Anonyme [1652], LE CARACTERE DE LA ROYAVTE. ET DE LA TYRANNIE faisant voir PAR VN DISCOVRS POLITIQVE. I. Les Qualitez necessaires à vn Prince pour bien Gouuerner ses sujects. II. Les maux qui arriuent aux Peuples lors que les Souuerains sont incapables de les Gouuerner. , français, latinRéférence RIM : M0_631. Cote locale : B_2_35.
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LE CARACTERE DE LA ROYAVTÉ

Et de la Tyrannie, faisant voir par vn Discours
Politique.

I. Les qualitez necessaires à vn Prince pour
bien Gouuerner ses sujects.

II. Les maux qui arriuent aux Peuples lors
que les Souuerains sont incapables de les Gouuerner.

Bien que la Maxime des Philosophes soit
tres veritable, qu’vn contraire n’est jamais
sans vn autre qui luy est opposé, & que tant
plus ils sont proches tãt mieux on en descouure
les differences, comme la Peinture adjouste sur
vn mesme Tableau des ombrages aupres de
plus viues couleurs pour en releuer l’eclat :
Neantmoins ou par vn aueuglement honteux
ou par vne lacheté Criminelle, la plus part de
ceux qui viuent soubs le Gouuernement Monarchique,
confondent la Royauté auec la Tyrannie
bien qu’il soit aussi aisé de distinguer
l’vne d’auec l’autre, comme il nous est facile
de ne pas confondre le chaud auec le froid, l’amer

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auec le doux, les tenebres auec la lumiere.
I’aduouë qu’il faut estre libre pour iuger comme il
faut du Gouuernement de l’Estat, l’organe
dit Aristote doit estre priué des qualitez
de son object pour receuoir les especes, car tout
ce qui est receu s’accomode à la nature de ce
qui le reçoit.

 

Quidquid recipitur per modum recipientis
recipitur.

Ainsi toutes les couleurs paroissent iaunes
à ceux qui sont icteriques & le miel semble
amer à ceux qui ont la langue & l’œsophage
plein de bile.

Pour iuger donc auec sincerité de la qualité
du gouuernement de nostre Estat, il faut estre
dessinteressé, n’auoir l’esprit preoccuppé ou
de haine ou d’amour pour ceux qui tiennent
les Reines de l’Empire, & n’estre touché d’autre
affection que pour le bien qui se communique
auec plus d’estenduë au public.

Quoy que la fin de la Politique soit de rendre
les hommes heureux, & que pour paruenir à
cette fin le gouuernement Monarchique ait
esté iugé le plus propre par beaucoup de sages,
neantmoins l’experience nous fait voir le contraire
soit que nous considerions les Empires
en leurs establissements soit en leur vigueur

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soit en leurs decadences & en leur fin.

 

Lors que la politique est fondée sur la morale
c’est à dire que celuy qui gouuerne l’Estat, est
homme de bien, prudent, iuste, fort & moderé,
tous ceux qui se trouuent dans la mesme
Societé Ciuile peuuent esperer da paruenir par
son moyen au plus haut degré de bonheur, &
dessors comme enseigne Arristote cette personne
doit estre considerée non point comme
vn homme : mais comme vn Heros ou comme
vn Dieu. Mais combien pensez vous qu’il
s’est trouué de Monarques qui ont monté sur
le throne estant doüez de toutes ces vertus ?
pour vn que ie pourrois soustenir auoir esté capable
de manier le Sceptre, il s’en trouuera
cent, voire mille qui n’estoit pas dignes d’auoir
la moindre charge de leur Empire.

Faisons vne petite reflection sur les quatre
Monarchie ; & voyons comme celle des Assiriens
à esté establie par Nembroth continuée
par Semiranis & finie par Sardanapale. Celle
des Medes fut commancée par Cirus que Xenophon
à donné pour modelle à tous les Roys
bien qu’il eust vsurpé l’Empire, & finie par Darius
vaicu par Alexandre qui donna l’establissement
à la troisiesme Monarchie, ayant destruit
plus d’vn million d’hommes qui ne l’auoient

