Anonyme [1649], DEMOCRITE ET HERACLITE, RIANT ET PLEVRANT, sur le temps qui court. DIALOGVE SATYRIQVE. , françaisRéférence RIM : M0_999. Cote locale : A_2_42.
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DEMOCRITE
ET HERACLITE,
RIANT ET PLEVRANT,
sur le temps qui court.

DIALOGVE SATYRIQVE.

A PARIS,

M. DC. XLIX.

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DEMOCRITE
ET HERACLITE,
RIANT ET PLEVRANT,
sur le temps qui court.

DIALOGVE SATYRIQVE.

Democ. VOILA bien braire, bien criailler, &
bien pleurer pour vn grand Philosophe.
Herac. Il te fait beau voir, pour
vn habile homme, t’esclater de rire
comme vn fol, principalement en la
saison où nous sommes. Democ. N’est il pas permis en toute
saison de faire l’homme ; or le rire est vn propre de l’animal
raisonnable dont les bestes sont priuées : car on ne remarque
point qu’il y en ait pas vne qui rie, mais quasi toutes crient,
se plaignent, heurlent, beuglent, & pleurent comme toy ;
c’est le propre des cerfs, & des biches timides de verser
des larmes, ou des lasches comme des veaux de pleurer.
Herac. Pourquoy donc le prouerbe, dit-il, qu’il y a temps de
pleurer, & temps de rire. Democ. Mais tu pleure tousiours.
Herac. Mais tu ris tousiours, & encor cependant que toute le
monde pleure, & non sans cause durant ce temps mal-heureux.
Le Philosophe doit posseder toutes les vertus, la charité
qui en est vne, doit estre pratiquée par le sage qui attire
apres elle la compassion du mal de son prochain. Democ. Cette
mesme Philosophie nous apprend que l’homme sage qui
doit tousiours estre égal à luy-mesme, & dominer ses passions

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ne peut estre émeu d’aucune fascherie, les playes, les douleurs
des maladies, les plus violentes, les coups de foüet, les
tortures, les gesnes, les exils, les prisons, & le gibet mesme
peuuent toucher son corps sans donner aucune alteration, &
sans blesser son ame. Herac. Tu nous veux donc forger vn
Philosophe insensible, impitoyable, vn homme sans cœur,
bref vne statuë de bois. Democ. Ce discours de Philosophie
est de trop longue haleine & trop difficile à disputer : remettons-en
le discours en autre lieu, & me dis maintenant quel
sujet t’émeut à pleurer ainsi incessamment, & puis ie te diray
quel sujet i’ay de rire. Herac. Toute l’Europe en guerre, &
principalement cette pauure France armée contre elle mesme,
ruinée par les estrangers, France armée contre elle mesme,
ruinée par les estrangers, & par ses propres enfans, les
villes assiegées, les villages pillées, saccagez, bruslez, les
vestales violées, & les Temples des Dieux prophanez : n’est-ce
pas vn assez grand sujet pour verser des larmes en abondance.
Democ. Mais quel interest as-tu à ce pays. Her. Quoy
le fleuue de Lethé dont nous auons beu tant de fois, t’a-il tout
à fait effacé la souuenance qu’apres que suiuant l’ordre de la
Metampsicose, nous naquismes en Grece que nous sommes
renais par plusieurs fois sous plusieurs especes d’animaux en
d’autres pays, & que finalement retournant à nostre premier
Estre, nous sommes redeuenus hommes en cette Prouince.
Democ. Il m’en souuient, tu as raison de ce que tu dis, mais
tu n’as pas raison de tousiours pleurer. Herac. N’y toy de toujours
rire. Quoy de voir le plus florissant Royaume que nous
ayons jamais habité proche de sa ruïne, le plus puissant Monarque
sous lequel nous ayons iamais obey, pris arresté, emprisonné,
& prest à estre desthrosné par vn esclaue, la plus
noble, la plus riche, la plus peuplée Cité de l’Vniuers, dõt les
Palais surpassent en magnificence ceux de Rome, les tresors
ceux de toutes les Villes de Perse, les Vniuersitez plus rẽplies
d’hommes sçauants que celles de Grece, les Dieux mieux
seruis & honorez qu’au temps de Numa, bloquée, affamée,
menassée de feu & de glaiue par vn estranger. Cette celebre
assemblée dont les Augustes Senateurs ne cedent, ny en integrité,
ny en courage, ny en science aux plus doctes & seueres
de Grece ny d’Italie, baffoüez & moquez par vn impie,

