer qu’il à choqué le Mazarin,
ils disent qu’il a mis sa teste à prix, & c’est tout
dire.

 

Ceux qui asseurent qu’il a fauorisé le Mazarin ont
beaucoup de belles raisons. Ils pretendent que le
Parlement n’a choqué son party qu’à la derniere extremité ;
Ils soustiennent qu’il a long-temps agi auec
des Remonstrances pour luy donner loisi de se renforcer,
& pour faire perdre aux Princes l’amour des
peuples, en les amusant.

Ceux qui soustiennent qu’il a esté pour les Princes,
s’appuyent sur la surseance de la Declaration
donnée contre le Prince de Condé ; sur la Lieutenance
generalle de l’Estat mise entre les mains du
Duc d’Orleans, & sur le refus qu’il a fait de s’en aller
à Pontoise suiuant les ordres du Mazarin parlant par
la bouche du Roy, ou du Roy parlant par la bouche
de Mazarin.

Et toy que iuges-tu, mon cher Alithocrite ? puis
que tout le monde en parle si diuersement : il m’est
aduis que ie t’ay souuent oüy raisonner là dessus. Ne
m’as tu pas dit quelquefois que le Parlement tranchoit
de deux costez ? ou que l’espée de sa Iustice
auoit deux trenchans, qui ne coupoient que selon
qu’ils estoient assistez par les progrez de l’vn ou de
l’autre party.

Ton iugement me sembleroit plus plausible si tu
disois, que le Parlement a voulu balancer son authorité,
pour balancer celle des deux partis. Cette

-- 23 --

Politique n’est-elle point bonne ? ouy, me diras-tu ;
mais il ne falloit donc point attaquer ouuertement
ny l’vn ny l’autre, ou du moins il ne falloit iamais
les attaquer l’vn sans l’autre, pour pouuoir
aspirer à l’honneur d’estre l’arbitre des deux ; pendant
qu’il ne se declareroit pour eux qu’auec indifference :

 

Ta reflection n’est pas mauuaise. Mais enfin, resous
moy : le Parlement n’a-t’il plustost esté Mazarin
que Prince, ou au contraire ? ou bien n’a-t’il point esté
ny l’vn ny l’autre ? Si l’on considere le Parlement par
les particuliers en détail, il a bien plustost esté Mazarin
que Prince, parce qu’il y auoit plus de Mazarin
que de Princes : si l’on considere le Parlement
sous le titre de corps Souuerain, sans se reflechir au
particulier qui le compose, il a fort nagé entre deux
eaux. Au reste, ie pense qu’il n’a esté veritablement
ny Prince ny Mazarin.

Il est vray que le Parlement a bien choqué le party
Mazarin : mais il n’a pas assez fauorisé celuy des
Princes pour le rendre maistre de son competiteur.
Si le Parlement a choqué le Mazarin, c’est qu’on l’a
tant poussé qu’il n’a pû s’empescher de le heurter ;
s’il a fauorisé le party des Princes, c’est qu’on luy a
arraché ses faueurs :

Faut-il donc accuser le Parlement : nenny. Le
Parlement est auguste & venerable, mais il en est
beaucoup de ceux qui le composent, qui ne releuent
pas beaucoup son prix. I’ay le bon-heur de n’en
connoistre pas vn de ceux qui sont de cette estoffe :
pour recompenser ceux que ie connois, il faudroit

-- 24 --

faire vingt ou trente Garde-sceaux, & autant de Secretaires
d’Estat.

 

Il faut donc demeurer indecis, & ne resoudre
rien sur cette dispute du Parlement : ou s’il faut conclure
quelque chose ; que faut-il dire ? Si les deux partis
s’accordent, le Prince pourra remercier les particuliers
du Parlement qui l’ont seruy ; & le Mazarin
tout de mesme ; si quelqu’vn des partys preuaut par
la force, ie pense qu’il sera bien quelques particuliers
qui s’en ressentiront : mais, que le Parlement
ne s’en portera pas mieux : car à vray dire ; & ce que
tous les Sages en pensent ; le Parlement partagé par
l’affection partagee de ses membres n’a seruy ny
l’vn ny l’autre party : s’il se fut vny sans s’interesser,
il pouuoit ranger à son gré celuy qui luy eut dauantage
paru contraire aux loix de l’Estat.

