Anonyme [1649], LE CAVALIER D’OVTRE-MER. , françaisRéférence RIM : M0_660. Cote locale : C_2_26.
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LE
CAVALIER
D’OVTRE-MER.

M. DC. XLIX.

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LE CAVALIER
D’OVTRE-MER.

DIALOGVE.

LE CAVALIER.

LE PAYSAN.

LE CAVALIER.

 


IE viens de ces belles contrees
Qui les premieres sont dorées
Par les rais du bel œil du iour
Quand il vient pour faire son tour.
Vray Dieu que i’apprens de merueilles
Par mes yeux & par mes oreilles,
Que ie vois de diuersitez
Dans les champs & dans les Citez.
Tous les iours vn lieu me propose
A voir vne nouuelle chose,
A chaque heure à chaque moment
Ie reçois du contentement,
Et courant nouuelle auanture

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Ie vois les secrets de nature,
Ie contemple diligemment
Les mœurs des peuples, & comment
On traitte par tout sur la terre
Ou bien la paix ou bien la guerre,
Et passant ainsi les dangers
Ie vois les peuples estrangers.
Maintenant que ie suis en France
Il faut que i’aye l’asseurance
De m’enquester ce qu’on y fait ;
Afin que ie sois satisfait
Ie vois arriuer ce me semble
Vn bon homme à qui le corps tremble
Et qui s’en va de mon chemin
Tenant vn baston à sa main.
Cette vieillesse d’ordinaire
Sçait tousiours quelque bonne affaire,
Et se plaist à la raconter.
Il faut que ie l’aille arrester.
Mon bon homme, Dieu vous regarde
Et vous ait tousiours en sa garde,
Ie sçay que ie suis estranger,
Mais s’il vous plaist de m’obliger,
Permettez-moy ie vous supplie
Que i’aille en vostre compagnie.

 

Le Paysan.

 


Bien vous soit, Monsieur, venez y
Ie m’en vay tout droit à Choisy,
Si vostre chemin s’y adresse,
Espargnez icy ma vieillesse
En moderant vn peu vos pas,
Aussi bien vous estes trop las.

 

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Le Caualier.

 


De fait ie suis bien las, mon Maistre,
Et i’ay bien le suiet de l’estre,
Mon cheual est bien las aussi,
Car ie viens de bien loin d’icy.
Mais dittes-moy quelque nouuelle,
Ou quelque histoire qui soit belle
Pour nous des ennuyer vn peu,
Nous auancerons peu à peu.

 

Le Paysan.

 


Puisque vous venez hors de France,
Monsieur ie prendray l’asseurance
De vouloir apprendre de vous,
Car rien ne se passe chez nous
Que vous ne sçachiez dés cette heure,
Car on sçait par tout ie m’asseure
La guerre que l’on nous a fait.

 

Le Caualier.

 


I’en ay ouy parler en effet,
Mais ie seray bien aise encore
Si quelqu’vn me le rememore,
Et si vous m’apprenez quel est
Le Mazarin qui vous desplaist,
Et dont i’entens à toute reste
Dire tousiours qu’il vous moleste,
Quel est donc ce pelerin là
Si hardy de faire cela ?

 

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Le Paysan.

 


C’est vn homme appris à tout vice,
De la couleur d’vne escreuice
Quand elle a boüilly dans vn pot ;
Il est plust benaist qu’vn fagot,
Mais pourtant il sçait si bien faire
Qu’il tourne tousiours son affaire
Du costé le vent le meilleur,
Et bien qu’il ne soit pas tailleur
Il a pourtant l’intelligence
De tailler tousiours sur la France,
Si bien, Monsieur, que maintenant
Il est le Carninal tenant,
Car nous n’auons point de remede,
Pour empescher qu’il ne possede ?
Nostre bien, la Reyne & le Roy,
Et cet homme a si bien de quoy
Qu’il entreprend à guerre ouuerte
De causer vn iour nostre perte.
Et pour mieux en venir à bout
Il auoit desia mis par tout
La dissension & la guerre,
Si Dieu de qui la main enserre
Le pouuoir de ne nous secourir.
Nous eut voulu laisser mourir.

 

Le Caualier.

 


Cet homme est vrayment detestable ;
Mais vne histoire veritable
Que i’ay veuë dans le Iapon,
Nous peut apprendre tout de bon,

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Qu’il ne faudroit iamais permettre
De s’establir & de se mettre
Au plus haud degré de l’Estat,
Car c’est tousiours quelque attentat
Où aspire cette canaille
Qui ne tend qu’à la funeraille,
Et qui faisant tousiours beau ieu
Conspire au throsne peu à peu.
Continuez donc de m’instruire,
Puis viendra mon tour à vous dire.

 

Le Paysan.

 


Ie suis bien aagé de cent ans,
Mais ie n’ay veu qu’en d’autres temps
Si ruineux qu’ils peussent estre
Le vallet soit deuenu maistre,
Mais cettuy-cy le tasche bien,
Car vraiment il n’espargne rien,
Pour s’esleuer sur la Couronne
Et encore qui plus luy donne
De hardiesse & de credit,
C’est que rien ne luy contredit
La Reyne le supporte mesme,
Quelques Princes en font de mesme,
Mais ie veux voir que quelque iour
Le malheur aura son retour,
Et que cette maudite enuie
Luy vaudra l’honneur & la vie.

 

Le Caualier.