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vn iniuste, & vn lasche ; cela tireroit des larmes des cailloux les plus
durs. Le Ciel mesme s’est voilé depuis ce temps-là, & a versé des
pluyes en abondance, le Soleil s’est caché, & n’a point monstré sa
face que lors qu’il a semblé qu’il auoit quelque esperance que ces
maux deuoient prendre fin. Democ. Et moy ie me ris de tous les
peuples de l’Vniuers, de tous ces grands Capitaines, des Princes,
des Rois, & des Monarques. Sçais tu pas bien que quand les Cosmographes
dépeignent tout le monde qu’ils posent au milieu de
tant de grands cercles vn petit poinct qui est vne chose indiuisible,
sans longueur, largeur, hauteur, ny profondeur, & que cela c’est
la terre. Or c’est pour vne partie de cette terre, c’est à dire, pour
vne partie d’vn rien, que tous ces grands Capitaines, tous ces vaillant
champions disputent, combattent, s’assomment, se tuent &
s’entrecoupent la gorge tous les iours. Et ie ne rirois pas de cette folie,
& particulierement de la tienne, qui deurois sçauoir que quand
toute cette machine s’écroüllant renuerseroit sans dessus dessous,
que l’homme sage doit demeurer au milieu de sa ruïne tout debout
sans s’ébranler ny s’émouuoir en aucune façon. Et tu pleure desia
vne perte qui n’ariuera peut-estre iamais. Herac. Il n’est pas deffendu
au Sage de preuoir les mal-heurs, & d’y remedier de tout sen
pouuoir. En vain eussions-nous appris le cours des Astres, les forces
des estoilles, & c’estoit temps perdu aux anciens Egyptiens d’employer
toute leur vie en l’estude de l’Apologie ; les bestes mesmes
apprehendẽt les mal-heurs qu’ils preuoyent par vne insigne nature,
se cachent dans leurs tannieres deuant l’orage & les mouches à miel
se retirent dedans leurs ruches, auparauant que quelque grande
tempeste suruienne Tu diras que ie ne puis pas remedier non plus
que toy aux mal-heurs qui nous menacent, qu’il soit vray, au moins
en témoigneray-je quelque sentiment par mes larmes. Democ. Et
moy ie témoigneray par mon rire, que ie recognoist la folie de tous
les hommes. Tu t’estonnes de voir vn valet faire du Maistre vn ignorant,
contre-faire le sage Politique, vn faquin trancher du grand,
foule l’or aux pieds parmy la soye de ses tapis, commander à de plus
sages que luy, se faire obeyr par les plus grands Princes, posseder
l’authorité Royale toute entiere, iouyr des dépoüilles de tout vn
peuple, armer les plus grands Seigneurs de la terre les vns contre les
autres, bannir, proscrire, condamner, emprisonner, exiler les plus
puissans & les meilleurs, casser les Arrests des Cours Souueraine, &
bref agir non seulement en Souuerain, mais en Tyran ; c’est qu’il