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iamais offencé ny veu ny connu, fut
transferée des Grecs aux Romains, Iules Cezar
aiant opprimé la liberté de la plus puissante Republique
de la terre, & transmis l’Empire de
l’vniuers à de monstres, estant auparauant tenu
par le peuple le plus belliqueux & le plus iuste
qui fut au monde. Dans tous les Catalogues des
Empereurs des Roys, Potentats ou Souuerains
que trouue-on que des hommes illustres oû
par leurs vices ou par les maux qu’ils ont causé
dans les pays estrangers ou mesme dans leur patrie ?
Tous ont esté portez au thrône par l’ambition,
les vns pour y monter ont passé sur le
corps motts de leurs freres, les autres de leurs
nepueux, les autres de leurs peres, & des Reynes
ambitieuses se sont voulu prostituer à leurs
propres enfans comme Semiramis & Agripina,
& d’autres ont fait massacrer leurs maris, d’autres
ont donné du poison à leurs propres enfans
pour placer leurs ruffiens sur le thrône.

 

Ce qui est encore de plus effroyable parmy
tant d’horreur, est que le thrône authorise les
crimes de ceux qui l’occupent, l’orgueil & la
cruauté ayant receu des Apotheoses quand ils
ont eclaté soubs le Diademe. Que dirons nous
que dans la Monarchie dont Dieu mesme a esté
le fondateur la pluspart des Roys ont degenere

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des vertus de celuy que Dieu auoir trouué selon
son cœur ; horsmis deux ou trois Roys d’Israël,
tous les autres n’ont rien valu selon le tesmoignage
de l’Escripture, ayant perdu le peuple ou
par leur auarice ou par leur Idolatrie. Aussi
quelque image de la diuinité que les peuples attribuent
à leurs Souuerains neantmoins il est
tres certain que la Iustice de Dieu se sert de ces
puissances Souueraines pour chastier auec plus
d’estenduë & de rigueur les offences qui se fõt
contre luy, ils deuiennent les instruments de
ses vengeances apres auoir esté l’object des
adorations criminelles, c’est pourquoy Dieu
menaçoit par son Prophete le Monarque d’Assirie
disant malheur à Assur qui est la verge de ma
fureur, voulant dite que comme vn pere jette
dans le feu les verges apres auoir chastié ses enfans,
de mesme Dieu apres s’estre serui des Potentats
pour punir les crimes des peuples, il
tourne ses vengeances sur leurs testes Criminelles.

 

Si nous voulons sçauoir pourquoy dans tous
les Estats, où les subjets obeïssent à vn seul : Il
faut plusieurs siecles pour trouuer vn regne
heureux, il faut considerer que l’authorité R.
ne peust seruir que de ruine aux subjects de la
Monarchie, si elle n’est accompagnée d’vne

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haute vertu & principalement de la moderation
qui ne peust estre conjointe que par vn esprit
cultiué par les estudes & par l’exercice des
vertus auec tant de pompe, d’esclat & l’authorité.

 

Aussi les plus sages ont pris pour caractere
de la Royauté non le Sceptre & le Diademe,
non la pourpre & la foule des Courtisans, auec
vn esprit foible, ou ambitieux. Mais la vraye
marque de la Royauté est vn Empire absolu sur
les passions qui fait regarder tout au dessous de
soy, vne assurance contre toutes les disgraces ou
faueurs de la fortune en vn mot ne riẽ craindre

Rex est qui metuit nihil.

Voulez vous sçauoir dit Senecque en quel lieu
la dignité Royale est placée, elle loge dans vne
ame releuée qui void tout au dessoubs de soy &
ne craint rien.

 


Nescitis cupidi arcium,
Regnum quo iaceat loco :
Regem non faciunt opes
Non vestis tyriæ color
Non frontis nota regiœ
Non auro nitida trabes.
Rex est qui posuit metus
Et diri mala pectoris
Quem non ambitio impotens

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Et numquam stabilis fauor
Vulgi precipitis mouet.
Qui tuto pofitus loco
Infra se videt omnia
Occuritque suo libens
Fato nec queritur mori
Mens regnum bona possidet
Rex est qui metuit nihil
Hoc regnum sibi quisque dat.
Illi mors grauis incubat
Qui notus nimis omnibus
Ignotus moretur sibi.

 

La Royauté doit rendre heureux, & les subjets
& le Monarque, le bonheur de l’homme est
scitué dans la sagesse qui luy donne vne parfaite
connoissance, premierement de luy mesme
& en apres des choses qu’il est obligé de sçauoir
c’est pourquoy, nostre Poëte estime pauure
& malheureux celuy qui estant sur le trône
est connu de tous, est inconnu à luy mesme
& apprenant ce qu’il deuroit ignorer & ignorant
ce qu’il deuroit sçauoir.