Le Duc de Beaufort.

LE Duc de Beaufort sans contredit est bon Prince :
Le Coadjuteur dans ses écrits a beau le comparer
à des Brasseurs de biere ou à des Arteuelles :
Il a beau le nommer l’Idole du temps, tous ces outrages
ne flestrissent en rien la gloire dé ses actions :
quelque loüange que le Duc de Beaufort merite, ie
croy qu’il est inimitable en ce qu’il est l’ennemy le
plus irreconciliable du Mazarin & du Coadiuteur.

-- 25 --

Tout ce que ie trouue a redire en luy, c’est qu’il a
trop épargne ce dernier, dés qu’il a reconnu qu’il
n’estoit pas digne de ses affections : mais les Heros
de son genie ont plus de bras que d’yeux. Ne le flatons
pas luy-mesme, disons ce qu’il doit faire, puis
qu’il ne le fait point. Ce n’est pas le tout que de hair
vn ennemy, lors que l’ennemy ne se borne point
reciproquement à sa haine. La haine du Coadiuteur
n’est infeconde que parce qu’elle est impuissante :
s’il auoit le dessus sur luy, il le profferoit tant
qu’il le creueroit. Il faut donc que le Duc de Beaufort
se serue de l’aduantage qu’il a, & qu’il sasse
ressentir au Coadjuteur qu’il a plus de pouuoir
que luy en le faisant traiter comme vn ennemy impuissant.

Mais non : ie ne conseille pas encor cela au Duc
de Beaufort qu’il suiue sa generosite ; & pour maltraiter
bien rudement le Coadiuteur, qu’il se mesprise,
qu’il luy témoigne en dédaignant de le mal
traiter, qu’il ne merite seulement pas qu’il le maltraite.
Le Coadjuteur ne craint rien a l’egal du mépris :
C’est l’écueil de sa patience, c’est le sujet de son
desespoir.

C’est trop s’arrester sur cette matiere : Le Duc de
Beaufort quel personnage fait-il dans le party ? quelques
vns disent qu’il n’y va pas de bon pied depuis
l’affaire du Duc de Nemours ; qu’il defie du Prince
de Conde, parce qu’il l’a defait de son meilleur amy ;
& qu’il craint de contribuer à son esleuation, de peur
que l’ayant esleue, il ne l’abaisse en reuanche lors
qu’il n’aura plus besoin de luy.

-- 26 --

Voila la politique du Pont-neuf. Si le Prince de
Condé a perdu vn amy en perdant le Duc de Nemours,
le Duc de Beaufort a perdu vn frere, & vne
sœur : qui des deux perd dauantage ? c’est vne saignée
qui les affoiblit également : c’est vn accident dont le
Duc le Beaufort ne sçauroit se preualoir au desauantage
du Prince de Condé, puis qu’il y est autant ou
plus interessé que luy. Il n’y a donc point de raison
de s’en regarder plus froidement.

On sçait outre cela que le Duc de Beaufort s’est
comporté dans ce combat auec toute la generosité
qu’on pouuoit attendre de luy : le Prince qui
est genereux pourroit-il n’aymer point vn Braue,
qui n’est coupable que d’auoir esté mal-heureux
en faisant vn coup de generosité. Cela est inoüy
parmy ceux du mestier.

Au reste, si le Prince de Condé estoit abatu par
la Cour, le Duc de Beaufort seroit-il long-temps
sur pied : Que les Politiques en iugent, pour moy
ie ne pinceray pas plus long-temps cette corde le
veux dire seulement qu’il est important que le Duc
de Beaufort se tienne au Prince de Condé & que
celuy-cy ne se détache point de l’autre : tous deux
vnis seront à l’espreuue, s’ils se diuisent il y a plus
de danger pour l’vn & pour l’autre.

Ie sçay bien qu’il n’a point tenu au Coadjuteur,
que ce schisme n’ait esté ietté dans l’intelligence
de ces deux Princes : Le Marquis de Chasteauneuf
y a trauaillé, mais il n’y a pas reüssi. Madame de
Monbazon a mesme esté solicitée pour ce mesme
dessein par vn des plus proches de ce nouueau Cardinal :

-- 27 --

mais on luy a répondu qu’on n’estoit seulement
pas en estat d’en vouloir écouter les premieres
propositions.

