Anonyme [1649], LA VIOLE VIOLÉE, OV LE VIOLON DEMANCHÉ. , françaisRéférence RIM : M0_4029. Cote locale : C_10_50.
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LA
VIOLE
VIOLÉE,
OV LE
VIOLON
DEMANCHÉ.

A PARIS,

M. DC. XLIX.

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LA VIOLE VIOLEE, OV LE
Violon demanché.

Les Parisiens voulans sans doute imiter la
coustume des Grecs qui enuoyoient leurs
Ambassadeurs auec des luts, quand ils vouloient
faire des traittez de pacification, esperans que leur
harmonie adouciroit les esprits de ceux à qui ils
auoient affaire, & les porteroit à la concorde, ont
iugé plus expedient d’enuoyer leurs Deputez à S.
Germain-auec vn Viole, qu’auec vn lut, sans considerer
auparauant s’il tenoit bien son party, si dans
son estuy il estoit encor vny auec tous ses accords,
& si son archet & ses cordes estoient encore bien
tenduës, & resonnoient aussihautement qu’auparauant :
Mais le Prince de Condé luy ayant fait relascher
ses cordes, luy a fait prendre prenant son party
vn faux ton vn faux accord & vne fausse harmonie,
pour nous procurer vne paix, laquelle à vray
dire n’en a que le nom, puisque les pieds de ceux
auec qui ils ont traité coure encor au mal, pour espandre
le sang innocent ; que leurs pensées sont
des pensées de tourment & de degasts, & que froisseure
est encore en leurs voyes. Cecy respond à la
lascheté des desseins & pretentions, ou plutost trahisons

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que nostre Viole & ses confreres ont conceuës ;
Nous attendions d’eux la lumiere & voicy les
tenebres, & splendeur, & nous cheminons en obscurité :
Ce qui nous a surpris de luy, c’est qu’estant
du party des gens de bien, il estoit neantmoins du
nombre des meschans, traistres & hypocrites, &
qu’il a vendu comme Esaü son droit de primogeture
pour vne fresle esperance de recompense de
biens terriens & honneurs mondains dont, il sera
priué, puisqu’en vendant ses compagnons, & sa
Patrie, il s’est vendu sans y penser luy mesme & se
trouuera du nombre ainsi qu’Artaxerxes. Ce sont
telles gens lesquels pour nous faire connoistre les
anciens representoient par vne pie qui a le plumage
de deuant tout blanc & celuy de derriere tout
noir. Pour nous monstrer que les traistres & imposteurs
à guise de charlattãs nous font mille promesses,
de sorte qu’il semble que la verité ait fait choix
de leur langue pour declarer ses oracles aux hommes ;
Mais quãd il faut venir aux effets & qu’on dissipe
les images de leurs faussetez, il n’y arien de plus
funeste & de plus noir, tous leurs artifices sont des
toiles d’araignée qu’ils bastissent de nuit, & se rompent
de iour. C’est pour quoy Pluton detestant ce
crime, l’a dit, que c’est vne extrême iujustice de vouloir
sembler iuste quand on ne l’est pas : Mais aussi
que c’est vn acte de malignité singuliere, de contrefaire
le doux & le simple, & estre meschant si

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couuertement que mal-aisement on le puisse descouurir ;
qui est-ce qui n’y seroit surpris, la fraude
vient à pas contez si pleine de soûmission & d’humilité,
que ceux qui ne la cognoissent pas, ce seroit
vne ingratitude formée de ne luy pas ouurir le
secret de son ame, & de ne la pas receuoir à bras ouuerts :
bref pour les bien cognoistre, il faut cognoistre
leur cœur duquel Dieu seul est le scrutateur,
& pour n’estre pas ainsi de ceux à l’aduenir, vers qui
tournerons nous les yeux, si les Colomnes d’honneur
sont esbranlées, à qui demanderons nous la iustice,
qu’à ceux qui la doiuent rendre & qui sont
preposez à ce sujet : Et si le sel est gasté, auec quoy
le salera t’on, si la lumiere s’estend, auec quoy esclairera-t’on,
& si la regle plie, auec quoy redressera-t’on,
pour vray, quand les chiens s’entendent
auec les loups, il va mal pour les brebis, & quand
ceux qui sont destinez pour purger le monde de
brigandage ont des intelligences auec les voleurs,
que peut-on esperer en la Police, que toute sorte
de desordre, ainsi que nous voyons dans toutes les
Prouinces de ce Royaume, où les gens de guerre
dispersez en tous les lieux d’icelles, font le dégast
& rauage, volent & violent, bruslent & tuë licentieusement
les personnes de toute sorte d’âge, de
conditions & de sexe, & ce apres vne amnistie generale
de tout le passé inserée dans la declaration de
la Paix, laquelle deuoit estre si religieusement gardée,

