Anonyme [1652], LA VOIX DE PEVPLE AV ROY, Pour la Paix Generale. , françaisRéférence RIM : M0_4058. Cote locale : B_16_4.
Section précédent(e)

LA VOIX
DE PEVPLE
AV ROY,
Pour la Paix Generale.

A. PARIS,

M. DC. LII.

-- 2 --

AV LECTEVR.

CHER amy LECTEVR, Ce n’est pas vne
animosité que i’aye contre le Cardinal Mazarin,
qui m’est poussé à faire ce Discours : Mais c’est la
misere de tout le Peuple, qui crie misericorde, & le
malheur de tous les François, qui ma tellement faict
compassion, que ie n’ay pû retentir ma plusme, &
l’empescher de vous deceler & descouurir mes pensées.
Non, ie n’ay aucun suiet particulier de me plaindre
dudit Cardinal, c’est la cause commune qui m’a mis
dans l’esprit cette resolution, & qui ne me faict respirer
qu’apres la Paix : Que ie souhaitte perpetuelle
à la France, & eternelle à l’esprit du Cardinal Mazarin.
Adieu, Cher Lecteur.

-- 3 --

LA VOIX
DV PEVPLE
AV ROY,
Pour la Paix Generale.

CE n’est pas sans raison que l’on appelle vn Roy le
Chef de tous les sujets, & la teste de ce corps, ou
ses vassaux en composent les membres, & où les
Peuples font toutes les parties, & donne la perfection &
l’accomplissement à ce tout, & à ce composé.

Ie rencontre dans cette comparaison trois qualitez,
qui ne leurs sont pas moins communes, que necessaires.
La premiere est, celle qui les éleuent au dessus des autres,
& qui les a placez dans vn endroit, d’où ils ne peuuent
rien regarder qu’en baissant la veuë, & qu’en s’humiliant.

SIRE, vostre naissance vous a mis dans le plus eminent
lieu que l’ambition puisse iamais souhaitter, elle
vous assis dans vn Trône éleué sur la gloire & parmy les
grandeurs ; elle vous a mis vn Sceptre en main ; elle vous
a Couronné la teste : bref, elle a donné des arres à vos
vertus d’vne eternelle recompense. Ce ne sont que des
promesses qu’elle vous signe, & ce n’est qu’vn eschantillon
de ce qu’elle vous reserue. I’aduoüe que si l’on vouloit
faire aller d’égal ce qu’elle vous a presenté, à ce que
vous meritez, il faudroit emprunter des Cieux des dignitez

-- 4 --

plus éclatantes, & des grandeurs plus illustres, que ne
sont celles de la Terre ; & vos perfections estans plus
qu’humaines, il leur faut aussi quelque chose de diuin.

 

Nous voyons que la teste a cette aduantage sur les autres
parties du corps, qu’elle les a dessous soy, ils ne sont
que pour la seruir, & ils sont aussi tost dans la seruitude
qu’ils iouyssent du iour.

SIRE, vos Sujets ne sont pas plustost soubs les langes,
que soubs vostre puissance, & ils confondent leur
estre auec l’obligation qu’ils ont d’exposer leur vie, & de
consumer leurs biens pour vostre seruice : tout ce pauure
Peuple qui semble estre maintenant le but à toutes
les miseres, & sur qui toutes afflictions se rüent à l’enuy
les vnes des autres, ne respire que pour pousser auec plus
d’éclat, & faire raisonner plus haut vostre Nom, en
criant sans relasche VIVE LE ROY ; s’il mange vn morceau
de pain noir le reste de vos Soldats, ou qu’ils n’ont
pû deuorer pour sa dureté, ou qu’ils n’ont pû trouuer, ou
qu’ils ont respecté pour sa vieillesse, ce n’est que pour conseruer
ses forces, afin de les employer au premier commandement
que vous luy ferez sçauoir ; s’il boit la lie du
vin dont vos gens se sont assez bien coëffez, ce n’est qu’à
vostre santé, & l’on peut dire auec verité qu’ils ont plus
souuent vostre nom en bouche, que celuy mesme de
Dieu. Ie ne m’en estonne pas, puis que ce vous sont des
parties subalternes, & que vous estes le chef de tous les
membres nuds & malheureux.

La seconde qualité, c’est que la teste commande &
gouuerne le reste du corps, elle en tient le gouuernail &
le timon, le cœur ne peut jetter vn souspir sans sa permission,
les yeux ne peuuent lancer des regards sans son expresse
priuilege, & la langue n’a point d’autre deuoir que
d’estre son interprete.

-- 5 --

Cette perfection, SIRE, se rencontre dans vn Roy,
vous enuoyez vos volontez pour seruir de regle & de
compas à toutes les actions de vos Sujets, vos commandemens
sont executez de poinct en poinct, & si l’on ne
satisfait à vostre bon plaisir, la Iustice sçait son deuoir.
C’est là où la Majesté Royale est dans son iour, c’est là le
vray Sceptre, le Thrône, la Couronne, & le Diademe
des Roys, que de sçauoir commander ; Vn Empereur
n’est pas Empereur s’il ne gouuerne ses Estats, & comme
dit fort bien Platon, le Roy estant dans son Royaume,
ce que la raison est dans le corps, il la doit conduire & la
regir luy-mesme, & ceux qui laissent passer toutes les affaires
par les mains des Ministres, & qui ne regnent que
par autruy, ils ne sont pas veritablement Roys, mais ils
ne le sont qu’en apparence.

Platon

La troisiesme qualité, c’est qu’elle est nourrice de
toutes les parties qui luy sont subalternes, elle les maintient
dans vn estat parfait tant qu’il luy est possible, & de
ce qui depend d’elle. Ce sont les Roys, SIRE, qui doiuent
estre les Peres nourriciers des Peuples, ce sont d’eux
de qui les Sujets attendent secours, & l’on auroit mis en
vain les puissances en leurs mains, si ce n’estoit pour les
en soulager.

C’est vne chose estrange que les Roys ont les oreilles
tellement préoccupée par de certains flatteurs, par l’importunité
de quelques ambitieux, & par l’auarice de quelques
gueux reuestus, que les miseres des Peuples n’y trouue
plus de places, en vain l’on se veut plaindre à Vostre
Majesté, les calamitez n’ont point d’entrée dans vostre
Cour, & si par hazard quelque malheureux que vos Soldats
viennent de piller, dont la maison a esté bruslée par
ces insolens, & dont les possessions sont reduittes à ne
rien posseder, se glisse au trauers de vos Gardes, se pousse

-- 6 --

dans vostre Palais ; enfin le voila entré, il croit desja
auoir Iustice par l’esperance qu’il a de vous parler ? Ah !
tout beau, où te fourre-tu trop infortuné, ton espoir &
tes souspirs sont de mesme nature, & comme leur naissance
& leur origine sont égales sortant de tes malheurs,
leur mort doit estre pareille & de mesme durée ; tu ne
vois pas ce Courtisant empourpré, cét auare ambitieux,
lequel ne te voyant chargé que de vent & de pauureté, te
chassera auec honte & ignominie, que pense tu faire en
criant ; ie voudrois bien parler au Roy, ie demande Iustice,
l’on ma pillé, l’on ma volé, ie n’ay plus rien, la faim
m’estrangle, ie m’en vay mourir ; tu t’en vas mourir,
meurt te dira t’on, ce n’est pas grande perte, puis que tu
n’as plus rien ; l’on t’a volé, dis tu, & dérobe de ton costé,
la faim ta pris à la gorge, prends y t’on voisin pour luy
oster le morceau de la bouche, Ie m’imagine que tu
croyois auoir audiance du Roy, l’on t’en empeschera
bien, tu ferois voir à sa Majesté la cruauté que l’ambition
de quelques Tyrans exercent sur son pauure Peuple.
Non, non, il vous la faut lascher, SIRE, de peur que vostre
Iustice n’en tire la juste vengeance, mais que feront
ces pauures miserables, denüez de tous biens, abandonnez
de tous secours, & de tout ce qu’il y a au monde, excepté
de leurs malheurs, & de leurs calamitez. Entre les
bras de qui se jetteront ils, si ce n’est entre ceux de vostre
bonté, bonté qui vous est si naturelle, que vous ne
seriez pas Bourbon, si vous n’estiez estimé pour bon.
Chercheront ils dans les Païs estrangers quelque soulagement
à leurs miseres, l’on les accuseroit d’infidelité enuers
vostre Majesté. Iront-ils se plaindre à vos Ministres,
l’on les chassent outrageusement, & nous en sçauons qui
ont esté bastonnez, comme des importuns & des insolens,
pour auoir demandé Iustice à eux mesme, du tort

-- 7 --

que leurs seruiteurs auoient fait à leurs possessions, j’aduoüe
que ce sont des indiscrets, d’auoir esté crier Iustice à
ceux qui ne la firent iamais ? Quoy, SIRE, tascheront-ils
destaller à vos yeux leurs infortunes, ils n’iront pas loin
sans quelque coup de halbarde, & quelqu’vn de vos Officiers
gaignez par quelque pension de ces Tyrans, ne
manquera pas de massacrer l’esperance qui les flattoir,
d’vne Iustice fauorable, à grands coups de canne & de
pieds, de les faire sortir par l’espaule, & de les traisner dehors
s’il persistoient dans leurs demandes ; quel déreglement
dans vn Royaume, où le bon ordre & la bonne
conduite a coustume de regner autant que ses Roys, &
n’est ce pas vne chose estrange de voir que les battus
payent l’amande, que nous soyons contrains de leuer
les yeux pour enuisager des criminels assis dessus les grandeurs
& illustres des plus belles dignitez de cette Monarchie,
& que le vice triomphe à la veuë de tout l’Vniuers,
de toutes les vertus, & de toutes les qualitez les plus admirables.

 

Nous esperions, SIRE, quand vous tiendriez les
resnes de vostre Empire, respirer le zephir d’vn siecle d’or,
mais, helas ! il n’y en a plus : nous ne nous promettions
que joyes, que plaisirs, que bon heur, & que satisfactions :
Les feux allumez à vostre Naissance, à vostre retour
dans Paris, & à vostre Majorité, n’estoient que des
grossieres peintures de ceux qui brusloient nostre cœur de
vostre amour : La voix des canons n’estoient que pour
suppléer à la foiblesse de la nostre, & pour faire entendre
à tous, ce que nous ne pouuions dire qu’à plusieurs : Les
buchers allumez par toutes les ruës, faisoient aysément
voir que nous n’auions autre dessein, que de consumer
nostre vie dans l’ardeur de vous rendre seruice : & les
flambeaux qui faisoient de la nuict, vn iour fort agreable,

-- 8 --

monstroient assez clairement quels estoient nos desirs, &
quels nos esperances.

 

Ouy, SIRE, nous nous flattions, que durant vostre
regne, nous viurions dans l’abondance & exempts de
toutes miseres, & que nous serions dans vn estat où il n’y
auroit plus rien à desirer, sinon sa durée & la continuation.
Ie crois que nos espoirs ne seront pas steriles, &
quand vous regnerez vous mesme, pour lors regneront
les vertus, les felicitez, & la paix : Il ne se peut autrement,
puis que les presens que Dieu fait, sont tousiours heureux
& pacifiques.