Ceux là se trompent qui disent que les Rois
ne se font pas, mais qu’ils naïssent. Car puisqu’il
n’est point de mestier plus difficile que de
commander aux hommes, comment voulez
vous qu’on le sçache sans l’auoir appris ? Aussi

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ie donne pour marque ou pour carractere de la
Royauté, les quatre vertus Morales qui deuiennent
Politiques en la personne du Monarque à
raison que ces vertus regardent en sa personne
le bien vniuersel & quelles ont pour fin de procurer
la felicité de tous les subjets qui viuent
soubs vne mesme societé ciuile.

 

La premiere marque de la Royauté est la prudence
Politique du Souuerain pour gouuerner
son Estat, qui est vn addresse de bien manier
l’authorité Souueraine & conduire les peuples
par vne obeïssance entiere sans violence à sa fin
qui est la felicité des hommes par l’abondance
de toute sorte de biens & par la securité contre
les maux.

Pour acquerir cette prudence Politique il
faut. I. Que le Souuerain se cognoisse luy
mesme qui est vn estude tres important & par
lequel il pourra paruenir à la sagesse & par ainsi
se rendre digne de commander sapientis est imperare,
En second lieu il doit cognoistre le naturel
du peuple auquel il commande pour le
moins en general, noscenda natura vulgi est &
quibus modis temperanter habeatur. 3. il doit estudier
les Loix fondamentales de l’Estat, apprendre
l’Histoire & se seruir de maistre à luy mesme
tirant vne instruction de tout ce qui s’est

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passé dans le regne de ses ancestres, & puisque
la prudence Politique est vne vertu qui regle
ce qu’il faut faire recta ratio agendorum, il doit
tousiours auoir pour maxime que le bien de
l’Estat c’est a dire de tous les sujects en general
non point de ses proches ou de ses domestiques,
est le bien du Prince se seruant en tout
de cette Loy souueraine qui le regarde plus tost
luy que tout autre.

 

Salus populi suprema lex esto.

Cette prudence Politique s’acquiert par la
cognoissance de choses que le Prince a luy mesme
veues & maniées on par le recit de celles
dont il entend discourir ou par la lecture de
celles qu’il aprend dans l’Histoire, puisque la
prudence comprend toutes les vertus comme
dit S. Ambroise connexæ interse sunt coneatenatæque
virtutes. Le Prince doit monstrer à tous
ses suiects qu’ils est doüé d’vn singuliere pieté.
Car cõme enseigne Lactance, c’est la Religion
qui maintient la societé humaine qui ne peut
autrement subsister que par l’obseruation du
culte qui est deu à Dieu, ainsi disoit Ciceron
l’Empire Romain s’est estendu par tout l’vniuers
à raison que la Ville de Rome auoit plus
de pieté que toutes les autres.

Ie n’entends pas icy que le Prince abusant du

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nom de Pieté excerce vne horrible tyrannie
sur la conscience de ses sujects. Ainsi Iules l’Apostat
vouloit despouiller les Chrestiens de
leurs biens par ce que l’Euangile nous enseigne
le mespris des richesses Charles Quint, faisoit
faire des Processions à Bruxelles pour le Pape
tandis que ses lieutenants le tenoient assiegé
dans Rome, & Henry second faisoit brusler
quelques vns de ses sujects protestants & enuoyoit
en Allemaigne des armées pour deffendre
les autres qui faisoit la guerre à son aduersaire.

 

Apres la prudence vient la Iustice qui est la
seconde Marque de la Royauté. Car comme
dit S. Augustin, les estats ne sont que brigandages
s’ils ne sont administrez par la Iustice quid
sunt regna nisi ingentia latrocinia nisi vbi adest
iustitia. Or comme toute la Iustice s’administre
soubs le nom du Prince aussi doit elle resider
en luy comme dans sa source & dans son Origine.
Le Prince n’a point de plus dangereux ennemis
que ceux que luy veulent faire croire
qu’il est par dessus les Loix, que tout ce qu’il
veut luy est permis & qu’il deuient équitable
des aussi tost qu’il le cõmande qu’il doit regner
par la force & que l’amour des peuples rend le
Throsne moins asseuré que la crainte. Ce sont

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des termes dignes des Tyrans que les Poëtes
ont logé dans les Enfers à sçauoir de Lycus &
d’Atrœus dans le Thyeste de Senecque, à sçauoir
que l’authorité Souueraine paroist en ce
que les subjets doiuent ou degré ou de force faire
ce que leur Souuerain commande, & donner
mesme leurs approbations, & leurs louanges
à ce qu’ils abhorrent & detestent.

