Anonyme [1652], LE BREVIAIRE DES MINISTRES D’ESTAT, LEVR FAISANT CONNOISTRE les cas ausquels ils sont Inferieurs au Parlement de Paris. I. Pour faire voir comme quoy, le Conseil d’Estat n’a le pouuoir de receuoir le serment des Ducs & Pairs. II. Pour ne pouuoir faire le procés aux Princes du Sang. III. Pour ne pouuoir faire vallider les Edicts & Declarations du Roy. IV. Et pour ne pouuoir contraindre le Ressort du Parlement de Paris d’obeïr à ses Arrests. , françaisRéférence RIM : M0_607. Cote locale : B_19_52.
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LE
BREVIAIRE
DES
MINISTRES
D’ESTAT,
LEVR FAISANT CONNOISTRE
les cas ausquels ils sont
Inferieurs au Parlement de Paris.

I. Pour faire voir comme quoy, le Conseil d’Estat
n’a le pouuoir de receuoir le serment des Ducs
& Pairs.

II. Pour ne pouuoir faire le procés aux Princes
du Sang.

III. Pour ne pouuoir faire vallider les Edicts & Declarations
du Roy.

IV. Et pour ne pouuoir contraindre le Ressort du
Parlement de Paris d’obeïr à ses Arrests.

A. PARIS,

M. DC. LII.

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LE BREVIAIRE DES Ministres
d’Estat, leur faisant cognoistre
les cas ausquels ils sont inferieurs au
Parlement de Paris.

IL y a veritablement sujet de s’estonner, que
des personnes qui n’ont aucune Iurisdiction
contentieuse, pretendent neantmoins estre les
seuls moderateurs de l’Estat, pouuoir estouffer
toutes les puissances legitimes, & fermer la bouche,
quand il leur plaist au Parlement, dont
l’authorité est aussi ancienne que la Monarchie.

Ceux qui se disent Ministres d’Estat, pretendent
estre au dessus de toute authorité & puissance,
& sont si mal aduisez que par leurs
aduis & sont si mal aduisez que par leurs
aduis & conseils, ils obligent souuentefois le
Roy d’attenter aux Loix fondamentales de l’Estat.
Ces gens là ne se comportent de la sorte,
que parce qu’ils pretendent, que nous deuons
regarder toutes les volontez qui nous sont annoncées
de la part de sa Majesté, auec vne aueugle
soubmission, & que l’authorité Royale
n’ayant point d’autres bornes que celles de son
impuissance ; c’est attenter à cette mesme authorité,

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que de vouloir pretendre que quelque
chose luy soit impossible.

 

Ie me veux vn peu attacher à cét aueuglement
pretendu, pour faire voir enquoy il consiste
& comme il faut l’interpreter pour ne le
rendre point tyrannique.

Les premiers peuples qui ont jetté les fondemens
des Monarchies, & qui ont suby le joug
de l’independance du Souuerain, n’en ont respecté
l’authorité auec cét aueuglement, que le
Conseil pretendu de sa Maiesté demande, que
parce qu’apres auoir ietté leur choix sur des personnes
assez considerables, par la longue experience
qu’ils auoient de leur vertu ; pour les imposer
sur leurs testes, ils ont creu qu’il ne falloit
point s’entremettre de sçauoir tous les ressorts
de leur gouuernement, pour les laisser regner
auec plus de succez & de liberté : & qu’il
estoit à propos de se reposer de tout le maniement
des affaires sur leur conduite, assez reconnuë
par le long vsage de leur probité, sans se
mettre en peine de sçauoir la façon & le biais
auec lequel il les menageoit pour la tranquilité
publique.

Tellement que ces peuples ont témoigné par
cét aueuglement volontaire, auec lequel ils se
soûmettoient aux ordres de ce nouueau Souuerain,
qu’ils supposoient ensuite de l’experience

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qu’ils auoient de sa vertu, que sa conduite ne deuoit
auoir pour fin, que l’establissement de leur
repos, & que pour cette raison, il ne deuoit rechercher
que les seuls moyens auec lesquels il
pourroit plus heureusement reüssir.

 

Voila la source de cét aueuglement d’obeïssance,
que les Ministres & le pretendu Conseil
de sa Maiesté voudroit maintenant exiger de la
deferance des peuples : mais il faut qu’il sçache
que cét aueuglement d’obeïssance, n’estant qu’vn
effet de ce qu’on suppose que les Souuerains
ne gouuerneront iamais qu’auec justice & douceur,
les peuples ne sont obligez des s’y maintenir
que pendant qu’ils auront sujet de croire &
de supposer que les Souuerains ne se départiront
iamais du deuoir de leur rendre justice.

