Anonyme [1649], LE CENSEVR POLITIQVE. AV TRES-AVGVSTE Parlement de Paris. , françaisRéférence RIM : M0_668. Cote locale : E_1_120.
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LE
CENSEVR
POLITIQVE.

Au Tres-Auguste Parlement de Paris.

 


PVisque dans le Palais nous sommes bien venus
Pour nous plaindre des maux qui vous sont inconnus,
Dont vostre dignité qui se voit détachée,
Vous a tousiours tenu l’importance cachée.
Prosterné deuant vous par vn respect profond.
Ie viens vous découurir le mal qui nous confond ;
Et si pour le finir vostre Auguste Assemblée :
A promis tous se soins à la France accablée :
N’estimez pas, Messieurs, en auoir fait assez,
Ny pour les maux presens, ny pour les maux passez.
Car il nous en demeure encor beaucoup de reste,
Et qui sont dans l’Estat vne incroyable peste ;
Mais on attend de vous en cette occasion,
Que l’ordre enfin viendra de la confusion.
Dieu mesme qui forma cette Machine ronde.
D’vn Cahos tout confus tira l’ordre du monde.
A contester ensemble on trouue la raison,
L’excellent Mitridat, se tire du poison.
Le vray mesme par faux souuent se verifie
Et l’or par la chaleur enfin se purifie.
Ainsi toute la France espere à cette fois,
Que pour bien affermir le Trône de nos Rois,
Et rendre à leurs Sujets l’abondance premiere,
Sainct Louys parmy vous respandra sa lumiere.

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Ie ne parleray point de l’absence du Roy,
Que souleue par tout la fureur & l’effroy.
Dieu comme Protecteur des personnes sacrées,
Remettra, s’il luy plaist, les raisons égarées.
Aussi bien, c’est de luy, que nous vient ce reuers,
Pour esprouuer les bons, & punir les peruers.
Sa Iustice, Messieurs, s’estant interessée
Pour releuer enfin la raison oppressee.
Ainsi malgré l’abus qu’on fomentoit chez nous,
La Reyne quelque iour ne croira plus que vous :
Et mesme ayant pour nous la Force & la Iustice,
La Vertu par vos mains triomphera du vice.
Ie laisse donc à part ces mysteres cachez,
Aussi bien vostre soin vous y tient attachez.
Et ie veux renfermer toute ma Politique
A vous traiter les poincts d’vne plainte publique,
Afin qu’en mariant les Armes & les Loix,
Vous puissiez restablir l’Empire des Gaulois ;
Et que le Roy venant à gouuerner luy-mesme,
Ses peuples soient exempts de la misere extresme,
Ou le siecle passe les a precipitez,
Que tous ses reuenus franchement acquittez,
Ses ennemis vaincus, & la France sans guerre,
Il soit le plus puissant Monarque de la terre.
Ie vous demande donc pour le peuple François,
Le restablissement de ses premieres Loix :
Et que certains abus qui les ont violées
Cessent de rauager nos maisons desolées.

 

 


Ostez d’abord les gueux & leurs mendicitez,
Dont les champs sont remplis ainsi que les Citez,
Tous ces gens vagabonds Autheurs de la famine,
Ne sont rien dans l’Estat qu’vne infame vermine ;
C’est où l’impieté, le blaspheme, l’horreur,
L’impudence, le vice, enfin le des-honneur,
Et tout ce que le crime a de plus ordinaire,
Ont choisi leur retraite & fait leur seminaire.

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Tant d’Estats bien reglez, & moins riches pourtant,
S’estans bien garantis de ce mal important ;
Sera t’il dit, Messieurs, que par vostre indulgence,
On souffre encor en France vn mestier d’indigence ?

 

 


Vous auez aboly la rapine des prests,
Ostez les vsuriers à triples interests,
Qui sur gage secret, & contre l’Ordonnance
Prestent argent & nipe à perte de finance.
Que le Change estably pour sauuer des dangers
L’argent qu’on porteroit aux pays estrangers.
Et qui n’a pû sortir de la France sans crime,
Soit restably par vous dans l’ordre legitime.

 

 


Ie ne vous parle point des desordres passez,
Ny des biens que plusieurs ont sort mal amassez,
Et dont iusqu’a present on n’a point veu de compte,
I’espargne aux Financiers quant à present la honte ;
Mais i’attends cependant qu’vn iuste repentir
Les fasse s’accuser eux-mesmes sans mentir ;
Sinon à leur deffaut en tout cas ie proteste
De faire voir vn iour ce qu’ils doiuent de reste,
Partant sans m’arrester à tous ces Partisans
Qui mettoient au bissac les riches Païsans,
Ie m’attache aux abus qui par la tolerance,
Ont ruïné les biens & l’honneur de la France.
Et ie dis qu’il est temps de faire vn bon Edit,
Qui destruisant le vol releue le credit,
Que l’argent dont l’vsure impunément s’exerce,
Et qui fait à Paris vn infame commerce,
Soit reduit à ce poinct que toute fiction
Qui déguise l’vsure & son intention,
Soit par billet de change, ou sous forme de lettre,
Ou sous autre figure ou le dol peut la mettre,
Ne se pratique plus auec impunité :
Car c’est choquer la Loy de la Diuinité.
C’est faire vn Hospital des meilleures familles,
Et repeupler de Iuifs & les champs & les villes,

 

