Anonyme [1649], LE COMMERCE DES NOVVELLES RESTABLY, OV LE COVRRIER ARRESTÉ PAR LA GAZETTE. , françaisRéférence RIM : M0_718. Cote locale : C_1_17.
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LE COMMERCE RESTABLY,
OV
LE COVRRIER
ARRESTE
PAR LA GAZETTE.

LA babillarde renommée qui court la pretentaine
par toute la terre, qui fourre son nez dans toutes
les affaires du monde, & qui nous corne incessamment
aux aureilles ce qu’elle sçait, & ce qu’elle
ne sçait pas ; ayant de tout temps esleu son principal domicile
dans la Frãce, pour y auoir tousiours trouué plus de logemẽt
qu’en quelquepart que’lle peusse aller, dans les chambres
vuides des cerueaux curieux, qui ne se garnissent que
de nouuelles & de contes à dormir de bout : Voyant toutesfois
qu à raison des remuëmenages arriuez dans l’Europe
depuis les guerres, elle estoit obligée d’estre par tout
pour donner ordre au commerce de cette marchandise
apres auoir bien resué, ne trouua point de meilleur expediẽt
que d’establir des Lieutenans Generaux pour maintenir sa
puissance dans tous les cantons connus & à connoistre,
trancher en son absence de son authorité, tailler & rogner
de son domaine, & faire des choux, des raues & des pastez
de ce qui se dit, & de ce qui se fait, dans ce monde & dans
l’autre.

D’abord elle constitua dans cette fameuse dignité haute
puissante Princesse Madame l’Histoire, qui s’aquitta longtemps
de cette charge sans que l’on peust former aucun
reproche contre son ministere : Messieurs les memoires, ses
Agends estoient du bon temps auquel on ne pouuoit mentir

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à moins que de rougir aussi-tost, & sans baille l’y goust,
ces fidelles commis luy donnoient des viandes toutes maschées
qu’elle ne faisoit qu’aualler ; bien souuent aussi sans
se fier qu’à soy-mesme, ses yeux fortifiez de lunettes, & ses
aureilles de cornes en façon d’entonnoirs, elle vouloit estre
presente à toutes les actions memorables, & sans embellir
ny farder la vertu ; elle escriuoit vn tel a bien fait en telle
occasion, ou tel est vn lasche, & n’a rien fait qui vaille ;
obseruant la iustice distributiue qui donne à chacun ce qui
luy appartient : ce n’estoit pas là parler par ouy dire, puis
que ses aureilles & ses yeux luy fournissoient tousiours de
quatre tesmoins contre qui l’on ne pouuoit s’inscrire en
faux, & donnant d’vn ie l’ay veu par le nez, elle pouuoit
enuoyer promener, ceux qui luy auroient voulu contredire.

 

Les esprits estans deuenus plus raffinez & curieux on
ne fust plus si Religieux à l’obseruation de ces ordres, l’on
s’immagina que c’estoit mal parler que de dire la verité,
& qu’il falloit mentir pour escrire à la mode ; dés-lors Madame
l’Histoire n’eust plus de vogue, chacun luy donna
quelque lardon, l’on se torcha le cul de ses escrits, & l’on
la d’escria comme la fausse monnoye : vne coniuration
se forma contre son authorité dont vn Prince malaisé nommé
Roman s’institua le chef ; c’estoit le plus grand ennemy
de la verité, il mentoit comme vn arracheur de dents, &
pour habler & controuuer des contes, il n’en craignoit
teste d’homme viuant. Cét adroit courtisan, fit si bien par ses
galanteries & complaisances estudiées qu’il attira bien du
monde à son party, & sur tout le beau sexe qui se charme
de vetilles le trouuant fort propre pour l’instruire à faire
l’amour, & le rendre sçauant iusques au dents en fait de
compliments, fleurs de bien dire & cageolleries ; le supporta
si bien & si beau, qu’à sa faueur il debusqua l’Histoire,
& s’instala dans son domaine auec tant d’éclat & d’approbation
qu’on ne parloit que par Roman. Il s’estudioit
principalement a mentir auec grace, inuenter des noms
extraordinaires espouuentables pour les guerriers ; & dorés

