Anonyme [1652], LE BON CITOIEN FAISANT VOIR. I. L’Antonomie des Maxime d’Estat & de la Religion Chretienne touchant la guerre. II. Que puis qu’il y va de l’hõneur des Princes & du salut des Peuples de laisser le Roy prisonnier entre les Mains du Cardinal Mazarin, les Parisiens le doiuent aller querir où il est. III. Que laissant perdre l’occasion qui se presente, la ruine de Paris est infaillible. , français, latinRéférence RIM : M0_585. Cote locale : B_19_55.
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LE BON
CITOIEN
FAISANT
VOIR.

I. L’Antonomie des Maxime
d’Estat & de la Religion Chretienne
touchant la guerre.

II. Que puis qu’il y va de l’hõneur
des Princes & du salut des Peuples
de laisser le Roy prisonnier
entre les Mains du Cardinal
Mazarin, les Parisiens le
doiuent aller querir où il est.

III. Que laissant perdre l’occasion
qui se presente, la ruine de
Paris est infaillible.

A. PARIS,

M. DC. LII.

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LE
BON CITOIEN
FAISANT VOIR.

I. L’Antonomie des Maximes d’Etat &
de la Relligion Chrestienne touchant
le guerre.

II. Que puis qu’il y va de l’honneur des
Princes & du salut des Peuples de laisser
le Roy prisonnier entre les mains du C.
Mazarain les Parisiens le doiuent aller
querir où il est.

III. Que laissant perdre l’occasion qui se
presente, la ruine de Paris est Infaillible

Qvelque pompeuse que puisse estre la
profession Militaire, neantmoins elle
deuient bien tost ennuieuse à ceux qui ne faut

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la guerre que par contrainte & qui n’en vsent
que pour sa propre fin, à sçauoir pour emporter
la Victoire, ou pour paruenir a vne ferme &
heureuse paix.

 

Ceux qui continuent la guerre la pouuant
terminer ou par la defaite du party qu’ils combattent
ou par des traittés honnorables, sont
ou traitres, ou ambitieux, ou auares, & le plus
souuent tachés de toute sorte de vices selon le
dire du Poëte.

Nulla fides pietasque viris qui castra sequuntur.

I’aduoüe que les Alexandies, les Cæsars, &
beaucoup d’autres, ont fait de la guerre le chemin
à l’immortalité. Ces grandes ames n’ont
point trouué dequoy s’occuper toutes entieres,
que dans vn genre de vie qui semble à la verité
plain d’honneur & de gloire à raison des actiõs
Heroïques qui l’accompagnent, mais qui se
trouuera du tout contraire à la societé ciuile &
condamné mesme par l’Euangile. Peut on pas
dire que l’art de nous entretuer est vn art diabolique ?
aussi le demon est appellé par le fils de
Dieu meurtrier des le commencement, faut il
que le mestier de se defaire soit le plus estimé
& qu’on dresse des Autels, à ceux qui ont creusé
plus de Sepulchres ? il faut que ie dise encore
auec Catulle, quel fut le malheureux qui

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premier porta l’espée ? c’estoit sans doute vn
barbare, vn Loup garou.

 

Quis fuit horrendos primus qui protulit enses.

Quam ferus & verè ferreus ille fuit.

Si ie passe plus outre on m’estimera poultron
ou Anabaptiste, ie ne m’estime pourtant ny
l’vn ny l’autre ayant quelque peu de courage
& n’estant pas assés homme de bien. Ie laisse
à discuter & resoudre aux Theologiens, aux
Casuistes, ou à ceux à qu’il appartiendra.