 

Le Duc de Beaufort void bien que le Coadiuteur
ne voudroit le des-vnir d’auec le Prince de
Condé, que pour le perdre heureusement apres
l’en auoir des-vny. Tous les genereux luy pezent
sur les bras, le Coadjuteur ne veut point d’amis s’il
ne les commande ; il n’y a que les lasches qui s’y
soumettent.

Disons donc que le Duc de Beaufort va de bon
pied ; qu’il est homme de cœur & d’honneur ; qu’il
est bien attaché au party, comme il l’a tousiours
hautement témoigné. Il ne faut pas laisser de luy
dire qu’il est à propos qu’il donne de l’esperon au
Preuost des Marchands, dont on ne craint pas
moins la moderation que l’impetuosité de son predecesseur.

Le Coadjuteur.

IL faut que le Coadjuteur ait vn bon dos, car on
luy fait porter tout le fardeau de l’Estat ; on le
fait l’autheur de tous les desordres, ie pense que
ceux qui ignoreroient son berceau, seroient pour
imputer la preuarication d’Adam à ses suggestions :
certainement il faut estre plus iuste : il faut se contenter
de luy faire porter les fardeaux qu’il s’impose
luy-mesme, sans luy en imposer d’estrangers :
parlons donc de luy sans passion, mais auec verité.

-- 28 --

Le Coadjuteur est vn ambitieux, cela est constant :
C’est vn intrigueur, cela ne se contredit
point ; c’est vn hardy ; tout le monde en tombe d’accord :
c’est vn violent, personne n’en iuge autrement :
voila bien des qualitez qui sont incompatibles
auec la superiorite.

Mais, où dit-on qu’il aspire ? au Ministere d’Estat :
que fera t’il pour y arriuer ? tout : que faut-il
faire pour y arriuer ? il faut destruire tous ceux qui
s’y peuuent opposer : qui sont ceux qui s’y peuuent
opposer ? ceux qui ont desia ressenty les effets de la
puissance des fauoris ; & qui doiuent estre au dessus
par le merite de leurs vertus & de leur naissance :
c’est le Duc d’Orleans, c’est le Prince de Condé :
le premier n’est point à craindre, parce qu’outre
qu’il est trop bon, la proximité du throsne le met
à l’abry des violences : le second est redoutable,
parce qu’il est ambitieux, & qu’il est en estat de
craindre, ceux que la faueur fait approcher du
throsne pour y seruir de premiers Ministres.

Pourquoy est ce donc que le Coadjuteur a plus
estudié de s’attacher au Duc d’Orleans, qu’au
Prince de Cõdé ; puis que ce dernier est à craindre,
& que l’autre ne l’est plus à cause de sa trop grande
bonté la raison en est clairé : le Prince de Condé
ne veut point d’autre maistre que le Roy : le Coadjuteur
veut commander à tous ceux qui seront au
dessous du Roy : l’vn & l’autre visent à mesme but :
le premier par le merite de ses vertus & de sa naissance :
le second par les suggestions seules de son
ambition.

-- 29 --

Il ne faut donc pas s’estonner, fi le Coadiuteur a laissé,
le Prince de Condé, pour s’attacher au Duc d’Orleans
Le Prince ne peut seruir que d’obstacle, à ce qu’il
pretend ; le Duc d’Orleans le peut fauoriser : Voyla
pourquoy le Prince peze sur les bras au Coadjuteur ;
qui fait tout ce qu’il peut pour s’en défaire, & pour le diuiser
d’auec le Duc d’Orleans.

Le Coadjuteur ne hait pas Monsieur le Prince de
Condé, mais il ayme la Souueraineté : Et comme il voit
qu’il n’y peut arriuer par confidence, à moins qu’il ne destruise
le Prince, il n’obmet que ce qu’il ne sçait pas, pour
s’en défaire.