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pour les Dames, & doux comme du sucre ; controuuer
des incidens miraculeux, des combats prodigieux, &
des Palais enchantez dans des pays de Caucaigne ; où les
alloüettes tombent toutes roties ; & couronner toutes ces
auentures par vn mariage delicieux, pour faire venir l’eau
à la bouche des friandes Damoiselles, qui passent les nuicts
dans les pensées, dont leurs esprits s’entretiennent, apres
cette lecture fabuleuse : Les Amadys, Cheualier du Soleil,
des Miroirs, & aux Armes dorées, Palmerins d’Oliue, Gerileon
d’Angleterre, Morgant le Geant, Valentin & Orson,
Pierre de Prouence, le Roy Hugon, Charlemagne, &
les douze Pairs de France, furent de la premiere couuée, &
s’acquirent vne merueilleuse reputation, mais Nerueze &
Des escuteaux raffinerent leur stile & commencerent à parler
Phœbus ; ils furent les mignons des Dames, & quelques-vnes
les portoient au lieu d’heures à l’Eglise ; s’il se
formoit entr’elles quelque different touchant vn terme on
s’en rapportoit à Nerueze, & qui l’eust voulu contredire
auroit esté chassé comme vn peteur de la compagnie :
Depuis la mode changeant de iour en iour, Astrée, Argenie,
Ariane, le Polexandre & la Cassandre, on donne de la
casse à ces Pedans, mais ils n’en auront pas meilleur marché
que les autres, l’on se detrompe tous les iours de ces
fadaises, & comme on dit Maistre Gonin est mort le monde
n’est plus gruë.

 

Madame l’Histoire ayant reconnu les causes de sa decadence,
& les moyens dont ce fourbe s’estoit seruy pour luy
donner du croc en jambe, employa les mesmes artifices à
luy rendre la pareille ; Affin de s’accommoder aux esprits,
sçachant que toutes veritez ne sont pas bonnes à dire,
qu’il faut quelquesfois dorer la pillulle, & qu’vn peu de ragoust
fait trouuer la viande meilleure, elle s’insinua petit
à petit dans l’esprit de quelque Prince ambitieux, desguisa
la verité & luy donna le masque de flatterie qui le fit passer
pour vn heros, ses moindres actions pour des exploits merueilleux,
& ses vices pour des petites vertus ; elle changea
de nom & de qualités pour cacher les rides de sa vieillesse,

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& paroistre plus jeune & plus agreable, & tantost sous le
nom de legende, tantost sous la qualité de Code, de Memoires
de Commentaires Hystoriques, de Chroniques, de
Decades & d’Annalles, elle a tasche de se maintenir & de
tirer des puissances de pensions & de bonnes nipes luy
ont donné le moyen d’habiller de pied en cap cette pauure
verité honteuse de paroistre toute nuë comme elle estoit
chez les grands qui la chassoient & n’en vouloient point
entendre parler, c’estoit la moindre de ses suiuantes, dans
ses entretiens ordinaires elle la faisoit taire tout plat, &
Mademoiselle flutterie auoit seule le Priuilege de parler des
Princes & des Roys, parce qu’elle sçauoit & sçait encore
donner du plat de la langue en perfection, & les gratter où
ils se démangent.

 

Au commencement elle auoit la patience de voir regner
& mourir vn Monarque pour en escrire la vie ; mais soit que
les fantasques qui ne viuent que de nouueautez se plaignissent
que c’estoit leur mettre le Caresme bien haut, ou que
n’ayant point d’autre reuenu que ce commerce, la necessité
l’obligeast de mettre plus souuent quelque chose sous la
presse, affin de mettre quelque chose sous la dent : elle borna
ce terme à l’espace de dix ans, & reduisit la Chronique
en Decades dés-lors elle se donna bien de garde en iouant,
de ce delicat instrument de toucher sur la grosse corde, depeur
que ses recompenses ne fussent de bois flotté dont elle
auroit esté tres-mauuaise marchande ; il fallut sous-mettre
ses escrits à la censure des courtisans, & souffrir les corrections
du Prince ou du Ministre d’Estat ; en sorte qu’assez
souuent ils escriuoient eux-mesmes leurs belles actions,
& contraignoient cette bonne Dame d’estre faussaire en
legitimant des enfans qu’elle n’auoit iamais produit ; mais
elle alla de pis en pis, ses moyens diminuans aussi bien que
le Regne des Roys ; Il falut amplifier la matiere, ampouler
le stile, faire de rien grande chose, & ramasser des fadaises
& des contes jaunes pour en faire vn volume tous
les ans, cela passoit sous le tiltre d’Annales, mais c’estoit
plustost des rogatons pour demander les estreines, & si l’on

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eust examiné la dose des drogues de cette composition, on
n’y auroit pas trouué vn dragme de verité parmy deux
liures de mensonges.