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Vous auez pris, Messieurs, vostre temps à propos,
Pour reformer les vieux & les nouueaux imposts,
Dont se sont enrichis les flatteurs de nos Princes,
Et qui rendoient desert le trafic des Prouinces.
Il reste de regler les Finances du Roy,
Et pour les restablir de former cette Loy.
De fixer par Parroisse, & pour tousiours la Taille,
Qu’on n’y saisira plus le bestail ny la paille :
Pour ce que le bestail par ses seuls interests,
Peut & payer la Taille, & fumer les guerets.
Et qu’en fixant l’impost c’est preuenir la crainte
Des Païsans mattez de charge & de contrainte,
Et qui contens de peu redoutent les Sergens,
Puis quittans leur trauail deuiennent indigens.
Mais quand le Païsan voit le bout de sa tasche,
Iusques à ce qu’il soit quitte il n’a point de relasche.
Et celuy qui n’eust eu de l’argent qu’à demy,
Deuenu mesnager en preste à son amy.
Les peuples ce faisant reprendront leur haleine,
Et le Roy remplira son Espargne sans peine.
On cessera de voir tant de gueux arrogans,
Qu’on voyoit s’ériger en tiltre de brigans ;
Et qui de Laboureurs à la moindre equipée
Estoient soldats vn mois, & puis quittoient l’espée.
Ce desordre a reduit la Taille à non-valeur,
Et fait le Païsan estre ou gueux ou voleur.
Mais aujourd’huy qu’il voit la Taille retranchée,
Son espée à son soc sera tost remmanchée,
En coultre se changeant par l’Art du Forgeron,
S’il n’en fait vne houë à quelque Vigneron.
En vn mot, si le Roy descharge la campagne,
Il pourra dans deux ans assujettir l’Espagne.
Y planter seurement par tout ses Fleurs-de Lys,
Et Varin dans Madrid imprimer des Louys :
Car puis qu’vn des Supposts de la Maison d’Austriche
R’ensemence desia ses campagnes en friche,

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Puisque la Paix jurée auecque l’Empereur,
Réueille nostre ioye, & finit son mal-heur.
Qui pourra desormais mettre la Paix en doute
Auec l’Espagne encor, à moins de sa déroute ?
Or pendant qu’à Munster on luy donne loisir,
Ou de manquer la Paix, ou bien de la choisir.
Regallez les imposts d’vne façon si droite,
Que la bout se du Roy soit tousiours trop estroite.
Qu Office de Sergent soit mestier de coquin,
Qu’en Poitou les sabots soient faits de maroquin,
Et que les Païsans qui s’habillent de toiles,
Vendent leur caneuas pour en faire des voiles :
Qu’au lieu d’estre glacez sous ces pauures habits,
Ils en tirent de bons du dos de leurs brebis.
Bref qu’en la regallant sur ce qu’on leur relaxe,
S’ils deuiennent Aysez, ce ne soit point par taxe ;
Si dans vne Parroisse il vient quelque accident
Ruïneux, non commun, & qui soit éuident :
Alors pour soulager la Parroisse abattuë,
Chacun à la pareille aussi-tost s’éuertuë,
Par reject general dessus l’Eslection,
De parfournir le taux par contribution.
Ainsi les non-valeurs cesseront chaque année,
Et l’imposition sera bien ordonnée.
Ainsi l’on preuiendra toute concussion,
Qu’on fait à chaque assiette en chaque Eslection ;
Où pour Monsieur l’Esleu la Parroisse affligée
Leue vn impost secret pour estre soulagée.

 

 


Quand les fonds les plus clairs ont esté diuertis,
Les comptables ont fait aussi-tost les Partis ;
Et des deniers du Roy fait toutes les affaires ;
Car afin d’aduancer les termes necessaires,
On ne voyoit par tout que contraintes d’Huissier
Pour exiger le fonds des droicts des Officiers
Dont on faisoit exprés assiette separée :
Et puis de cette masse à l’abord preparée,

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Ils en faisoient l’aduance à l’effect des traitez,
Les peuples cependant en estoient mal-traitez ;
Et d’ailleurs les Partis augmentans les leuées,
Et les commoditez des peuples enleuées.
Les Comptables tiroient vn quart par ce moyen,
Sans qu’en effect pourtant ils aduançassent rien.
C’estoit pour les abus de leur aduance feinte,
Qu’on n’entendoit par tout que rumeur & que plainte,
De voir sa Maiesté payer tant d’interests,
Quoy que son fonds seruit à l’aduance des prests.
Ces diuertissemens que faisoient les Comptables,
Ont causé dans l’Estat des ruïnes notables.
Et c’est pourquoy, Messieurs, i’ay creu de mon deuoir
De declarer icy le moyen d’y pouruoir.
C’est donc à ce sujet qu’il faut donner vn ordre,
Sans que le Receueur subtil y puisse mordre.
A sçauoit que d’abord les deniers enrollez,
Les acquits soient en suite aussi-tost controllez.
Que tout Récépissé, Promesse, ou Contre lettre,
Et tout ce qu’on pourroit au Receueur promettre,
Soit reputé pour nul & de mauuaise foy,
Et sans qu’au Collecteur il serue enuers le Roy.
Car quand le Receueur diuertist sa recepte,
Ce qu’il fait au comptoir il le fait en cachette :
Et lors les Collecteurs qu’on appelle allouez,
Et mesme ceux en chef estans amadoüez,
Les vns par beau semblant, les autres par contrainte
Luy baillent leurs deniers ou par force, ou par crainte,
Le sous recepisse luy laissent leur argent,
S’il est desia tiré par Monsieur le Sergent.
En to cas le Comptable ayant registre double,
Si vous [1 mot ill.], vous n’y verrez que trouble.
Vous voyez donc, Messieurs, qu’il faut que vostre soin,
Les prests [1 mot ill.] à bas, survienne à ce besoin
Afin qu’à tout moment on puisse voir le compte,
Et l’estat actuel [1 mot ill.] la recepte monte.

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Or c’est à cette fin qu’au controlle requis,
Il faut enregistrer dans dix iours les acquits ;
Et suiure en ce sujet l’ordre de la foraine,
Où l’acquit du Marchand est controllé sans peine,
Enrollant par Parroisse, & cahier separé,
Et chiffrant chaque acquit, de peur d’estre égaré,
Que chaque Esleu par mois exerce le Controlle,
Afin qu’vn Receueur ne fasse plus le drolle ;
Et que l’ordre du Roy prescrit dans son Estat,
L’empesche desormais de faire vn attentat.
Ce bandage bien fait peut arrester la hargne
Qui faisoit écouler les boyaux de l’Espargne,
Et lors sans alphabet on verra les Rentiers
Emporter des Bureaux leurs termes tous entiers,
Sans que l’exaction du Seigneur Cabaliste
Puisse les éluder par vne fausse liste.
Les soldats tous les mois se voyans bien payer,
N’oseront plus piller leurs hostes effrayez :
Ils payeront par tout nettement leur dépense,
Dont la solde manquant chacun d’eux se dispense,
Ie vous entretiendrois de l’abus des comptans,
Mais les Grands de l’Estat en seroient mécontens,
Car on verroit comment l’Espargne est dissipée,
Et comment chacun d’eux en tire sa lipée.