I. S’il est permis aux Chrestiens de faire la
Guerre.

II. S’il la peuuent faire contre ceux qui font
profession du Christianisme.

III. Si les Souuerains la doiuent faire à leurs
sujects ne voulant pas souffrir leur tyrannie ou
celle de leurs fauoris.

IIII. Si les sujects peuuent prendre les armes
pour defendre leurs biens, leurs vies, & leur liberté.
Car quand au premier il me semble que
l’Euangile ne nous preche que Douceur Debonnaireté,
Misericorde, Soufrance, le Pardon,
des Ennemis. Iesus-Christ dit, aprenés de moy.
que ie suis doux & humble de cœur, que bien-heureux
sont les debonnaires misericordieux & pacifiques
aux meurtriers & cruels est prepare l’estang
de fouffre. C’est pourquoy il est deffendu expressement

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aux Clercs par les vieux Canons
de l’Eglise de porter les armes, ce qui n’oblige
à la verité que quelques vns d’entre les Chrestiens :
mais les Canons de l’Euangile qui nous
sont tous l’heritage, les oincts du Seigneur, la
Sacrificateure Royale par la Communion à Iesus
Christ, font vne loy generale de laquelle
personne ne seroit exempt si nous ne voulions
faire la guerre qu’au vice & au peché.

 

S’il n’est pas loisible aux Chrestiens, heritiers
pretendus du Royaume du Ciel, de combatre
pour les choses de la terre contre les Ennemis
mesme de I. Christ, à plus forte raison doiuent
ils s’abstenir de se faire la guerre l’vn contre
l’autre : celle cy estant opposée à la charité, qui
est le fondement & le faiste de toute la Religion
Chrestienne. Le Caractere du Christianisme
c’est la dilection. Nostre Souuerain Legislateur
a posé pour loy fondamentale de son
estat le plus parfait amour qui se puisse trouuer
parmy les hommes, disant Iean 13. V. 34. Ie
vous donne vn nouueau Commandement que vous
vous aymiez l’vn l’autre : voire que comme ie vous
Ay aymés, vous vous aymiez aussi l’vn l’autre, par
cela cognoistront tous que vous estes mes Disciples
si vous auez de l’amour l’vn pour l’autre.

La guerre nous oblige de destruire celuy que

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Iesus-Christ nous commande d’aymer, d’oster
la vie à vn homme pour lequel nous sommes
obligez d’exposer & de perdre la nostre. Ie ne
sçay comment accorder la Religion auec nostre
Politique. Car quand mesme vous & moy
serions de l’opinion de Iansenistes, estimant
que le Seigneur Iesus n’est mort que pour les
esleus & nõ pas pour ceux qui perissent, neantmoins
nous ne deurions pas pour cela prendre
les armes pour les desfaire, puis que nous ne les
connoissons pas, & que c’est l’esprit de Moyse,
& de Mahomet, & non l’Esprit de Christ, qui
authorise les meurtre & le carnage.

 

De cette doctrine Chrestiẽne, nous pouuons
inferer comme les maximes d’Estat ne sont pas
bien cõformes à l’Euangile, & que les loix des
Royaumes de la terre sont du tout contraires à
celles du Royaume des Cieux, par ainsi nous
pouuons reconnoistre que le Souuerain & les
sujects qui veulent terminer leurs differents
par les armes manquent contre la charité qui
condamne & l’oppression & la vengeance, La
tyrannie, & la violence, pour s’en retirer.

Quand ie condamne la guerre contre qui
que ce soit, & pour quelque cause ou pretexte
qu’on puisse alleguer ie parle selon les termes
de l’Euangile ; dans lequel on ne trouuera point

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la distinction de guerre offensiue & deffensiue,
ou de Prince contre Souuerain, ou de sujects
contre leur Roy, comme si l’vne est on plustost
permise que l’autre, mais vne continuelle exhortation
à la souffrance pour les parfaits ou à
la fuite au temps de la persecution pour les timides.

 

La Philosophie mesme logeant la force dans
la raison pour reigler l’appetit irascible, met le
principal exercice de cette vertu dans la souffrance
aussi tout a tant que l’esprit est plus noble
que le corps, autant la force de cettui-cy
qui nous est commune auec les trauaux, les
Tigres, & les Lyons, doit estre estimée au dessous
de celle de l’autre Or l’esprit tesmoigne
sa force plustost à suporter le mal qu’à le faire.

