Anonyme [1652], LE CAQVET DE LA PAILLE , françaisRéférence RIM : M0_628. Cote locale : B_8_7.
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LE CAQVET
DE LA PAILLE

PVIS que les Roseaux parlerent
jadis, en s’escriant, que Midas
auoit des oreilles d’Asne : Ie ne
croy pas que personne se doiue
maintenant estonner de voir sortir
vne voix articulée de mes tuyaux : Il faut
donc que ie declare ouuertement l’obligation
que i’ay à deux grands Princes, de ce qu’ils me
font l’honneur de me porter à leurs Chapeaux,
& qu’à leur exemple, tous les genereux, fidels
& irreconciliables ennemis de ce foireux
de Mazarin, s’ajustent & se parent de mes
faueurs. Apres auoir donc hautement & auec
esclat publié ma recognoissance, & la grace
que i’ay receüe en voyant ma bassesse releuée,
& d’estre retirée de tant de vils ministeres ausquels
i’ay toujours esté employée, ie me promets
que les Triomphans modernes, & les
nouueaux Conquerans, laisseront les Palmes

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& les Lauriers pour me prendre, pour le plus
pompeux de leurs Trophées : I’aduoüe donc
que le G. Prince de Condé a charmé tous les
yeux, & tous les cœurs des Braues de Paris,
par les preuues qu’il a données fraischement
de sa haute valeur, & en repoussant si vigoureusement
les perfides, qui l’ayans engagé
dans vne Conference, ont pris ce temps
pour le surprendre : Mais tout est tourné à
leur confusion, & ce Heros surueillant les
a rudement chastié de leur temerité, faisant
des jonchées des Cadavres de ces ieunes
Presomptueux qui s’étoient vantés de tailler
ses troupes en pieces ; ces inconsiderez audacieux,
animés du sot esprit de ce detestable
baragoin, qui obsede si insolemment leurs
Majestés, nonobstant tous les justes blasphemes
que toute la Cour vomit contre luy à
son nez, pensoient trouuer vne Conqueste
toute seure, & ce leur est dãs leur perte vn tres-considerable
bon-heur, d’auoir esté terracés
d’vne main si forte & tousiours Victorieuse.
I’aduouë donc qu’vn si grand Capitaine est au
dessus de tous les Eloges, & de tous les trophées,

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& de toutes les marques esclatantes
qu’on sçauroit esleuer à sa gloire : mais ie prie
de tout mon cœur Gaston Fils de France, de se
souuenir qu’il l’est aussi de Henry IV. & par
cette consideration, obligé de se trouuer aux
blasphemes que toute la Cour vomit contre
luy à iamais, attaques, rencontres, combats &
batailles en propre personne, sans prendre le
pretexte des incommodités esquelles il est
sujet : Il doit donner ses ordres sans aucune
excuse à ses troupes, au plus fort de la meslée,
s’il veut qu’on le figure qu’il est Chef de Party,
& son honneur y est engagé, quoy qu’on luy
represente le contraire : qu’il rejette les aduis
des flateurs qui l’entretiennent, & qu’il s’attache
aux beaux sentimens de sa Fille, qui le porte
toujours aux belles & hautes entreprises,
pendant que l’Altesse Beate de sa femme, & le
Cardinal de Rés, ce petit Curé de Rome l’en
retirent : qu’il rejette donc promptement les
conseils de sa conseruation, & d’vne mollesse
oysiue que sa chere & vertueuse moitié, par vn
excés de tendresse luy inspire, & qu’il réueille
son humeur martiale, qui luy est propre & naturelle :

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N’est-ce pas vn reproche honteux &
iniurieux à tant de Gentils hommes & Soldats
qui l’enuironnent si inutilement, que tant de
Bourgeois soient sortis pendant la plus aspre
chaleur du Combat, & qu’aucun de ses domestiques
n’y ayt paru ; quelle bassesse, que tant
de Chambellans & Escuyers, de Maistres d’Hostel
& Capitaines, Lieutenans, Enseignes, &
vn nombre infiny d’Officiers se diuertissent
dans les allées des jardins de S. A. R. pendant
que la plus illustre Noblesse de France est dans
le feu, le sang, & le carnage. Quelle ignominie
à ces coquets de Cour qui ne bougent, pendant
que les Princes du Sang sont exposés à la gueule
du Canon, des Ruelles & des Alcorces. A la
premiere rencontre S. A. R. se fera garder par
ses Aumosniers, & enuoyera les gens de main
de sa maison au Camp. Ces pacifiques Champions
qui sont fiers dans l’appartement de
leur M. mais fort decontenances à l’Armée,
pressent le Duc d’Orleans de faire des leuées de
deniers sur les braues Citadins, pour les engraisser
& les remonter, & bien que la pluspart
craignent les coups de mousquet, & s’euanoüissent

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à l’odeur des Casolettes de l’Arsenal :
neantmoins ils demandent des Regimens
pour ne les commander qu’a la place Royale :
& pensent qu’on se satisface de leur braueure,
quand on les verra faire des Caracoles autour
de l’effigie de Louys XIII ô ! ils s’abusent tres-fort,
ie leur declare que s’ils manquent à se
rendre auprés de la personne du General à la
premiere alarme, on les ira charger iusques
dans leurs lambris, & les forcera-on d’aller à
la guerre, dont ils ne cognoissent plus les exercices.
A la premiers proposition des taxes, on
est resolu de les payer à coups d’espées, de carabines,
& de mousquetons, contre ceux qui
seront si hardis de les exiger, & de mettre sur le
carreau tous les Ministres & les principaux de
cette iniquité, de prẽdre reuãche des outrages,
faits à tant de personnes de qualité dans l’Hostel
de Ville, & on pare le fer & les flammes
aisément. Qu’on se tienne donc sur ses gardes,
& que nostre nouueau Gouuerneur s’oppose à
toutes les violences concertées, autrement il
seruira d’exemple & de spectacle : & on fera
voir aux Puissances chancelantes qu’elles peuuent

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estre aisément destruites, & que leur sang
peut couler aussi aisément que celuy des rustres
qui sont vestus de haillons, & qui portent
des sabots. C’est tout ce que i’ay appris des
intentions des Bourgeois, dans les Conferences
qu’ils ont tenuës en leurs pourmenades, i’ay
repeté leurs paroles, & suis rauie de faire leur
Echo.

 

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