 

Le Mercure François fut de cette fabrique, quoy que son
tiltre fut different, & qu’il fut habillé d’vne autre façon,
il en a conté des plus mures, & bien fait accroire aux gens
de là l’eau ; à son conte tout a bien esté iusques icy, les Ministres
d’Estat ont fait merueilles, le peuple est plus heureux
que iamais, nous sommes chanseux en fait de guerre,
les victoires nous assassinent, l’estat s’augmente de iour en
iour par nos conquestes ; ceux qui gouuernent les Finances
sont gens de bien & de conscience qui ne veulent que
le bien de la France ; bref il n’y a point de Royaume qui
iouysse d’vn repos plus asseuré : ie m’en rapporte à ce qui en
est, mais i’ay bien peur que ce Mercure, ne fasse comme le
celeste, qui trafique de nouuelles, & d’autre chose que ie
ne diray point.

Ce n’estoit pas encore assez d’auoir restably ces rentes
annuelles, principalement depuis que la guerre a taillé
tant de besogne à cette greffiere corrompuë ; il s’est trouué
des cerueaux trop auides de nouueautez qui ne s’en
peuuent passer non plus que de chemise, & dont la curiosite
fait son pain quotidien de relations & d’incidens ; pour
faire des emplastres aux blessures de ces esprits, la bonne
Dame choisit vne esperlucatte qui luy seruoit de Damoiselle
suiuante, affectée au possible extremement dissimulée
& malicieuse comme vn vieux singe ; on l’appelloit du
nom de Cazette, son inclination l’auoit de tout temps
portée à cét exercice, & bien auparauant qu’elle fut installée
dans cette dignité, elle ne faisoit autre chose que
courir le guildou, aller decà de là, trotter chez les voisins,
visiter ses voisines, fureter iusques aux ruelles du lict, &
dans les lieux secrets, parler de messire chacun, drapper
tantost, cettui-cy, tantost cettuy-là, & mettre indifferemment
sur le tapis & les vns & les autres ; Enfin elle n’alloit
iamais sans sa langue, & quand elle n’auoit rien à dire son
esprit malicieux forgeoit sur le champ des nouuelles bonnes

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ou mauuaises telles qu’elles luy venoient à la bouche,
Mademoiselle flatterie estoit en bonne intelligence auec
cette fine mouche, c’estoit deux testes dans vn bonnet,
l’vne n’alloit iamais sans l’autre, & lors que Gazette estoit
empeschée à faire quelque Relation, celle-cy ne manquoit
point d’estre au prés d’elle, & de luy souffler aux aureilles
les termes dont elle deuoit seruir.

 

La voila donc establie par intrigues & par faueur dans ce
venerable employ, Dame Histoire qui commence a radoter,
se repose entierement sur sa vigilance & luy remet sa
charge & son authorité pour en disposer à sa fantaisie, &
faire ses fonctions accoustumées ; elle en vse auec tant de
liberté qu’elle change d’abord l’ordre estably par sa maistresse,
& se resout de donner aux curieux du fruict nouueau
toutes les semaines : elle feint d’auoir des correspondances
par toute la terre, & d’estre des plus connuës, elle
sçait ce qu’on fait à Naples, en Suede & en Bauiere tout
en mesme temps, trotte comme vn postillon de ville en
ville, & de Prouince en Prouince, & lors que toutes ces
matieres Illustres manquent à son sujet, elle reuient à sou
village, & treuue dans Paris assez de fatras & d’incidens
pour en emplir ses cahiers iusques au goulet, dira qu’vne
telle Dame est accouchée d’vne fille, qu’elle a esté baptisée
dans telle Eglise, que tels & tels l’ont tenuë sur les fonds,
qu’vn tel a pourueu son fils de la charge de Conseiller, que
tel autre a resiné son Abbaye à vn tel, qu’il a soustenu vne
These en Sorbonne, que l’on a tiré deuant le Roy vn feu
d’Artifice, & en expliquera les particularitez, qu’vn tel
Seigneur n’est plus malade, & qu’il se porte bien de sa
goute que l’on a treuué quelque machine nouuelle, pour
faire des carrosses a peu de frais, que la riuiere est fort
grosse, & que le pain est à bon marché. Ne sont-ce pas là
de belles nouuelles à mettre dans l’Histoire ? N’i sommes
nous pas bien gras & satisfaits d’achepter des contes que
nous sçauons deuant que l’on ait songé à les imprimer &
n’est-ce pas nous charlataner adrettement que d’attirer
l’argent de nos pochettes par les papiers, qui pour estre

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trop minces & de mauuaise fabrique, n’estant pas propres
pour les beuriers ne sçauroient seruir que de mouchoirs
pour le derriere.