 

 


Oseray ie, Messieurs, toucher vos interests,
Et vous dire en passant vn mot de vos Arrests ;
Ouy, Messieurs, car l’on dit que vostre Cour Auguste,
Pour faire refleurir l’honorable & le juste,
Retranchera l’abus de tant de chicaneurs,
Et remettra Themis dans ses premiers honneurs,
Qu’aux rapports de procez on prendra sur la liste,
Pour chaque Rapporteur vn double Euangeliste,
Qui choisis par le sort, & sans suspicion,
Les plaideurs appellez lors de telle action,
Aux rapports des procez l’vn tenant l’inuentaire,
L’autre les sacs en main discuteront l’affaire.

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Et qu’apres auoir pris les aduis tour à tour,
Ainsi se formeront les Arrests de la Cour.
Que pour bien abolir l’abus qui se pratique,
Et qui choque le bien & la cause publique.
Chacun des Rapporteurs dressera son extrait,
Afin que du procez bien ne luy soit soustrait.
Que toutes les raisons y seront exprimées,
De peur qu’elles ne soient par oubly supprimées :
Et les pieces aussi qui font descision,
On lira nettement & sans confusion.
Que l’extrait de l’extrait n’estant plus en vsage,
Le procez monstrera plainement son visage.
Enfin les Rapporteurs ny leur integrité,
Ne se surprendront plus contre la verité.
Et qu’afin que cela seurement s’execute,
Vous serez attacher l’extrait à la minutte.

 

 


Il est besoin, Messieurs, qu’en tout vostre ressort,
Pour sauuer l’innocent qu’on pour suit à la mort,
Et de peur qu’au procez à faux on ne supprime
Ce qu’il veut proposer quand vn tesmoin l’opprime.
Vous fassiez obseruer que chacun accusé,
Pour perdre tout soupçon de se voir abusé,
Choisisse pour Parrain vn luge en sa deffence,
Non suspect toutefois, & de qui la presence ;
Le iuge en chef faisant la confrontation,
Puisse empescher le dol, & toute obmission :
Car souuent les Greffiers gaignez par les parties,
N’escriuent qu’à demy les bonnes reparties.
Et pour mettre au gousset la douzaine d’escus,
R’adressent les tesmoins qui seroient conuaincus.
D’ailleurs pour éuiter qu’on n’vse d’imposture,
Instruisant les procez d’vne telle nature,
Faites que les fueillets par chiffres designez
Soient par les accusez & Iuges consignez.
Qu’aux crimes capitaux le mesme vsage on tienne
Qu’on obserue au ressort de tout la Guyenne :

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Où l’accusé present, on luy lit hautement
Tout son procez entier auant son jugement.
Mesme afin d’estouffer tout sujet de dispute,
Lvn la grosse lisant, l’autre y dit la minutte.
Et l’accusé cognoist, & voit par ce moyen
Qu’au rapport du procez on ne supprime rien.
La Tournelle en effet tient vn ordre tout autre,
Et sa façon d’agir est conforme à la vostre.
Mais dans tout le ressort aucun Iuge d’appel
N’oseroit autrement iuger vn criminel.
Si bien que l’accusé voit la façon fidelle
Qu’on obserue en iugeant sa cause criminelle.
En effet, le procez n’est plus alors secret,
Comme quand on lascha contre luy le decret.
Le Normand aduisé suiuant le mesme vsage,
A voulu controller le cœur par le visage.
Voulant à l’accusé confronter son procez,
D’où les Iuges ont veu d’admirables succez :
A tel poinct que souuent les charges separées,
Que contre l’innocent on auoit preparées.
Produites à la fois, & mises deuant luy,
Ont fait d’abord finir sa crainte & son ennuy.
Pource que les tesmoins singuliers & contraires,
Faisans voir son bon droict par suites necessaires.
Et l’accusé monstrant leur contradiction,
Il a fait des tesmoins voir la conuiction.
En sorte que malgré l’imposture & l’enuie,
Enfin il a sauué son honneur & sa vie.
Mais en vostre ressort vn Iuge & son Greffier
Peuuent tout pour conuaincre ou pour iustifier.
Car l’vn tient la parole, & l’autre tient la plume,
L’vn dispose le bois lors que l’autre l’allume.
Ils sont à ce moyen seuls arbitres du sort,
De la vie, du vray, du faux, & de la mort.
Et l’innocence ainsi se trouuant estouffée,
Tantost sert de victime, & tantost de trophée.

 

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Faites encor cesser l’abus du Chastelet,
Où souuent vn deffaut fait surprendre au colet
Par voleurs cantonnez qui courent dans la Ville
Sous tiltre de Sergens, vn homme de famille,
Et mesme bien souuent sur vn faux exposé
Qu’au Iuge par Requeste on aura proposé.
On obtient vn pouuoir d’amener sans scandale,
Mais pourtant en public on vous le trousse en male.
De façon qu’à Paris vn ennemy couuert,
Sous vn pretexte faux prend d’vn homme sans vert,
C’est ainsi qu’on l’affronte, & que rempli de bouë,
Il faut qu’il souffre encor qu’on luy fasse la mouë ;
Et qu’vn coquin d’Archer, ou bien son Pousse-cu,
Le mal-traite en marchant, s’il ne donne vn escu.
Mais si c’est pour du crime il n’en a pas la peine,
Car d’aborde on le vole, & luy prend on sa laine.
Et puis pour estouffer cette noire action,
Vn faux procez verbal d’vne rebellion,
Attesté toutefois, mais par cette canaille,
Fait qu’vn homme d’honneur est ietté sur la paille,
Et dans vn cachot noir retenu quelques iours,
De peur qu’vn bon conseil ne luy donne secours.
Et que dessus le champ faisant sa plainte au Iuge,
Il ne trouue contr’eux en ce cas vn refuge.
Mais si vous leur parlez de les gratifier,
En traitant le Sergent de Monsieur l’Officier.
Peut estre pourrez vous éuiter le scandale
D’estre faux monnoyeur, ou voleur de cabale.
Mais quoy qui vous arriue, au moins ne pensez pas,
Si vous vous en plaignez qu’vn Iuge en fasse cas ;
Pource qu’vn parchemin en forme de sentence
Sert au persecuteur d’excuse & de deffence.
Et que par des exploicts on fait paroistre à faux
Qu’on a signifié sentences & defauts.
De sorte qu’on vous dit que c’est vn accessoire,
Qu’il vaut mieux supprimer que de rendre notoire.