 

 


Maximum hoc regni bonum est,
Quod facta domini cogitur populus sui
Quàm ferre tam laudare.

 

Qu’vn homme simple reçoit des veritables
loüanges : mais qu’il n’y a que les Souuerains
qui puissent en extorquer de fausses.

 


Laus vera, & humili sæpe contiugit vero
Non nisi potenti falsa.

 

Que si l’on fait entendre au Souuerain qu’il
n’a qu’à commander des choses iustes & legitimes
& qu’il sera plustost obey qu’il n’aura commendé
Rex velit honesta nemo non eadem velit
vn Lycus vous respondra qu’il ne s’estime point
estre Roys il ne peut commander que ce qui est
Iuste ; que ce n’est pas regner que de ne pouuoir
faire ce qu’on veut, & le deffaire de ce qui desplaist,
que la pieté la Iustice la probité sont des
vettus propre pour les hommes priuez, mais

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que les Rois ne doiuent point reconnoistre des
loix puisque c’est à eux de les prescrire.

 

 


Vbicumque tantùm honesta imperanti licet
Precario regnatur sanctitas, pietas fides,
Priuata bona sunt, qua iuuat Reges eant.

 

Voilà les paroles des Lycus, des Atrees, des
Ixions & des Tantales, mais qui se trouueront
cõformes au langage & qui plus est aux actions
mesme de nos Princes, qui faisant prosession
de la Religion Chrestienne sont encores plus
criminels & plus coupables que ces anciens
Idolatres.

Le Prince donc doit estre le premier Iuste &
equitable sçachant qu’il n’a riẽ à luy & que luy
mesme est consacré au public par sa charge, biẽ
loin d’estimer que la vie & les biens de ses subjets
sont en sa disposition, autrement que pour
le bien de l’Estat, c’est à dire pour leur conseruation
& deffense. Apres il doit faire garder la
Iustice aux autres estant depositaire des Loix &
portant en main le glaiue pour deffendre les
Innocents & chastier les coulpables. Ceux qui
disent qu’il doit dispenser les recompenses par
luy mesme & donner aux autres la commission
de punir les crimes se trompent car il est autant
ou plus important pour le bien public que les
crimes soit chastiez que les bonnes actions recompensées.

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Il doit euiter la multiplicité des
loix & des ordonnances & abolir la chicane
comme vne peste de l’Estat,
Corruptissimœ Reipublicœ plurimœ leges.
& bien loin de vendre les offices de Iudicature
il deuroit faire escorcher ceux qui auroient receu
de presents pour recompense de leurs iugemens,
& à l’exemple de ce sage faire assoir le
fils du meschant Iuge sur la peau de son propre
pere. Quelle honte que nos souuerains ont du
tout abandonné le plus noble exercice de leur
authorité Royale, & ont prostitué cette noble
Vierge d’Hesiode à des faux Prestres de Themis
qui font vne infame trafic de ce qui est le
plus Auguste & le plus sacré parmi les hõmes.
Autresfois la Maison de nos Roys estoit le Temple
de la Iustice, le lieu de leur demeure portoit
le nom de Palais qui reste maintenant à celuy
ou se rend la Iustice, & maintenant nos Princes
ne se font voir dans ce sanctuaire qu’apres l’auoir
rempli de gens armés & ny viennent que
pour faire verifier par force des Edicts qui ont
esté concertez par des Partisans qui mettent
toute leur industrie à trouuer les moyens de ruiner
le peuple. Il doit joindre la seuerité auec la
clemence, vsant de cette cy enuers ceux qui
l’ont offencé, & de l’autre enuers les plus coupables.