Mais quelque contraire que puisse estre la
guerre soit à la grace soit à la nature, neantmoins
ie ne pretends pas de persuader ceux
qui portent les armes de les quitter. Ie sçay
qu’on respondit aux Mamertins, que le bruit
du Tambour empesche d’entendre la voix des
Loix & de la Iustice. Ie scay que pour authoriser
la guerre on allegue l’exemple des mouches
à Miel, qui sont conduites par leurs Roys,
se tengent en battaille, se choquent & s’entretuent.

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Sæpe duobus.

Regibus incessit magno discordia motu
Continuoque animos vulgi & trepidentiæ
bello
Corda licet longe præsciscere.

Quoy que l’on puisse opposer, que les plus
parfaits animaux ne destruise jamais ceux de
leur espece.

Quando leoni.

Fortior eripuit vitam leo, quo nemore vnqnam
Expirauit aper majoris dentibus aprj ?

Ie n’exige pas aussi de nos soldats la sobrieté
& la discipline des Anciens Romains, ou celle
des armes Turkesques d’apresent.

Vn Pomier estant trouué enfermé dans le
pourpris du Camp de l’Armée Romaine, elle
fut veuë le l’endemain en desloger, laissant au
possesseur, le compte entiere de ses Pomes
meures & delicieuses.

Selim ce conquereur de l’Orient, auoit vne
Armée de trois cents mille combattans tellement
disciplinée que campant és Iardins d’autour
de la Ville de Damas, ou sont les Arbres
qui portent les plus delicieux fruits de la terre
les laisserent vierges y ayant sejourné trois semaines.
La guerre sert aux autres Nations de
retenuë mais à nous elle est la licence des vices.

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Tout ce que ie pretends de persuader par cét
escript est de ne pas continuer vn guerre si déplorable,
laquelle se pourroit terminer si nous
voulions en peu de jours. Nos maux pour estre
violents ne sont pas de plus coutre durée par ce
qu’ils procedent de l’Ambition, de l’Auarice,
& autres vices de l’ame, dont les desirs se portent
à l’infiny.

C’est la veritable cause de la longeur de nos
maux, laquelle est d’autant plus difficile à oster
qu’il est aisé de la cognoistre. Si ceux qui ont entrepris
cette guerre y eussent esté portez par vn
bon dessein, il y a long-temps qu’elle seroit terminée.
La plus part de ceux qui prenent les armes
tachent de faire venir la victoire de leur
parts plustost que la Iustice.

Quæritur beli exitus.

Non causa.

Nous pouuons dire que nous sommes soubs
le regne des Lycus ; que nous n’auons aucuns
protecteurs de nos libertez, que le vice est
maintenant sur le Throne, que le plus fort l’emporte
& que la France est en proye.

Prosperum ac fœlix scelus.

Virtus vocatur, fortibus parent boni.

Ius est in armis opprimit leges timor.

Les Incendies, les Violemens, & les Sacrileges

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sont les occupatiõs de vostre Soldatesques,
nos Gendarmes ne decampent d’vn lieu qu’apres
l’auoir rauagé & ne courent que pour en
ruyner vn autre, & c’est pour cette cause que
nous deurions faire tous nos efforts pour terminer
cette malheureuse Guerre, laquelle doit en
peu de temps causer la ruine de tout l’Estat.

 

II. Depuis que nos Princes & le Parlement,
ont declaré le Roy prisonnier du C. Mazarin,
nous deurions auoir donné six Batailles pour le
remettre en liberté. C’est vne honte pour nostre
party de laisser vn Monarque entre les
mains des Estrãgers & n’auoir fait aucun effort
pour l’en retirer, Lors que le Roy Iean fut pris
deuant Poictiers, la France fit tous ses efforts
pour le retirer de Captiuité. Toutes les Prouinces,
toutes les Villes, toutes les Familles contribuerent
hommes & argent pour combatre
ou pour payer sa raçon. La Prison de François
premier nous a cousté plusieurs Prouinces. La
France n’a iamais eu de repos qu’apres auoir
obtenu la liberté de ses Monarques. L’Empereur
Galien a esté blasmé de tous les gens de
bien qui viuoiẽt soubs son Empire, pour auoir
laissé son predecesseur dans les chaisnes de Sapor
Roy de Perse. Quoy ! nos Peres ont retiré
leurs Roys du milieu de l’Angleterre & du fõds

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des Espaignes ; & nous laisserons le nostre en
Captiuité au milieu de la France ? nous souffrirons
qu’il soit mené par vn Estrãger par tout le
Royaume, & qu’il le face voir à nos Portes &
puis le retire de nos yeux pour adjouster à l’outrage
le mespris.