Mais c’est vn erreur frenetique, que de pretendre
auiourd’huy obliger les peuples à cét
aueuglement d’obeïssance, puis qu’il n’est que
trop constant que la conduite des Ministres
qui se sont ingerez au Gouuernement de la jeune
Maiorité de leur Monarque, est entierement
contraire à la tranquilité publique, & que tous
les desseins qui se brassent par ce Conseil pretendu,
ne tendent à autre fin qu’à diuiser tout
l’Estat pour le faire perir par les embrazemens
de ses guerres ciuiles.

Cette cognoissãce que les peuples ont de l’infidelité

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des Ministres & du Conseil du Roy, ne
leur permet pas de regarder tous ses ordres auec
cét aueuglement d’obeïssance ; & comme ils sont
conuaincus par l’experience de tant d’attentats,
que toutes les intentions de ces Conseillers
Bastards, ne tendent qu’au bouleuersement
de cette Monarchie, ils se sont resolus d’ouurir
les yeux pour enuisager les ordres de leur Souuerain,
iusques à ce que ce ieune Monarque ne
se conduira plus que par les mouuemens reglez
de ses inclinations, & les oblige de reprendre
l’aueuglemẽt de leur premiere obeïssance, pour
receuoir ses ordres auec toute sorte de respect
& de soubmission.

 

Mais d’attendre cét aueuglement pendant
que tant d’éclairs & tant de tempestes, nous
feront ouurir les yeux pour en voir la cause d’esperer
que tout l’Estat ployera pour receuoir le
ioug d’vn Estranger, & enrichir vn Banqueroutier
Sicilien, de toutes les ruines de cét Estat.
C’est ce que le Conseil du Roy ne peut pretendre
qu’auec la mesme tyrannie, auec laquelle il
veut que nous adorions sa conduite, sous pretexte
qu’elle est appuyée de l’apparence de l’authorité
d’vn Souuerain.

D’auantage, les Ministres & le Conseil du
Roy pretendent estre au dessus de l’authorité
du premier parlement de France, & qu’ils ont

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pouuoir d’annuller & casser ses Arrests, voire de
l’interdire pour des causes impertinentes &
assez legeres.

 

Or il leur faut monstrer que le Parlement de
Paris representant les Estats du Royaume, à l’authorité
du Roy par deuers cela, & qu’il a mesme
pouuoir que les Estats, pour estre aussi ancien
que l’Estat.

Ce n’est point faire tort à la Souueraineté du
Roy, de deffendre les Loix fondamentales du
Royaume, chaque Estat à sa Police : Mais ce
qu’il y a de remarquable dans nostre Gouuernement,
c’est qu’il est tout naturel ; c’est à dire
que toutes choses s’y sont tousiours faites par le
consentement du Souuerain auec ses suiets, &
des suiets auec le Souuerain : c’a esté tousiours
vne correspondance reciproque.

La Souueraineté de nos Rois, est de faire iustice,
& faire toute sorte de bien : ils sont les veritables
images de la Diuinité, qui ne peut iamais
faire mal : leur Souueraineté est absoluë,
lors qu’il s’agist de l’execution de la Loy, & non
pas pour la destruire.

Si cela est constant, que toutes les plus grandes
affaires du Royaume se sont tousiours traictées
dans le Parlement de Paris, & non au Conseil
du Roy, & que c’est dans ce Parlement seulement,
où le Roy fait les Loix ; c’est donc

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vne pensée ridicule aux Ministres & au Conseil
du Roy, de s’attribuër le pouuoir de casser
& annuller ce qui se fait & s’ordonne
dans cét Auguste Senat, qui representant
les Estats du Royaume, faut conclurre que
comme les Loix qui se sont faites par les
Estats sont inuiolables, & qu’ils peuuent faire
ce que le Roy ne peut, leur authorité estant par
dessus celle des Rois : il s’ensuit que ce que le
Parlement ordonne, comme representant les
Estats, est inuiolable, & qu’il n’est pas en la puissance
des Ministres & du Conseil, qui disent
auoir eux seuls l’authorité du Roy de le casser.

 

Qui est-ce qui a iamais appellé d’vn Arrest du
Parlement solemnellement donné ? où se trouue-t’il
que le Conseil ait donné des Arrests de
condamnation contre vn Prince & quelque
Grand, ce qui n’appartient qu’au Parlement.

