Anonyme [1649], LA VISION PROPHETIQVE DE STE GENEVIEFVE, PATRONE ET PROTECTRICE DE LA VILLE DE PARIS, Ab incursu & dæmonio Meridiano. , françaisRéférence RIM : M0_4037. Cote locale : A_5_105.
Section précédent(e)

LA
VISION PROPHETIQVE
DE
STE GENEVIEFVE,
PATRONE ET PROTECTRICE
DE LA VILLE DE PARIS,
Ab incursu & dæmonio Meridiano.

A PARIS,
Chez PIERRE DV PONT, au Mont Sainct Hilaire,
ruë d’Escosse.

M. DC. XLIX.

-- 2 --

-- 3 --

LA VISION PROPHETIQVE
de sainte Geneuiefve, Patrone & Protectrice
de la Ville de Paris, cuidemment
accomplie dans l’Estat des affaires
presentes.

Ab incursu & dæmonio meridiano.

Qv’il est bien vray ! que Dieu Tout-puissant & tout
bon a des maximes bien differentes de celles des
hommes ; si vous considerez les Medecins visitans
quelque malade, vous leur verrez à la verité prendre
assez de peine à soulager la violence de son mal, tant qu’il
iugeront que les remedes pourront encore faire quelque effect ;
mais dés aussi-tost que la fiebure ou la douleur qui domine s’irrite
des medicamens, & que cette personne est dans l’extremité,
ils l’abandonnent laschement, & ne se mettent plus en peine de
le guerir.

La Prouidence diuine agit tout d’vn autre façon ; il semble
qu’elle soit comme sourde aux prieres que nous luy faisons dans
les premieres atteintes de la douleur, laissant agir pendant ce
temps les causes secondes, mais lors que nous sommes venus au
dernier periode, & que tous les moyens humains nous manquent
entierement ; cette admirable bonté que nous croyons
tout à fait esloignée, nous surprend par vn secours inesperé, &
nous fait des graces proportionnées à l’estat de nostre misere.
Pour confirmer cette verite par quelques exemples, l’ancien &
le nouueau Testament, en sont tellement remplis que vous ne
sçauriez ouurir le Liure, que vous n’y remarquiez tantost la
naissance de Moyse, au temps que les Israëlites estoient reduits à
l’extremité par les violences des Egyptiens, tantost le passage

-- 4 --

miraculeux de la Merrouge, lors qu’ils alloient seruir de victimes
à la cruauté de Pharaon, vous y verrez ensuitte cette source
d’eau produite d’vn rocher frappé de la verge du mesme Moyse,
lors qu’vne soif mortelle alloit faire perir des millions de ce peuple,
la Manne tomber du Ciel, lors que toute esperance d’auoir
dequoy soulager leur faim, estoit apparemment hors de leur pouuoir,
la Bataille des Amalcites, gaignée auec si peu de perte de
leurs gens, lors qu’ils n’en pouuoient esperer qu’vne cruelle deffaite ;
Dauid a bien raison de chanter dans ses Hymnes, que les
misericordes de Dieu sont infinies, puisque toute sa vie est pleine
d’incidents où Dieu s’est plû de faire remarquer des exemples
de ses graces particulieres, il est sacré pour estre Roy, lors
qu’il ne songeoit qu’à commander à des brebis, & toutes les fois
que la colere de Saül alloit executer l’Arrest de sa perte, tantost
Michol & tantost Ionathas, luy fournissoient les moyens d’eschaper
& de sauuer sa vie, lors qu’il s’estoit desia resolu par la necessité
de la quitter.

 

Les miracles de Iesus-Christ dans le nouueau Testament,
n’ont esté faits qu’en faueur des miserables infirmes, qui ne pouuoient
esperer aucun secours des hommes, l’Aueugle-né, le Paralytique,
la fame affligée du flux de sang, le Lepreux, & le malade
de la Piscine n’estoient pas des pratiques propres pour les
Medecins : Mais si nous considerons la resurrection du Lazare,
qui surpasse tous les autres miracles, nous admirerons que le
pouuant bien secourir dans sa maladie, il voulut temporiser iusques
à sa mort, & permit mesme que la pourriture s’emparast de
son corps, afin de faire dauantage esclater ce miracle dans cette
extremité si peu propre à receuoir quelque secours.