Il vous a, SIRE, donné à la France pour son Roy,
pour son Protecteur, & pour son Pere nourricier : Il a
mis toutes ses puissances en vostre main, non pour obeïr
à vn Ministre, mais pour vous en seruir, & pour en soulager
les pauures miserables. En vain Dieu auroit fait des
Miracles à vostre Naissance, si ce n’estoit pour témoigner
que vostre vie seroit miraculeusement heureuse & illustre.
Iamais tels signes n’annoncerent l’arriuée au monde
de personnes mediocres, & de vertu commune & vulgaire.
Tout le monde sçait que celle du grand Cyrus a
esté declarée par la vision d’vne vigne, qui couuroit
toute l’Asie, estoit ce vn homme imparfait. Celle d’Alexandre,
par vn anneau, qui portoit la figure d’vn
Lyon, graué sur le sein de sa mere, estoit il de mediocre
valeur. Celle de Platon, fut declarée par le signe
melodieux, qui sortoit en songe du sein de Socrate,
estoit il de peu de merite. Celle de Ciceron, par vn esprit
qui aduertit sa nourrice, qu’elle allaitoit vn enfant qui
seroit vtil au public, & necessaire au Peuple ; n’estoit-ce
pas vn grand homme. Celle d’Auguste, par la voix des
Deuins, qui publierent au iour qu’il nasquit, que le monde
auoit vn Maistre ; n’estoit-il pas la generosité mesme.

-- 9 --

Vn Liure fait par vn Habitant de Sainct Malo, n’a t’il pas
dit hautement quelque temps deuant vostre Naissance,
que la France auroit bientost vn Dauphin & vn Maistre,
clement & juste, n’est il pas vray. Vn Religieux des R.
P. Augustins du Fauxbourg de Montmartre deux ans
deuant vostre Naissance, n’a t’il pas prédit qu’il s’éleueroit
vn Soleil, qui dissiperoit toutes les vapeurs dangereuses
qui pourroient troubler le Royaume, est-ce vn
faux Prophete. Vn Berger de saincte Geneviefue des Bois
a prédit le mois & l’année que la Couronne de France
auroit vn vertueux Successeur, cela n’est t’il pas arriué.
Tous ces prodiges nous font voir euidemment qu’il n’y
a rien que de miraculeux en vous. La puissance de Dieu
ne s’abbaisse pas aux personnes de mediocres vertu, pour
donner à leur naissance des signes pas moins admirables,
qu’extraordinaires.

 

Naissances
declarées
par des Miracles.

[illisible].

[illisible].

Platon.

Ciceron.

Auguste.

Naissance
de Louys
XIV. accompagnée
de Miracle.

Tous ces miracles, SIRE, qui ont esté les auant-coureurs
de vostre venuë au monde, nous empeschent
de douter que lors que vous serez veritablement Roy,
nous serons aussi veritablement heureux, & comme nous
n’esperons que malheurs, que miseres, & que gemissemens
quand vn autre fera vostre charge & commandera
en maistre, de mesme nous ne nous promettons que felicitez,
que plaisirs, & que satisfactions quand vous serez
seul assis dans le Thrône, & que la puissance Royale ne
sera point partagée : Non, SIRE, il ne faut point de
Compagnon ; Ce n’est pas estre Roy que d’auoir des Ministres
qui gouuernent vos Estats, leurs charges ne vont
qu’à prendre garde aux affaires ; vous les monstrer, s’ils
sont de consequence, prendre vostre volonté dessus, &
la faire executer : Non pas de commander de haute lutte,
de faire executer des Arrests sous le nom de vostre Majesté
sans vostre consentement, & de faire la Guerre à vos

-- 10 --

despens sans qu’il y aille de vostre querelle ; il ne leur reste
plus que de dire, CAR TEL EST MON BON PLAISIR,
pour estre Roy tout à fait, voyez s’il y a encor bien du
chemin à faire : il ne faut pas souffrir cette familiarité, la
dignité de Roy ne veut point estre partagée.

 

SIRE, vous voyez l’exemple d’vn de vos ancestres,
LOVIS XIII. vostre Pere, d’heureuse memoire, lequel
apres l’assassinat du Mareschal d’Ancre, fut tout ioyeux
d’auoir fait faire ce coup, & declara hautemẽt qu’il estoit
maintenant Roy, sans compagnon, & que personne ne
partageoit plus son authorité, & qu’il possedoit seul ce
que deux ne peuuent auoir. A quoy tient-il que vous
n’en disiez autant, il ne tient pas à vos Sujets, ils sont tous
prests d’executer ce commandement, pareil à celuy de
vostre deffunct Pere, pour faire trébucher ce Superbe, il
ne faut qu’vn coup hardy, & vne genereuse resolution
pour vous faire dire auec verité, Ie suis Roy, sans compagnon,
le Cardinal Mazarin est par terre, & cét indiscret
Ancelade s’est escrasé sous la ruine de ses pensées orgueilleuses.

Louys XIII.

Alors, SIRE, nous verrions vne tranquillité publique
s’espandre par tout vostre Royaume, tous les Princes
feront comme ils firent apres la mort du Mareschal
d’Ancre, tous se vinrent jetter entre les bras de vostre
deffunct Pere, & ceux-cy sont tous prests d’en faire le
semblable, puis qu’ils ne font rien que pour conseruer
vostre Estat, & pour vous retirer de la tyrannie d’vn
Estranger, & de tous ceux qui sont de son party, pour
venir faire vostre sejour dans vostre ville de Paris, qui est
la demeure des Roys, en suite les Peuples se conjouyront
ensemble à faire des feux de joyes & des réjouyssances
inouyes, parce qu’ils ne desirent que la Paix.

Ouy, SIRE, c’est ce Ministre auaritieusement ambitieux

-- 11 --

qui se dit vostre Compagnon : C’est luy qui cache
& qui couure d’vn Chappeau rouge tant de vices, l’auarice,
l’ambition, la perfidie : Ah ! Dieux, i’ay honte de
dire les autres, il suffit que plusieurs Escriuains en ayent
souïllé leurs escrits & leurs pensées : pour moy i’ayme
mieux qu’il profite de ma honte, que son accusation tache
& profane ma plume, non ie ne veux pas faire vn dénombrement
de toutes ses fourberies & ses auarices, l’humilité
& la charité de plusieurs de la Cour qui ont esté
frustrez des recompenses qu’on leur auoit promis, & que
leur valeur & leur bonne conduite dans les occasions
auoient merité, m’en sçauroient mauuais gré. Il s’imagine
que sa teste peut bien porter vn Diadesme, puis qu’elle
soustient vn Chappeau : mais il ne voit pas que s’il a vn
Chappeau de Cardinal sur la teste, il en a des cordons plus
prés du col. Il se figure que sa pourpre plus teinte de sang
de vos Sujets & de honte de tous ces crimes que de la couleur
des autres, peut bien passer pour celle de vostre Majesté,
& qu’il luy est aysé de supporter vne fourrure d’hermines.
Vn Sceptre, à ce qu’il dit, n’est pas plus lourd que
la Crosse de plusieurs Eueschez & Abbayes qu’il a vsurpées.
Ses vertus certainement meritent bien d’estre assises
sur vn Thrône, & l’on a grand tort de déchirer la reputation
d’vn homme qui consacre son bien pour leuer des
trouppes qui s’expose à mille hazards pour secourir vostre
Majesté, & qui a pris tant de peine à mettre la France
dans vn estat où elle n’a plus rien à craindre, parce qu’elle
n’a plus rien à perdre.

 

Voila celuy, SIRE, qui a desolé toutes les Campagnes :
tant de Villages & de Bourgs remplis de bons seruiteurs
pour Vostre Majesté, ne sont plus que les departémens
des hyboux, des chathuans & des choüettes : ce
ne sont plus que des ruines de maisons, veufves, des logis

-- 12 --

sans maistres & à demy bruslez : & ce qui estoit vn lieu
fort frequenté, n’est plus qu’vne solitude & qu’vn desert.
Ce pauure Peuple s’en est fuit, non sans estre couru l’espée
dans les reins, comme vne beste sauuage, & poursuiuy
auec telle insolence, qu’il est contraint de quitter le matin
la demeure qu’il auoit choisy le soir, & comme si les
antres & les rochers eussent conspiré à sa ruine, il n’osoit
se fier vne seconde fois à la mesme retraitte : il craignoit
qu’vn vent par ses souspirs reïterez & amoureux ne témoigna
innocemment à ces persecuteurs qu’il y auoit
dans vne cauerne voisine des sujets de souspirer, il redoutoit
qu’vne fueille tombant de sa scituation naturelle, soit
par quelque mouuement violent, ou par sa vieillesse, ne
découurit à ces bourreaux par son murmure ignorant,
que c’est là la demeure de la misere & des malheurs, parce
que c’estoit l’hostellerie de ces infortunez, & ainsi estans
trahis, parce qui fut exempt du blasme de la trahison, il
ne se vit exposé aux cruautez & à la rage de ces furieux, &
de ces insolens : Et pour lors la faim enuieuse de ce que le
fer & la furie de ces demons en massacroit plus qu’elle,
faisoit comme les Chasseurs, qui vont voler les petits d’vne
Tygresse, & de peur qu’elle ne les suiuent, ils en laissent
vn en chemin, alors cette mere affligée suiuant à la
piste ces larrons, & voyant à sa rencontre vn de sa portée,
elle ce le charge pour lourd qu’il soit, & dans le temps
qu’elle le sauue, elle en perd trois ou quatre, & donne loisir
à ces rauisseurs de ce mettre à couuert de sa rage iustement
allumée : ainsi la faim voulant garantir quelques
pauures malheureux de la cruauté de vos Soldats qui les
poursuiuent, elle en laisse vn tout moribond en chemin
à demy estranglé, alors ces meurtriers se ruent sur ce miserable,
& pendant qu’ils le déchirent & le sacrifient à leur
rage, les autres se sauuent dans les spelonques, & dans les

-- 13 --

antres des bestes sauuages, croyans trouuer plus d’humanité
auprés d’eux, qu’en la compagnie de ces furies d’Enfer :
Mais, helas ! que dis je, ils se sauuent, ie me trompe, &
s’ils prolongent leur vie de deux iours, ce n’est que pour
endurer d’auantage, & la perdre par la faim au milieu des
tourmens insupportables.

 

L’on ne vous dis pas, SIRE, toutes fois & quantes
l’on trouue les Campagnes jonchées de ces corps mourans,
& de ces squelettes, que le Card. Mazarin a descharné,
pour se faire gras, & se rendre potelu. Personne qui le
cognoisse ne me nira que son auarice n’ayt plus ruiné en
vn an de famille, depeuplé de Prouinces, desolé de Campagnes,
& remply les Villes de pauures & degueux, que
les Guerres ciuiles ne peuuent faire en deux lustres, & si
les tombeaux auoient quelque sentiment, ils crieroient
vengeance, & l’on verroit des ossemens tous décharnez,
des squelettes inanimées, & des corps moins rongez de
vers que de son auidité insatiable, courir par les ruës, &
demander iustice contre l’autheur de leur mort ? Ah,
combien verroit t’on de tombeaux vuides si Dieu commandoit
que tous ceux qui sont morts par ses intrigues
pernicieuses, & que son auarice a massacrez & iettez en
terre ressuscitassent : Ses coffres sont des tonneaux des Danaïdes,
où l’Ocean entier n’auroit pû les emplir : Vos Finances
ne sont pas capables d’assouuir cette passion enragée :
Les impots, les entrées, les tailles, & les subsides qu’on
arrache auec les larmes & la vie de vos Peuples, n’en occupent
qu’vne place fort mediocre.