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Si nous voulons rapporter la veritable
cause de tous nos maux, nous n’auons qu’a dire
que c’est l’jmpunité des crimes. Il n’est rien
qui attire dauantage la diuine vengeance sur les
peuples que de laisser le peché impuni. C’est
neantmoins commun en ce Royaume que le
supplice est destiné au malheureux & non au
coulpables, nos loix sont des toiles d’Aragnée
qui prennent des mouches & sont trauersées
par les gros frelons. On vole, on viole, on tuë
on massacre impunement dans tout le Royaume,
non seulement en temps de guerre, mais
en pleine paix, quiconque aura quelque accez
à la Cour ou pourra descouurir la Maistresse
d’vn Iuge est asseuré de sa lettre de grace. Et
comme nous voyons que dans les Royaumes,
& Estats où la Police s’obserue, où rien ne demeure
jmpuni, la benignité diuine les remplit
de ses graces & de ses benedictions celestes, le
nostre au contraire est accablé soubs le faix de
la diuine vengeance à raison des crimes qui se
commettent impunement par tout le Royaume.

 

Quelques vns estiment que le Prince peust
faire vie iniustice à quelque particulier pourueu
qu’il en reuienne du profit au general, qu’ainsi
il se peust deffaire secrettement de ceux qui

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peuuẽt troubler l’Estat & se rendre redoutables
par leur puissance qu’il peut prendre le bien des
plus riches, occuper les places & les Prouinces
d’vn Estat voisin pour rendre le sien plus asseuré
& plus tranquille. Ceux-ci nous disent que
pour garder la Iustice aux choses grandes il faut
quelques fois s’en destourner aux choses
petites & que pour faire droit en gros il est
permis de faire tort en detail : qu’ordinairement
les plus hautes entreprises ont de l’jniustice,
mais que le mal qui en arriue aux particuliers
est recompensé par le profit qui en reuient
à tout le public Omne magnü exemplum, dit Plutarque,
habet aliquid ex iniquo quod aduersus sin
gulos vtilitate publica rependitur.

 

Mais ie n’approuue point la Politique qui
destruit la Morale, le suis plustost de l’aduis de
Sainct Paul qu’il ne faut jamais faire le mal afin
que le bien en suiue.

Non sunt facienda mala vt inde eueniant bona.

Cela n’empesche pas que le prudent & sage
Prince ne puisse disposer des Loix contre les lois
mesme si la necessité le requiert, Ayant tousiours
pour reigle la Souueraine loy qui est le
bien de l’Estat, c’est à dire le bien de ses subjets.

La troisiesme marque de la Royauté consiste

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en la valeur. La cognoissance des Loix, & de lart
Militaire doit estre tout l’estude d’vn Prince
c’est son Rudiment & ce qui le doit rendre parfait
Imperatoriam maiestatem non solum armis decoram
sed & legibus oportet esse armatam, vt vtrũ
que tempus & belli & pacis recte possit gubernari.

 

C’est icy le plus important de son seruice que
de sçauoir faire la guerre à quoy est requis, la
prudence, le courage, & la bonne fortune. Ie
reduits à trois chefs tout ce qui depend de cette
matiere qui sont 1. entreprendre, 2. faire, 3.
finir la guerre, quand à l’entreprise la Iustice &
la prudence la doiuent preceder. La Iustice doit
deuancer la valeur comme la deliberation doit
preceder l’execution. Ce sont des paroles d’vn
furieux que le droit est dans la force, que lissuë
en decidera, que le plus fort l’emportera. La
guerre à ses droits mais elle ne doit point estre
commencée par des legers offences non ex omni,
occasione quœrendus triumphus. Mais l’ambition,
l’auarice, & la vengence en sont les motifs
ordinaires. Vna & ea vetus bellandi causa profunda
cupido jmperij & diuitiarum ; maximam
gloriam in maximo imperio putant rumpere fadus
impius lucrj furor & ira prœceps.

Cassiodore dit qu’il n’est point de cause assez
iuste qui nous puisse porter à prendre les armes

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contre la patrie. Nulla satis iusta causa videri
potest aduersus patriam arma capiendi.

 

S. Ambroise dit que les armes sont iustes
quand par elles on deffend son pays contre les
Barbares, ou contre les Larrons & les Brigands,
vn autre dit qu’vn estat bien policé n’entreprẽd
jamais la guerre que pour euiter sa ruine, que la
guerre deuient iuste lors qu’elle est necessaire
& que le different ne peust estre terminé que
par les armes. Iustum bellum quibus necessarium,
pia arma quibus nulla nisi in armis velinquitur spes.
Enfin les sages ne font la guerre que pour la
paix. Sapientes pacis causa bella gerunt, & laborem
speotij sustentant vt in pace sine iniuria viuãt.
Et les genereux se contentent de vaincre sans
perdre leurs ennemis ayant pour maxime. Parcere
sujectis & de bellare superbos.