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neantmoins elle est violée au mesme temps
qu’elle est faite, & y a manifeste infraction en tous
les Chefs d’icelle, par la continuation des desordres
qui se font par tout auec vn plus grand esclat &
moins de resistance & de crainte, de l’opposition
qu’on y eust pû faire, n’ayans mis les armes bas &
baillé icelles pour nous combattre & destruire, tellement
que ressemblans à la chevre de Theocrite,
nous pouuons dire que nous sommes mangez &
deuorez par les loups, que nous auons allaictez
& esleuez ; Nous bruyons tous comme des ours &
ne cessons de gemir comme des Colombes, nous
attendions iugement, & il n’y en a point, deliurance,
& elle s’est esloignée de nous : Et qui est-ce qui ne
gemiroit & seroit saisi d’vne profonde tristesse, au
seul recit de tant de Prouinces accablées sous le faix
d’vne pauureté languissante ? & d’vne misere vniuerselle
& tyrannisées, maintenant pour auoir voulu
secourir vne Ville bloquée de toutes parts & la
Metropolitaine du Royaume, à la conseruation de
laquelle chacun prend interest, soit pour le commerce
ou negoce, soit pour la parentelle ou alliance,
ou pour quelque autre raison particuliere.
Apres vn Arrest solemnel de la Cour de Parlement,
donné toutes les Chambres assemblées, contre
cét Archifourbe, ce tyran des tyrans, cette Hyæne
d’enuie, cette harpie d’auarice & Primat des Partisans
cause de tous ces malheurs, de toutes ces desolations

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& ruines l’amentables, de toutes ces impietez
& blasphemes horribles & abominables, qui
se commettent iournellement au grand mespris de
la Diuinité, dont la seul pensée est criminelle &
fait fremir les plus asseurez ; Pour exprimer lesquels
il faudroit vne plume de fer & vne riuiere de sang,
si bien qu’il n’y a point de cœur, fust-il de glace,
qui ne se fondist en larmes, de roche qui ne se fendist,
& de fer qui ne s’amolist, les voyant exposées
à l’abandon de ces Pyrates & Corsaires Mazarins,
lesquels exercent contre eux, la plus haute
& plus fiere barbarie qui iamais ait esté oüye
ny veuë, mesme entre les Turcs & Mahomettans
contre leurs esclaues, ny mesme les bestes feroces
n’en font point de semblables contre celles
de leur espece : Voila les beaux fruicts de la
Paix, voila les productions malignes de nostre
Viole & de ses Confreres ou semblables, voila le
masque leué, voila la trahison découuerte & cependant
demeurerons nous les bras croisez, serons
nous si stupides & insensible que de ne nous pas esmouuoir
& prendre la querelle de ceux qui ont
pris la nostre, tirerons nous point de l’eau ceux qui
nous mis abord, laisserons nous punir les innocens
pour les coupables, s’il y en auoit à repousser, la
force par la force & a resister à la violence de ceux
qui nous vouloient faire perir par la faim, qu’attendons
nous, chers concitoyens, quand il n’y a plus

