Anonyme [1652 [?]], LE CAMOVFLET DONNÉ A LA VILLE DE PARIS, pour la réveiller de sa LETHARGIE. , français, latinRéférence RIM : M0_620. Cote locale : B_14_10.
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LE
CAMOVFLET
DONNÉ A LA VILLE
DE PARIS,
pour la réveiller de sa
LETHARGIE.

A PARIS

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Le Camouflet donné à la Ville
de Paris, pour la réveiller
de sa Lethargie.

SVrge qui dormis & exurge à mortuis, La
Medecine m’apprend qu’autant qu’vn
sommeil moderé est necessaire pour
maintenir la santé de l’homme, autant
la Lethargie est dommageable à sa conseruation ;
car si le sommeil met tous les sens dans vn repos
agreable, si c’est le remede de nos douleurs & le
charme de nos trauaux : lors qu’il passe de dans
l’excez, qu’il cause vn profond assoupissement
que nous appellons Lethargie, par la rencontre
d’vne froide & humide intemperie du cerueau
qui peut proceder d’vne pituite trop froide &
trop humide, il cause vne fiévre lente, vn oubly
de toutes les choses passées, vne insensibilité pour
les presentes, vne déplorable pesanteur, & vne insurmontable
necessité de dormir ; de sorte que si
cette maladie est violente & qu’elle ne donne aucun

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relasche à ceux qui en sont atteints, il est presque
impossible de les garantir du dernier sommeil.

 

Ephes. 5. 14.

Il y a desia long-temps que ce prodigieux Colosse,
que nous appellons Paris, est atteint de cette
maladie ; l’excez des vapeurs produites depuis
long-temps par l’abondance des alimens, l’oppresse
d’vn repos qui luy est d’autant plus fatal
qu’il luy oste le sentiment des malheurs dont il se
trouue enueloppé, & comme si son mal estoit irremediable,
ou qu’il fust entieremẽt plongé dans
l’insensibilité de ces anciens Academiques : l’on
iugeroit à voir la bonace dont il le flatte, que les
cruautez que l’on exerce sur son voisinage soient
des Histoires que l’on luy rapporte des païs les
plus esloignez ; ce n’est pas que semblable à ces
Lethargiques qui ne sont pas encore accablez entierement
par l’insensibilité de toutes choses, il ne
commence de sentir sa douleur, & qu’il ne s’efforce
par interualles de secoüer cet estourdissement
horrible ; mais apres quelques legers efforts
accrauanté soubs le poids de sa misere il rentre
dans son premier assoupissement.

C’est donc iustement que ie luy adresse ces paroles,
surge qui dormis & exurge à mortuis. Peuple
de Paris, la Reine des Villes, l’œil de la France, &
le miracle de l’vniuers, quitte cet assoupissement

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déplorable qui te menace d’vne effroyable ruine ;
que les fumées de l’incendie de tes Bourgs & de
tes Villages dissipent les malignes vapeurs qui offusquent
ta raison, numquid qui dormit non adijciet
vt resurgat : quoy donc cet estourdissement ne sera-il
point suiuy d’vn réveil genereux ! ce sommeil
n’aura-il point de bornes ! ne voids tu pas que si
tu ne fais vn dernier & veritable effort, tu es menacé
de la plus horrible de toutes les consternations ?
ne voids-tu pas que cette déplorable Lethargie
est accompagnée de tous les symptomes
dangereux ? elle te met dans l’oubly du passé, puis
que tu feins d’ignorer que l’on employe auiourd’huy
les mesmes moyens dont on se seruist il y a
trois ans pour espuiser tes veines, & te reduire
dans le dernier periode. Elle te iette dans l’insensibilité
du present, puis que tu ne fais aucune reflexion
sur le traittement non seulement de tes Prouinces,
mais mesme de tes Places voisines où l’on
n’exerce le fer & le feu que pour te faire voir les
rigueurs dont on pretend recompenser ta mollesse
& ton peu de courage. Tu deurois prendre
garde que ces miserables Paysans ne sont pas si
coupables que toy dans l’esprit de ceux qui leur
font souffrir les cruautez les plus barbares, dont
nos histoires ayent iamais tasché d’exciter nos esprits
contre les nations & les sectes les plus abominables.