Toutes ces reflections, qui ne sont pas moins infaillibles
que les veritez de l’Euangile, font conclure à certains
politiques, que si le Prince estoit reduit au choix, ou
à la necessité de supporter l’vn des deux Cardinaux dans
le Ministere, ou Mazarin, ou Gondy, il suporteroit le
Mazarin. Ie n’en doute pas ; tous les Sages sont dans ce
mesme sentiment : Le Mazarin a desia tant pillé, qu’il
n’est plus à craindre pour ses pilleries, parce qu’il s’est
remply : Le Coadjuteur, outre qu’il est gueux, s’est encor
tellement endebté, qu’il est à craindre que le peuple
payeroit ses debtes : Le Mazarin n’a point de parens dont
l’eleuation par sa faueur puisse faire ombre â nos Grands,
& diuiser par mesme raison cét Estat : Le Coadjuteur
en a en si grand nombre, qu’il seroit obligé par ses raisons
politiques, de renuerser tous les autres pour esleuer
les siens.

Voyla les raisons generales. Pour les particulieres :
Mazarin n’est ny cruel, ny sanguinaire, ny violent, tout
ce qu’on peut dire de luy, c’est que c’est vn fourbe, vn

-- 30 --

auare, vn ingrat, & vn sot Politique : Le Coadjuteur a
toutes les mauuaises qualitez du Mazarin, mais il n’a
pas les bonnes : Il est cruel & violent, tesmoin, quand il
fut d’auis qu’il falloit sousleuer le peuple pour arracher
les Sceaux au premier President : Il est superbe & arrogant,
tesmoin, lors qu’il voulut l’an passé à la porte de la
grand’Chambre du Palais entrer du pair auec le Prince
de Condé, si ce dernier iustement jaloux de son rang ne
l’eust rudement repoussé : Il est hardy & entreprenant :
Comme il fit paroistre l’année passée dans toutes les assemblées
du Parlement, où il ne venoit iamais qu’auec
vne escorte de General d’armée ?

 

Mais pour conjecturer ce qu’il feroit, s’il estoit premier
Ministre d’Estat, il faut sçauoir, que parlant vn iour
au Comte de Legues, comme on dit, & au Marquis de
Noirmontier, il leur asseura que si le Mazarin eust esté
plus seuere ; c’est à dire, plus cruel, il ne fut iamais decheu
de son rang. Il vouloit dire par la, dit la glose, si
i’estois iamais ce que le Mazarin a esté, ie vous asseure,
Messieurs, que si ie tenois en prison quelque Duc de Beaufort
quelque Mareschal de la Mote, ou quelques Princes
du Sang qui m’eussent choqué, ie ne permetrois iamais
qu’ils en sortissent que les pieds deuant : Mon Dieu,
Mon Dieu, Mon Dieu, que le Mazarin reuienne plutost.

Cela me feroit quasi croire, ce que certains ont remarqué,
que Monsieur le Prince de Condé n’a point poursuiuy
le Mazarin si viuement qu’il eust fait, s’il n’eust redouté
ce successeur, par la faueur du Duc d’Orleans, &
par la vengeance de la Reyne : Ie ne sçay s’il l’a fait,
mais ie suis bien asseuré qu’il l’a deub faire, & que le Coadjuteur
n’a que trop témoigné, que s’il arriuoit iamais à

-- 31 --

la confidence du Roy, il tascheroit d’y debuter par la
perte du Prince : Cela veut dire, que si les peuples veulent
que le Prince les defasse du C. Mazarin, il est iuste
que les peuples mettent le Prince à l’abry de ce qu’il doit
craindre du costé du Coadjuteur.

 

A cela le peuple repartira peut-estre, que le Mazarin
reuienne donc, puis que c’est le moyen le plus asseuré
pour auoir le repos. Desabusons cette creance, car elle
est bien simple : si le Mazarin reuient par indulgence,
comme ie suppose ; Croyons-nous que tous ses ennemis
caleront voile : Croyons-nous qu’ils n’en murmurent
point, le voyant restably : Croyons-nous que ces murmures
ne se fomenteront point dans des secrets monopoles :
Croyons-nous que ces mesmes murmures n’éclateront
point à leur temps, nous serions trop simples.