Tonneaux
des Danaides.

Il faut aduoüer, SIRE, que son humeur est tellement
mecanique & auaritieuse, qu’il n’y en eut iamais, qu’elle
ne surpassa de beaucoup, quand ce seroit celle de Daire,
Roy des Perses, qui fit ouurir la tombe de Nitocris, Reine
de Babylone, parce qu’il y auoit cét escriteau : Si

-- 14 --

quelqu’vn a besoin d’argent, qu’il ouure ce tombeau, &
qu’il en prenne tant qu’il voudra, autrement qu’il s’en
donne de garde : mais il fut trompé, n’y trouuant qu’vne
carcasse, & ces mots : Si tu n’estoit insatiable & vilainement
auare, tu n’eusse pas ouuert le cercueil d’vn mort. Si
le Card. Mazarin n’eust esté vn vilain auaritieux, il n’eust
pas ouuert la Cabane de tant de Paysans, ou pour mieux
dire, la tombe, parce qu’ils estoient plus morts, que vifs,
afin d’arracher le morceau de la bouche, pour en tirer
quelque legere somme d’argent. Cette pensée me faict
dresser les cheueux à la teste, & ie crains qu’elle ne vous
fasse tressaillir d’horreur.

 

Daire Roy
des Perses..

Ie ne puis mieux attribuer à personne qu’à luy ce que
disoit autrefois Plutarque, qu’il y auoit des rats & de souris
dans des minieres d’où l’on tiroit l’or, qui ne mangeoient
que de ce métail, & l’on n’en pouuoit rien auoir,
sinon apres leur mort. L’on void que le Card. Mazarin
ressemble à ces animaux, qui ne viuent que de l’or, qu’ils
dérobent la nuict, & en cachette : Toutefois il leur est en
cela dont different, qu’il ne fait point de distinction entre
la nuict & le iour, & qu’il vole aussi-tost à la veuë de tout
le monde, qu’en cachette, & sans estre veu. Pendant sa
vie l’on ne peut rien auoir de luy, & mesme tant de vos
Soldats, à qui il est deub plusieurs monstres, qui n’en peuuent
receuoir aucune, que feront-ils, ils meurent de faim,
ils sont tous nuds, il faut bien se nourrir, il faut bien se couurir ;
allez piller le pauure Peuple, nourrissez vous à ses
despens, mais il en mourra beaucoup, il n’importe, pillez,
i’ayme bien mieux qu’il meure que de débourser de l’argent
Tels sont les idées du Card. Mazarin, ce chef-d’œuure
en liberalité.

Plutarque.

Ie m’imagine que Diogene voyoit dans sa pensée le
Card. Mazarin, lors qu’il disoit, parlant d’vn auaricieux,

-- 15 --

qu’il auroit mieux aymé estre son cheual, que son seruiteur.
Certes il auoit raison, l’on voit ses cheuaux gras, potelez,
& en bon poinct, pendant que ceux qui seruent à
le nourrir par leurs contributions, meurent de faim, & ne
sont que des squelettes viuantes. SIRE, la plus part de
vos Sujets meurent faute de nourriture, & par vn manquement
de toutes choses, pour auoir nourrir, & pour
engraisser vn Estranger, vn auare, & vne personne d’angereuse
à l’Estat.

 

Diogene.

Quoy, le Cardinal Mazarin ne sçait il pas la cause de
l’emprisonnement de Caliphe, Roy de Perse, par Allau,
Roy des Tartares, dans la Tour mesme qu’il auoit rem
plie d’or, de joyaux, & de pierres precieuses, ne sçait il pas
que c’est pour n’auoir pas payé ses Soldats, lesquels se
voyans sans recompense & salaire de leurs trauaux passez,
le quitterent & l’abandonnerent entre les mains de son
ennemy. SIRE, nous pourions reuoir aujourd’huy cét
exemple representée par les troupes du Card. Mazarin,
si vostre authorité & le bonheur de paroistre vous rendre
seruice ne les retenoit, nous les verrions quitter le party
de cét auaricieux, & prendre celuy qui est veritablement
le vostre, parce qu’il est authorisé de la Iustice, & parce
qu’il est pour vous maintenir dans la dignité Royale, d’où
ce mecanique veut vous débusquer & deposseder.

Caliphe
Roy de Perse,
emprisonné
par
Allau Roy
des Tartares.

L’on condamnoit autrefois Caligula Empereur, de
ce qu’il auoit mis dace sur l’vrine ; mais celuy cy, pour
nourrir ses Soldats, met des imposts & des rançons sur la
vie des hommes. C’est vne chose estrange, que ce que
Dieu nous a donné, & sans qui nous ne pouuons pas estre,
qu’il faille que nous soyons contrains de le rachepter plusieurs
fois, & que l’on fasse payer l’entrée de l’air que nous
respirons. L’on sçait fort bien qu’il y a eu de ses gens qui
ont pris des hommes, lesquels n’ayant pas le moyen de

-- 16 --

rachepter leur vie, ils les ont tant chargez de coups, qu’ils
ont esté pris pour morts, tant leur insolence est cruelle &
outrageuse. Ils en ont matyrisé quelques vns, leur faisant
brusler & grisler la plante des pieds, pour arracher quelque
piece d’argent : Cela ce fait, SIRE, dans vostre Royaume,
le plus souuent à deux cens pas de Vostre Majesté :
L’on se massacre les vns les autres pour vne bouchée de
pain, & l’on s’arrache la vie, pour se la conseruer, n’est-ce
pas vn grand desordre : & qui peut voir toutes ces miseres
d’vn œil sec, d’vn visage gay, & d’vn cœur entre coupé
d’aucuns sanglots : les rochers s’ils auoient quelques
sentimens, en témoigneroient de la douleur, & ie crois
qu’il n’y a point de beste pour inhumaine soit elle, qui à
l’aspect de tout se tintamarre, ne se sente émeuë par vn instinct
naturel, & par vn ie ne sçay quoy, qu’on ne sçauroit
exprimer.

 

Caligula.

Il faut aduoüer que c’est vn terrible & dangereux tyran
que l’auarice, que n’a point fait cette passion aueugle,
n’a t’elle pas fait trancher la teste à l’Empereur Maurice,
n’a t’elle pas excité toutes les seditions dans la Suisse du
temps de sainct Louys, n’a t’elle pas fait passer par le fil de
l’espée plusieurs Seigneurs de ce pays là, lesquels estoient
ébloüis de cette enragée. Ah ! que la France seroit heureuse
si l’auarice du Card. Mazarin le pouuoit traiter de
la sorte, il ne s’ourdiroit pas tant de meurtres, l’on ne trameroit
pas tant d’emprisonnemens, les pilleries n’inquieteroient
plus vostre. Peuple, les larcins ne le dépouïlleroient
point de tous ses biens, les saccagemens ne luy feroient
point d’horreur, & les Guerres ne troubleroient
pas la Paix de leurs familles, & la tranquillité de leurs ménages ?
N’est-ce pas elle qui forme les assassinats que l’on
met à prix entre nous, ne fait-t’elle pas corrompre &
rompre la foy, violer toute amitié, & trahir sa patrie ?

-- 17 --

Elle fait naistre les rebellions des Sujets contre leurs Princes,
Gouuerneurs & Magistrats ? Elle les pousse à faire des
seditions où l’authorité Royale se perd, où les Loix s’alterent,
où la Iustice se corrompt, & où les Estats se brisent
& s’enseuelissent sous leurs propres ruines.

 

L’Empereur
Maurice
eut la
teste tranchée.

Seditions
dans la
Suisse, &
la cause.

Iouian Pontan raconte vne jouiale Histoire, il dit
qu’vn Cardinal nommé Angelot, estoit tellement auaritieux,
qu’apres que les pallefreniers auoient donné l’auoine
à ses cheuaux, il descendoit par vn faux degré dans
son escurie, & leur en escroquoit la moitié, pour la reporter
dans ses greniers, dont il auoit les clefs sur luy. SIRE,
c’est vn grossier crayon de celle du Card. Mazarin, lequel
apres auoir distribué quelque petit lambeau de ses richesses
immenses, il le va reprendre par quelque fausse espece
de Iustice, & en gonfle ses coffres : & son auarice passe à
tel poinct, qu’il n’y a point de fourbe qu’il ne pratique,
pourueu qu’elle soit dorée, & pire qu’vn Orassus & qu’vn
Hortensius, il vendra à beaux deniers comptans l’authorité
que vostre Majesté luy a gratuitement accordée,
quoy que ce soit dans des causes injustes, n’importe, l’on
l’achepte, il suffit.

De l’auarice
du Cardinal
Angelot.

Cét illustre Capitaine des Thebains Epaminonde,
nous represente vne exemple digne d’estre suiuie de tous
ceux qui le suiuent & de ses successeurs : il enuoya vn pauure
de sa part à vn homme fort riche, & qui possedoit de
grands biens, & luy manda qu’il eust promptement à donner
six cens escus à ce malheureux. Le Bourgeois de la ville
vint vers luy pour en sçauoir la cause, alors ce genereux
& liberal Capitaine leur dit : Celuy cy est pauure pour
estre trop homme de bien, & celuy là est riche pour auoir
pillé la Republique, & puisé impunément dans ses coffres.
Si l’on demandoit pourquoy le Card. Mazarin est
riche, dira t’on que c’est qu’il est trop homme de bien, ie

-- 18 --

n’en sçay rien ; mais ie sçay fort bien que beaucoup diront,
c’est qu’il a tiré à pleines mains & à bras perdus l’argent
de vos Finances. Ah ! pleust à Dieu pour son bien,
pour le vostre, & pour le nostre, qu’il s’y fust aussi perdu
luy-mesme, la France en jetteroit moins de souspirs, elle
en pousseroit moins de sanglots, & les larmes de tristesse
qu’on voit couler aux yeux de tous les François, seroient
changées en celles d’allegresses ; la Guerre n’exerceroit
pas ses cruautez sur vos Prouinces, la faim & la disette ne
prendroient pas tant de personnes à la gorge, vostre pauure
Peuple ne languiroit pas tant, & toutes les miseres &
les calamitez n’accableroient pas tant de familles, & n’abbateroient
pas vne si grande quantité de ménages : nous
ne verrions pas des troubles s’espandre & couurir vostre
Royaume de nuages obscurs, & qui nous menacent d’vn
foudre qu’ils renferment, & qu’ils sont prés d’auorter :
nous voyons les Loix sans force & sans vigueur, la Religion
n’a pas ses venerations ordinaires, & l’authorité mesme
de vostre Majesté s’y affoiblit beaucoup ? quelle confusion ?
quel tintamarre ? & quel desordre : Si la Loy
des Romains estoit aussi inuiolablement gardée à Paris,
qu’elle estoit estroitement obseruée dans Rome, l’Estat
ne seroit pas dans ces conuulsions : s’il n’estoit pas permis
de faire des despences sans auoir pourueu aux necessitez
des pauures de son quartier, l’on n’entendroit pas tant de
cris, de gemissemens, & de plaintes : tant d’affamez ne
criroient plus apres la faim, laquelle les a condamnez à
perdre la vie, s’ils ne rappelloient deuant la charité des
bons, & la compassion de ceux qui ne sont pas tout à fait
inhumains. La faim ne feroit pas sortir tant de Soldats de
leurs postes, comme des loups rauissans, pour s’aller jetter
sur le tiers & sur le quart, dépouïller l’vn & piller l’autre ;
sortez pauures miserables de la maison du Cardinal, vous