 

Cette fine matoise s’est toutesfois si bien intriguée dans
cét estat, sous ombre qu’elle s’accompagne quelquefois
de la Donzelle verité qu’on luy donne vne generale approbation ;
Depuis les petits iusqu’aux grands on ne parle
d’affaires que par Gazette, les aisez en font des recueils &
les acheptent, d’autres se contentent de les lire en payent
certain droit pour cette lecture ; & bref dans la plus serieuse
compagnie, on dira, que dit-on de nouueau, qu’apprenez
vous de bon ? comment vont les affaires ? auez vous
leu la Gazette d’auiourd’huy, par le t’elle de cy, ou de cela,
dit-elle que le Roy reuient bien-tost, touche t’elle quelque
chose d’Angleterre ; & mesmes si l’on met en auant quelque
nouuelle, il ne faut pour la reietter que dire, cela n’est
point dans la Gazette, & par consequent cela est faux, &
s’il estoit vray la Gazette n’auroit pas manqué d’en
parler.

Mais il est aisé de iuger de la cause de cette haute faueur ; il
ne faut point de lunette pour descouurir le secret de cette
intrigue vn aueugle y mordroit si l’y vouloit mettre son nés ;
& dés que l’on voit flatterie auec Gazette, on ne doute plus
qu’elle doit estre bien en cour, & que les cadets de la faueur
la doiuent adorer comme celle qui peut faire leur fortune,
aussi voit on continuellement ches elle des troupes de ces
ieunes gens, qui viennent mandier sa plume, & la prier
d’Enluminer leurs belles actions auec vn peu d’ancre, &
Gazette qui fait son meilleur reuenu de ce commerce s’en
sert auec vn secret si merueilleux, qu’il n’y a point de Carmin
n’y d’Outremer qui puissent mieux faire esclatter vne
peinture ; s’il s’est passé quelque occasiõ, elle en fait vne sanglante
deffaite, si dans vne attaque quelque pagnotte en
voulant reculer à receu de celuy qui le commande quelque
coup de cane sur la teste, pourueu qu’il contente mademoiselle
Gazette ce sera l’estra-masson d’vn sabre des ennemis
qui luy aura fait cette blessure, tel a qui la lan cette d’vn

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chirugiẽ aura percé quelque faueur de Venus se dira blessé
d’vn coup de picque, où d’estocade, & quelque autre qui
pendant cette affaire estoit à Paris dans vn lieu où veritablement
il faisoit vn peu chaud, sera mis au rang des premiers
attaquans, & de ceux qui ont le mieux payé de leurs
personnes enfin tout va selon le caprice de cette rusée, la
plus haute vertu se treuue estoufée sous le silence, à faute
de la bonneter, & la plus grande lascheté passera pour genereuse,
pourueu qu’elle passe par la Gazette.

 

Voyla ce qui la fait maintenir en authorité ce qui luy donne
la vogue, le secret qu’elle a treuué de vendre l’honneur
& la reputation fait qu’elle est recherchée des vns, & redoutée
des autres, elle est dangereuse en diable il fait fort
mauuais l’attaquer, sa plume & sa langue font des blessures
que le temps augmente au lieu de guerir, & quand elle fait
estime de qu’elqu’vn elle oblige la posterité d’en faire le
mesme Iugement.

Il y auoit déja long temps que les nouuelles passoient
par ses mains & les priuileges autantiques dont elle estoit
munie sembloient l’assurer tout a fait en cette pocession,
lors que le trouble suruenant dans cét estat & les cartes estant
broüillées, Il falut necessairement qu’elle fit flux aussi
bien que beaucoup d’autres : comme elle auoit tosiours torché
le cul à la faueur & qu’elle auoit suiuy les plus l’asches
ordres qu’on luy auoit prescrit, voyant cette mesme faueur
eschouée, Elle se vit au bout de son rollet, & ne sçachant
plus de quel bois faire flesche fut trop heureuse de se taire
& de se retirer, le peuple eschauffé pour son propre interest,
n’auroit pas receu de trop bonne part des nouuelles de
la façon, non plus qu’elle eust peu se resoudre à dire les veritez
de quelques personnes dont elle estoit esclaue & mercenaire :
Quoy que ses relations parlassent des gens de
Cour, ce n’estoit que parmy le peuple qu’elle en faisoit le
debit, mais son Regne n’estoit plus de ce monde, la chance
estoit retournée, il falloit changer de maxime, & se tenir
au rang des pechez oubliez depeur que sa teste ne fit
mal à ses pieds ; & que les affaires venant à changer de