Le Coadjuteur ayme le Mazarin, mais il l’aime en
predecesseur dans le Ministere : le Mazarin ne feroit iamais
vn faux pas, comme il a de coustume d’en faire par
sa sottise, que le Coadiuteur n’en fit vn attentat, l’exagerant
dans l’esprit du Duc d’Orleans, pour luy faire apprehender
son pouuoir, & pour luy inspirer le dessein de le
destruire, dés le premier subside : que la necessité de remplir
les coffres du Roy, rendroit en quelque façon necessaire
ou plausible : le Coadiuteur battroit aux champs,
pour faire retomber le peuple dans l’aprehension des premiers
pillages : Ne disons pas ce qu’il feroit ; suffit que
nous sçachions qu’il est assez inuentif, qu’il est également
ambitieux, qu’il est encor plus hardy, & qu’il n’est pas
capable de voir le Mazarin daus le Ministere, sans le luy
enuier, & sans se mettre en estat de luy rauir : Cela se peut-il

-- 32 --

sans troubler nostre repos, il faut donc pour nous mettre
à l’abry que les deux Cardinaux soient destruits : que
le Prince nous defasse de l’vn, que le penple nous defasse
de l’autre, & qu’il ne soit iamais parlé de Cardinaux
pour le Ministere, à moins qu’ils ne soient Princes du
Sang, ou qu’ils n’ayent ressuscité vingt & quatre morts,
pour vne épreuue indisputable de leur vertu.

 

On a donc tort de reprocher au Coadiuteur qu’il est
Mazarin, cela est vray, car il ne l’est pas : Mais cela neantmoins
nempesche pas qu’il ne l’ait soustenu. Voyla la
raison : Le Coadiuteur ne peut s’esleuer au Ministere que
par la faueur de la Reyne, & par la perte du Mazarin :
pour meriter la faueur de la Reyne, il faut qu’il la flatte,
où il luy demange ; c’est à dire, qu’il appuye apparemment
les interests du Mazarin, quoy qu’en effet il le deteste :
pour perdre le Mazarin, il faut qu’il ne desempare
iamris l’esprit du Duc d’Orleans : pour donner encor
vn motif â la Reyne de l’aymer, il faut qu’il se porte pour
vn des plus grands ennemis du Prince de Condé. Voyla
bien des contradictions qu’il a, à mesnager : Ce n’est pas
tout.

Pourquoy s’oppose-t’il si fortement aux poursuittes
du Prince de Condé contre le Mazarin : car il est assez constant
que sans la lenteur que les intrigues du Coadiuteur
ont causé dans l’esprit du Duc d’Orleans, le Prince auroit
defia terrassé tout le party de Mazarin : Et si les apparences
ne sont pas trompeuses, nous le pouuons assez coniecturer
de ce qu’il a fait, lors qu’il a eu le loisir de se desrober
aux intrigues pour prendre l’épée.

-- 33 --

Le Coadjuteur veut bien que le Mazarin soit
esloigné, mais il seroit bien marry que le Prince
de Condé l’eust destruict par la force, voila pourquoy
il l’a tousiours affoibly en s’efforçant d’affoiblir
le concours du Duc d’Orleans. Mais pourquoy
cela, me dira quelqu’vn ? C’est que si le party Mazarin
venoit à succomber par vn extréme & visible
foiblesse, le Prince auroit assez de force pour frustrer
le Coadjuteur de l’esperance qu’il a dans le
Ministere, & pour empescher la Reyne mesme de
l’y esleuer : Au lieu que si le Mazarin ne succombe,
que lors mesme qu’il sera en estat de pouuoir
encor resister, il laissera la Reyne en estat de pouuoir
faire choisir au Roy celuy qu’elle voudra, &
le Prince n’aura pas assez de pouuoir pour l’empescher,
& la Reyne sera bien ayse de porter son choix
sur le Coadjuteur, tant en recognoissance de la
complaisance qu’il luy a tesmoigné pour le restablissement
du Mazarin, que parce qu’elle le iugera
capable de seconder aueuglement toutes ses intentions
pour la vanger hautement du Prince de
Condé.

Il resulte de lâ que le Coadjuteur ayme le Mazarin
pour le perdre plus heureusement, qu’il ne
le soustient qu’afin de luy pouuoir succeder lors qu’il
tombera ; qu’il ne choque le Prince de Condé par
la faueur qu’il a chez le Duc d’Orleans que pour
empescher qu’en triomphant hautement, il ne l’empesche
luy mesme de s’esleuer au Ministere d’Estat.

LE PARLEMENT DE PONTOISE.