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Enfin elle te dérobe la pensée du futur,
dont le present estalle deuant tes yeux des
preuues incontestables ; Sors donc de ces malheureux
assoupissement, retire-toy du nombre
des morts, fais voir à toutes les nations de la terre,
qui attendent auec estonnement l’issuë de cette
sanglante tragedie : qu’enfin vne patience lassée
se conuertist en vne fureur d’autant plus à craindre
qu’elle doit ioindre par son retardement l’excez
à la raison. Sors de cét estourdissement qui te
conduit à vne mort inéuitable. Pauure Ville ! que
ie puis à bon droit comparer ta Lethargie à l’insensibilité
d’vn Cadavre, & que ie te puis dire
auec raison, Stulta quid bic somnus, gelidæ nisi mortis
imago, ô folle & insensée tu crois estre dans vn repos
aduantageux à ta conseruation, pendant que
tu es dans les ombres & dans les affres de la mort.

 

Psal. 40.

L’on te persuade que cette insensibilité est
loüable, & qu’elle n’est autre que l’effet d’vne
aueugle obeyssance que tu dois à ton Souuerain,
que c’est vn crime de rebellion que de conceuoir
les moindres sentimens de deffendre sa vie contre
vne Tyrannie manifeste ; ie sçay que ce sont
les flatteries de quelques interessez qui taschent
aujourd’huy de destruire par leurs discours empestez,
si peu qu’il te reste de sentiment pour ta
misere : mais sans s’arrester aux pensées des ces

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lasches malheureux, qu’vn interest particulier
rend incapables d’agir pour la deffence du public,
tu dois faire voir dans cette extremité que
tu sçais discerner l’authorité du Roy d’auec vne
puissance Estrangere & Tyrannique ; que si tu
dois l’obeyssance au Souuerain, ta fidelité t’oblige
de le retirer de l’horrible captiuité de ceux
qui ont desia reduit son authorité sur le penchant
d’vn precipice inéuitable : enfin que si cette
obeyssance est de droit positif, la conseruation
de nos biens & de nos vies est de droit naturel,
contre lequel le positif n’a iamais pû rien entreprendre ;
que l’on ne nous abuse donc plus de
ce precieux pretexte. Si nous nous sommes obligez
de rendre obeyssance aux Roys, n’est-il pas
certain que ce n’est qu’à condition qu’il nous seruiroient
de Peres & de Protecteurs ; & sans entrer
dans la question, sçauoir si lors qu’ils viennent à
manquer aux conditions ausquelles ils s’obligent
solemnellement le iour de leur Sacre, nous
sommes quittes de nostre obeyssance, il est indubitable
que nous n’auons presté aucun ferment
de fidelité aux furies qui se sont emparez de l’esprit
de nostre ieune Monarque, & qui ont entrepris
de maintenir leur pouuoir tyrannique au
despens de son authorité Royalle ; ie sçay que
l’on ne peut se soustraire à l’obeyssance d’vn

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pouuoir legitime sans resister au souuerain des
Roys : mais ie ne puis ignorer que l’interest de
tout l’Estat, la conseruation de cette mesme authorité
blessée par la mauuaise conduite de ces
petits Tyranneaux qui tranchent de Souuerains
dans le Conseil, exigent de nous nos vies & nos
biens pour la destruction de ces monstres, & la reparation
d’vn pouuoir legitime, qui depuis vingt
années commence à degenerer en vne Tyrannie
insupportable.

 

Que l’on ne nous accuse donc point de rebellion
lors que nous tascherons de nous deffendre,
puisque loin de blesser la Royauté, nous nous
ioignons à ceux qui ont le plus d’interest à sa
conseruation. Les Princes sont ceux qui doiuent
veiller pour maintenir le throsne, & pour pertuer
vne authorité ou leur sang doit estre esleué
quelque iour ; & neantmoins l’on les traite
aujourd’huy de rebelles, pendant que des
Monstres de fortune esleuez par le pillage & les
concussions manifestes passent pour les fidels sujets
de la Royauté, & les fermes appuis de la Couronne.
Ceux qui ont estendu nos frontieres, qui
ont prodigué leur sang & leur vie pour la conseruation
de l’Estat, qui ont ionché tant de fois les
campagnes des armées de nos ennemis, & qui ont
adiousté les Prouinces entieres à sa grandeur sont