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face elle ne se vit conuaincuë d’auoir laschement abandonné
pendant leur disgrace, ceux desquels elle disoit tant
de bien durant qu’elle tiroit sa protection de leur faueur.

 

Gazette donc se resolut assez sagement de se retirer, &
son silence fut la marque de son interdiction, la tristesse
l’accable, la pauureté l’accueille, la faueur l’abandonne, &
le mal-heur du temps l’enueloppe indifferamment dans la
misere publique, cent fois durant ces tintamarres la demangeaison
luy prend d’escrire les beaux faits des Generaux
du peuple ; mais en mesme temps la crainte du retour ;
qui vaudroit pis que matine, luy fait redouter l’autre party :
D’ailleurs tous les chemins estans bouchez, & les auenuës
de cette grande ville entierement bloquées, ses Agends &
correspondances ne sçauroit apporter aucunes nouuelles
des pays esloignez, toutes les lettres qu’on luy escrit sont
interceptée, & leurs porteurs ajustez tout de rosty, ses despesches
sont despechées, & de ses Memoires autant en emporte
le vent, elle n’ose plus mettre de Rome vn tel iour : de
Munster tel autre iour : de Kracovv, de Dantzitc, de Londres,
de Lisbonne ; de Bayonne, de Naples, de Piombine,
de Venise, de Gennes de Cazal, &c. Mais seulement de
Paris & puis c’est tout. Elle ne peut parler de General Konixmarc,
Roze, Lamboy, Fairfax, &c. & ceux de Paris
sont les seuls dont elle peut dire quelque chose, autrement
il seroit trop facile de la conuaincre de fausseté, & ce seroit
faire douter de tout le reste en controuuant de si manifestes
menteries, bref elle se voit contrainte de souffrir le plus
grand supplice qu’vne fame puisse supporter qui est la
peine du silence, son ancre se seche dans son cornet, & ses
plumes ne seruent qu’à des volans pour diuertir cette profonde
melancholie.

Ce fut là l’interregne de Madame l’Histoire, on en entendit
durant quelque temps ny vent ny voye, on ne sçauoit
ce qu’elle estoit deuenuë, les curieux la cherchoient
par tout, & la disette du pain ne leur estoit pas tant insupportable
que le manque de Gazettes, ils ne sçauoient dequoy
contenter les chancres affamez de leurs cerueaux,

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quand ils se rencontroient l’vn l’autre, c’estoit à demander,
que dit-on de nouueau, ie ne sçay rien, ie n’apprend rien
cela est estrange qu’on ne sçait aucune nouuelle, il semble
que tout soit mort depuis que la Gazette ne va plus, l’on vit
comme des bestes sans sçauoir rien de ce qui se passe ; ainsi
sans quelques rogatons dont les Colpoteurs en vuidant
leurs pochettes remplissoient ces chambres vuides de ceruelle,
ils prenoient le grand chemin des petites maisons,
d’autres pour suppleer à ce deffaut, forgcoient eux-mesmes
des nouuelles pleines d’immaginations bouruës, &
des coq à l’asnes, en faisant accroire aux simples, & donnant
à rire aux serieux, bien souuent en parlant d’vn homme
que l’on tenoit pour mort, il passoit à cheual deuant
eux monté comme vn sainct George, & creuant de santé :
d’autresfois ils publioient que nos gens auoient gagné
quelque poste, & deffait le party contraire, lors qu’ils en
reuenoient apres en auoir estre chassés eux-mesmes, & battus
dos & ventre en enfans de bonne maison.