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iouë son roole ; c’est icy vn theatre, nous sommes les spectateurs.
N’as-tu iamais veu Turlupin, qui hier faisoit le bouffon à la farce,
le lendemain auec vne Couronne sur sa reste, & vn Sceptre en main,
faire l’Alexandre, suiuy de tous les Princes de la Grece, menacer
tout l’Vniuers, & mener les plus grands Rois de l’Asie en triomphe.
Te faschois-tu pour cela attends encor vn iour, il reprendra son
chapeau & son roquet de toile. Gautier Garguille luy donnera sans
bastonades, où peut-estre, selon le sujet de la Comedie, pour auoir
fourbé son Maistre, ou fait quelque niche aux enfans de la maison ;
le verra t’on attacher à vn gibet. Herac. Tu me contes des Fables &
des Comedies, qui ne sont inuentées que pour rire : mais ie pleure
de voir des veritables Tragedies, dont les Catastrophes sont toujours
sanglantes & lamentables. Democ. D’autant plus celle-cy est-elle
veritable, d’autant plus doit-elle estre plaisante. Tu n’as pas
peut-estre veu ioüer ses premiers Actes ; car cette piece icy, bien
que commencée du temps & de l’ordre du deffunct Cardinal, n’a pas
esté composée par son Academie ; on n’y obserue pas toutes les regles
du Theatre, car elle se represente, non pas seulement en plusieurs
jours, mais en plusieurs mois, & en plusieurs années. I’ay veu
la premiere entrée de ce Iodelet sur le Theatre, ou plustost de cét
Harlequin ; car il nous fut enuoyé du pays d’où viennent les plus
subtils & les plus adroits, chacun sçait les personnages qu’il a ioüés
auant que de venir ; car Messieurs les Harlequins seruent, & de valets,
& de bouffons, & de laquais, & de maquereaux, & d’autres
mestiers. Arriuant icy, fut quelque temps logé chez vn apprentif
Partisan, qui maintenant est passé Maistre, où apres s’estre vn peu
rafraichy, & pris langue du pays, il fut trouuer le deffunct qui le cognoissoit,
il estoit habillé d’vn iuppon velouté de plusieurs couleurs
(que ie pense auoir veu vendre depuis peu à la restitution qu’il fait
aux Parisiens d’vne partie de leurs dépoüilles,) car il n’est pas si liberal,
que de donner ses vieux habits à ses valets de Garderobes, &
entre dans la salle où son Eminence l’attendoit auec impatience, lequel
aussi tost qu’il l’apperceut d’vn visage riant, il commence à luy
dire en langue Italienne. Voicy donc le Seigneur Iules auec toutes
ses sourberies & galenteries, l’autre luy respond prestement, riant,
apres vne humble salutation, & se releuant auec vn geste pantalonnesque,
car il sçait faire plusieurs personnages Ouy, Monseigneur,
voicy le Mazarin qui vient offrir au seruice de Vostre Eminence, son
corps, ses biens, sa vie auec toutes ses fourberies, galenteries, & forfanteries,