Il me semble que le Parlement de Pontoise n’a
esté estably que pour nous donner vn subiet de rire

-- 34 --

parmy tant de subiets de pleurer : Les vns l’appellent
vn Caprice d’Estat, les autres le nomment la derniere
crise de la Politique Mazarine : Quelques vns
l’intitulent la Iustice sans bandeau Il en est beaucoup
qui disent que cet le parlement Courtisan, tout le
monde conclut que c’est l’Areopage des Transfuges
& les deserteurs de leur legitime milice.

 

Cependant ce parlement pretendu le porte bien
haut, il iustifie Mazarin, il casse les Arrests du Parlement
de Paris, ce qui ne se fait iamais, car vn parlement
n’a point de pouuoir de casser les Arrests
d’vn autre sans attentat puis qu’ils sont tous deux
Souuerains. Mais que faut il donc dire pour parler
sincerement de ce Parlement pretendu, il faut dire
que c’est la plus baute folie que Mazarin & les Mazarins
ait iamais fait. Il faut dire que le Mazarin pour
se iustifier a fait vn parlement à sa façon, tout composé
de pieces rapportées, de Mareschaux, de Gouuerneurs,
de Maistres des Requestes, de Capitaines,
de Courtisans, d’Intendans & d’autres personnes de
cette nature. Il faut dire que Mazarin à son ordinaire
veut chicanner dans la Politique ; car, à bien parler,
ce Parlement n’est autre chose qu’vne pure chicanne
d’Estat, qui ne seruira qu’à mesler les affaires
pour donner de la peine à ceux qui les voudront demesler.

Mais combien de temps durera-t’il ? Tout autant
que les guerres ciuilles : c’est l’enfant de la guerre
qui ne peut viure qu’autant que sa mere, & qui doit
mourir auec elle. C’est vn tres mauuais signe de ce
qu’il vaut ; car à tout rompre on ne peut dire autre
chose de luy, si ce n’est qu’il faut regler sa valeur à
celle de sa mere, la mere est vne seditieuse, vne
parricide, vne insolente, vne denaturee, le fils tenant

-- 35 --

de la mere est donc vn seditieux, vn parricide,
vn insolent & vn desnaturé, Voila vn pauure baptesme.

 

Parlons auec moins d’aigreur du transport du
Parlement qu’on pretend estre fait de Paris à Pontoise
est il legitime ? est il conforme aux loix est-il
pour le bien de l’Estat, si le transport a ces qualitez il
est bon, s’il ne les a pas il ne vaut rien, car la bonté
de ce qui se fait dans l’Estat ne se doit considerer que
dans le bien qu’elle cause à l’Estat.

Le transport d’vn Parlement ne peut estre fait que
par Declaration du Roy, cette declaration doit estre
receuë & verifiee dans ce mesme Parlement. Cette
circonstance qui est essentielle a esté obmise, car le
Parlement de Pontoise a esté esclos comme vn potiron
dans vne nuict, & l’on a plutost entendu ses
Arrests que son establissement. Que faut-il donc
dire, si ce n’est que les transfuges du Parlement de
Paris se sont lassez de ne iuger point, & qu’ils ont fait
esperer au Mazarin que s il vouloit leur faire donner
vne apparence d’authorité dans Pontoise, on les entendroit
si souuent fulminer en sa faueur, que du
bruit qu’ils feroient ils en estonneroient pour le
moins les simples.

Le transport d’vn Parlement est vn affaire d’Estat,
qui ne se peut conclurre en France que par le Roy &
par son conseil, si le Roy l’a voulu ie m’en rapporte,
ie sçay bien que son conseil n’en a point esté d’aduis,
car son conseil legitime qui sont ses Princes du Sang
est icy, & ie suis bien asseure que son sentiment n’est
pas que le Parlement soit à Pontoise.

Le transport d’vn Parlement ne se doit iamais faire
que pour le bien de l’Estat, comme son establissement
ne doit iamais auoir que cette mesme fin.

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Qui ne voit que ce parlement estant à Pontoise,
n’auroit point aucune liberté, & que la foiblesse du
lieu dont l’ennemy declaré de l’Estat est le maistre,
l’obligeroit de se rendre complaisant à tous ses pernicieux
desseins. Cela se pourroit-il sans exposer le
repos public.