 

Ce desordre obligea Dame Histoire à se seruir d’vne personne
interposée qui ne fut ny suspecte, ny taxée de flatterie,
& choisit pour cét effet certain Courrier inconnu qui se
nomma François, mais il ne se deuoit nommer que Parisien,
d’autant que ses courses ne s’estendoient point hors des
portes de cette ville, elle instruisit cét homme de toutes les
manigances qu’il falloit pratiquer comme il falloit adoucir
& couler les mauuaises nouuelles, exagerer les auantageuses,
asseurer les douteuses delicatement, si bien que
l’on ne s’en peut dedire sans contradiction, & faire en sorte
de se faire bien venir des puissances, agréer au peuple, &
n’attirer sur soy la haine ny la malediction de personne ;
Apres ces instructions il prit la place de Gazette, & sceut
si bien encherir par dessus son stile, que des sa premiere
arriuée qui fut de son logis chez l’Imprimeur, on cria viuat,
adieu Gazette, & courre le Courrier.

Ie m’immaginois au commencement que c’estoit vn picqueur
de cheuaux qui fut tousiours en selle, & le foüet à
la main, qu’il eust les fesses endurcies comme vn postillon,

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qu’il courut incessamment la poste, la botte tirée iusques
au pommeau de la selle, & qui fit des cinquante
lieuës par iour sans s’arrester iamais deux heures en vne place ;
Mais la premiere rencontre que i’en fis chez l’Imprimeur,
me detrompé de cette creance, & me le fit connoistre
pour vn picqueur d’escabelle qui ne leuoit que rarement
le cul de dessus, si ce n’est qu’il eust affaire au Palais
ou à l’Hostel de Ville.

 

N’estoit-ce pas vn homme fort propres à cette profession ?
n’estoit-il pas bien nommé Courrier François ; & donnant
dans Paris des nouuelles seulement de Paris, auoit il pas
bonne raison d’adjouster à son tiltre, ces mots : Apportant
toutes sortes de Nouuelles ? puis que celles dont il nous faisoit
part, estoient le plus souuent si vieilles & rebattuës,
que des-ja les enfans en alloient à la moutarde.

Il est bien vray qu’il n’estoit pas ignorant, ses preambules
estoient tousiours farcis de Latin ; Et sa relation auoit bien
du stile d’vn Sermon de village, il sçauoit les lieux communs
dont il enrichissoit son discours assés à propos : &
lors que les nouuelles n’estoient pas abondantes, il trouuoit
le moyen comme estant de pratique, de tirer &
d’allonger la matiere pour acheuer le cayer : & remplir la
mesure, lors que nos Generaux n’auoient rien executé
de nouueau. Ciceron auoit dit de belles choses de l’Histoire
Françoise n’ayant rien a diré, on auoit recours à la
Romaine dont on rapportoit des exemples qui n’auoient
aucune application.

Il auoit toutesfois bien choisy son temps, & comme
personne ne le contredisoit, il pouuoit faire ses orges, &
faire accabler son imprimeur de sols bossus, le pain ne se
vendoit pas mieux que ses papiers, on y couroit comme au
feu, l’on s’assommoit pour en auoir, & les Colporteurs
donnoient des arres dés la veille, affin qu’ils en eussent des
premiers, on n’entendoit les Vendredis que crier autre
chose que le Courrier François, & cela rompoit le col à toutes
les autres productions d’esprit, parmy lesquelles il se
pouuoit treuuer quelque bonne piece.

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Mais enfin apres douze de ses arriuées qui n’estoient
comme i’ay dit que de son logis à l’Imprimerie, & dans
toutes lesquelles il n’a iamais vsé qu’vne paire de souliers.
La Paix nous remettant dans le bon-heur fit la fin de son
negoce & de sa bonne fortune, son trauail cessa, quand
tous les autres recommencerent, & il commença de se
plaindre quand tout le monde ne songea plus qu’à se
resiouyr, ainsi va le monde, chacun à son tour, il n’est pas
tousiours temps de rire, & l’on ne peut pas estre & auoir
esté.