 

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Cependant par defauts surpris en trahison,
On voit l’homme d’honneur estre mis en prison.
Et son bon Procureur, bien qu’il ait fait la faute,
Parlera d’vne voix encore la plus haute :
Disant au prisonnier qu’il est vn negligent,
Qu’il attendoit de luy tous les iours de l’argent,
Afin que ce defaut on peust faire rabattre :
Puis faisant le subtil, & plus zelé que quatre :
Vous aurez, dira-t’il, de tres-grands interests,
Mais tout au mesme temps suruiennent les arrests,
Si bien qu’en cét estat on luy fait vn dommage
Qui met tout son credit & son bien au pillage.
Car auant que fournir deffences ny debat,
L’vn gaigne par defaut, puis l’autre le rabat.
Ainsi cinq ou six fois le de faut se renuoye,
Pour plumer le client, & tirer sa monnoye,
Et bien qu’estant à tort aux prisons detenu,
Il ait vn Iugement par defauts obtenu ;
Il ne doit pourtant pas esperer qu’on le sorte :
Car si pour les defauts on fait ouurir la porte,
C’est pour executer les contraintes par corps,
Et non pas pour tirer vn opprimé dehors.
Tant il est vray, Messieurs, que le siecle où nous sommes
A peruerti tout ordre à la perte des hommes.

 

 


Vn grand abus encor y demeure impuni,
Quand pour vn cas douteux, ou bien indefini,
Ou quand pour vne somme excessiue en demande,
On fait vn prisonnier, ou qu’on le recommande ;
C’est pource qu’on ne fait plus de distinction
D’vser de la contrainte au lieu de l’action.
Et qu’on ne punit pas l’attentat des faussaires
Qui suppriment tousiours les raisons necessaires ;
Et taisent faussement la iuste exception
Qui suspendroit le cours de l’execution,
Dont la rigueur souuent peut dans la consequence,
Du credit & des biens causer la decadance.

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Les deffences, Messieurs, que portent vos Arrests,
N’auront iamais de lieu contre leurs interests,
Si vous ne reprimez cette injuste licence,
Qui commence d’abord par vne violence.
Cependant pour monstrer l’imposture ou l’excez,
Il faut en ce rencontre intenter vn procez,
Dont la discussion peut auoir telle suite,
Qu’auant que de pouuoir au Iuge estre déduite,
La fortune & l’honneur que l’on voit déperir,
Souffrent bien-tost vn mal qu’on ne peut plus guerir,
Car mesme on n’eslargist que moyennant vn plege
Celuy qui se fioit en vostre priuilege.
Mais quoy : cét attentat a-t’il deub mettre à bas
L’Arrest qui deffendoit de n’emprisonner pas ?
Et si le prisonnier a souffert cette offence,
A moins qu’estre eslargi, que sert vostre deffence ?
Reprimez donc, Messieurs, cette injuste rigueur,
Et rendez à nos Loix leur premiere vigueur.
D’ailleurs, quand dans l’escrou l’on met, sauf à déduire,
Ne fait-on pas bien voir qu’on a dessein de nuire :
Et qu’on veut tout exprés faire vne obscurité,
Pour cacher à vos yeux la simple verité ?
Soit pour décrediter celuy qu’on persecute,
Ou luy faire vn procez qu’à grand peine on discute ?
Car au Greffe en acquits on ne peut consigner,
Le Greffier n’ayant pas vn Art de deuiner.
Quand on contraint quelqu’vn il faut que la contrainte
Soit pour vn faict certain, liquide, exempt de feinte.
Et si le creancier ne sçait pas tout à fait
Combien son debiteur doibt de reste en effet :
Qu’il contraigne pour moins que sa debte ne monte,
Sauf à plus demander, s’il s’abuse en son compte.
Au moins il ne fera point de vexation,
Et ne fera non plus tort à son action.
Aussi bien nous voyons qu’vne somme excessiue
Peut rendre au prisonnier sa caution retiue.

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Et le priuer à tort d’vn secours attendu,
Si son persecuteur n’eust point tant pretendu.
En vn mot, la contrainte excessiue en demande,
Merite par la Loy la rigueur de l’amende.
Et lors que l’on s’oppose à l’emprisonnement,
On doit deuant le Iuge aller directement.
Ou bien en cas d’appel on doit par reuerence
En cette occasion vser de deference.
Faites donc chastier l’attentat insolent
Que commet à Paris le Sergent violent.
Et que la iuste Loy qui veut que le faussaire
Au plus haut du gibet reçoiue son salaire,
Réueille sa rigueur & sa seuerité,
Car il vole pour mettre au bas la verité ;
Et ne permettez plus qu’on donne de Sentence
Qui puisse l’exempter du sault de la potence.
Ainsi vous preuiendrez les crimes infinis,
Dont on voit les Sergens demeurer impunis.
Et l’on ne verra plus vne impudence extrême
Brauer de vos Arrests la puissance suprême.
Car de desordre à bas par vostre integrité,
Les meschans fremiront sous vostre authorité.
Et la Loy reprenant sa premiere puissance,
Vous luy verrez prester entiere obeïssance.