 

Ce sage Sculteur Phidias, ayant fait la Statue
de Minerue, y attacha son image auec tant d’adresse
qu’on ne la pouuoit deplacer sans rompre
tout l’ouurage, nous pouuons dire que
dans le chef d’œuure de la Monarchie Françoise,
Dieu qui en est l’autheur a voulu attacher sõ
Image qui est le Roy dãs la Capitale du Royaume,
en sorte qu’on ne l’en peust tirer que toutes
les pieces de l’Estat ne viennent à se demõter
& à se perdre. Aussi pour la restauration de
l’Estat nous deuons y remettre le Roy. C’est le
vray coup de partie, c’est le moyẽ le plus court
& le plus asseuré pour terminer tous nos maux.

Personne ne doute que tandis que le Roy
sera entre les mains de cet Estranger, que la
France ne soit dans vn estat deplorable, l’authorité
Royale est maintenant dans son excentrique,
que peut on attendre qu’vn perpetuel
combat entre le Parlement & le Conseil. La
pluralité des Dieux ne mettoit point le trouble
dans le Ciel, par ce que ce qui auoit esté fait par

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l’vn ne pouuoit estre defait par l’autre : mais
nous sommes icy dans le trouble d’autant que
ce que le Parlement fait, le Conseil pretend
auoir pouuoir de le defaire.

 

Il est certain que tout ce qui s’ordonne dans
le Conseil est nul, quoy qu’il semble estre appuyé
de l’authorité Royale ; à raison que le Roy
estant prisonnier, ne peust exercer les fonctiõs
de son authorité Royale, toutes les loys declarant
nuls les actes qui se sont dans vne prisons,
Quoyque donc les Arrests du Conseil pretendent
auoir annullé la creation du Preuost des
Marchands, & cassé l’Arrest par lequel son A,
R. est supplié d’accepter la Lieutenance de l’Estat,
& Monsieur le Prince la generalité des Armées ;
neantmoins lesdits Arrests doiuent estre
executez non seulemẽt parce qu’ils sont iustes
puis qu’il n’y a point de loy plus souueraine
que le salut de l’estat lequel ne peust estre procuré
que par leur execution, mais aussi parce
qu’ils sont emanez d’vne authorité legitime &
souueraine.

Pour obuier à tous ses desordres & faire cesser
le trouble de tout le Royaume, il ne faudroit
que retirer le Roy d’entre les mains du C. Mazarin,
ce qui s’est peu faire & se peust encore
tres aisement, si nous auons autant de courage
pour l’entreprendre que nous auõs de forces

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pour l’executer. Tandis que la Cour estoit à S.
Denys, nous auons eu l’occasion de terminer
dans deux heures toutes nos querelles Si les Parisiẽs
eussent sorty lors qu’on attaqua le Faux-bourg
S. Anthoine, tous les Mazarins estoient
perdus, comme eux mesme le confessent. Du
depuis le Mareschal de Turenne est ailé au deuant
de l’Archiduc Leopold pour luy contester
le passage. Pouuoit on pas surprendre le Mazarin
& amener le Roy dans Paris, n’ayant pas
resté 1500. hommes de combat dans Ponthoise.
Ie m’asseure que si le Parlement & la ville
de Paris eussent esté si bien d’accord, comme
ils sont maintenant auec nos Princes, que son
A. R. ne se seroit pas donné tant de peine &
fait tant de despence pour faire venir du secours
de Flandres, l’vne des raisons principales
de l’auoir demandé à l’Archiduc Leopold,
estant que les Princes ne trouuoient assez d’asseurance
parmy les Soldats qui se tenoient aux
champs, où dans la ville ; mais maintenant que
l’intelligence est parfaite entre les Princes, le
Parlement & la Ville, il n’y a rien à craindre.
Et certes tout autre moyen que de faire armer
promptement le Bourgeois, ne peust asseuré,
sinon pour faire continuer la guerre, qui est ce
que l’on doit éuiter, comme vn escueil qui