 

Enfin ce transport de Parlement n’a rien de plus
considerable que son aueuglement & son iniustice.
Il est fait par vn Roy qui n’est declaré majeur que
par Politique, il est fait par l’aduis d’vn conseil bastard
& illegitime, qui n’aura de pouuoir que pendant
qu’il sera armé. Il est fait pour iustifier les maluersations
d’vn mauuais Ministre, & les attentats de
l’ennemy de l’Estat. Il est fait pour prolonger la
guerre & pour faire naistre de nouuelles difficultez
dans l’accommodement. Il est fait au preiudice des
droicts & des priuileges de tous les Parlements. Il
est fait sans autre necessité que celle de sauuer vn
ennemy que tous les François veulent perdre. Celuy
qui a composé le Parlement Burlesque le depeint
comme il faut, que le Lecteur y contente sa curiosité.

PARIS.

Me voila arriué à Paris sans en estre sorty, il faut y
faire vne petite pause, il faut s’entretenir vn peu auec
ses Habitans, il faut vn peu crier le Qui viue, &
sçauoit pour qui ce grand corps se remuë, s’il ne se
remvë que par ressors, il saut qu’ils ne soient pas trop
foibles, car le corps est bien grand & sa masse bien
lourde, Cher Lecteur desinteressons nous, car nous
auons à nous entretenir sur beaucoup d’interests diuers,
qui seroient pour nous engager si nous les examinions
sans reflexion.

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Dans Paris les vns sont Mazarins, les autres Princes,
quelques vns sont Chorintiens, tous sont partagez ?
Et, le diray-je, ie croy que dans Parie il n’y a
pas vn seul Parisien : C’est vn Paradoxe en aparence :
Mais en effet c’est vne verité ? Quoy, il n’y a point
de Parisiens dans Paris, & où est-ce qu’il y en a donc ?
Expliquons nous.

Ie n’appelle pas Parisien celuy qui est né dans Paris ;
Mais l’appelle Parisien, celuy qui espouse les interests
de Paris, sans aucune reflection a ses interests
particuliers. En ce sens ie croy qu’il n’y a point de Parisien
dans Paris, parce que tous les Parisiens sont
partagez à la defence de ceux que l’interest où l’affection
leur fait choisir. Ainsi Paris oblige tout le monde,
& Paris n’oblige personne. Il en est de mesme de
luy que du Parlement ; le Parlement oblige les vns &
les autres, parce qu’il a des particuliers dãs son corps
qui sont partagez selon leurs interests, ou selon leurs
inclinations ; Mais pour luy il n’oblige personne. Paris
est pour le Prince, Paris est pour le Mazarin, parce
que Paris a des particuliers qui sont pour le Prince &
d’autres qui sont pour le Mazarin ; Mais en soy Paris
n’est ny pour l’vn ny pour l’autre, parce qu’il n’espouse
pas comme il faut les interests de l’vn ny de
l’autre.

Cette indifference luy pourroit estre desauantageuse,
si les differents d’auiourd’huy n’estoient terminez
que par la force ; Le vainqueur quel qu’il soit
ne luy peut estre qu ennemy, puis que Paris regarde
ses interests auec indifference ; Et quelque part que
la victoire tourne, elle ne peut estre aduantageuse à
Paris, que par la generosité du vainqueur.

A la iournee du Faux bourg sainct Anthoine, où

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le Prince de Condé sauua Paris : Paris fit neantmoins
cognoistre qu’il estoit Prince & qu’il estoit
Mazarin out ensemble, son affection fut sort problematique
en ce iour, & Mazarin & le Prince eurent
esgalement subjet de s’en offenser & de s’en
tenir obagez.

 

Toutes les portes auec leurs gardes estoient deuoüees
au seruice du Mazarin, Elles furent libres
par les efforts de ceux qui estoient affectionnez au
Prince Neantmoins le Prince de Conde fur seruy
le dernier, & l’affection que certains parisiens luy
porterent ne parut que lors que sa valeur ne leur
permit plus de la dissimuler. Ainsi le Prince & Mazarin
reconnurent à ce iour qu’ils partageoient l’affection
des Parisiens, mais les sages virent bien que
la vertu les acqueroit au Prince, & la brigue ou l intrigue
au Mazarin.