 

 


Abolitez-vous point les fraudes des decrets,
Quand ils sont à bas prix, ou quand ils sont secrets ?
A ces abus pourtant le remede est facile,
Rempli de bonne foy, loyal, & tres-vtile.
Sçauoir, que par semaine on marque vn certain iour,
Ou pour tous les decrets on ouurira la Cour.
Et qu’auant qu’exposer les biens saisis en vente,
Et que l’encherisseur à la Cour se presente,
Il faille conuenir de trois estimateurs,
Et dont l’vn soit nommé par tous les crediteurs,
Ou bien par leur Syndic qui fera la poursuite ;
L’autre par le saisi, mais s’il cherche vne fuite,

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Le Iuge qui n’en eust nommé qu’vn par [Illisible.]
En puisse nommer deux à cause du refus,
Ainsi selon l’aduis de ces trois personnages,
Tous gens de probité, non suspects, & bien sages,
L’heritage en la Cour sur le prix estimé,
Soit aux fins du decret hautement proclamé.
En sorte toutefois qu’en rotur il suffise,
Pourueu que sur le pied d’hypotheque on le prise.
Et que le noble estant au denier vingt prisé,
Nul prix mis au dessous ne soit authorisé.
Vous preuiendrez au moins les méventes enormes,
Que la fraude & le dol plastrent de belles formes.
Et l’on ne verra plus tant de moyens peruers
Mettre les gens d’honneur, & leurs biens à l’enuers.
Que si l’on m’objectoit que souuent l’indigence
Contribuë à ce mal plus que l’intelligence,
Que le prix estant bas on le peut encherir,
Et que le portant haut le decret peut perir.
A cela ie dirois qu’vne terre en criée
Est par les enuieux tousiours si décriée.
Afin de l’emporter pour le tiers de son prix,
Que le bien le meilleur tombe dans le mespris,
Et que le debiteur à qui l’on fait la guerre,
Tombant entre les mains des escumeurs de terre,
Voit en fin tous ses biens reduits en non-valeurs,
Et rauis pour neant par les mains des voleurs.
Que le prix n’est point haut, mais plus bas, & bien moindre
Que la iuste valeur n’ordonneroit d’atteindre.
Et que les creanciers les ayans à ce prix,
Ils ne sont en ce cas ny trompez, ny surpris,
Puisque dessus ce pied la chose leur demeure,
Ils pourront en trouuer leur deffaite à toute heure.
Enfin qu’estant prisée à moins que sa valeur,
Il ne peut en ce poinct iamais aller du leur :
Au lieu que demeurans Maistres de la prisée,
C’est à la lesion donner trop de visée.

-- 17 --


Car celuy qui pretend s’en rendre possesseur,
Peut chasser par argent tout autre encherisseur.
Et l’authorité mesme exigeant cét hommage,
Le saisi ne peut pas empescher son dommage.

 

 


Ie finirois icy ce discours ennuyeux,
Pource qu’vn autre object vous plairoit beaucoup mieux :
Mais puisque vos bontez à nos maux fauorables,
Veulent bien aujourd’huy nous estre secourables,
Combien que ie presume, à ma honte en effet,
Que tout cét entretien vous a mal satisfait.
Et quoy que vous disiez que ma Muse est trop rude,
Et qu’elle a peu de grace à trencher de la prude.
Elle n’a pû pourtant encor se retenir
Dans le besoin qu’elle a de vous entretenir.
Car vous verrez, Messieurs, examinant ce reste
Que c’est ou le desordre est le plus manifeste.
Et que par des abus fomentez par Edit,
L’homme de bonne foy voit perir son credit,
Que mesme en cét Edit on trouue vne ouuerture
D’enfraindre & d’abolir les Loix de la Nature.
Ne refusez donc pas encor l’attention
Que vous requiert, Messieurs, mon humble affection,
Et puisque vous auez pris tant de patience,
Donnez aux oppressez encor vne audience.
Ce sont des debiteurs, tous gens de bonne foy,
Assujettis à tort aux rigueurs d’vne Loy.
Qui quatre mois passez ne payans pas au terme,
Ordonne qu’en prison, helas ! on les enferme.
C’est quand des creanciers ignorans ou malins,
Se preualent en vain de l’Edit de Moulins.
Edit qu’on n’a voulu receuoir en Guyenne,
Pour ne renuerser pas la coustume ancienne.
Edit que le Normand bien sage a rebuté,
Apres ses incidens auoir bien discuté.
Voyant qu’au bon credit c’estoit couper la gorge,
Et mettre les pourceaux à l’abandon dans l’orge

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Car ceder tous ses biens à peu de creanciers,
C’est exposer l’Espargne aux mains des Financiers.
Et le credit perdu, la prison déplorable
Fait d’vn bon mesnager vn homme miserable.
Aussi ne voit-on point d’Estat dans l’Vniuers
Où l’on ait introduit cét vsage peruers.
Par qui l’on voit d’abord le credit & la bourse
Du plus homme de bien déperir sans ressource,
Pource que le plongeant dans la confusion,
On en fait cent discours remplis d’illusion,
Et mesme vn ennemy qui fait de l’hipocrite,
En plaignant son mal-heur par tout le décredite,
Et fait qu’abandonné de parens & d’amis,
Il porte le peché qu’il n’a iamais commis.
Car l’Edit qui forma ce genre de contrainte,
Ne vouloit attaquer que la fuite ou la feinte ;
Et tous les affronteurs qui cachans leur pouuoir,
Au lieu de s’acquitter & faire leur deuoir ;
Au contraire, celans leurs biens & leur commerce,
Ne payoient qu’en procez de fuite ou de trauerse.
Et pour eux il est vray qu’à bon droict cette Loy
A reprimé leur dol & leur mauuaise foy.
Mais pourtant vous verrez que sa rigueur est telle
Que les plus gens de bien sont accablez sous elle.
En sorte qu’aujourd’huy son glaiue à deux trenchans
Fait vn outrage aux bons en faueur des meschans.

 

 


En effet, la prison n’est plus rien qu’vn supplice
Pour seruir de pressoir infame à l’auarice.
Depuis qu’vn debiteur à faute de comptant,
Des biens qui sont à luy baille vn estat constant.
Et que s’il en celoit, il accepte la risque,
Que pour ses creanciers tout le reste on confisque.
A ce compte il n’est plus besoin de caution,
Puisque c’est faire encor plus que la cession.
Car celuy qui la fait n’est point tenu d’instruire
De l’estat de ses biens ceux qui veulent luy nuire.