-- 19 --

ny trouuerez pas ce qu’on rencontroit dans le Palais de
Simon Athenien ; les pauures ny seront pas si bien receus,
les liberalitez ny sont point en vogue, & vn malheureux
y trouuera plustost la fin de sa vie, que dequoy ce la maintenir
& conseruer : A qui doit-on auoir recours, si ce n’est
à ceux qui peuuent faire du bien, & sont ceux là aujourd’huy
qui se moquent des miserables, il les font chasser
outrageusement hors de leurs Palais, & commandent aux
Gardes qui sont à leurs portes de donner cent coups d’halbarde
à ceux qui voudroient entrer pour leur demander
quelque charité, & pour leur faire souuenir qu’il y a des
miseres au monde : cela n’est t’il pas rude. Voila de vostre
Royaume, SIRE ; voila les calamitez de vostre Peuple,
ce sont là les malheurs lesquels arrachent des plaintes de la
bouche de vos infortunez Sujets, qui font couler les larmes
des yeux de tous les François, & qui tirent des sanglots
& des souspirs du cœur de tout le monde. Que tous
ceux qui sont à sa pension ne me parlent point auec passion,
& ne me rebattẽt point les oreilles de ses biens, qu’ils
veulent faire pour bien acquis, mais qui sont veritablement
mal vsurpez, personne n’ignore qu’il n’auoit pas
grande chose quand il est venu en France, il n’est pas si
impudent que de le nier, il ayme trop la verité, il l’aduoüera
luy mesme, & nous voyons toutefois qu’il possede
des thresors immenses, que dis je, nous le voyons, ie me
trompe, mais nous le sentons fort bien ? N’a-t’il pas presque
tous les reuenus de vostre Couronne, les Finances s’éuanouïssent
dans ses mains, & n’a t’il pas leué six à sept mil
hommes dans des pays estrangers, ne les a t’il pas amenez
dans la France à ses despens, cela ne se fait pas sans argent ;
d’où viennent donc ses richesses, de vostre pauure Peuple,
SIRE, qu’on a tondu & dépouïllé de tout son bien, ô la
cruauté, ô l’auarice insatiable & pernicieuse.

 

Liberalité
d’Epaminonde.

Loy des
Romains.

Liberalité
de Simon
Athenien.

-- 20 --

Platon auoit raison de dire, que lors qu’il y auoit des
gueux & des pauures dans vne Ville, c’estoient autant de
larrons, de boutefeux, & de sacrileges. Ne sont ce pas eux
qui soustiennent & renforcent les seditions, qui forment
les broüilleries, qui donnent fin aux mauuaises entreprises,
& qui font les assassinats & les meurtres. Mais qui les
a fait gueux, & qui peut estre la cause de tous les maux ;
c’est asseurément vn barbare, vn scyte, vne furie d’enfer,
l’on se trompe ; c’est vne European, quelle inhumanité ;
c’est vn Chrestien, quelle impieté ; c’est vn Cardinal, ô le
sacrilege ; celuy qui deuroit faire fleurir & renaistre la vertu,
c’est luy mesme qui l’abbat & la fanne ; & cét impie
Typhon, insupportable par ses ambitions déreglées, veut
assieger & bloquer l’vniuers de ses crimes & de ces imperfections.

Platon.

Son ambition, SIRE, n’est pas moins grande que
son auarice & sa temerité l’emporte à tel poinct, qu’elle le
pousse à se faire vostre Collegue & vostre Compagnon ;
il faut couper l’herbe sous le pied à cét insolent, & chastier
cette passion pas moins aueugle, que dangereuse, puis
qu’elle esteint aussi facilement les lumieres de la raison,
qu’elle est aisée à se laisser emporter à vn torrent de cruautez
& susceptible de trahisons, nous en voyons vne exemple
dans ce malheureux Felician, qu’Elizabeth Reine de
Hongrie auoit auance, & fait sa fortune, apres auoir esté
quelque temps de pair auec le Roy Charles, il ne peu supporter
sa presence, & sa compagnie luy estoit a charge. Il
fut dans sa chambre, & l’ayant rencontré seul auec la Reine,
il luy voulut descharger vn coup d’espée sur la teste.
Ah ! ce Parricide me fait horreur, mais la Reine le parant
de son bras, il coupa la main qui luy auoit distribué tant
de faueurs. C’est là, SIRE, où peut conduire cette passion
aueugle & enragée, voila de son fruict, voila ce qu’elle

-- 21 --

peut engrendrer ; pas vn de vos Sujets ne doute que l’esprit
du Card. Mazarin ne soit possedé de cette insolente & tyranique
ambition, l’on sçait ce qu’il dit quand il fit emprisonner
Monsieur le Prince de Condé, son ambition
luy fit tenir ce discours : Ie m’éleueray si haut, que ce sera
grand honneur à M. le Prince de me seruir vne autrefois.
Voyez dans quel transport cette passion l’auoit poussé : Il
n’y a point de condition si haute fust elle apres celle de vostre
Maison Royale, qui ne tint à grande gloire d’estre aymé,
ie ne dis pas mesme seruy de M. le Prince de Condé.
En quel lieu pourroit il donc monter, si ce n’est sur vostre
Thrône, pour estre si haut que M. le Prince reçoiue de
l’honneur en le seruant. Cét ambitieux n’a il pas tellement
partagé vostre authorité, que si par hazard vous cõmandiez
quelque chose à ses creatures contre son consentement,
ie doute s’ils vous obeiroient : n’est ce pas vne grande
ambition, que d’entreprendre vne guerre pour sa querelle
particuliere au milieu du Royaume : n’est ce pas vne
grande insolence d’entrer dans vos terres auec main armée,
& auec des Estrangers : ne s’est-il pas vanté cent fois
que sans luy toute la Monarchie Françoise seroit écroulée :
n’a il pas dit hautement qu’il se mettroit dans vn lieu
au dessus de la portée de Messieurs du Parlement, & d’où
il pourroit punir les Parisiens pour luy auoir esté contraire,
& trop fidelles à leur Roy. Que sçauons nous si son
ambitiõ n’en veut point à vostre Personne sacrée, n’ayant
prés de soy que des Estrangers, & des gens incognus. Vn
ancien Pere dit fort judicieusement, qu’il vaut mieux
estre à la compagnie d’vn chien connu, qu’en celle d’vn
homme que nous ne connoissons point. Ne rencontrons
nous pas en luy toutes les conditions de l’ambition, elle
veut tout sçauoir sans ne rien apprendre d’autruy ; luy ne
veut pas sçauoir les affaires du Royaume, sans les vouloir

-- 22 --

apprendre des personnes experimentées : elle veut gouuerner
les hommes, n’estant que sujette. A present le C.
Mazarin ne le desire pas, car il le fait à nostre malheur : elle
veut auoir l’honneur de toutes choses, sans rien executer.
Ne veut il pas qu’on dise que c’est le Card. Mazarin
qui a pris Angers, qui a forcé Tours, Poitiers, Blois &
d’autres, & que c’est la crainte de son nom & sa valeur
qui l’a fait passer au milieu du Royaume auec quelques
troupes : elle veut comme ce Menetho, faire tout, tout
seul, mais vn Grec luy voyant tant faire de charges, prédit
apres auoir employé long temps à les compter, qu’il
auoit trouué autant de moyens pour chercher le repentir.
Ne voyons nous pas que le Card. Mazarin veut tout
faire, qu’il ne prend point d’autre conseil que celuy de sa
teste, il ne veut que son imagination pour inuenter, sa raison
pour le confirmer, & son iugement pour executer
auec conduite, c’est là le Triumuirat qui gouuerne la
France, voila ce qui tourne le gouuernail de ce Royaume,
il faudroit faire vn Semestre dans la Royauté, & vous
commanderez l’vn apres l’autre, encore ne sçay je si l’ambition
du Cardinal Mazarin pourroit souffrir de compagnon.
Hazardez, SIRE, faites-en la proposition, c’est
bien le moins que vous deuiez à tant d’obligations, & de
faueurs que vous luy auez, vous ne le pouuez recompenser
plus dignement, & selon ses merites, satisfaites encore
vne fois à son humeur ambitieuse. Il croit que c’est de
l’essence du Cardinalat d’estre ambitieux, parce que Ximenes
l’estoit sous Ferdinand, & si Leosthene & Demosthene
n’ont point hesité pour allumer & souffler le feu
de diuision sans se mettre en peine, qu’elle issuë pouuoit
auoir leur damnable entreprise, pourueu qu’il fissent voye
à leurs pernicieux desseins, & que leurs dangereuses resolutions
eussent leur effet & leur accomplissement, pourquoy

-- 23 --

voulez-vous que le Cardinal Mazarin qui n’est pas
moins ambitieux que pouuoient estre ces Grecs, chanselle
& balance d’vn iugement humble, cõme doit auoir
vn Chrestien deuot, ces entreprises pas moins redoutables
au Peuple, que dommageables à vostre Majesté.

 

Ambition
de Felician.

Menetho.

Ximenes
Card. ambitieux.

N’est-ce pas cette passion déreglée, qui bouleuerse &
enseuelit dans ses propres ruines les Republiques des Lacedemoniens
& des Atheniens, n’est ce pas elle qui a fait
haster le retour du Roy Agesilaus en Grece, lors qu’il
estoit empesché en Asie à cueillir des lauriers & des palmes
arrosées du sang des Barbares, & qui luy arracha les paroles
de la bouche : Grecs, vos ambitions vous ont plus procuré
de maux, que les Barbares n’ont eu dessein de vous en
faire. L’on en peut dire de mesme, SIRE, de celle du C.
Mazarin, laquelle nous a causé plus de maux, & remply la
France de miseres, que les armées du Païs Bas, que l’Aigle,
que les Leopards, ny que ne fera iamais le Lyon. Pour se
confirmer dans cette verité, il ne faut qu’ouurir les yeux,
faire quatre pas dans la Campagne, où vous ne verrez que
miserables, & que de vos Sujets qui meurent, n’ayant pas
de quoy se nourrir.

L’ambition
renuerse la
Republique
des Lacedemoniens
& des Atheniens.

Les trois parties du Monde ne peurent autrefois suffir
à l’ambition de Cesar & de Pompée, ny apres leur mort à
celle du Triumuirat d’Octauian, d’Anthoine & de Zepide.
Et comment ce Royaume qui n’est à comparaison de
l’Empire Romain qu’vne petite Prouince, pourroit embrasser
celle du Card. Mazarin, qui n’est pas moins grande
que celle de ces illustres esclaues de cette passion, puis
que toute deux ne tendoient qu’à regner.