Ce fut le Parlement de Paris, qui sous le Roy
Philippes de Valois, condamna Robert Comte
d’Artois.

Iean d’Alençon, sous le Roy Charles huictiéme.

Le Connestable de sainct Paul, & Iacques
d’Armagnac Duc de Nemours, ausquels on
couppa la teste, sous le Roy Louys vnziéme.

Charles de Bourbon Connestable de France,

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sous le Roy François I. fut aussi condamné par
le mesme Parlement.

 

Sous François II. le mesme Parlement cassa
l’Arrest de condamnation rendu par le Prince
de Condé, parce qu’il auoit esté fait par des
Commissaires nommez par le Conseil

Sous le Roy Charles neufiéme, le mesme Parlement
condamna Gaspard de Coligny Admiral
de France.

Sous le Roy Henry le Grand, il fit le procés
au Duc de Biron, & le condamna d’auoir la teste
trenchée.

Et sous le deffunct Roy Louys XIII. dans le
temps mesme que le Cardinal de Richelieu
auoit donné atteinte à toutes les Loix de l’Estat :
on ne laissa pas de s’addresser au Parlement de
Paris, pour faire le procez aux Ducs de Boüillon
& de Guyse, & condamner la memoire du
Comte de Soissons Prince du Sang ; le Cardinal
de Richelieu sçachant bien que c’estoit le Tribunal
pour les grandes affaires du Royaume.

Cette authorité du Parlement de Paris a toûjours
esté estimée si Auguste, que les Princes
Estrangers l’ont mesme fait souuent Arbitre de
leurs differends.

L’Empereur Frideric II. se soûmit à son iugement
pour les pretentions qu’il auoit contre

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le Pape Innocent quatriéme, au suiet du Royaume
de Sicile.

 

Le Duc de Lorraine & Guy de Chastillon, se
rapporterent à ce Parlement pour regler la separation
de leurs Terres & de leurs Seigneuries.

Le Dauphin de Viennois & le Comte de Sauoye
en firent autant, pour l’hommage du Marquisat
de Saluces.

Et ce qui est de plus remarquable, c’est qu’en
l’an 1403. les Rois de Castille & de Portugal enuoyerent
homologuer leur Traicté de paix au
Parlement de Paris les Chambres Assemblées.

Enfin c’est le Parlement de Paris, le Parlement
des Pairs, qui fait les Regens : C’est luy
qui maintint la Loy Salique en la personne de
Philippes de Vallois, contre Edoüard Roy d’Angleterre :
ce fut encores ce Parlement qui conserua
la mesme Loy, sous Henry quatriéme, &
qui par son authorité, rendit le calme à toute la
Monarchie.

C’est en ce Parlement, où les Ducs & Pairs, le
Connestable, les Admiraux & les Chanceliers
de France font le serment.

Voila enquoy les Ministres & le Conseil du
Roy sont inferieurs au Parlement de Paris, &
leur pouuoir beaucoup au dessous du pouuoir
de cette premiere Cour de France.

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Premierement ; D’autant que le Conseil ne
peut receuoir le serment des Ducs & Pairs de
France, ny celuy des grands dignitaires de la
Couronne.

2. Le Conseil ne peut faire le procés aux Princes
du Sang ny aux Officiers de la Couronne, ce
qui appartient au Parlement.

3. Il ne peut faire executer les Edicts & les Declarations
du Roy si elles ne sont veriffiées au
mesme Parlement.

4. Il ne peut receuoir l’acte de la Maiorité de
nos Rois, il n’y a que le Parlement de Paris auquel
cét honneur appartient.

5. Le Conseil n’a pas l’authorité Royale pour
disposer des Loix & de la Iustice, qui est celle du
Parlement.

6. Il ne peut faire aucun Establissement valable
de Cour Souueraine, le seul Parlement le fait
valloir par sa veriffication.

7. Le Conseil ne peut faire vn traicté de paix
de consequence, s’il n’est veriffié au mesme
Parlement.

8. Le Conseil ne peut cognoistre des differens
qui se meuuent entre les Papes & les Rois de
France, il n’y a que le Parlement qui en a la cognoissance,
& qui peut appeller de leurs Decrets
comme d’abus.

9. Le Conseil ne peut rompre ne changer les

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vz & coustumes des Prouinces, le Parlement
de Paris le fait lors qu’il en iuge la necessité qui
va au bien du public & de la iustice des peuples.