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D’ailleurs à quel propos parler de caution,
Veu que c’est ordonner vne condition,
Qui pour le prisonnier est souuent impossible,
Tant l’horreur des prisons en ce poinct est nuisible.
A quel propos encor la garde des Huissiers,
Quand on veut exposer les biens aux creanciers.
Veu mesme que souuent faute de cognoissance,
Le riche mal-aisé s’en voit dans l’impuissance,
Et priué du moyen prescrit par vostre Arrest :
Il souffre cependant vn notable interest ;
Notable, c’est trop peu, disons irreparable,
Pour ce que la prison en fait vn miserable.
C’est là tout le succez qu’on peut en esperer,
Et c’est ce que le moins on veut considerer.
S’il a pourtant du bien qui soit en heritage,
Ou si tous ses effets il vous donne pour gage,
Estans tous exposez & mis deuant vos yeux,
Creanciers inhumains qu’esperez-vous de mieux ?
Tirerez-vous d’vn corps ou d’vne ame affligée
L’argent dont la personne est par corps obligée
Et quand bien en prison vous la verriez mourir,
Sa mort vous pourroit-elle au besoin secourir ?
Mais si vous monstrant tout elle fait son possible,
Pourquoy vous rendez vous à ses maux insensible ?
En declarant ses biens fait-on pas son pouuoir,
Et faisant ce qu’on peut fait-on pas son deuoir ?
On croit donc que ces maux dont on n’a la science,
Qu’à souffrir des prisons la dure experience,
Rencontreront vos cœurs disposez à pitié,
Moderans ses rigueurs au moins d’vne moitié.
Que la raison qu’on voit aujourd’huy dans sa pompe,
Chassera loin de vous l’imposteur qui vous trompe.
Que vous ferez enfin qu’vne execution
Ne sera plus pillage & persecution.
Et que tout debiteur offrant ce qu’il possede,
De son oppression trouuera le remede.

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Que sous plege ou sous garde on n’eslargira point,
Si celuy qu’on detient n’est d’accord de ce point,
Afin qu’à vos Arrests on preste obeïssance,
Car toute Loy se doit regler a la puissance,
Autrement c’est choquer le sens & la raison,
Et renforcer en vain les murs de la prison.
C’est l’horreur qui la suit qui fait les banqueroutes,
Son objet effroyable en a fait les déroutes.
Et tel homme d’honneur se voit souuent contraint,
D’éuiter s’absentant ce desordre qu’il craint.
Aymant mieux voir perir sa maison desolée,
Que d’aller en prison trouuer son Mausolée.
Et c’est ce qu’vn grand Sainct le plus sainct de nos Roys,
Ce sage sainct Louys reconnut autresfois,
Alors qu’il ordonna que pour cause ciuile,
Tout debiteur auroit liberté dans la Ville,
Et qu’il pourroit ainsi faire valoir ses biens,
Enfin que ses Sujets viuroient comme Chrestiens.
Sans vser desormais de la cruelle rage
Dont les persecuteurs vsoient auec outrage.
En sorte qu’à la fin la Loy de sa bonté
Deffendit d’opprimer la bonne volonté.
Vous Tuteurs de l’Estat, assemblez dans sa Salle,
Tirez les gens de bien du funeste Dedale,
Où l’Edit de Moulins les a precipitez,
Et moderez l’excez de ses seueritez.
Il est vray, les prisons souuent sont necessaires,
Alors qu’vn debiteur veut cacher ses affaires,
Ou lors qu’estant prodigue, ou bien vn negligent,
Il ne veut pas bailler du bien au lieu d’argent.
Mais faites qu’en offrant & le bien & les tiltres,
Et pour en transporter de conuenir d’arbitres.
Ou bien pour l’estimer sur vn prix de raison,
Le debiteur d’abord soit tiré de prison.
Ce sera le moyen d’en tirer l’aduantage
Qu’on voit injustement tourner à son dommage :

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Puisque cette rigueur assujettit sous soy,
Ainsi qu’vn affronteur l’homme de bonne foy.
Imposant au mal-heur qui forme vne déroute,
La honte du prodigue ou de la banqueroute,
Ou force le captif qui cherit son honneur,
De quitter de son bien au tiers de sa valeur,
Afin de s’exempter d’vn outrage sensible.
Qui cause à son credit vne perte infaillible.
Alors que le mocqueur le regarde en public
De ses yeux plus cruels que ceux d’vn basilic.
Donnez donc sauf-conduit à qui vous le demande,
En declarant ses biens à peine de l’amande,
Et que l’amende soit que le bien recelé,
On confisque à celuy qui l’aura reuelé.
Le deub des creanciers déduit au prealable,
Et par le receleur à ce deffaut payable.

 

 


Ainsi vous preuiendrez par vn moyen aisé,
Qu’vn creancier loyal ne se trouue abusé.
Mais arriere Tyrans qui voulez qu’on vous cede
Les biens qu’vn prisonnier ou pretend, ou possede :
Et qui bien qu’il en offre à leur iuste valeur,
S’il ne les cede tous est traité de voleur.
Quand mesme il n’en faudroit aux rigueurs les plus grandes
Que la vingtiesme part pour toutes vos demandes.
Vous voulez, dites-vous, argent ou cession,
Ou qu’il fournisse au moins soluable caution.
Qu’il cherche des Marchands si ses biens il veut vendre,
Et que vous pour Marchands il ne doit pas pretendre,
Mais comment voulez-vous qu’estant ainsi captif,
Il attire vn Marchand qui fait le fugitif ?
Et qui s’aduantageant de le voir dans l’abisme,
De la iuste valeur à peine offre la disme.
D’ailleurs vous ne voulez d’arbitres ny d’amis,
Et pour vous ajuster iamais de compromis.
Car selon vos discours la Loy que l’on obserue
Veut qu’il cede ses biens sans faire de reserue,