Ambition
de regner.

Cela touche de prés vostre personne, SIRE, il y va
de son interest, & vostre Couronne en pourroit receuoir
quelque incommodité. Vn ancien Escriuain nous a prédit
que cette Monarchie ne tõberoit iamais qu’elle n’eust

-- 24 --

esté sappée & ébranlée par ce desir déreglé d’honneurs, de
richesses, & de ce qui passe sa portée. O que les Princes,
(dit il) chasseroient loin d’eux toutes les personnes ambitieuses,
s’ils estoient bien instruits du mal dont telles gens
sont capable & sont cause, estant impossible que leurs
conseils ne tendent qu’à leur auancement particulier aux
despens du public, & à la ruine de tout l’Estat. Ne cherchons
point autre part l’origine des guerres ciuilles, c’est-elle
qui engendre les querelles des Potentats, qui fait naistre
les dissentions entre les Princes, & qui donnent pied
aux reuoltes des Sujets contre leurs Gouuerneurs & leurs
Roys ; c’est-elle qui donne deux sens aux paroles du Card.
Mazarin, qui fait de ses sermens vn Ianus à double face, &
qui couure sa foy d’vne serge à deux enuers : Point de seureté
dans ses promesses, nulle franchise dans ses discours,
ses propos sont tousiours équiuoques, ses iuremens sont
menteurs, & il est tellement accoustumé à tromper, qu’il
se trompe quelquefois luy-mesme, se promettant plus
qu’il ne peut posseder.

 

SIRE, c’est vn Hydre bien dangereux que l’ambition,
il faut vn Hercule pour l’abbatre ; c’est vn Lyon redoutable,
mais il ne se trouue pas en tous lieux des Lysimachus
pour le terrasser : c’est vn Geant furieux, mais il faut
vn Dauid, & vn coup de fronde seul est capable de le faire
tomber, & mordre la poussiere. Il est besoin d’vne resolution
Romaine pour massacrer Spurius Melius, & pour
precipiter Marcus Manlius ? Quoy, celle des François, la
Nation la plus genereuse de tout le monde, ne pourra supplanter
l’ambition temeraire d’vn Ministre audacieux.

SIRE, il y vade vostre interest, puis qu’vn préoccupé
de cette passion a pour sa deuise : L’on peut violer tout
droit pour regner. Il n’y a point de Thrône qu’il n’ébranle,
point de Sceptre qu’il ne brise, point de Couronne qu’il

-- 25 --

ne foule aux pieds, & point de Royaume qui soit exempt
de sa tyrannie & de son vsurpation. L’on peut mettre vn
frein à toutes les autres passions, mais à l’ambition, il n’y a
point de bride qui puisse l’arrester, il n’y a point de borne
qui puisse terminer son cours, & lors que vous la croyez
esteinte, elle se rallume & brusle plus que iamais : c’est vn
feu qui s’enseuelit & se cache sous les cendres, mais qui n’y
meurt pas, & il est d’autant plus à craindre, qu’il est couuert,
& qu’on ne le voit point. Il faut que le sujet perisse
pour effacer cette qualité dangereuse, & la mort seule peut
mettre le mot à l’insolence de cette aueugle ? Qu’elles
cruautez n’a-elle point mis en vsage dans vostre Royaume,
n’a-elle pas ruiné vos Prouinces, n’a-elle pas teint du
sang de vos Sujets les Campagnes, n’a elle pas fait de tout
vostre Royaume vn Theatre, où elle represente les Tragedies,
& n’a elle pas pris la teste du Card. Mazarin pour
la Salle où elle exerce & repete les pieces qu’elle doit joüer
à la veuë & au dommage de tous les François.

 

Deuise
d’un Ambitieux.

Le Card. Mazarin a raison de projecter tels desseins ;
c’est vne belle charge que celle de Roy, elle merite bien
d’estre briguée, & ce n’est pas vn petit honneur de commander
dans vn Royaume si florissant, comme peut estre
celuy de France, il vaut bien la peine qu’on pourroit prendre
pour l’acquerir, & nous voyons qu’il n’a pas perdu
son temps depuis qu’il est en France, d’auoir desja obtenu
que rien ne s’agisse dans cét Estat, qu’il ne soit auparauant
authorisé de son nom. Il est à craindre, SIRE, qu’il n’imite
cét excellent peintre Apelles, lequel tirant le tableau
de la belle Compaspé, & à force de considerer ses attraits
& les charmes de ses yeux, en deuint si passionnément
amoureux, qu’il ne peut si bien cacher son amour, qu’Alexandre
ne découurit sa passion par l’esclat de sa flamme,
alors ce genereux Prince la luy donna, quoy qu’il la cherit

-- 26 --

beaucoup. Le Card. Mazarin à force d’auoir tiré le portrait
d’vn Roy, il trouue cette condition si charmante,
il ne se contente pas de ses copies, mais en veut auoir l’original.
Ce ne luy est pas assez de commander en Roy, il faut
n’auoir point de cõpagnon, le Ciel ne peut souffrir qu’vn
Soleil, ny vn Royaume qu’vn Roy, & veut vous faire
passer le Sceptre par deuant le nez, & vous supplanter, en
affoiblissant vos forces, en diminuant vostre authorité,
& en vsurpant tous les droicts & les priuileges d’vn Roy.
N’est-ce pas vous faire tort, que de vous donner vn Ministre
qui gouuerne de son plein pouuoir vos Estats, il semble
que vous soyez indigne de commander, & que vous
soyez dans l’incapacité, où peut croupir vne minorité
puerile & defectueuse, l’on sçait que dés vostre bas aage
vous estiez intelligent sans peine, iudicieux sans hesiter,
secret sans contrainte, discret sans ceremonie, que vostre
parole estoit nette & ferme, vostre silence parlant & animé,
que vous n’auiez point d’autre passion que pour la
gloire, ny de courage que pour la vertu, & pour maintenir
vos Estats ? Quoy toutes ces belles qualitez Royales
cederont-elles aux imperfections & déreglemens d’vn
particulier ambitieux ? quoy les vertus Françoises se sousmetteront
aux vices estrangers, & l’on verroit vostre Majesté
faire la Cour a vn de ses Sujets ; qui pourroit voir
l’ambition & les fourberies du Card. Mazarin appuyées
& soustenües de l’humilité & de la fidelité de vos bons
François, qui pourroit souffrir commander vn seruiteur,
obeïr vn Maistre, & voir sur vn Thrône celuy qui deuroit
estre sur vn eschaffaut.

 

Apelles.

Belles qualitez.

C’est le mesme, SIRE, de commander dans vn
Royaume à plein pouuoir, & d’en auoir la Couronne sur
la reste, & nous voyons qu’Edoüard Roy d’Angleterre ne
croyoit pas auoir remporté vne victoire, à moins qu’il ne

-- 27 --

fust en personne au combat, bien moins d’estre Roy, s’il
ne gouuernoit luy mesme son Royaume ; Ne permettez
pas qu’vn autre l’occupe, empiete sur vostre authorité,
regne pour vous, & diminuë vostre pouuoir en le partageant :
Encore si c’estoit quelque grand homme, dont la
valeur fut à redouter, dont la conduite fut à craindre, &
dont les belles qualitez fussent aymables : Mais au contraire,
ce n’est qu’vn auaritieux, vous le sçauez, son esprit
n’est gonflé que du vent d’ambition, & ses fourberies ont
plus abbatu de maisons de familles, & d’illustres personnes,
que ses promesses n’en auoient éleuez. Combien de
fois auoit il promis à V. Majesté d’arborer les oliuiers de la
Paix dans la France, ne s’estoit il pas venté d’y faire triompher
le bon ordre & la tranquillité, ne voyons nous pas le
contraire, au lieu de tous les plaisirs, & les delices qui deuoient
accompagner son ministere, nous n’entendons
que pleurs, que gemissemens, & au lieu d’apporter la corne
d’abondance, il n’a que celle d’vn paon & d’vn satyre,
& lors qu’elle deuroit seruir pour nostre entretien, elle ne
sert qu’à nous d’estruire, & à nous persecuter.

 

Fourberice.

De qu’elles fourbes ne s’est il pas seruy enuers Monsieur
le Prince de Condé, apres luy auoir promis de faire
reconnoistre à vostre Majesté les bons seruices qu’il luy
auoit rendus aux guerres, & au siege de Paris, il luy a fait
mettre la main sur le colet, comme l’on feroit à vn scelerat,
ou à quelque criminel de leze Majesté. Il ne s’est pas
contenté de le prendre, & de luy faire cette affront, il la
fait conduire au Bois de Vincennes, & ainsi abusant de
vostre authorité Royale, il a osté le bras droit à la France,
il a priué vostre Thrône de son appuy, & il a perdu le
plus illustre fleuron de vostre Couronne afin de l’vsurper
auec moins d’éclat : Il faut passer outre, & son esprit pas
moins préoccupé d’ingratitude de s’asseurer d’vne personne

-- 28 --

laquelle auoit aueuglement pris son party, malgré les
peines & les trauaux de la guerre, & qui auoit cent fois
exposé sa vie pour conseruer la sienne, qu’enrichy de fourberies
ayant faussé sa foy, & trahy la parole qu’il auoit
donnée à Monsieur le Prince de l’asseurance de ses seruices,
& du pouuoir que vostre Majesté luy accorde ; son
esprit, dis je, esbouyt de toutes ses passions aueugles & dereglées
l’atraité en faquin, luy faisant saisir l’espée qu’il
auoit tirée tant de fois à sa consideration, il l’a fait enleuer
par des gens qui en ont fait leur risée par le chemin, & qui
ont agy comme auec vn particulier de mediocre condition,
& d’vne famille obscure & sans nom : Il n’a pas
voulu permettre qu’il fut seruy par ses officiers, croyant
pendant le temps les corrompres par l’esperance de quelques
promesses, par l’esclat de quelques dignitez, & par
le faux iour de l’or & de l’argent ! ô l’ingratitude inouye ?
mais que dis je ingratitude, ie me trompe, c’est vne marque
de la reconnoissance du Card. Mazarin, & puis que
Monsieur le Prince auoit asseuré sa vie, c’est bien le moins
qu’il s’asseure de la sienne. Courage Cardinal, continuez
vos fourberies, poussez vostre bidet, allez tousiours sur
le mesme pied, acheuez vos perfidies, vous les auez si bien
commencées, vous n’estes pas de meilleure condition que
le Cardinal d’Amiens, qui trompa bien Charles V. sur la
fin de son regne, ny que l’Euesque de Laon, dont les perfidies
l’ont contraint sous le mesme regne d’auoir recours
aux ennemis de l’Estat, & de confier son crime à vne fuitte
& à vne retraite encore plus criminelle.

 

Chanson.

Fourbes.