Mais ces exemples sont trop esloignez, & nostre Glorieuse Patrone
nous en fera remarquer dans sa Vie vne infinité, dont celuy-cy
vient merueilleusement à nostre suject.

Les Sarrazins venus d’Espagne auoient innondez toutes les
Prouinces de la France, la campagne en estoit miserablement
desolée, & ses villes & ses habitans auoient passé la pluspart
par le fer & le feu de ces Barbares, tout leur auoit fait joug &
la seule ville de Paris, auoit esté reseruée pour leur derniere conqueste,
ils en approchoient toutes fois auec vne armée formidable,

-- 5 --

& cette pauure ville en estant comme inuestie, ne pouuoit
esperer vn sort plus fauorable que les autres, si elle n’estoit puissamment
& promptement secouruë, mais comme elle estoit destituée
de tous les moyens imaginables, & reduite à l’extremité
Nostre saincte Geneuiefve qui viuoit de ce temps, comme elle
auoit tousiours tesmoigné vn amour maternel pour la bonne ville
de Paris, adressa ses prieres au Ciel auec tant de ferueur, que
Dieu fit à sa faueur disperser ces troupes ennemies, & tourner
leur furie d’vn autre costé, ce qui la fit surnommer de quelques
sçauans vne seconde Iudith ; puisque Paris luy deuoit sa deliurance,
comme Bethulic en estoit obligée à cette genereuse
Amazone.

 

Ce n’est pas la seule faueur dont Paris doit rendre grace à cette
Saincte si zelé à sa Protection, puisque les miracles qu’elle a fait
apres sa mort, cõme la guarison de tant de fievres pestilentieuses,
les salubritez de l’air obtenuës pour les biens de la terre, & cette
fameuse guarison dés Ardans, ou les Medecins pour en ignorer la
cause, ne pouuoient apporter de remedes, nous tesmoignent assez
quelle nous ayant laissé sa Chasse pour arres de son affection,
nous ne deuons iamais desesperer de son secours, quand nos miseres
seroient entierement desesperées.

Mais comme nous sommes tombez sur le discours de la vie de
cette Saincte Patrone, nous en remarquerons vne particularité
qui fait le suiet principal de cette matiere.

Cette bonne Saincte auoit vne loüable coustume parmy les
diuerses fonctions de sa pieté d’assister à l’Eglise à toutes les heures
destinées, pour chanter les loüanges de Dieu : Elle estoit d’vn
cartier assez proche de l’Eglise de Nostre-Dame, où elle auoit
vne particuliere deuotion, & le froid ny l’horreur des tenebres
n’empeschoit pas cette Saincte Fille en vn aage encor ieune
d’aller aux Matines qui s’y chantent toutes les nuicts, vn cierge
blanc luy seruoit ordinairement pour esclairer ses pas, & les pages
de ses Heures, où elle auoit tousiours la veuë comme arrestée ;
Vne nuict qu’elle estoit assez proche du Portail de cette Eglise,
dans vn temps extremement calme ou les vents estoient comme
enseuelis du sommeil, elles apperceut que la lumiere de son cierge

-- 6 --

estoit esclypsee de fois à autre, & que tout à coup cette lumiere
retournoit en son premier estat, ou quelquesfois plus lumineux
qu’auparauant ; l’importunité de l’obstacle qu’apportoit
ce deffaut de lumiere à la pieuse lecture de ses prieres, plustost
qu’vne simple curiosité luy fit hausser les yeux pour voir d’où
prouenoit cette vicissitude de lumiere & de tenebres qui luy donnoit
tant d’estonnement ; Mais vn autre incomparablement plus
grand la rauit aussi-tost, lors que par vn miracle euident qui fortifia
la fragilité de sa veuë, elle apperceut vn Ange & vn Demon
dans vn débat continuel sur le suiet de son cierge, le Demon
soufflant de toute sa force, & se rendant la face encor plus horrible
par les violents efforts qu’il faisoit de l’esteindre, n’estoit pas
si-tost venu à bout de son mal-heureux dessein, que l’Ange en
mesme temps par vne lumiere auxiliaire en se mocquant du
Demon, luy rendoit la lumiere plus viue qu’auparauant : Cette
contestation ayant duré quelque temps à la fin ce Messager Celeste
ayant de la part de Dieu coniuré le Diable de se retirer dans
ses abysmes, demeura vainqueur de ce combat, & nostre Saincte
entrant dans l’Eglise, cette vision disparut en mesme temps qui
la laissa dans vne profonde resuerie, sur ce qu’elle pouuoit predire
ou figurer.