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lors le bon Seigneur l’embrassa, luy fit grandes carresses,
& l’emmena pour l’entretenir en particulier. Voila l’entrée de ce
grand personnage, que tu crains vn iour deuoir subiuguer tout le
monde ; & tu pleureras, & tu ne riras pas auec moy de la folie des
hommes qui font vn veau d’or d’vn si chetif animal, & qui font si
grand cas de peu de chose ? Herac. Ie t’accorde tout cela, mais cependant
il est ie ne sçay par quels moyens paruenu en vne telle authorité,
qu’il semble deuoir dominer tout le monde, son ambition
est deuenuë si grande, que l’Vniuers est trop petit pour la borner,
son au arice si extreme qu’il a espuisé tous les tresors de la France, la
soif si enragée qu’il succe le sang de tous les peuples, & sa tyrannie si
cruelle, que ie crains qu’il ne renuerse les loix, qu’il n’abolisse le
culte Diuin, qu’il ne sappe les fondemens du Royaume, & qu’il n’acable
tous les gens de bien dans ses ruïnes. Democ. Non, non, cher
amy, n’apprehende point tant, attends le dernier acte, la Catastrophe
peut estre tres sanglante & funeste, mais ce sera pour luy seul :
il est seul autheur du mal, le mal-heur tombera sur luy seul. La fin
des Tyrans est tousiours violente, les Dieux vengeront leur querelle,
les Parisiens ne sont plus badauts, ils aiment leur Roy, & ce respect,
les a fait pastir & patienter ; le Roy recognoistra leur affection,
cependant ils ne se laisseront plus prendre à la pippée. M. Mrs du
Parlement ont des yeux de Linx qui penetrent iusques aux plus profondes
cachetes de la terre, il luy sera mal-aisé tost ou tard d’éuiter
leur Iustice. Les peuples ne peuuent souffrir deux Souuerains, ils ont
la force en main, pour vanger l’authorité de leur Prince vsurpée, &
sont conduits par des lyons, qui ne redoutent point les singes ; le
sang de celuy-cy guerita leur fievre, il est bien plus expedient qu’vn
seul & coupable perisse, que tant de sang innocent soit respandu ; il
jouë de son reste, il a voulu tout hazarder : mais il perdra tout ; la
chance est tournée, on cognoist son ieu, il n’est plus temps de piper,
il faut jouër tout à bon ; & quand cela arriuera, & que celuy qui à
allumé la guerre par tout le monde, par sa ruïne, ou par sa fuitte
honteuse, aura rendu la paix vniuerselle, que seul il a empeschée.
Tu ne ritas pas auec moy, pleuras-tu tousiours. Herac. Peut-estre
quitrerois je mon humeur chagrine, & aurois-je quelque ioye, si cela
arriuoit, & non pas pour me moquer comme tu faits : mais à cause
du contentement que i’aurois de celuy que receuroit tout le monde ;
mais cét esprit est trop obstiné à la ruïne de la France, qu’il perdra
s’il ne la possede tout entiere, & mal-aisement pourra-t’il quitter vn

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si bon morceau, & nous ne pouuons iamais auoir la paix, tant que
ce broüillon sera parmy nous, car le moyen qu’vn corps puisse estre
sein qui a la peste dans le cœur ? Ah ! que i’apprehende de grands sujets
de larmes. Democ. Et moy ie prepare vne ceinture pour me sangler
le ventre peur de creuer de rire ; car ie sçay que cette piece ne
sera qu’vne Comedie, les plus grands iureurs ne sont pas les plus
méchants, il rit bien qui rit le dernier, quand les peuples François
ne seroient pas assez forts pour s’opposer à la tyrannie de ce monstre,
les peuples voisins qui ont interest à la cause armeront puissamment
pour nostre deffense. I’entends desia les trompettes & les
tambours d’vn grand Prince qui n’aguerre nostre ennemy, comme
il est genereux, au lieu de se seruir de nos diuisions, vient nous offrir
son bras, ses armes, son courage, & le nombres infiny de ses
vaillans soldats pour aider à nostre deliurance. Voy-tu comme desia
il semble que le Ciel s’en resiouysse, qui tousiours morne triste &
troublé, iusques à present est deuenu clair, serain, & fauorable à la
marche de nos genereux champions, les oyseaux commencent desia
à gasoüiller de la Paix, tout semble rire, & au Ciel, & en la Terre,
& tu pleureras tousiours Herac. Que les Dieux face ton dire veritable :
mais ie ne puis cesser de pleurer. La Paix nous ramenera la
tranquillité ; la Paix donnera relache à nos trauaux : mais il est impossible
que de long-temps elle restablisse ce que la cruauté de cét
ennemy du genre humain a destruit, tout nos villages sont en cendres,
nos Temples renuersez, nos concitoyens massacrez, nos filles
violées, nos tresors enleuez, le labour de la terre cessé, les cheuaux
des païsans emmenez pour labourer des terres estrangeres, nos bleds
ou gastez ou emportez ; & ie cesseray de plaindre nos mal-heurs, &
d’vn œil sec pourray je voir tous ces desastres ? Democ. Les Dieux
tout-puissant, qui en vn moment peuuent esteindre vn si grand feu,
peuuent aussi en moins de rien nous rendre par vne grande fertilité
d’année, dont on voit desia de grandes apparences, tout ce que la
rage de nos ennemis à rauagé.

 

FIN.

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