SIRE, si le Cardinal Mazarin est vn peu fourbe, ce
n’est pas grand chose, puis qu’il fait ce que disoit autrefois
Lysander Admiral des Lacedemoniẽs, qu’il falloit tromper
les enfans auec des osselets, & les hommes par des sermens.
Combien de fois n’auroit il pas promis que dans

-- 29 --

peu de temps il apporteroit la Paix generale, ce seroit plustost
la guerre generale ; qu’il ne puiseroit plus tant d’argent
dans vos Finances, il est en danger de n’en puiser
plus gueres, parce qu’il n’y en a presque plus ; & qu’il ne
pilleroit point vostre pauure Peuple, lequel est maintenant
contraint de gueuser, & de brouter l’herbe desprez
comme les bestes, ou de mourir de faim.

 

Iysander
fourbe.

Ie crois que Penetus Lacedemonien auoit vn esprit
Prophetique, lors qu’il disoit, que les fourbes troubleroient
beaucoup de Prouinces, & seroient cause de plusieurs
meurtres & massacres. Il faut aduoüer, SIRE, que
c’est vn des vents qui forment la tempeste dont vostre
Thrône est esbranlé ; c’est vn esclair qui traisne apres soy
la foudre & les carreaux, lesquels ne tombent d’ordinaire
que sur les lieux les plus éminens & les plus éleuez ; ses
coups sont d’autant plus à craindre, qu’ils sont traistres, &
qu’ils frappent lors que l’on y songe le moins.

Penetus.

Il me souuient d’auoir veu l’effigie du Card. Mazarin
dans vn certain Moine nommé Sandabarenus, lequel
apres auoir gaigné l’oreille de l’Empereur Basile, & se
voyant paisible possesseur des bonnes graces de son maistre,
jetta son esprit enflé de vanité & bouffy d’orgueil,
dans la deffiance de la fidelité des principaux Officiers, &
les fit bannir ou emprisonner ; ayant commencé par la
ruine des seruiteurs, il voulut finir par celle de Leon fils de
Basile, il persuade à son pere de l’emprisonner sous couleur
qu’il vouloit attenter à sa personne, & qu’il auoit dessein
de luy oster sa Couronne par vn parricide, alors le
pere pas moins credule, que jaloux de son authorité, commande
qu’on l’encoffre entre quatre muraille. Que faire,
si quelqu’vn de ses amis parle au Roy en sa faueur, il est
disgracié ou banny, & son nom mesme n’oseroit estre
prononcé dans la Cour sans encourir l’indignation de Basile,

-- 30 --

& son innocence sera elle inconnuë à son pere, Dieu
la connoist, il suffit, & le Protecteur de l’innocence destruira
par de foibles moyens les desseins que les malicieux
croient auoir bien affermis, ne fit il pas changer de ramage
à vn oyseau que l’Empereur nourrissoit dans son cabinet,
& luy fit former ces paroles bien distinctement.
Ah ! pauure Leon, & les dit si souuent qu’il fit reconnoistre
à Bazile l’innocence de son fils, qu’il declara son successeur,
& les fourberies du Moine, qu’il fit chastier fort
rigoureusement.

 

Sandabarenus
fourbe.

SIRE, vos principaux Officiers n’ont-ils pas esté
emprisonnez, Monsieur le Prince de Condé, M. de Conty,
M. de Longueville, M. de Beaufort, M. le Mareschal
de la Motthe, & M. le President Barillon. Il ne s’est pas
contẽté de ces illustres Personnes, il en veut au successeur
de Louys XIII. lequel il tient comme prisonnier, & par
ses pernicieux conseils il le veut chasser de son Thrône,
l’ayant, pour ainsi dire, des-ja bannit de la plus part de ses
Villes ; permettez à ma plume de prendre la place de cét
oyseau, & qu’elle forme les paroles, quoy qu’elle n’ayt
pas esté nourrie dans vostre cabinet, où elle pourroit auoir
esté témoin des dangereux aduis que le Card. Mazarin a
voulu donner, permettez qu’elle dise, Ah ! pauure Louys,
elle le peut dire en effet, & vos Finances sont reduites en
vn tel poinct, que l’on peut vous appeller pauure, mais ie
me trompe, vous estes riche, puis que vous auez le Card.
Mazarin ; seulement ie crains qu’il ne vous possede plus
que vous ne le possedez.

SIRE, l’on ignore souuent, ou du moins l’on ne
veut pas songer où peut aller l’esprit d’vn Ministre auare,
ambitieux, & fourbe, elle ne s’imagine pas que sa perfidie
puisse égaler celle de Iean Gouuerneur de Croace, qui fit
emprisonner la Reine de Hongrie, se seroit vne grande

-- 31 --

ingratitude apres auoir receu tant de faueurs de la Reine
de racourcir sa liberté : mais Bardas n’a-il pas fait chasser
de la Cour Theodora mere de l’Empereur ; Michel fils
de Theophile, ne l’a-il pas dépouïllé de tous ses biens, &
ne l’a il pas fait mettre en prison auec ses filles, il en peut
arriuer autant à la Reine, & si le Card. Mazarin a esté ingrat
enuers beaucoup d’autres, il ne le sera pas moins enuers
elle. Certainement ie m’imagine que si le Card. Mazarin
se regardoit dans vn miroir, qu’il y verroit la vraye
figure d’vn Alexis Sabastocrator, l’vn des plus cruels &
des plus fourbes qui ayent iamais abusé du nom & de
l’authorité d’vn grand & bon Prince, lequel poursuiuit
auec tant de rage & de furie la pauure Marie, sœur d’A
lexis Comnenus, qu’il la contraignit pour mettre à couuert
sa vie, de se retirer dans le Temple de Sainte Sophie,
& d’en embrasser l’Autel ; ce n’est l’insolence que d’vn
ambitieux & d’vn fourbe, & nous voyons que ce moderne
Sabastocrator abuse de vostre authorité, & que sa
faueur le rendra si importun, & enflera tellement son
esprit d’orgueil & d’ambition, qu’il n’y aura ny Temple,
ny Autel, ny les lieux les plus Saints & Sacrez qui puisse
garantir vos personnes de sa tyrannie, il ne faut pas attendre
que cela soit, mais il faut arrester ce vaisseau au milieu
de son cours, dont les voiles sont des entreprises gonflées,
par les desirs déreglez & ambitieux ; vne seule parole de
vostre Majesté sera le petit remora qui bornera cette
course, & qui seruira de colomnes d’Hercules à ses pensées
orgueilleuses.

 

Alexis
Sabastocrator
fourbe
ambitieux,
&c.

Nous esperons que le Card. Mazarin receura le mesme
salaire qu’eut Belisaire, apres auoir mis la plus glorieuse
Nation dans les chesnes, la fortune luy éleua les yeux,
& le contraignit d’aller de porte en porte demander à tous
ce qu’il auoit refusé à plusieurs. Combien d’hommes de

-- 32 --

cette illustre Nation Françoise ont esté mis par son auarice,
son ambition, & ses fourberies dans le tombeau ;
combien dans les prisons, & combien plus dans les hospitaux :
Encore si ce tyran auoit autant d’humanité que
Neron, qu’il regarda au trauers d’vne émeraude les incendies,
& les embrasemens qu’il a soufflez, & dont la
France est presque consumée, par ces menées pernicieuses ;
mais d’vn œil direct & sans chercher aucune voye
oblique, il les considere, & dans cette contemplation admirant
ses œuures plus que Narcisse sa beauté & ses charmes,
il en perd vne partie de raison, il se noye dans vne
abysme d’idées, & se flatte l’esprit d’vne complaisance
fort ridicule. Ne sçait-on pas qu’il est d’vn grand courage,
de ne s’émouuoir pas pour si peu de chose, & de ne se
repentir point de ses actions passées, il faut n’en auoir
point fait qu’on ne veille recommencer : & si le Cardinal
Mazarin, dont la valeur est assez connuë, ne se repend
point d’auoir allumé la guerre dans vostre Royaume, c’est
qu’il y mettroit le desordre s’il n’y estoit : mais ce n’est
rien que cela, il entreprend desteindre le feu par le sang de
vos Sujets, laissez le faire, il en viendra à bout, il suffit
qu’il s’en mesle, c’est l’Ange qui tua toute l’armée de Sennacherib,
c’est le Sansom qui doit auec sa machoire d’asne,
défaire toutes les troupes qui s’opposent à ses desseins
ambitieux.

 

Belisaire
puny.

Neron en
quelque
sorte humain.

Il me souuient d’auoir leu dans vn Escriuain digne de
foy, qu’vn nommé Eumanes estant assiegé dans la ville
de Nora par Antigonus, qui le pressoit de sortir pour luy
parler, il luy fit sçauoir que c’estoit à luy de quitter sa ville,
& de venir deuers luy, attendu qu’il estoit le plus fort.
Alors Eumanes luy fit cette responce, Ie n’estimeray iamais
personne plus grand & plus fort que moy tant que
i’auray mon espée à ma puissance. SIRE, c’est maintenant

-- 33 --

que vous en pouuez dire autant, non pour toutes les
belles qualitez que vous possedez fort auantageusement,
ny pour la dignité Royale que vous honorez, ny pour le
Thrône que vous occupez ; mais à cause que vous auez
(du moins l’on le dit) en vostre puissance le Card. Mazarin.
Cét homme qui a pris d’assaut la ville d’Angers,
qui est entré tout glorieux la teste ceinte de lauriers dans
Tours, Amboise, Saumur & Blois, & qui a pensé conduire
son triomphe iusques dans Orleans, mais il y a trouué
de trop basses conditions pour son Eminence. Ie
m’estonne comme il n’imite pas le grand Cyrus, lequel
amusa son armée plusieurs iours pour se vanger de la
riuiere de Gnydus, pour la peur qu’il auoit eu en la
passant. Il deuroit tirer vengeance des portes d’Orleans,
pour luy auoir fait vn affront, ou du moins comme Xerxes,
qui fouëtta la Mer, & enuoya vn cartel de deffit au
Mont Athos, ou comme Auguste Cesar, lequel ayant
esté battu d’vne tempeste, faisoit vn appel à Neptune, &
deffendit qu’on ne le pria de dix ans. Le Cardinal Mazarin
en deuroit enuoyer vn au Pont d’Orleans & à la riuiere
de Loire, mais il veut se reseruer pour aller à la teste
de ses gens, faire passer au fil de l’espée toutes les troupes
de Monsieur le Duc d’Orleans, & de Monsieur le Prince
de Condé, lesquels s’ils la dégaine & la tire, ce n’est que
pour maintenir la Couronne sur vostre teste, affermir vostre
Thrône, & mettre vostre Royaume à couuert des
tyrannies d’vn Ministre ambitieux. En vain l’on vous
veut mettre dans l’esprit que les ennemis du Cardinal
Mazarin sont les vostres, & qu’ils vous en veulent. Non,
non, SIRE, & s’ils auoient voulu entreprendre sur vostre
Couronne, ils n’auroient pas attendu vostre Majorité,
ils sçauent trop bien leur deuoir, & l’obligation qu’ils
ont de viure & mourir pour vostre seruice ; vous voyez

-- 34 --

qu’on ne vous refuse point les portes d’aucune ville, tout
vous est ouuert, l’on ne dénie l’entrée qu’au Cardinal
Mazarin, ce perturbatur du repos public, & s’il n’estoit à
couuert de vostre pourpre, ou s’il n’embrassoit incessamment
l’Autel du Temple que les Grecs dediérent & consacrérent
à la peur dans la ville de Sparte, il ne seroit pas
si long-temps la cause des troubles qui menacent vos Sujets,
des incommoditez qui flestrissent le Printemps de
vostre aage, & de sa retraite, ou pour ainsi dire, de son
bannissement. L’on ne verroit pas aujourd’huy le cadet
prendre à la gorge l’aisné, le fils porter les armes contre
son pere, ny tant de massacres & de tintamarre. Pour
moy ie crois que l’Eclypse qui nous a paru viens moins
de l’interposition de la Lune entre le Soleil & la Terre,
que des vapeurs du sang encore fumant de vos Sujets,
lesquels aux derniers abois, & rendans leurs ames,
demandent instamment à Dieu, de ne trouuer point de
Mazarin dans le païs où ils vont, & leurs enfans n’ayant
autre succession que la volonté de leurs peres, leurs biens
ayant esté pillez ou bruslez, ils ne font que marmoter en
begayant, point de Mazarin, & la plus grande injure que
l’on puisse faire à vne personne, c’est de l’appeller de ce
nom, croyant par ce mot, signifier qu’il est vn fourbe, vn
ambitieux, vn auare, vn boutefeu, enfin le cloaque de
tous les crimes & les vices ; pour moy ie m’en rapporte, &
puis que l’on dit que la voix du Peuple est celle de Dieu,
ie laisse à iuger quel sentiment l’on en doit auoir.