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poursuiuis à main armée comme les destructeurs
de la Royauté, pendant que ceux qui ont pillé
nos Prouinces, trahy les interests du Roy, porté
le fer & le feu dans toutes les bonnes Villes de cét
Estat passent pour les reparateurs de la Monarchie,
les fidels soustiens de son pouuoir, & les
Colomnes inébranlables de son authorité : mais
passons à des choses qui comme plus sensibles
doiuent estre plus capables desmouuoir ton courage,
s’il t’en reste quelque peu qui ne soit point
encore abbastardy par l’excez de ta mollesse, &
de faire boüillonner ton sang s’il en reste encore
dans tes veines : Quels peuples ont iamais enduré
auec vne si estrange insensibilité le dégast de
leurs Prouinces, le saccagement de leurs Villes,
le viol de leurs Vierges, & la prophanation de
tout ce qu’ils auoient de plus saint dans leur Religion ;
ie pourrois apporter icy vn nombre inombrable
d’exemples, qui m’apprennent que le
moindre de ces desordres à fait sousleuer des peuples
tous entiers, & causé les plus grandes reuolutions
des Estats les plus florissans. Le premier
peuple de l’vniuers se mit en pleine liberté pour
le viol d’vne seule Dame Romaine, par le fils de
son Souuerain, & nous ne vengerons pas la chasteté
de nos Vierges consacrées à Dieu, prostituée
à l’impieté d’vne trouppe d’infames & de

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scelerats, le desir de conseruer vn repaire de Demons,
ie veux dire le Capitole, fist faire autrefois
aux Romains des efforts incroyables pour immoler
à leurs diuinitez nos premiers Ancestres qui
s’estimoient desia les souuerains du premier Empire
du monde, & nous ne sacrifierons pas à nos
iustes ressentimens les prophanateurs de nos
Temples Sacrez, du plus Auguste de nos Sacremens
& de nos plus adorables mysteres.

 

Certes il faut aduoüer necessairement, pauure
Ville, que tu es engagée dans vn assoupissement
plus profond que ne fust iamais celuy d’Endimion
ou d’Epimenides, si ces malheurs ne te font
point ouurir les yeux pour discerner le vray du
faux, & l’obligation de ta fidelité iointe à celle
que la nature à grauée dans nos cœurs d’vne legitime
deffence, [illisible]
[illisible] : Sors donc de ce déplorable
estourdissement, & de ce somme malheureux
qui ne peust te conduire qu’à vne funeste ruine,
surge qui dormis & exurge à mortuis. Sors donc peuple
malheureux de cette fatale Lethargie qui differe
bien peu du sommeil de la mort, puis qu’elle
en est vne disposition prochaine. C’est-ce que
i’entreprends ; & il semble que tes ennemis mesmes
soient de complot auec moy, pour t’en faire
sortir ; le remede le plus commun & le plus efficace

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pour retirer vn homme du sommeil le plus
profond, est de luy faire passer dans les narrines
vne espaisse fumée, qui par la raison des contraires
venant à dissiper les vapeurs qui se sont emparées
du cerueau, le réveillent infailliblement. Paris
depuis long-temps s’est endormy, comme parle
le Prophete au plus fort de ses douleurs, & comme
insensible à sa misere, s’est contenté de ietter
quelque soûpirs qui tesmoignent plus sa lascheté
que son ressentiment : mais enfin l’on luy donne
le Camouflet, l’on porte le fer & le feu dans
son voisinage, & la fumée se dilatant iusques sur
sa surface, ne doit-il pas s’il luy reste quelque dessein
de se guarantir d’vne extreme misere, employer
toutes ses forces pour destruire son assoupissement,
& se ressouuenir de ce qu’il est. Non,
pauure peuple, tu ne manques que de cette connoissance
& de reflexion sur le nombre & la force
de tes habitans, & sur la foiblesse de tes ennemis ;
tu enfermes dans tes murailles vn nombre
sans nombre d’hommes capables d’endosser le
harnois ; quarante mil hommes agguerris peuuent
sortir au premier coup de tambour sur cette
canaille d’estrangers qui n’a de generosité, que
pour le pillage de tes Prouinces : Sera-il dit qu’vne
poignée de volleurs aura reduit la capitale de
l’Estat à des conditions, que tant de Bicoques