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causera nostre naufrage. On a asseuré vn fonds
de cinquante mil escus pour donner à celuy
qui mettra en execution les Arrests contre le
Cardinal. Ie ne puis pas croire qu’vn homme
entreprenne de tuer le Cardinal Mazarin aupres
du Roy, ou le voulust faire, bien qu’il le
peust, sçachans que le Roy s’en voudroit venger.
Tous les Fauoris qui ont peri, ont peri,
parce qu’ils ont esté abandonnés du Prince : iusques-là
ils se sont tousiours conseruez, mais
au lieu de promettre cinquante mil escus à vn
seul pour tuer le Cardinal Mazarin en trahison,
qu’on les donne au public, & en donnant
vn escu à la sortie de la porte, on va voir sortir
cinquante mil hommes, qui periront plustost
s’ils ne l’ammeinent mort ou vif dans deux
fois vingt-quatre heures Nous le pouuõs faire
si nous voulons, & maintenant que le Mareschal
de Turenne est pressé par l’Armée de l’Archiduc
Leopold, le Cardinal Mazarin ne nous
sçauroit eschapper. Voilà l’Armée des Mazarins
bien moindre qu’elle n’a esté entre celle
des Princes & nous, & celle de l’Archiduc : La
Cour ou le Conseil Mazarin espouuenté, la disette
& la maladie dans leur Armée, Dieu fait
voir manifestement qu’il condamne ce party,
le poursuiuant par le fleau de sa colere. Il n’espargne

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pas mesme les plus Innocents qui se
trouuent enueloppez auec les coupables. Les
Filles de la Reyne meurent sur la paille, & les
Boüillons, les Seruiens & les Saintots & vne
infinité de Soldats expirent pour auoir voulu
soustenir ce mauuais parti.

 

Comme il n’est rien de si changeant que
l’esprit du Peuple, aussi doit-on se seruir de
l’occasion pour s’en seruir à executer vn genereux
dessein. Le Peuple de Paris souffre des incommoditez
extrémes, & s’il n’auoit esperance
d’en estre bienstost retiré, personne ne
peut respondre de ce qu’il feroit ou ne feroit
point. La conduite des Princes iustifie à la verité
leurs desseins ; mais la longueur dont ils
vsent en toutes leurs entreprises, ne prolonge
que trop nos miseres.

Il y en a mesme qui ont voulu s’opposer à
cette leuée de deniers, que l’Assemblée du
Parlement & de la Maison de Ville leur a
octroyé pour leuer vne nouuelle Armée. Ils
ont creu que le plus court & le plus asseuré
moyen pour trouuer de l’argent, estoit de taxer
toutes les maisons : neantmoins ie ne pense
pas que le Bourgeois puisse contribuer vne si
grande somme. Car comment peut on faire
donner vne somme si notable aux maistres des

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maisons, puis que voicy le troisiesme terme
qu’ils ne reçoiuent tien des loyers ? Sans doute
qu’on auroit eu plustost de l’argent de la confiscation
du bien des Mazarins, & si l’on eust
condamné les Comptables, ie veux dire tous
les Partisans, à donner pareille somme de deux
millions, voire le triple, elle seroit maintenant
liurée. Ce sont des esponges qu’il ne faudroit
que presser vn peu pour en faire tomber de la
pluye d’or : car d’esperer en prendre ailleurs,
c’est vouloir tirer l’huile d’vn mur. Si quelqu’vn
veut sçauoir la cause pour laquelle on ne s’est
pas serui d’vn remede si facile & si salutaire à
l’Estat, il n’a qu’a considerer qu’encore que les
Partisans soient tenus pour des voleurs publics
& qu’on ait demandé depuis quatre ans vne
Chambre de Iustice ; neantmoins ils ont toûjours
eludé toutes les procedures qu’on a fait
contre eux, soit ayant corrompu leurs Iuges
par des dons immenses, soit par le grand [1 lettre ill.]ombre
de leurs alliez qui se trouue dans le Parlement,
ou qui sont mesme du Conseil des Princes.