Cette contenance n’est pas fort aduantageuse à
Paris, il faut qu’il soit tout ou Prince ou Mazarin,
ou Coadjuteur. S’il est Coadjuteur il s’appuye sur
vn roseau, car le Coadjuteur ne peut le deffendre
qu’auec la bouche, outre que le Coadjuteur est sans
force s’il est sans Paris. S’il est Mazarin, il attire sur
luy toute la hayne de l’Estat, & fait voit qu’il retour
ne honteusement le premier à l’adoration de l’Idole
qu’il a renuersee le premier. Au reste, le Mazarin
ne peut rien sans Paris, & auec Paris il ne peut pas
beaucoup. Si Paris est Prince il est pour le Roy, car il
est pour la maison Royalle, toute la France le secondera,
il destruira au gré de ses souhaits le party Mazarin
& esteindra les guerres ciuilles, parce que le
Prince auec Paris peut tout, & le mesme Prince sans
Paris peut beaucoup, Paris n’est donc pas bien conseillé

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s’il ne prend le party qui luy est le plus auantageux.

 

Au reste, Paris sçait il bien, que la Cour luy en
veut, & que cette haine ne peur auorter que par la
faueur du Prince de Condé. La Reyne a si souuent
iure sa ruine, sous le faux pretexte que la grandeur
de Paris est le frein de l’authorité souueraine, c’est à
dire de la tirannie, comme la Cour l entend ; sçait il
bien qu’elle reussira dans le dessein qu’elle a de perdre
Paris, si Paris n’a le soin de se remparer de l’affection
du Prince, qui seul peur s’oposer à l’execution
de ce dessein. En tout cas les sages & les desinteressez
concluent que Paris ne sçauroit estre asseuré
sans le Prince, & que le Prince peut estre asseuré contre
les menaces de la Cour sans Paris ; quoy qu’il
puisse en effet triompher plus facilement auec Paris.

Quelques mal aduisez oposent que si le Prince
n’eut esté receu dans Paris apres son retour de
Guyenne il estoit bien bas persé. Et moy ie pense
que s’il n’y fut point venu il estoit en vne plus haute
posture. Venant à Paris, son dessein estoit de se rendre
à Paris pour terminer bien tost nos desordres.
Paris l’a amusé, en ce qu’il l’a foiblement secondé ; si
le Prince apres son premier triomphe, eut poursuiuy
le Mazarin : il est probable qu’il eut mieux reussi, &
que la peur du vainqueur eut empeche Paris de receuoir
le vaincu, qui se fust senty par mesme raison
oblige de vuider l’estat auec toute sa cabale.

Ne raisonons plus sur ce sujet ; mais asseurons Paris
qu il ne peut se perdre qu’en se desunissant d’auec le
Prince ; & qu’il ne peut se sauuer qu’en s’appuyant
de luy ; qu’il sçache que la perte du Prince, & la sienne
sont inseparables ; & qu’il ne peut se sauuer qu’en

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le sauuant, quoy que le Prince se puisse sauuer absolument
sans son assistance. Ceux qui connoissent
quelque Politique se fassent instruire plus pleinement
sur ce sujet.

 

L’ESTAT.

Ce Fourrier qui logeoit il y a quelques iours l’Estat
au pont au Change, estoit sans doute quelque
bastard d’Angleterre ; l’Estat ayme son Roy, & ne
veut point changer de gouuernement. Il est vray
qu’il a bon besoin d’estre purgé, mais pour se guerir
il n’est pas besoin qu’il fasse corps nouueau. Le Medecin
qui luy ordonneroit des remedes pour ce
changement, auroit luy mesme besoin de sa recepte.

L’Estat se remettra s’il veut se reünir, La reünion
ne peut estre causée que par l’esloignement de ceux
ou celles qui le diuisent ? Que faut il faire pour cela,
il faut auoir le cœur bon, à l’espreuue de toute sorte
de pitié, & n’espargner que ceux qui l’espargneront.
C’est tout dire ; ceux qui l’ayment ne le choquent
pas, ceux qui le choquent sont ses ennemis.

FIN.

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Anonyme [1652], LA VERITÉ PRONONÇANT SES ORACLES sans flatterie. I. Sur la Reyne: II. Sur le Roy. III. Sur le Duc d’Orleans: IV. Sur le P. de Condé. V. Sur le Parlement: VI. Sur le Duc de Beaufort. VII. Sur le Coadjuteur: VIII. Sur le Parlement de Pontoise. IX. Sur Paris: Et sur l’Estat. , françaisRéférence RIM : M0_3998. Cote locale : B_17_18.