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Sinon c’est vn mutin, & l’on doit par raison
Le faire (dites-vous) perir dans la prison.
Puisqu’au lieu de ioüir de la grace du Prince,
Il prefere insensé, quelque bien de Prouince,
Qui mesme en non valeur est saisi dessus luy,
Et qui l’abandonnant le tireroit d’ennuy.
Bref qu’il vaut mieux quitter les biens de la fortune,
Que de souffrir tousiours la prison importune.
Ouy certes ; mais voleurs, dites à quel propos
Vous luy vendez si cher cét estrange repos.
Pourquoy vous quitter tout si la moindre partie.
Peut en vous asseurant procurer sa sortie ?
Et pourquoy serez vous seuls Iuges de son sort ?
En vous offrant assez n’auez vous pas le tort ?
Que ferez-vous, Messieurs, de cette plus valuë,
Que vous voulez rauir de puissance absoluë ?
Car en vous cedant tout, il n’a plus d’action,
Et partant vous voulez faire vne exaction.
Mais qu’il vous baille donc à tout le moins vn plege,
S’il peut, repliquez vous, auoir ce priuilege.
Car n’ayant qu’vne part qui nous peut garantir,
Estans dépossedez d’vn soudain repentir ?
Dites moy, bons voleurs, si ce cas vous arriue,
Quel obstacle au recours s’oppose, ou vous en priue,
Le reste de ses biens n’en est il pas garant,
Peut-on pas s’éclaircir de tout en conferant.
Et faut-il cependant sous pretexte d’vn doute,
Et feint le plus souuent le mettre à la déroute.
Ie demeure d’accord qu’on doit tout exposer,
Et que pour vous payer on doit tout proposer.
Mais de vous quitter tout, & s’en aller aux Halles
Se sousmettre en public au plus grand des scandales,
Doit-on nommer cela benefice du Roy ?
Messeigneurs les brigans ; helas ! excusez-moy,
La peine du captif est fort illegitime,
Quand c’est pour excuser l’horreur de vostre crime,

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Et quand contre son gré faute de caution,
Il s’y voit obligé par sa detention,
Qui seule le plongeant en ce desordre extrême,
S’il resiste, retourne, enfin contre vous mesme.

 

 


Les prisonniers encor viennent à iointes mains
Vous demander la fin de leurs maux inhumains.
Et puisqu’vn sainct desir de justice vous touche ;
Qu’il vous plaise, Messieurs, les entendre de bouche.
Qu’ils puissent proposer eux mesmes leurs raison,
Et que pour cét effet vous alliez aux prisons.
Non, comme à la seance, ou bien comme aux visites,
Où les seuls prisonniers pour des sommes petites,
Rencontrent quelquesfois grace deuant vos yeux,
Les autres prisonniers vous requierent de mieux,
Car mesme il vous faudroit des lumieres infuses
Pour iuger sans erreur tant d’affaires confuses.
A sçauoir que chacun de Messieurs de la Cour
Aille dans les prisons Royales tour à tour.
Et donner audiance à chacune partie,
Dresser procez verbal aux fins de la sortie,
Agiter, voir, traiter toutes les questions,
Sur les expediens & propositions.
Interroger chacun si c’est point par enuie,
Ou par motif secret venu de calomnie,
Si c’est par impuissance ou bien par dureté ;
Recognoistre le vray selon sa pureté ;
Rendre autant qu’il pourra la liberté facile,
Et conseruer à tous l’honorable & l’vtile.
Et si le creancier, ou bien son Procureur,
Tesmoigne tant soit peu de caprice ou d’aigreur,
Faisant dégenerer la contrainte en supplice,
Deslors la bonne foy preuale à sa malice,
Et le Iuge benin en fasse son rapport,
Ayant sçeu sans surprise à qui donner le tort.
C’est l’vnique moyen d’estouffer toute feinte,
Et de tant d’opprimez la déplorable plainte,

 

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De plus, pour reprimer ce mal pernicieux,
Si l’emprisonnement paroist injurieux,
En tirant de prison la personne arrestée,
Que la mesme prison à l’autheur apprestée,
Punisse son dessein malin & violent,
Et donnez la risposte à cét homme insolent.
Par cette Talion vous preuiendrez l’outrage
Que met au desespoir vn homme de courage.
Et si vous exemptez son honneur de danger,
Vous l’exemptez encor du soin de se vanger.
Mais si le prisonnier se pouruoit par Requeste,
O que de tours auant que l’instance soit preste ?
Puisqu’au lieu de traiter à fonds la question,
Et de parler sur l’offre ou sur l’exception ;
On le diffame, absent, & l’on le calomnie,
Ainsi la liberté souuent on luy dénie.
Et sans voir son procez en estat de iuger,
Par mille faux rapports on le fait enrager.
En sorte qu’en prison à la fin il demeure,
A faute d’auoir eu l’audiance d’vne heure,
Que si l’infection & l’horreur de ces lieux,
Blessent vostre odorat aussi bien que vos yeux.
En tout cas, commettez quelqu’vn qui les entende,
Et qui sommairement instruise la demande.
Que le procez verbal dans la prison dressé,
Present ou conuenu chacun interessé.
Chacun dessus le champ soit tenu de produire,
Pour prouuer par escrit ce qu’il a fait escrire.
Et si ce qu’vn chacun allegue n’est prouué,
Qu’on presume de luy qu’il l’aura controuué.
Car mesme vn creancier pretend faire surprise,
Quand pour prouuer son faict il cherche vne remise :
D’autant qu’vn creancier doit tousiours estre prest
De monstrer par escrit où va son interest.
Enfin donnez, Messieurs, la fin à la misere,
Non pas selon le deub, mais pour ce qu’on peut faire :

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Car l’impuissance exclud le pouuoir de la Loy,
Et la prison n’en veut qu’à la mauuaise foy.
Allez y donc, Messieurs, cognoistre sa puissance,
Quel bien il peut donner, ou bien quelle asseurance,
Et mettez-le dehors en faisant ce qu’il peut,
Et non pas en faisant tout ce que l’autre veut.
C’est ce que vous sçaurez dans vne conference,
Où l’on peut discerner le vray de l’apparence,
Et par vne raison exempte de la Loy,
Ordonner pour autruy ce qu’on voudroit pour soy.
On suiura, ce faisant, la Loy de la Nature ;
Mais on y contreuient, & l’on luy fait injure :
Puis qu’aucun creancier ne voudroit pas quitter
Au tiers de sa valeur son bien pour s’acquitter.
Et c’est pourquoy l’on doit par vn moyen tres-sage,
Imposer en ce cas la Loy de l’arbitrage.
Aussi bien les moyens de fournir de l’argent
Sont tres-pernicieux s’ils viennent du Sergent,
Veu qu’en vendant les biens il a tousiours attente
D’auoir part au butin qui vient de la méuente,
C’est pourquoy tel qui n’a qu’vne simple action,
Emprisonne d’abord pour faire exaction.
Et son projet peruers est de tirer par force
Ce qu’à peine à vos yeux il fait voir en écorce.
Et bien que l’equité deust monstrer sa vigueur.
Pour punir ces brigans auec toute rigueur :
La faueur bien souuent preuaut à la Iustice,
Et la vertu languit sous l’empire du vice.