 

De tout cela i’estime qu’on doit conclurre
que le meilleur seroit que la Bourgeoisie prie
les armes, qu’on s’en allast à Ponthoise, ou à
sainct Denys, faisant main basse de tous les

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Mazarins, & qu’on ramenoit le Roy dans Paris.

 

III. Nous auons souffert pendant trois
mois autant de disette que durant l’autre guerre.
Nous auons esté en danger de voir Paris
pris & saccagé, croyons-nous estre à la fin de
nos maux ? Parce que l’Armée des Mazarins
n’est pas si pres de nos murailles ? A-t’on pourueu
à l’ouuerture des passages ? La riuiere est-elle
libre ? Le commerce est il tranquille &
asseuré ? Non certes, si le pain ramende d’vn
sol auiourd’huy, demain il rẽcherira de quinze
deniers, il ne vient sur la riuiere que ce que les
ennemis laissent passer pour de l’argent A t’on
pourueu à la seureté de la Ville ? Les Faux-bourgs
sont ils pas exposez à la mercy des ennemis.
Pourroit on pas auoir fait des tranchees
tout à l’entour de Paris, employant vne infinité
de pauure gens qui demeurent inutiles &
meurent de faim au coin des ruës, ou aux portes
des Eglises. La meffiance est la mere de seureté.
Si l’Armée des Mazarins eust empesché le
passage à l’Archiduc, & qu’elle fut reuenuë sur
ses pas, ou en serions nous ? Maintenant que
son secours est à nos portes, la Cour ne manquera
pas de nous declarer rebelles & criminels,
pour auoir appellé & receu l’Ennemy de

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l’Estat ; neantmoins n’estant venu que pour
procurer la Paix generale, il ne doit pas estre
consideré comme l’Ennemy de l’Estat, puis
que c’est la Paix qui seule peust establir l’Authorité
Royale, & que ce Heros ioint ses armes
auec les nostres, pour estouffer celuy qui est le
flambeau de la guerre.

 

Aussi perdant cette occasion nous allons
voir des suittes d’vne guerre aussi longue que
cruelle.

Il est de maladies populaires comme de celles
du corps humain, lors que les humeurs se remuent,
il faut prendre le temps pour en faire
l’euacuation hippocrate appelle l’occasion glissant,
chairos oxis, occasio prœceps & dans l’art
Militaire. Cæsar estime que la science de prendre
au poinct les occasions, est la meilleure
partie d’vn Capitaine.

La conseruation de cette grande Ville depend
entierement de cette genereuse resolution.
Car quand bien l’Archiduc Leopold, demeureroit
tousiours du costé des Princes, &
qu’il persisteroit à refuser les offres qu’on luy a
fait de Dunkerque, Arras, Bapaume, & deux
cents mille liures ; neantmoins son Armée ne
peut sejourner long temps en France sans nous
incommoder. Il faut qu’il arriue de deux choses

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l’vne, ou que le Mareschal de Tureine le repousse
ou que luy mesme soit repoussé, s’il arriue
que ses Troupes est [illisible] s’en retournent
auant la Paix, nous aurons l’armée Mazarine sur
les bris & nous voyant denuez de secours,
nous deuons nous resoudre à souffrir tout ce
que l’on peust attendre d’vn ennemy cruel victorieux
& insolent, que s’il arriue comme il y
a plus d’apparẽce que le Mazarin soit contraint
de faire, si nous ne l’enuironnons, il faira sa retraicte
dans quelque Ville de Guerre, esloignera
la Cour de Paris, on trainera le Roy de Prouince.
en Prouince, & par ainsi la guerre faira
de ce Royaume vn continuel embrasement, &
par ainsi la Capitale souffrira plus que toutes
les autres.

 

Nous deuons adjouster à toutes ces raisons
cette cy, qui est tres considerable à sçauoir que
nostre ennemy tache de se fortifier appellant
tous les mercenaires à son secours. Il vaux
mieux exagerer les forces de son ennemy, se
preparant à le receuoir auec courage que de se
tromper en voulant publier sa foiblesse.