 

Mais comme les Prophetes ne pouuoient pas expliquer leurs
Propheties, & que Dauid mesme n’a iamais penetré distinctement
dans les choses qu’il a predites par ses Cantiques mysterieux,
aussi nostre Saincte Patrone eust la grace de cette vision
prophetique, sans en auoir l’intelligence.

En fin, le temps qui par des reuolutions ordinaires fait succeder
toute chose dans son ordre limité, nous a fait voir clairement
que cette mystique vision estoit accomplie dans l’estat present
des affaires : & comme la Manne estoit la figure de l’Eucharistie,
& le buisson incombustible, de la chaste integrité de la saincte
Vierge, & ainsi d’vne infinité d’autres figures ; il n’y a personne
qui n’applique facilement nostre vision susdite comme vne figure
prophetique à la conioncture des affaires de cet Estat.

En effet, qui ne iugera que ce Cierge allumé represente la Ville
de Paris, Capitale de cette Monarchie, dont le lustre & la lumiere

-- 7 --

s’est conseruée depuis tant de siecles, estant portée par cette
Patrone zelée, qui la maintiendra tousiours par ses puissantes
intercessions : & bien que les troubles & les bourasques de ce
temps la menacent de l’esteindre, le succez n’en peut estre que
tres-auantageux pour sa gloire ; il est vray que ce Demon pernicieux
venu des parties meridionales (ou les puissances de l’air
selon le rapport de l’Escriture saincte, ont particulierement estably
leur dominatiõ) qui ne peut estre autre qu’vn iniuste Ministre
a fait & continuë de iour en iour tous ses efforts pour en estouffer
la gloire en esteignant sa lumineuse clarté : c’est veritablement
ce malin Esprit qui souffle la sedition & la discorde, & qui
seme la zizanie dans les cœurs de ses habitans, c’est cette bouche
venimeuse qui crache tant de calomnies contre ses inuiolables
conseruateurs, & qui non contant de ses pernicieuses concitations,
se sert de tant de langues abominables & mercenaires,
pour porter cette bonne Mere à deschirer ses propres entrailles ;
Mais si nous auons euidemment conuaincu ce Ministre d’estre ce
Diable figuré par nostre prophetic, ne serions-nous pas stupides
au dernier point ; si nous ne remarquions que cet Illustre parlement,
est cet Auge tutelaite qui conserue & qui rend la lumiere
de cette Ville florissante, dont toutes celles de la France la reçoiuent
pour ainsi dire, cet auguste Senat est cet Esprit lumineux,
qui se porte si genereusement à reparer les desordres & les troubles
que ce prince des tenebres qui ne peut qu’à peine souffrir
son esclat, cause de temps en temps par son haleine pestilentieuse,
& comme Dieu ne permet iamais l’entrée d’vn mal dans vn
Estat, sans en donner en mesme temps le remede, il semble qu’il
ayt composé cette illustre Compagnie des plus iudicieuses & incorruptibles
personnes dont elle ayt iamais esté honorée, pour
contre carrer en mesme temps le plus pernicieux fourbe, qui
ayt iusques icy causé les troubles & les miseres de cette Couronne.

 

Poursuis donc si tu veux malicieux Demon, de souffler de
toute ta force le vent de sedition sur ce cierge brillant, desploye
tous tes artifices, sers toy de toutes les puissances des
meschans, pour en suffoquer la clarté, tant que nostre saincte

-- 8 --

Patrone en sera le support, & que cet Ange tutelaire luy fournira
de lumiere pour conseruer son lustre de tes souffles impetueux,
il restera tousiours en vn glorieux Estat, & tu n’auras que
la honte d’auoir esté ignominieusement vaincu, & de retourner
dans les tenebres obscures preparées à tes semblables, pour y receuoir
les chastimens de tes crimes.

 

FIN.

Section précédent(e)


Anonyme [1649], LA VISION PROPHETIQVE DE STE GENEVIEFVE, PATRONE ET PROTECTRICE DE LA VILLE DE PARIS, Ab incursu & dæmonio Meridiano. , françaisRéférence RIM : M0_4037. Cote locale : A_5_105.