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que fourberie dans le monde, que la verité se trouue
defaillante, & que quiconque se retire du mal, est
exposé au pillage. Et qu’on appelle maintenant le
bien mal & le mal bien Mais mal’heur à telles gens,
l’Idole dans son trône ou plutost au haut de la rouë,
dont elle tombera infailliblement ; demande comme
le diable qu’on se donne à luy & qu’on l’adore,
afin de pouuoir posseder quelque chose. Mais ceux
qui le font periront auec leurs biens comme l’or
d’Achan qui fut acquis contre la volonté de l’Eternel,
qu’esperons-nous donc, vû qu’il menace de
nous faire perdre & les biens & la vie. Et que nous
ne serons pas plus fauorablement traittez que ces
pauures Villes, Bourgs & Villages innocens, dont
nous auons vû & voyons encore de present les
ruines & les maisons fumantes de leurs embrasement.
Celuy qui ne se garde pas du danger autant
qu’il peut tente plus Dieu qu’il n’espere en luy, celuy
aussi qui voit descendre l’orage & ne se met pas
à couuert est digne du mal que le Ciel verse sur luy,
il faut donc donner le coup pour ne le receuoir
point, parce qu’en preuenant les mal’heurs & allant
au deuant on les dissipe, il n’est plus temps de preparer
les voiles quand la tourmente nous presse.
Hastons nous puis qu’il y a du danger au retardement
& que nous ne voyons aucune fin dans leurs
calamitez & miseres, mettons la main à l’œuure, taschons
de les secourir & de leur tesmoigner que

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nous participons à leurs playes. Ce n’est rien de dire
qui ne fait la foy sans les œuures est morte. Et puisque
le Parlement qui a le premier ietté la pierre &
frappé d’icelle n’a pas tenu compte de pouruoir
aux iustes supplications des peuples qu’il a fermé ses
yeux & bouché ses oreilles afin de ne pas voir leurs
miseres & entendre leurs plaintes, & mesme leur
a desnié la iustice dans leur plus grande desolation
& oppression. Resueillons nous, resueillons nous
de cét assoupissement & létargie de laquelle nous
sommes frappez, & pour commencer retranchõs à
iamais tous ces membres pourris & gangrenez, tous
ces traistres, tous ces Cameleons & generalement
toute la secte Mazarine, faisons en vne dissection
tres-exacte en sorte qu’il n’en demeure libre ny ligament
que nous n’ayons curieusement visité iusques
dedans le cœur. Ne craignons rien Dieu fauorise
tousiours les desseins des gens de bien. C’est pourquoy
loin de nous tous ces Infidelles & Payens,
tous ces Violes comme estans d’vne fausse teinture,
tous ces Cheualiers qui se tiennent mieux à la table
qu’à cheual, tous ces ferrans comme craignans leur
encloüeure, tous ces voilez, tous ces crespins, tous
ces plongeons, & nageans entre deux eaux, tous ces
lepreux de peur qu’ils ne nous infectent, tous ces
esperans & aspirans à la Crosse & à la Mittre. Et sans
aucune exception tous ceux qui se transforment
s’il faut ainsi dire en Anges de lumiere afin de nous

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seduire & deceuoir nostre simplicité plus facilement.
Ne mesurons plus nos jugemens par les apparences :
Ne jugeons plus de la nouuelle par l’escorce,
ny de l’interieur par la monstre exterieure ;
car son bien, soit en mal, ce qui appartient est sujet
à beaucoup de tromperie : Et sur tout fuyons ceux-là
qui portent la vengeance diuine sur leurs espaules,
ceux-là pareillement qui ressemblent à ces serpens,
qui ont la langue plus longue que le bras,
c’est à dire qui disent beaucoup & font peu ; ceux-là
aussi qui ont la parole de Iacob, & les mains
d’Esaü, qui disent bien & font mal ; & finalement
tous ceux-là qui obsedez par la necessité, employẽt
vtilement le reuenu de la guerre pour payer leur
creanciers : Ce faisant, & ne nous laissans plus endormir
aux sons des Violes & de pareils instrumens
d’infidelité. Nous nous pouuons asseurer de remettre
sur ses voyes vne meute tombée en defaut, de
posseder bien-tost, & asseurent la Paix generale &
tranquilité publique : Et qu’employant tousiours
de mesme l’esprit, la prudence, & la conduite que
Dieu nous à donnée, il benira tous nos desseins indubitablement,
puis qu’ils ne tendent qu’à déliurer
le Pauure, la Veufue & l’Orphelin de la misere, de
l’oppression & de la tyrannie, sans exemple, & à
jouyr d’vne paix asseurée sous le regne de nostre
Monarque, de laquelle Dieu soit le Dieu, parce
qu’elle sera stable, & ne sera voilée ny violée aucunement ;

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& que nous qui la cherchons & procurons
à nostre possible seront bien-heureux, puis que
ceux-là le sont qui la procurent, car ils seront appellez
enfans de Dieu.

 

FIN.

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