Si la Cour receuoit toutes les Troupes que la
Reine de Suede & de Poulogne, ont promis
d’enuoyer & qui sont mesme en chemin, comment
leur pourrions nous resiste.

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Nos Bourgeois sont peust estre bien aises
d’aller par maniere d’acquit à la Garde, les
nuicts ne sont pas encore bien longues, l’heure
de la Sentinelle n’est pas trop longue, les
fruicts seruent à espargner le pain : mais quand
le mauuais temps sera venu, que les nuicts seront
froides & longues, que la pluye ou la
neige tomberont sur le mousquet, ie pense
qu’alors vn chacun detestera contre ceux qui
font durer la guerre.

Que si nous adioustons que l’Vnion qui se
trouue entre les Princes & le Parlement & la
Ville a esté forcée, & que la plus part des Mazarins
sont encore parmy nous : cette raison
nous obligera de nous tenir sur nos gardes, &
de ne pas exposer Paris au pillage.

Faisons donc reflexion sur toutes ses considerations
vogomique, puis que nous ne sommes
pas assez bons Chrestiens pour nous entretenir
par la Charité sans faire la guerre, au
moins taschons de la terminer le plustost que
nous pourrons, tesmoignant que si nous la faisons,
ce n’est que par contrainte, & considerons
l’importance de l’occasion qui s’est presentée,
& qui s’offre encore pour la terminer,
à sçauoir la scituation de la Personne du Roy,

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de l’Armée Ennemie, & de celle qui vient à
nostre secours.

 

Quand nous prendons les armes pour aller
deliurer la Personne du Roy des mains des
Ennemies, qui se pourra opposer à ce dessein,
& le faisant reussir, n’allons nous pas terminer
vne guerre qui ne peut continuer sans la perte
de tout le Royaume.

Cette entreprise est genereuse, elle est
iuste, elle est necessaire, Paris ne peut esuiter
que par là sa ruine. 3. Considerons qu’il vaut
mieux mourir en genereux que de viure en lache,
& porter plus long temps le ioug d’vne si
infame solitude.

Si nous iettons les yeux sur l’Angleterre
nous trouuerons que ceux de Londre, ont sauué
leur ville que le feu croyoit de surprendre,
ayant fait sortir quarante mil Bourgeois, qui
donnerent la chasse aux gens du Roy & l’auroient
mesme pris ce iour là, si le General, le
Comte d’Essaix, n’eut retenu les Bourgeois, qui
ne cesserent pas de donner & de deffaire leurs
Ennemis.

Les Romains ne pouuant souffrir Annibal
aupres de leurs murailles, apres auoir perdu
cinquante cinq mil hommes à la bataille de

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Cannes, ne resterent pas de faire prendre les
armes à toute la Ieunesse Romaine & presenterent
bataille à l’Ennemy, neantmoins il arriua
que les deux Armées estant prestes à se choquer,
il se leua vn si grand Orage, qu’elles surent
contraintes dé se retirer plusieurs fois sans
combattre.

 

La Ville de Paris se peur asseurer d’emporter
la Victoire lors qu’elle voudra se seruir de ce
moyen, qu’elle recouurera sa liberté & la donnera
à toute la France, qui laissant échapper
cette occasion, le Cardinal Mazarin éloignera
le Roy, le conduira dans quelque Prouince, &
ainsi la guerre que nous pouuons terminer en
peu de iours durera.

FIN.

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Anonyme [1652], LE BON CITOIEN FAISANT VOIR. I. L’Antonomie des Maxime d’Estat & de la Religion Chretienne touchant la guerre. II. Que puis qu’il y va de l’hõneur des Princes & du salut des Peuples de laisser le Roy prisonnier entre les Mains du Cardinal Mazarin, les Parisiens le doiuent aller querir où il est. III. Que laissant perdre l’occasion qui se presente, la ruine de Paris est infaillible. , français, latinRéférence RIM : M0_585. Cote locale : B_19_55.