 

10. Le Conseil ne peut casser vn Arrest solemnel
du Parlement de Paris, mais bien le Parlement
peut annuller les Arrests du Conseil, &
iuger que les leurs seront executez.

Voilà les cas ausquels les Ministres & le Conseil
du Roy sont inferieurs au Parlement de
Paris.

Et ainsi ces pretendus Conseillers d’Estat,
non plus que le Cardinal Mazarin, ont toûjours
fait leur possible pour rompre & violer les Loix
de l’Estat, & opprimer la Iustice ; mais quoy
qu’ils fassent, il faut qu’ils sçachent & apprennent
que les Loix sont les barrieres de leur ambition
& les termes de leur débordement, elles
sont tousiours pures, lors mesme qu’ils les ont
plus outrageusement violées, leur saincteté est
à l’espreuue de leur audace, qui les enfraint, &
leur esclat ne se flétrit iamais, quelque effronté
que soit le Transgresseur, qui n’en respecte
point la beauté : Saluian compare le lustre de
Loix à l’esclat du Soleil, les nuées ont beau s’opposer
à ses raiz : quoy qu’ils en parroissent, ils
n’en sont pas moins esclatans : il n’y a que nos
yeux qui les décrient dans cét Estat, parce qu’ils

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ne iugent que de ce qu’ils voyent, si le terme ne
borne point le Transgresseur : il est tousiours
destiné pour cela, & du moins on en tire cét
auantage, qu’il sert à faire voir l’impudence de
ceux qui les outrepassent pour s’exposer à la rigueur
des Ordonnances.

 

C’est pour dire que l’establissement du pretendu
Parlement de Ponthoise, est d’autant plus
nul & inualide, qu’il s’est fait contre l’authorité
du Roy qui est en sont Parlement de Paris, &
contre les Loix fondamentales de l’Estat, & partant
ce Breuiaire apprendra aux Ministres & au
Conseil du Roy, qu’ils sont inferieurs au Parlement
de Paris, il leur fera cognoistre la vanité
de leur audace & entreprises temeraires, pretendans
par icelles fortifier & affermir leur ambition.
Les bons & fidelles Ministres jaloux du
seruice du Roy, & qui desirent maintenir la Iustice
en sa vigueur & l’authorité Royale, verront
dans ce Breuiaire, à quoy leur charge les
oblige sans passer outre, sans entreprendre sur
le Parlement, qu’ils iugeront estre superieur à
eux, & que dans cette Cour Souueraine se void
& fait voir l’authorité de nos Rois plus qu’au
Conseil, attendu que la gloire plus grande de
cét éminent Senat, est de la faire valloir contre
qui & enuers tous, sans exception de personne,
& à quoy leur charge & leur deuoir les obligent,

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puis qu’elle est naïfuement & vrayement
representée en eux ; & les Rois pour à mettre
en son plus haut lustre, va tenir leur lict de Iustice
en sa Cour de Parlement, où il authorise solemnellement
ses volontez, & ayant fait cela en
cette Cour des Pairs, elles passent pour Loix aux
aurres Parlements de France, pour le respect
qu’ils portent à ce premier & le plus ancien, qui
est la gloire, la force & le souuerain pouuoir de
nos Rois, auquel les Conseillers d’Estat n’ont
point de sceance, sinon en la presence de Monsieur
le Chancelier qui y sied comme Chef de la
Iustice.

 

Tout cela consideré, il n’y a Parlement en
France : voire les plus moindres, comme le Parlement
de Mets & le Conseil Souuerain de
Bearn, qui permettent celuy de Ponthoise luy
estre preferé, ny aucune Iustice Subalterne qui
le cognoist, ny veüille estte dependant de son
Ressort, d’autant que comme son establissement
n’a esté fait que pour nuire au Parlement
de Paris, par ceux que ce noble Parlement a par
ses Arrests declarez proscrips & ennemis de l’Estat :
de maniere que pour s’en vanger, ils font
tout ce qu’ils peuuent ; mais comme ce Parlement
est mal estaby, aussi ses Arrests sont de peu
ou point d’effet ailleurs qu’à Ponthoise, & comme
les Officiers de ce pretendu Parlement composent

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la pluspart du Conseil du Roy, & qu’en
cette qualité il doit suiure la Cour, il ne peut
estre appellé Parlement sedentaire, mais ambulatoire,
comme en la deuxiéme Race de nos
Roys, qui n’estoient rien en comparaison des
Parlements sedentaires qui sont auiourd’huy
establis en France.

 

FIN.

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