Toutes les choses estant restablies par cét accord, chacun
voulut rentrer dans ses droits, & sur tout Mademoiselle
Gazette sortant de son trou de boulin, où elle s’estoit tenuë
recluse & le bec clos à crocquer le marmot durant
tout le temps de la guerre, pria sa maistresse de luy rendre
ce qu’elle ne luy auoit osté qu’à cette condition, la bonne
Dame ne luy peut pas refuser vne requeste si iuste, mais
pour contenter son Courrier qui ne vouloit point démordre,
elle luy conseille de luy laisser encore faire vne de ses coruées :
Il fallut passer par là malgré son impatient desir d’en
desgoiser apres vn si long & si penible silence, mais cõme le
drosle vouloit encor continuer ses courses, elle le fit arrester
& prendre au collet dans le temps qu’il alloit chez
l’Imprimeur, & le fit conduire au Palais de sa maistresse,
comme rebelle à ses Ordonnances & ses Priuileges, il deffendit
sa cause le mieux qu’il luy fut possible alleguant pour
ses raisons qu’vne fame n’estoit pas capable de cét employ,
& que c’estoit vne indignité de laisser vn si sage gouuernement
en Gynocratie : Ie vous laisse à penser si parlant en
presence d’vne fame qui le iuge de ce different, ses deffences
pouuoient estre bien receuës, il fut donc condamné
haut & court à faire vidi aquam, tenu de prendre mademoiselle
Gazette par la main, & la remettre en sa place qu’il
vouloit vsurper auec iniustice.

Cela se fit en pompe & ceremonie, la Donzelle parut
auec plus d’esclat que iamais, & en vn si riche équipage
qu’il est besoin d’en dire les particularitez.

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Premierement sa taille estoit fort auantageuse, affin de
pouuoir descouurir par tout, & d’auoir tousiours le nez au
vent, elle estoit laide comme vn cu, mais sa compagne
flatterie luy auoit mis vn masque qui la faisoit paroistre belle
comme le iour, sa coiffure à la mode enrichie de galans de
toutes sortes de couleurs ; mais ie trouuay fort estrange
qu’elle faisoit comme vanité de monstrer de grandes vilaines
aureilles dans le trous desquelles elle auoit fiché les
bouts de quantité de petits entonnoirs d’argent, dont chacun
portoit graué le nom de quelque Prouince, elle auoit
à la droite vne plume fort bien taillée à la mode des Procureurs,
& l’escritoire penduë à la ceinture de sa robbe en
façon de Monstre ou de Drageoir, son collet estoit de
poinct de Gennes, sa chemise de toille de Hollande, ses
manchettes de Flandre, & sa robbe à l’Italienne de taffetas
changeant, parsemée de langues & d’aureilles en broderie ;
elle auoit au tour d’elle autant de miroirs qu’vne reuandeuse,
dans lesquels de quelque costé qu’elle se tournast,
on pouuoit remarquer tout ce qui se passoit aux enuirons,
mais les objects y paroissoient plus beaux qu’ils
n’estoient, & les glaces n’en estoient gueres fidelles ; elle
auoit des aisles à ses patins, ses pieds n’estoient iamais en
repos, & sembloient faire beaucoup de chemin, quoy qu’ils
ne bougeassent de leur place, des pacquets de papiers sortoient
de ses pochettes, l’on luy d’ardoit incessamment des
lettres & des despesches, & les pacquets vosloient au tour
d’elle comme les mouchoirs sur le theatre d’vn charlatan,
le siege où elle se deuoit asseoir estoit pliant fait de bois de
tremble, dont la boule de la fortune faisoit le marche pied, &
toute cette machine estoit sur vn piuot, au haut duquel
estoit vne giroüette qui tournant à toutes sortes de vents,
tournoit quant & quant le siege & la personne qui y estoit
assise ; desquelles y eust esté conduite par l’infortuné Courrier,
elle luy fit vne reuerence, & luy dit seruiteur tres-humble ;
apres s’estre fait rendre les marques & les ornemens
de sa dignité ; Aussi-tost ie vis entrer des Espagnols,
Allemands, Flamands, Suisses, Portuguais,

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Italiens, Catalans, Napolitains, Hollandois, Anglois,
Escossois, Hibernois, Danois, Suedois, Hongrois,
Polonois, Venitiens, & toutes sortes de nations
qui la vinrent congratuler de son restablissement,
& luy conter tant de belles choses que ne pouuant
souffrir dauantage tous ces caquets, ie sortis de la
chambre tout estourdy, auec vn desgoust estrange de tous
ces fagotteurs de nouuelles, & souhaittant de trouuer vne
personne qui fut assez homme de bien pour escrire franchement,
sans desguisement, flatterie, ny dissimulation,
n’ayant que la verité pour guide, qui doit-estre l’ame de
l’Histoire.

 

FIN.

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Anonyme [1649], LE COMMERCE DES NOVVELLES RESTABLY, OV LE COVRRIER ARRESTÉ PAR LA GAZETTE. , françaisRéférence RIM : M0_718. Cote locale : C_1_17.