 


De fait, on ne sçauroit iuger
Qu’il ne viue dans le danger,

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Mais oyez vn peu mon Histoire.
Mon bon homme vous deuez croire
Qu’vne fois dedans le Iapon
Regnoit vn petit compagnon
Que le Roy dedans sa Prouince
Auoit esleué comme vn Prince,
Et luy defearnt tout l’honneur
Il l’auoit fait si grand Seigneur,
Qu’il gourmandoit la populace,
Et fut si bien remply d’audace
Qu’il deroboit tous les thresors
Et les faisoit sortir dehors.
Il fit bien encor dauantage
Car parmy tout cet auantage
Que le Roy luy faisoit auoir,
Il manqua tant à son deuoir,
Qu’il ne voulut plus le connoistre
Pour son Seigneur pour son maistre,
Mais tout plein de crime & d’orgueil
Il le coucha dans le Cercueil,
Et mettant à bas sa personne
Il s’empara de la Couronne.
Traitre, & plein de desloyauté
Qui n’eut point de fidelité,
Pour celuy dont l’ame innocente
Luy rendit la main si puissante.
Apres ces horribles proiets
Il exercera sur ces suiets
Tant d’execrables tyrannies,
Tant & tant de folles manies,
Qu’il monstra que ce n’estoit point
A luy de venir à tel point,
Dont le peuple estant en colere
Il resolut de s’en deffaire

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Et se rencontrant le plus fort
Il mit cet insolent à mort.
Voilà comme vne fin tragique
Rabaisse la main tyrannique
Qui vouorpit par tout commander,
Et qui ne voulant s’amender
Continuë à faire des crimes
Par des chemins illegitimes,
Et ce n’est seulement icy
Qu’on a veu pratiquer cecy.

 

Le Paysan.

 


On a bien d’autres axiomes
Pourtant dans les autres Royaumes,
Et c’est peu souuent que l’on voit
Monter vn homme outre le droit.
Le Roy deffunct en est la cause,
Car il estoit sur toute chose
Tout bon, tout iuste, & tout benin,
N’ayant point vn esprit malin,
Et beaucoup dans leur malefice
Ont esté tirez du supplice
Par la bonté de ce grand Roy.

 

Le Caualier.

 


I’en ay ouy parler quant à moy
Comme maintenant vous le dites ;
Sont ce pas des ames maudites,
Des races du diable & d’enfer
Qu’vn bourreau deuroit estouffer,
A qui des princes font la gloire
De les mettre dans leur memoire,

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Quand ils viennent à les tromper.
Non, il les faudroit dissiper.

 

Le Paysan.

 


Vous pouuez en voir vn exemple
Assez puissant & assez ample,
Dans Mazarin, car auiourd’huy
On ne parle rien que de luy,
Et de sa trahison funeste,
Plus luisante & plus manifeste
Que n’est le Soleil en plein iour.
Car il nous fit vn mauuais tour,
Si vous l’auez entendu dire,
Quand il enleua nostre Sire,
En plein hyuer, dans la rigueur,
De sa saison & la froideur,
Nous auons couché sur la neige,
Nous auons enduré le siege,
Nous auons souffert tant de faim
Qu’on ne pouuoit auoir de pain,
Bref nous mettions à l’auanture
Nostre corps pour la nourriture.
Nos Princes se sont tous liguez,
L’vn l’autre nous sommes morguez,
Paris estoit dans les allarmes,
Nous estions tousiours sur les armes,
Bref & l’vn & l’autre party
A beaucoup souffert & paty.

 

Le Caualier.

 


Cap de ious où estoit Croustelle,
Car c’est ainsi que l’on m’appelle,

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Si ie m’y fusse rencontré
Il eut fallu bon gré malgré
Que Mazarin eut perdu l’ame,
Ie l’eusse percé de ma lame,
Et ie luy eusse bien fait voir
Qu’il eust deu craindre mon pouuoir,
Car ie sçay coupper les montagnes,
Ie fais applainir les campagnes,
Et lors que ie frappe du pié,
Ie vaux cent mille hommes de pié,
Ie morgue la caualerie
Lorsque ie suis dans ma furie,
Ie peris hommes & cheuaux,
Ie les suis par monts & par vaux,
Ie les accrauante & les tuë
Fussent-ils dans vne tortuë,
Ie suis plus fort & violent
Que Rodomont ny que Roland,
Iamais Maugis n’eut tant d’astuce,
Tant d’intrigues ny tant de ruse,
Bref ie fais tout ce que ie veux.
Ie l’eusse pris par les cheueux,
Et le iettant iusqu’aux estoiles
Ie luy eusse cassé les moëles,
Ie luy eusse rompu les os
Quand il les auroit plus dispos,
Ny que Gilles, ny que Padelle,
I’eusse dissipé sa ceruelle,
Et le iettant bien haut en l’air
Ie l’eusse si bien fait voler
Que de plus de vingt mille années
Ses mains ne seroient retournees,
Bref ie l’eusse si bien puny
Que son corps estant des-vny

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I’en eusse ietté dans ruë
Vne part encor toute cruë
L’autre part ie l’eusse mangé
Comme fait vn loup enragé.
Mort bleu que ie suis en colere
Que ie n’y estois pour le faire,
Et ie vous iure de surplus
Que Mazarin ne seroit plus.

 

Le Paysan.

 


Monsieur, faites que ie m’en aille,
Ie ne suis pas de la bataille,
Vous me faite peur seulement
D’entendre ainsi vostre serment,
Adieu, car malgré la vieillesse
Ie trouueray de la vistesse
Afin de sortir de vos mains,
Puisque vous mangez les humains.

 

FIN.

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