 

 


Enfin pensez, Messieurs, que vous estes Chrestiens,
Qu’on n’arreste le corps que pour auoir les biens.
Et que de la prison la longueur trop funeste
Ne produit que des maux bien pires que la peste,
De ces discours trop vrais iugez donc apres tout,
Si ce mal inhumain doit point auoir de bout.
Et si monstrant les biens, & mesme offrant les tiltres,
Et pour en transporter de conuenir d’arbitres :

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Ou pour les estimer sut vn prix de raison,
Le debiteur doit pas sortir de la prison.

 

 


Vn autre objet encor d’vne misere extresme,
Par son injuste sort me met hors de moy mesme :
Quand le riche en prison, toutefois indigent,
Ses biens estans saisis ne peut auoir d’argent.
N’y partant en ce cas obtenir la Iustice,
Car elle couste au moins tout autant que l’espice,
Puis qu’il faut de l’argent à qui veut l’obtenir,
Et c’est donc, ie rougis de vous entretenir.
Cependant il est vray qu’à faute d’assistance,
Le droict le mieux fondé perit sans resistence.
Pource que par deffauts ou par forclusion,
Le tort iette le droict dans la confusion.
Or quelle horreur, Messieurs, que le bon droict perisse,
Pour ne pouuoir fournir aux frais de la Iustice.
Faut-il pas de l’argent d’abord au Procureur,
Argent pour le Greffier, argent au Controlleur,
Argent pour les Huissiers, argent pour les Notaires,
De l’argent pour vos Clercs qu’on nomme Secretaires,
Sans compter ce qu’il couste enuers les Aduocats,
Qui par leurs beaux discours attrapent nos ducats,
Vos espices partant ne font comme ie pense,
Que la trentiesme part de toute la dépense.
Il faut donc de l’argent, car si l’on n’en a point,
L’on ne peut accomplir ce qui seroit enjoint.
Si bien qu’estant forclos & priué de deffence,
Les biens les mieux acquis tombent en decadence.
Et faute de pouuoir à ces frais subuenir,
Le droict le plus constant ne peut se maintenir.
Si bien que l’oppressé perd ses biens sans ressource,
Par ordre de Iustice, & desordre de bourse.
S’il aduient qu’on ad, ourne vn pauure prisonnier,
Qui pour auoir du pain n’a pas mesme vn denier.
Comment voulez-vous donc, Messieurs, qu’il se deffende ?
Et comment pensez-vous que le Iuge l’entende ?

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Car point de Procureur si l’argent luy de faut,
Et s’il ne comparoist on luy donne le saut.
Or s’il doit comparoir, voyez de quelle sorte,
Puisque de la prison on luy ferme la porte.

 

 


Mais quoy ! les biens saisis & le corps en prison,
Ne pouuoir obtenir justice, ny raison,
Et voir l’homme de bien accablé sous l’empire
De celuy qui cruel sa ruïne conspire.
Comme si son pouuoir deuoit estre absolu,
Pour vous faire ordonner ce qu’il a resolu.
C’est vne Loy, Messieurs, qui deuient tyrannique,
Et que l’abus des temps a rendu trop inique.
Depuis que l’vsurier par trop interessé,
A pû d’vn debiteur en faire vn oppressé.
Apres cela, Messieurs, dites en conscience
Si vous auez iamais connu cette science :
Si vos esprits se sont quelques fois attachez
A penetrer à fonds ces desordres cachez.
Et que penserez vous que dans la France on die ?
Que seruiroit, Messieurs, icy de vous flatter,
Les plaintes de ces maux commencent d’éclatter.
Et si c’est par vous seuls que le Roy les écoute,
Ne sera ce donc pas causer nostre déroute ;
Si chacun Officier se voyant restabli,
Les maux des gens de bien demeurent dans l’oubli,
Car quel soulagement au bien de la Iustice,
De voir les Officiers remis en exercice.
Et leurs ordres reglez selon leurs fonctions,
Que sert de reuoquer toutes Commissions.
Si de tant d’Officiers le nombre tres-enorme,
N’est pas suppression reduit à la reforme.
Que sert de compiler des volumes de Lois,
Si l’on n’obserue plus l’Ordonnance des Rois.
Si l’vsure, le vol, la fraude, la malice,
La fausseté, l’outrage, & mesme l’injustice,

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Fomentent les abus qui nous ont desoles,
Pour partager nos biens quand on les à volez.
Quelle honte de voir qu’on to lere l’ordure
De la mendicité, du change, & de l’vsure.
Que Dieu dont la parole est durable à iamais,
Ne soit pas mesme exempt de controlle & de mais :
Et que contre les Lois de sa Bible & du Code,
Il se trouue à Paris vne vsure à la mode,
Auec laquelle on puisse entrer en Paradis,
Combien que l’vsurier en fut priué iadis.
Que l’on voye enfin le Prestre & le Laïque
Exercer impuni ce trafic Iudaïque.
Que les deniers du Roy par roolles départis
Soient par les Receueurs encore diuertis ;
Que des decrets fraudeux les méventes peruerses
Ruïnent nos maisons par cent causes diuerses ;
Et qu’alors que nos biens on adiuge à l’encan,
On prise le drap d’or au prix du bourracan :
Que le style frippon & plein de brigandage
Qu’on tient au Chastelet par vn mauuais vsage,
Lors que les Procureurs procedent par defauts,
Fassent passer pour bon & l’iniuste & le faux.
Qu’on souffre l’attentat ainsi que les faussaires,
Et qu’ils soient impunis comme gens nécessaires,
Pource qu’ils font grossir le trouble des maisons,
Qu’on endure aux méchans d’employer les prisons,
Pour exiger par force & contre la Iustice,
Ce que veut leur vengeance, ou bien leur auarice.
En vn mot, quelle horreur si vous ne pouruoyez
Sur ces aduis certains qui vous sont enuoyez.
Messieurs, si ce discours vous semble temeraire,
Il est vray pour le moins autant que necessaire,

 

FIN.

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Anonyme [1649], LE CENSEVR POLITIQVE. AV TRES-AVGVSTE Parlement de Paris. , françaisRéférence RIM : M0_668. Cote locale : E_1_120.