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ont genereusement refusées ; sera-il dit que nous
serons eternellement badaux, c’est à dire l’opprobre
de toutes les nations & le mespris de toutes
les Villes du monde, qui ne regardent la multitude
de nos Citoyens, que comme vne preuue
inuincible de nostre lascheté ; sera-il dit que le
salut de la France & de nos familles, la conseruation
de l’Estat & d’vne authorité legitime,
dependans d’vne derniere resolution doiuent
estre prostituées par nostre poltronnerie ; sera-il
dit que Paris, qui par vn siege regulier ne sçauroit
estre inuesty, que par vne armée de cinquante mil
hommes, & qui peut estre deffendu par dix ou
douze mille, se rende à la mercy de huict ou dix
mille coquins, pendant qu’il enserre deux cens
mil hommes dans l’enceinte de ses murailles : non,
si nostre assoupissement n’est pas mortel, il y a sujet
desperer que nous ferons ressentir à nos ennemis,
que si le respect de la Majesté Royale nous
a fait supporter iusques à la Tyrannie de ses Ministres ;
enfin si l’on veut nostre sang nous ne le
rendrons qu’auec courage. Ouurons les yeux sur
l’antiquité pour y voir Rome dans ses commencemens
auec vne poignée de Soldats se rendre
maistresse de ses Prouinces voisines, & pousser
enfin ses conquestes sur tout ce qui est esclairé du
Soleil ; que Corinthe, Cartage & Numance, apres

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nous auoir comblé de honte par la consideration
de leur foiblesse & de nos forces, du courage de
leurs citoyens & de nostre lascheté, seruent à nous
retirer de nostre Lethargie, & de nous exciter à
vne genereuse deffence. Ces Villes celebres ont
autrefois tiré de leurs murailles des armées qui
ont dompté leurs voisins, porté la terreur par toutes
les Nations de leur temps : & Paris, qui par vn
seul de ses faux-bourgs égale la plus puissante de
ces Villes, n’a pas le cœur de se porter genereusement
pour la deffence de ses biens, de la vie de ces
Citoyens que l’on vient esgorger iusques à ses
portes, & de sa liberté opprimée par vne puissance
estrangere. Enfin, que Paris fasse hõte à Paris mesme,
que Paris qui n’estant que l’ombre de la grandeur
qu’il possede a soustenu le siege de quatre-vingts
mille Normans, fasse honte à Paris, qui
dans toute sa puissance tremble en toutes ses
parties aux approches de quatre ou cinq mille
voleurs ; que Paris soustenant les sieges de deux
de ses plus puissans Roys Henry III. & Henry IV.
inuesty sous le premier de quarante mil hommes
& de plus de trente sous celui-cy, qui fust contraint
par deux fois de leuer le siege, comble Paris
de confusion ; puisque plus fort & plus peuplé
six fois, qu’il n’estoit pendant ce temps, sa lascheté
ne luy permet pas de faire vn dernier effort

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pour sortir de la derniere & de l’extreme misere
dont il est menacé, est-ce le courage de tes ennemis
qui t’estonne ? ils n’en ont point d’autre que
celuy qu’il tirent de l’excez de ta lascheté ; est-ce le
deffaut de Chefs & de Capitaines, les Mars & les
Hercules François qui sont à ta deuotion, & la
quantité de tes Citoyens qui ont autrefois porté
les armes te doiuent retirer de cette crainte, ioint
que nous n’aurons pas plustost signalé nostre
courage dans quelque occasion remarquable,
qu’il s’en presentera plus que nous n’en pouuons
desirer. Sors donc de ton sommeil, & sans t’amuser
à leuer vne milice stipendiaire qui tireroit le
plus clair & le plus net de ce qui est dans tes coffres,
& n’estant pas interessée comme nous, ne nous
seruiroit que mollement, & peut-estre selon l’interest
particulier de ceux qui en prendroient la
conduite : sortons nous mesmes de l’enceinte de
nos murailles, & nous n’aurons pas plustost témoigné
le desir effectif de nous deffendre vigoureusement
contre ces troupes de volleurs, que
sans attendre l’effet de nostre resolution estonnez
par le grand nombre que nous pouuons mettre
en campagne, ils tomberont infailliblement
dans la disette dont ils nous menacent, puisque
chassez de toutes les Prouinces, ils sont aussi bien
que nous reduits dans la necessité de vaincre ou