Les autheurs des guerres Ciuiles sont en detestation
à tous les gens de bien toutes les maledictions
& reproches tombent sur le chef
Iniquissima bellorum conditie hæc est, prospera
omnes sibi vendicant, aduersa vni imputantur.

C’est vne rage d’entretenir vne guerre Ciuile
& de venir à ces extremitez de perir ou faire
perir les autres, & d’exposer son Royaume au
pillage c’est ne pas se soucier de perdre son authorité
ou sa Couronne.

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Le Prince se doit faire craindre, mais c’est des
ennemis & non de ses sujects, sur lesquels il
dojt regner par amour. Amorem apud populares,
metum apud hostes quærat. Il doit tenir tous ses
sujects en leur deuoir, & ne doit point ruiner le
peuple pour enrichit ou ses soldats ou ses fauoris

Auguste auoit trouué le moyen d’estre egalement
chery de la gendarmerie & du peuple
mesnageant sagement les Finances militem denis,
populum annona, cunctos dulcedine otij pellexit.

La 4. marque de la Royauté est la moderatiõ.
Cette moderation peut estre coniointe auec la
grandeur de courage & mesme il n’est que les
genereux qui se puissent moderer dãs vne haute
fortune magnam fortunam, magnus animus decet.
Quand vn Prince s’estimera plus heureux
d’estre bon Citoyen que d’estre souuerain il ne
derogera point à son authorité ny n’afoiblira
point son Empire. Firmissimum id imperium que
obedientes gaudent. Philippe se faisoit aduertir
tous les iours qu’il estoit homme pour ne pas
se mescognoistre & se monstroit en cela plus
grand Roy.

Par cette moderation il euitera la haine & le
mespris qui sont les deux ennemis qu’il a à cõbatre.
Il doit à la verité tenir ferme le tymon
de l’Estat & les Resnes du Gouuernement mais

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il ne doit pas aussi les serrer par trop. Vn Royaume
sera mieux estably & l’authorité Souueraine
ne sera point diminuée en la personne du
Monarque, estant communiquée au Magistrats
qui sont les depositaires de l’authorité du
Prince & de la liberté des peuples & par ce
moyen il se fait vne harmonie dans l’Estat qui
luy donne la forme & le fait subsister tandis
qu’il demeure dans ce temperament.

 

Voyla à plus pres le veritable Caractere de la
Royauté, auquel on peut reconnoistre le Prince
d’auec le Tyran cettuy cy ayant l’authorité
Souueraine commune auec l’autre mais il luy
est dissemblable en plusieurs façons.

Ie ne diray pas que la differẽce principale qu’il
y a entr’vn Roy & vn Tyran, c’est que cettuy cy
a vsurpé l’authorité Souueraine puis qu’il n’est
point de Monarchie, ou d’Empire, dont l’establissement
& l’estẽduë ne soit venuë par vsurpation
horsmis la seule Monarchie d’Israël de laquelle
Dieu a esté le fondateur, & il ne sert de
dire que la successiõ peut rendre legitime celuy
qui de son commencement ne l’estoit pas car
outre que l’heritier ne peut auoir que le mesme
droit que celuy auquel il succede la Loy dit
hauttement que les choses qui sont injustes &
mauuaises de leur nature, ne peuuent en aucune
façon en veillissant deuenir bonnes & iustes

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quœ ab origine mala sunt successu temporis non possum
fieri mala si vn homme a prins mon bien ny
luy ny ses enfans ny ses nepueux iusques à la fin
des Siecles n’en peuuent auoir vn posession legitime.

 

Mais i’estime que la veritable difference du
Roy & du Tyran se doit prendre de l’vsage de
l’authorité Souueraine, & que le Roy se sert de
cette puissance non pour son bien propre mais
pour le bien de l’Estat, c’est à dire pour la tranquillité
de son peuple, pour procurer la felicité
de ses suiects.

Par les marques que nous auons données de
la Royauté nous cognoistrons celles de la Tyrãnie.
Platõ dans son Gorgias definit Tyrã celuy
qui a licence dans vne Cité de faire tout ce qui
luy plaist, & nous dirons que c’est vn Souuerain,
imprudent, inique, foible & inmoderé.
Comme la corruption des meilleures choses est
pire que des moins bonnes corruptio optimi pessima
aussi la Monarchie degenerant en tyrannie
ce qui n’arriue que trop souuent, produit
de plus grands desordres & cause de plus grãds
maux. Aristote dit que la puissance qui est absoluë.
penche du costé de la tyrannie, omnis potestas
absoluta vergit in tyrannidem.