 

Generosité
d’Eumanes

Generosité
ridicule

Temple de
la Peur.

N’est ce point aussi, SIRE, qu’il se veut rendre recommandable,
& qu’il veut que l’on se souuienne de luy
dans les siecles à venir, comme cét ancien, qui mit le feu
au Temple de Diane, afin que par cette ruine il eternisa
son nom, & que lors qu’on demanderoit qui fust celuy
qui brusla ce magnifique bastiment, l’on peu dire, c’est

-- 35 --

vn tel. Le Cardinal Mazarin en veut tirer vne copie de la
France, il a pour cét effet allumé par toutes les Prouinces
le feu de la guerre, il a formé des reuoltes, & la veut ruiner
entierement, afin que lors qu’on demandera, qui est celuy
qui a destruit cette florissante Monarchie, l’on puisse
dire, c’est le Card. Mazarin. O la grande proüesse, ô l’entreprise
digne d’estre admirée dans les illustres futurs, qu’il
faut vn grand courage pour enfanter tels exploicts. Certes
il ne se peut qu’vne personne si genereuse n’ayt pris sa
naissance sous le Lyon, vn peu au dessus de la Vierge. Il
faut asseurément que son entrée au monde ayt esté préuenuë
de quantité de signes extraordinaires & merueilleux ?
Quoy se mettre à la teste de ses troupes, ou du moins l’on
dit qu’il a dessein de s’y mettre, pour aller affronter les perils
& les dangers auprés d’Angers, courir par toutes les
Campagnes, & ne faire pas vn pas qu’il ne le conduise à
la gloire, ne sont ce point là les desseins d’vn homme qui
passe le vulgaire. Il veut auancer teste baissée sur les ennemis,
& si par hazard il recule & s’enfuit, il fait comme
Antigone II. Roy de Macedoine, lequel se retirant de deuant
ses ennemis, & quelqu’vn luy disant, qu’il s’enfuyoit ;
luy respondit, tu te trompe, c’est que ie cours apres l’vtilité
qui va derriere moy. De mesme, quand le C. Mazarin
donne des deux, c’est qu’il poursuit son vtilité, & celuy qui
diroit qu’il s’enfuit, seroit luy faire vne sanglante injure. Il
se promet que deuant peu de temps il reduira M. le Prince
de Condé à toute sorte de condition qu’on luy voudra
proposer, s’il le faisoit, ce seroit la premiere promesse qu’il
auroit executée. Il ne le fera pas, crainte de perdre le renom
d’vn fourbe perpetuel.

 

Ridicule
ambition.

L’on lit dans Cantacuzenus, qu’vn nommé Apo
caucus, homme de mauuais naturel, lequel auoit tellement
empaumé l’esprit de l’Empereur Iean, qu’il le plassoit,

-- 36 --

où il vouloit : il obtint de luy toutes les principales
charges de l’Empire, il pilla tous les thresors publics, &
les cacha dans deux Chasteaux, l’vn desquels s’appelloit
Epidas, & l’autre Mangas : pour se rendre les grands fauorables,
il leur promettoit sa fille en mariage, seule heritiere,
& ne la donnoit à personne, eux indignez de se
voir ainsi ballotez, commencerent à s’opposer à ses tyrannies,
& luy à disposer l’esprit de l’Empereur à les emprisonner
en si grand nombre, que le Palais appellé le grand
Iustinian, ne fust plus qu’vne prison : mais desirant les faire
mourir, il enuoya Glycas homme lay, habillé en Moine
pour les Confesser, & descouurir s’ils n’auoient rien
entrepris contre luy, alors ne trouuant rien qui ne fust
fort innocent, il y fust luy mesme pour les menasser, &
ayant laissé à la porte ses gardes, aussi fortes que celle de
l’Empereur, y entra sans nulle apprehension, mais il fust
assailly par ceux qu’il auoit rendu miserables, lesquels le
sacrifierent à leur vengeance, & à la Iustice de Dieu.

SIRE, le Cardinal Mazarin n’a t’il pas faict mettre
en prison Messieurs de Condé, de Conty, & de Longueuille,
ne leurs a t’on pas donné d’autres Confesseurs, ie ne
dis pas que ce soient des Glycas, mais enfin ie ne sçay pas
l’intention du Cardinal, toutesfois leur innocence esclatant
plus qu’vn Soleil, les a tirez de l’ombrage d’vne prison
obscure, & si le Cardinal Mazarin vouloit faire de
mesme qu’Apocaucus, les aller menasser dans leurs bannissemens
& dans leurs prisons : ie crois que la France en
seroit plus heureuse. Ouy, SIRE, ie peux dire prison,
puisque Messieurs les Princes de Condé & de Conty estiment
tous les Palais si beaux & si magnifiques fussent-ils,
pour des cachots tenebreux, quand ils sont esloignez
de Vostre Majesté, & quand ils sont priuez de la lumiere
qu rejalit de cét astre qui domine sur la France. Ce leur

-- 37 --

est vne victime propre pour estre sacrifié à la Iustice diuine
& à leur vengeance, il faut qu’elle soit vierge, il l’est,
où du moins ie le veux croire : il faut qu’elle soit innocente,
c’est vn Chrestien, il suffit : il faut qu’elle soit saincte,
c’est vn Cardinal, qui le seroit, s’il ne l’estoit pas. Ceseroit
vn sacrifice pas moins agreable à Dieu que celuy de
Iacob, lequel luy immoloit les bestes les plus grasses de
ses troupeaux, certes le Cardinal n’est pas en chartre, &
cette victime consacrée de bon cœur à Dieu pourroit attirer
des faueurs du Ciel, non communes, & mettre la
France dans vn repos paisible, & l’esloigner de tous les
troubles, pour la faire iouyr de la tranquillité qu’elle goustoit
dans son berceau, l’on ne verroit pour lors que triomphes
sans combat donné, sans sang François respandu,
& la victoire seroit commune des deux partis, la tristesse
des veufves, les pleurs des peres & meres sans enfans,
& les cris des orphelins ne troubleroient point nostre
ioye, nos plaisirs, & nos diuertissemens.

 

La Reine ne craindroit point le desastre de Catherine
de Medicis, d’Anne de Bretagne, de Louise de Sauoye,
d’Elizabeth de Bauiere, de Iudith de la seconde
race, d’Isabeau de France femme d’Edoüard II. Roy
d’Angleterre, & d’Vrraque Reine de Castille, elle ne
craindroit point l’ingratitude du Cardinal Mazarin, qui
la pourroit traitter comme fit le Cardinal de Richelieu,
la feu Reine mere, d’heureuse memoire, elle ne la pas encore
esprouué, ie l’aduouë : mais il n’est pas encore bien
estably dans l’esprit de Vostre Majesté, dans ses affaires,
ny dans la pensée des Seigneurs, ny du Peuple : tant qu’il
ne sera appuyé que de la Reine, & de quelques Partisans,
il ne luy découurira iamais son esprit malin, fourbe, &
méconnoissant, & ie trouue veritable ce que disoit autresfois
vn ancien escriuain, qu’vn vassal oublie incontinent,

-- 38 --

pour le moindre refus où mauuais visage, ce qu’il à
receu de son Seigneur, ne seroit ce pas vne contrainte insuportable,
qu’il fallut que la Reine contenta de poinct
en poinct l’ambition du Cardinal, sans luy rien refuser.
Que c’est vn grand contentement que d’obliger vne personne
qui n’est pas ingrat, & que ces gens la auoient bonne
raison d’espandre des faueurs à pleine main sur Pirrhe,
parce qu’il s’en souuenoit, & recognoissoit les bien faits
qu’il auoit receus, n’en demandez pas de mesme au Cardinal
Mazarin, & ce n’est plus la mode de se ressouuenir
des seruices d’autruy, c’est galanterie d’oublier toutes les
obligations qu’on peut auoir à vne personne, ie ne m’estonne
pas aussi de la responce du Cardinal, quand vne
personne de condition, dont ie veux taire le nom, pour
espargner l’honneur dudit Cardinal, luy demandoit vn
iour recompense & salaire des peines & des trauaux qu’il
auoit souffert pour son seruice, où du moins de luy rembourser
l’argent qu’il auoit despensé à son occasion : il
luy fust respondu, que ce luy estoit grande gloire d’auoir
seruy son Eminence, & que cét hõneur remplassoit auec
vsure ce qu’il pourroit auoir déboursé pour sa conseruation !
ô la recompense digne d’vn grand Seigneur.

 

Reines miserables.

Recognoissance
de
Pirrhe.

Perille autrefois demandoit quelque argent au grand
Alexandre, pour marier ses filles, lequel luy fit donner à
l’heure mesme cinquante talens, & Perille luy disant que
c’estoit trop de la moytié : il luy respondit, si c’est trop à
prendre pour toy, ce n’est pas assez à donner pour moy :
aussi ie m’imagine que ceux que le Cardinal Mazarin recompense
de la sorte, quand ils le remercient d’vn tel salaire,
& quand ils luy disent que leurs seruices ont beaucoup
moins de merites, que ces imaginaires dons ont de
valeur & de prix, & qu’il n’en falloit pas tant, il leur fit
cette response, si c’est trop à prendre pour vous, ce n’est

-- 39 --

pas assez à donner pour moy, c’est ainsi qu’il faut estre recognoissant,
c’est faire des liberalitez en Eminence, &
c’est ainsi qu’il faut recompenser les seruices passez, pour
se gagner l’affection de tous les peuples, lesquels le cherissent
si fort qu’ils meurent de faim pour le nourrir.

 

Liberalité
d’Alexandre.