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de mourir, vna salus victis nullam sperare salutem, car
ne te flatte point Paris dans la pensée, que si tu ne
te porte pour aucun des deux partis, & que si tu
peut demeurer neutre sans te declarer pour le
party Mazarin, tu pourrois en receuoir quelque
traictement fauorable ; c’est vne erreur trop grossiere
pour pouuoir entrer dans quelque esprit
bien sensé : les Barricades de Paris, & la garde des
portes pour empescher le second enleuement de
ton Monarque, sont des affronts trop signalez
pour estre iamais oubliez d’vn Italien, & de
tous les boute-feux qui l’enuironnent, manet altâ
mente repostum. Ils ont trop besoin de l’argent
qui est dans tes coffres pour te pardonner les entreprises
imaginaires contre leur authorité Tyrannique,
& ces sangsues publiques qui se lassent
de ne plus tirer le plus pur de ta substance, ne
fournissent aux frais de la guerre que dans l’esperance
que s’ils deuiennent iamais absolus, ils te
reduiront dans l’impuissance de s’opposer aux
brigandages qu’ils meditent de nouueau. Ces raisons
sont trop appuyées sur nostre malheureuse
experience, & de toutes les places où ils se sont
rendus les maistres pour pouuoir estre contestée,
& le blocus dernier en est vne preuue si manifeste,
qu’il faut ou n’auoir point d’yeux ou bien
estre entierement interessé dans la caballe Mazarine

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pour les pouuoir reuoquer en doute. Que reste-il
donc maintenant pour t’exciter à vne legitime
& necessaire deffence, est-ce que tu n’es pas
dans l’extremité de la misere ; ie m’en rapporte ?
tous tes passages occupez, tes campagnes desolées,
ton territoire entierement pillé, & tes viures que
l’on arreste ouuertement te menacent d’vne prochaine
famine qui te doit faire apprehender le
comble de tous les malheurs, i’entends vne sedition
intestine : est-ce qu’il ny va pas du salut de
toute la Ville, & que tes ennemis ne meditent pas
la ruine de tous tes Concitoyens ? tant de plumes
plus doctes & mieux disantes que la mienne te
l’ont dû faire voir, & les trois natures de biens
qu’ils pretendent d’enuahir n’exceptent comme
ie crois personne de l’interest commun, & engagent
tous tes Citoyens dans la necessité de se ietter
sur la deffensiue, ou bien s’ils veulent persister
dans leur engourdissement, il n’est que trop euident
qu’ils esprouueront la verité de ce verset du
prophete Roy, dormierunt somnum suum & nibil inuenerũt
omnes diuitiarum in manibus suis, apres quoy
ie ne puis te dire autre chose sinon, surge quæ dormis,
esueille-toy, Ville miserable, dissipe ce sommeil
dangereux & mortel qui s’est emparé de tous
tes sens, & exurge à mortuis, retire-toy de la region
de l’ombre de mort ou ta fetardise t’a presque enseuelie,

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& continget te Christus. Et ton Roy qui est
l’oingt du Seigneur te sera redeuable de la conseruation
de son authorité legitime, si tu as assez de
cœur pour le retirer d’entre les bras de ses ennemis
& des tiens ; ce sera lors qu’estant vny comme
chef au plus beau des membres de son Estat, il
nous rendra l’vnion tant desirée de tous les peuples
qui seule nous peust desliurer de l’excez de
nostre misere, & nous faire triompher de nos ennemis
estrangers : mais disons plustost selon vne
autre version, & illucescettibi ou illuminabit te Christus,
& ton Roy qui comme vn beau Soleil te met
par son absence dans vne obscure nuit, te rendra
par les beautez de sa lumiere vn iour sans nuages
& exempt de toutes les bourrasques qui nous agittent,
& dissipant par la viuacité de ses rayons
toutes les malignes vapeurs des seditions intestines,
il establira sa demeure dans son Louure, d’où
comme de son Ciel, il doit donner les influences
à tout ce qui est au dessous de sa grandeur ; & s’il
attire des exhalaisons propres à faire des foudres,
ce ne sera que pour les lancer sur les testes criminelles
de tes ennemis, qu’il traictera pour lors
comme les siens propres. La nuict que ce Soleil
cause par son absence est de trop longue durée &
trop agittée de tempestes pour la passer toute
dans le sommeil, exurge quare obdormis. Leue-toy

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donc & prends courage, laue la tache de ta lascheté,
& gueris cette insensibilité honteuse qui
te reduit aux abois dans vn fleuue de sang, non
pas tiré des veines d’vn nombre d’innocens, mais
bien de ces infames scelerats qui sont encore ensanglantez
de celuy de tes Concitoyens, & de
tant de miserables innocens massacrez pour ta
querelle, & songe enfin qu’il te sera beaucoup
plus doux & infiniment plus glorieux de perir les
armes à la main pour l’interest veritable de ton
Souuerain & de l’Estat, pour la conseruation de
tes biens & de ta propre vie, que de mourir mille
fois dans vne insupportable langueur causée par
les rigueurs que l’on te prepare.

 

Virgile.

[illisible]

[illisible]

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