Aussy les plus sages legislateurs ont voulu
balãcer l’authorité Souueraine communis omniũ

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custodia neminem vnum magnû facere.

 

Comme la vertu est dans l’entre deux des deux
extremitez contraires à sçauoir de l’excez & du
defaut aussi il arriue que la Royauté degenere en
tyrannie par deux gouuernemens contraires à
sçauoit par vn gouuernement lache mol & effeminé,
& par vn gouuernement violent. Il y a des
Princes soubs lesquels tout est permis d’autres
soubs lesquels rien n’est loisible, ce sont des corruptions
de l’Estat. Principem habere sub quo omnia
liceat malum, peius sub quo omnia omnibus licuit.

II. Si nous faisons maintenant reflection sur le
gouuernemẽt de nostre estat nous trouuerons que
tous les desordres qui s’y trouuent, viennent des
deux extremitez de la foiblesse du Prince & de la
violence de ceux qui gouuernent sous son authorité.
Nous ne deuons pas nous estonner de voir
cette guerre ciuille ni en rechercher autre cause.
Tandis que la France a eu des enfans ou des femmes
ou des hommes malades ou foibles pour souuerains
elle a esté affligée de la mesme maladie.

Il est bien vray qu’il semble que de tous les peuples
qui sont soubs la terre il n’en est point de si affligez
que nous. Les regnes des Nerons nous sembleroiẽt
des siecles d’or. L’enfance de Clotaire les
regences des Fredegondes des Brunehauts & des
Catherines les maladies de Charles 6. Les cruautez
de Louys XI. les horreurs mesme de la ligue tout

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cela ensemble se trouue dans ce miserable Royaume
dont l’Estat est plustost vne Anarchie qu’vn veritable
gouuernement.

 

Aussi plusieurs apprehendent auec raison que fi
Dieu pat vne prouidence particuliere ne conserue la
Monarchie Françoise quelle est paruenuë à son dernier
periode.

Il y a long-temps qu’vne personne de mes amis me
me dit auoir oüy reciter à vn homme digne de foy
que la Reyne Catherine de Medicis estant portée
d’vne curiosité de sçauoir l’aduenir fit venir en sa presence
vn Magicien, & voulut sçauoir de luy si ses
enfans seroient Roys, & qui seroient leurs successeurs.
Que ce Magicien luy fit voir dans vn Miroüer
premierement vn jeune enfant lequel fit vn tour &
puis disparut 2. vn jeune homme qui fit neuf tours &
puis s’euanoüit comme l’autre. En apres vn troisiesme,
lequel fit quinze tours & disparut, en suitte elle
vit dans le Miroüer vn Soldat qui fit vingt tours &
deuint comme les autres, en apres vn homme à longs
cheueux & la barbe razée qui fit trente deux tours,
apres quoy elle vit dans le Miroüer des chiens & des
chats qui se dechiroient les vns les autres, Ce qui
l’effraya tellement qu’elle dit au Magicien qu’il retirast
son Miroüer & qu’elle n’en vouloit pas sçauoir
dauantage. Tous ces tours correspondent au nombre
des annees que nos derniers Roys ont vescu & ces
chiens & ces chats sont l’embleme funeste du gouuernement
d’aujourd’huy. I’aurois de la peine à croire
cette histoire bien que son accomplissement nous
paroisse deuant les yeux si ie n’auois leu que du tẽmps
de Henry 8. Roy d’Angleterre. vn Prophete ou Magicien
predit la suite de ceux qui deuoient tenir le
Royaume apres luy, & la fin de la Monarchie Angloise
par ces vers.

Mars puer, Alectho, Virgo, vulpes, leo, nullus, dij melicra.

FIN.

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Anonyme [1652], LE CARACTERE DE LA ROYAVTE. ET DE LA TYRANNIE faisant voir PAR VN DISCOVRS POLITIQVE. I. Les Qualitez necessaires à vn Prince pour bien Gouuerner ses sujects. II. Les maux qui arriuent aux Peuples lors que les Souuerains sont incapables de les Gouuerner. , français, latinRéférence RIM : M0_631. Cote locale : B_2_35.