Qu’il soit ingrat, qu’il soit auaricieux, & qu’il soit
boufi d’orgueil & d’ambition, ce sont des vices qui n’ont
pour objet que la ruyne des hommes, des Prouinces, &
des Estats, & la perte entiere du temporel, si cela est bien
rude, il est passager, & n’est pas de plus longue durée que
nostre vie, & que nos souspirs : mais ce qui faict seigner
le cœur à tous vos fidels sujets, & ce qui redouble les sanglots
dans la poitrine de tous les bons François, c’est de
voir que le Cardinal Mazarin se serue des mysteres de la
Religion pour soustenir son ministere, pour espauler ses
desseins, & pour faire chemin à ses entreprises pernicieuses :
il vous faict souffler & marmoter aux oreilles par des
Moines, & par des Glycas, qu’il y a vn enfer fort redoutable,
& apres vous auoir faict vn ample & cauteleuse
description des peines qu’on prepare pour les Bourgeois
de ce pays, il vous fait dans la fin & dans l’epilogue de ce
traistre narré, tomber les moyens pour en euiter l’entrée
de cette contrée vn peu plus fascheuse aux damnez, que
celle de Paris & de la Gréve ne l’est au Cardinal, suiuez
ses preceptes vous serez sauué. Il vous faut obeyr à la Reine
vostre Mere, il n’est pas besoin de garder sa foy, & ce
n’est pas estre Roy que d’estre esclaue de sa parole, que si
Dieu vous mets dans les mains les puissances, c’est pour
vous en seruir, qu’il faut annuller & casser tous les Arrests
du Parlement, comme venant de personnes suspectes,
seditieuses, & sans conscience : qu’il faut punir ceux
qui ont mis sa teste à prix, comme celle d’vn perturbateur
du repos public, & qu’il faut se défaire de toutes les

-- 40 --

personnes zelées pour le bien de l’Estat, soubs pretexte
d’estre des perfides, des rebelles, & des criminels de leze
Majesté, en premier chef.

 

I’aduouë, SIRE, que les peines de l’enfer sont à
craindre, & ie ne serois pas Chrestien si ie le niois : mais
ce ne sont pas la les moyens pour les éuiter, & ce qui touche
le salut & l’vtilité du Cardinal Mazarin, ne doit pas
toucher celuy de vostre ame. Ie sçais qu’il faut obeyr à sa
mere, mais comme S. Radegonde obeyssoit à la sienne :
ce ne sont que des fourberies de mesler ainsi le temporel
auec le spirituel, & s’il ny alloit de l’interest du Cardinal,
l’on ne vous rebatteroit pas tant les oreilles de ces mysteres
serieux, l’on ne vous diroit pas si souuent qu’il ne faut
pas laisser impuny le sacrilege qu’ont commis Messieurs
du Parlement, proscriuant la teste d’vn Prince de l’Eglise :
que Monsieur le Duc d’Orleans veut vous oster la
Couronne de dessus la teste, le tout pour vous faire faire
querelle, contre ceux que le Cardinal n’ayme pas, & qui
s’opposent à ses incursions tyranniques. SIRE, l’on
sçait trop les intentions de Monseigneur vostre Oncle,
ils ne furent iamais ambitieuses, sinon parce qu’elles veulent
destruire vn ambitieux, son intention n’est que pour
vous restablir dans vos Estats, & pour vous faire regner
sans compagnon, ie ne sçais qu’elle crainte de Dieu &
quel respect enuers la Reine, a retenu son iuste courroux
qu’il n’ait abbatu ce superbe, despoüillé ce gueux reparé,
& destruit ce seditieux : ie ne doute point que ce ne soit
la mesme consideration qui l’arresta, que celle qui destourna
le dessein d’Alexandre, frere d’Henry III. & du
Duc d’Alençon, pour sacrifier à leur vertueuse colere du
Guast, homme de basse extraction & de grande malice.
Ouy, SIRE, crainte de vous desplaire, il n’a rien voulu
entreprendre sur le Cardinal Mazarin, pendant vostre

-- 41 --

minorité, s’imaginant que lors que vous tiendriez les resnes
de vostre Royaume, vous ne souffririez pas ce Compagnon,
qui partage vostre authorité ; mais voyant qu’au
trauers des blandices & des mignardises, dont vous amuse
la Reine, elle y coule & fait glisser de certains discours
fort aduantageux pour le Card. Mazarin, & pernicieux
pour vostre Estat, il s’est monstré destructeur de telles resolutions,
& s’est porté en apparence contre vous, ou du
moins l’on le dit, pour soustenir vostre party, pour rafermir
vostre Thrône, & pour le salut & le bien de vostre
pauure Peuple, lequel vous supplie à mains jointes, d’auoir
compassion de luy, de deffendre qu’on ne le pille,
d’empescher qu’on ne brusle ses maisons, & qu’on ne
dissipe ses biens, il est maintenant si miserable, tellement
affoibly des peines, des veilles, & de la faim, qu’il ne peut
seulement demander la Paix, sans que ces mots ne soient
estouffez de souspirs, entrecoupez de sanglots, & noyez
de larmes.

 

Quoy, SIRE, pourriez vous voir sans pitié vne
troupe de vos Sujets brouter l’herbe dans les prez, comme
des bœufs, mourir dans le coin d’vn buisson, & n’auoir
que des bestes sauuages pour les consoler, & pour receuoir
leurs derniers souspirs. Pourriez vous voir sans
estre touché de compassion des familles entieres agoniser
dans vn bois, couchées sur des fueilles pourries, au serain,
à la pluye, à la gresle, enfin exposées aux injures du temps
les plus cruelles, le plus souuent tous nuds, quasi tousiours
sans nourriture, excepté de celle que la nature à rendu
commune aux animaux & aux bestes.

Pourriez vous, SIRE, entendre les cris enfantins
de ces petits malheureux, qui font en vn mesme iour d’vn
repaire de loups où de renards leur berceau & leur tombeau,
& qui ne sortent du ventre de leur mere particuliere,

-- 42 --

que pour entrer dans les entrailles de celle qui nous est
commune : voyla vn grossier crayon des miseres qui ruynent
vostre Royaume, l’on ne vous descouurira pas si
tost les peines & calamitez de vostre peuple, que l’on
vous dit, qu’il faut aduancer le Cardinal Mazarin, que
c’est vn grand homme, qu’il faut punir ses ennemis : il ne
faut plus que le canoniser, il s’imagine estre quelque chose,
par ce que l’on luy a dit, & croit auoir accreut sa saincteté
& sa pieté de beaucoup, par ce qu’il a augmenté les
membres de Iesus Christ, en faisant vne quantité innombrable
de gueux, qu’elle pitié, & s’ils estoient au milieu
des Barbares, des Scytes, & des Infidelles, ils receuroient
des traitemens plus doux & plus fauorables.

 

C’est vn Chrestien qui cause tout ce desordre, ah
Dieu ! qui l’eust ia mais peu croire ? c’est vn Cardinal ! vn
Cardinal ? il faut leuer les espaules & demeurer sans paroles.
C’est maintenant que ie me range du party d’Aristote,
& i’adjouste foy à sa Metempsicose, ie crois que
l’ame du plus impie, du plus scelerat, & du plus tyran, est
venu habiter son corps, pour tourmenter vos Sujets, &
les faire mourir d’vne façon tres rigoureuse, puis que la
iustice diuine s’en est seruy de fleau contre le genre humain :
Ah ! qu’il est rude de finir sa vie dans vn champ,
dans vne ruë, & dans vne place publique, tout seul, sans
compagnie, & au milieu des tourmens : ce n’est presque
rien que cela : mais ce qui touche d’auantage ce peuple
pauure de biens, quoy que riche en fidelité, c’est de rendre
ses derniers souspirs sans estre criminels, & que la fin
de sa vie ne puisse estre consumée à vostre seruice.

Ce sont la les veritables sentimens qui accompagnent
les demandes de ces squeletes viuantes, qui ne crient que
paix, & l’ont reyteré si souuent, que les echos des bois &
des antres qu’ils ont habitez, sans estre animé par vne

-- 43 --

voix empruntée, font retentir ces deux mots, la paix, la
paix : c’est apres cette tranquillité que toute la France respire,
laquelle se void dechirer les entrailles & démembrer
les parties les plus esloignées & les plus basses : ne refusez
pas, SIRE, à ces hommes agonisans le repos qu’ils
vous demandent, & que vous pouuez aysément leur
donner au bien de vostre Estat. Il faut finir & esteindre
les Guerres & bannir toutes les miseres, faisant retirer le
Cardinal Mazarin, leurs cause & leurs origine. C’est assez
de tempeste, & le boreas qui flestrit vos lis, se changeroit
en zephir, quand le gouuernement des affaires changeroit
de mains, & quand cét Icare aura fondu ses aisles prés
de ce beau Soleil, qui ne nous a paru encor qu’eclipsé par
les exhalaisons d’vn mauuais cerueau, & d’vne teste cacochime.

 

Apres tout ie pense que le Cardinal Mazarin, n’a pas
vne conscience si determinée & si dure, qu’elle ne ressente
quelques fois ses remords, & ie m’imagine qu’il la veut
mettre à couuert, & l’exempter de ces petits tyrans inuisibles
& spirituels, il voudroit pouuoir sortir de la France
auec seureté, afin qu’estant esloigné du tracas du monde,
des intrigues de la Cour, & des troubles du Royaume,
qu’il a faict, il puisse auec vne serenité d’esprit, tant que la
demande le rang qu’il tient dans l’Egise, songer à mieux
regler sa vie & à ce la perfectionner.

SIRE, ne luy refusez pas cette faueur, vous luy en
auez accordé bien d’autres, qu’il s’en aille, purgez en vos
Estats, & qu’ils n’empruntent pas des Estrangers leur
conduite, pour en gouuerner la vostre, suffit pour en
tenir le timon. SIRE, nous ne voulons qu’vn Roy,
Louis quatorziesme nous plaist, il nous faut oster la teste
d’vn Mazarin, le chef plus pernicieux que celuy de Meduse,
qui rend la pluspart de vos Sujets immobiles, leurs

-- 44 --

ostans le principe du mouuement : Nous ne voulons
point de celuy qui ne veut point de paix, bannissez les
troubles, en bannissant le Cardinal Mazarin : que le bon
ordre regne, & que nous donnant le repos & la tranquillité,
vous nous fassiez importuner le Ciel par des Cantiques
de réjouyssances, & par des actions de graces plusieurs
fois reyterées : Faites renaistre dans vostre Royaume
la paix, que nous respirions vn zephir doux & agreable,
que les cometes de malheurs qui luisent sur nos testes
se changent en iris, que la famine change sa faux en
corne d’abondance, & que tous les momens de nostre
vie se signalent par quelques nouueaux benefices, en faueur
de nos infortunes : la paix seule peut faire ce changement,
la paix seule peut donner la vie à quantité de vos
Sujets, la paix seule peut raffermir vostre thrône, maintenir
vostre authorité, & vous faire veritablement Roy,
& sans compagnon : Ne nous refusez pas cette restauratrice
de tous nos maux, de toutes nos miseres, & de toutes
nos calamitez : Nous esperons de vous, SIRE, ce
don, qui peut estre appellé diuin, par ce qu’il sera d’vn
DIEV-DONNÉ.

 

FIN.

Section précédent(e)


Anonyme [1652], LA VOIX DE PEVPLE AV ROY, Pour la Paix Generale. , françaisRéférence RIM : M0_4058. Cote locale : B_16_4.