Anonyme [1652], LE COVP D’ETAT DE MONSEIGNEVR LE DVC D’ORLEANS ENVOYÉ A MONSEIGNEVR LE PRINCE, touchant les affaires presentes. , françaisRéférence RIM : M0_800. Cote locale : B_7_9.
SubSect précédent(e)

LE COVP D’ETAT DE MONSEIGNEVR
le Duc d’Orleans, enuoyé à Monseigneur le Prince,
touchant les affaires presentes.

Qvoy que la perte de la France semble infaillible
à ceux qui l’ont precipitée par
leur ambition & par leur vengeance dãs
vn extréme desordre : Neantmoins comme
Dieu s’oppose visiblemẽt à leur mauuais
dessein, nous pouuons dire auec plus de verité,
qu’il n’est rien de plus asseuré que la leur. Toute l’Europe
à maintenant pitié de nous, & s’imagine que nous
nous allons precipiter dans vn abisme de mal-heurs.
Ceux qui font semblant de nous aider, ne pretendent
que de nous engager dans vne Guerre ciuile, & ne fauorisent
aucun party contre vn autre, qu’à dessein qu’ils
se destruisent tous deux. La prudence & la generosité
de Monseigneur le Duc d’Orleans, ont tousiours agy
pour le bien de cét Estat : Il a donné la chasse à l’hydre
qui l’infectoit ; & maintenant que ce Monstre à l’asseurance
de reuenir sur ses pas, nostre Hercule se prepare
à le con battre. Il a fait declarer criminel de Laize-Majesté
le Cardinal Mazarin ; & que toutes les peines
qui sont portées dans trois ou quatre Arrests precedens,
ont esté encouruës par luy depuis qu’il est entré

-- 4 --

dans Sedan, au prejudice des deffenses portées contre
luy par la Declaration du Roy, d’entrer dans son Royaume,
ou és Terres soûmises à son obeïssance. Il semble
que cét homme n’est au monde qu pour le troubler,
bien qu’il soit sorty de la lie du peuple ; Neantmoins
estant Sicilien, i’oseray dire qu’il pourroit estre le rejetton
de quelqu’vn des Geants, qui ont autre fois voulu
escalader le Ciel, & fait la guerre contre les Dieux :
Son Eminence pourroit bien faire vanité de cette Genealogie ;
mais pour rabattre son orgueil, qu’il sçache
que la Noblesse ne vient que de vertu, & que ny luy, ny
ses ayeuls, n’ont esté connus que par des crimes. Comme
ses sacrileges, ses trahisons & ses tyrannies l’ont fait
connoistre à tout le monde, aussi l’ont ils rendu abominable
à tout l’Vniuers ; & maintenant que les Dieux assis
sur le thrône des Lys, ont lancé leur foudre contre sa
teste criminelle, l’on n’entend que des réjouyssances
publiques, & des vœux pour sa perte. Certes, ie trouue
non seulement de l’impieté, mais aussi beaucoup
d’aueuglement dans les esprits libertins, qui veulent
nier auec Epicure, que le monde ait esté fait, ou soit
regy par vne intelligence doüée de prudence & de sagesse,
disant que les Monstres qui se trouuent sur la terre,
ne peuuent receuoir leur forme des Astres, ny auoir
leur idée dans l’intelligence qui meut les Cieux. Car
vne Prouidence vniuerselle embrasse le bien & le mal ;
& ces Monstres qui ont fait mille rauages dans les lieux
où ils ont esté engendrez, ont excité la valeur des

-- 5 --

grands courages pour les combattre, & la gloire des
Heros n’a point de plus iuste tiltre que leur defaite.
C’est cette mesme gloire qui fait agir tous nos Heros ;
Nos Princes & le Parlement ont bien voulu prendre
le soin de nous déliurer de ce Monstre. Pour exciter
d’autant plus la generosité des bons François à rendre
le plus notable seruice à leur Patrie, qu’elle sçauroit
souhaitter dans l’estat où elle se trouue à present, ils
ont promis vne recompense qui doit animer les plus
atimides, & satisfaire les plus aures & ambitieux. Autrefois
le Grand Alexandre voyant arrester le cours
de ses victoires par vne poignée de gens qui s’estoient
allez percher sur vn Rocher inaccessible, & qui de là auec brauades luy cryoient s’il auoit des aisles pour venir
à eux, ne trouua point de meilleur moyen, pour chastier
leur insolence, que de proposer à ses soldats quarante
mille liures de recompense à celuy qui seroit monté
le premier sur le Roc : Car sans attendre autre Commandement,
la place fut aussi-tost inuestie, & vn Regiment
estant monté par le costé du Roc, auec beaucoup
de difficultez, rendit Alexandre victorieux. Le Cardinal
Mazarin arreste aujourd’huy les victoires de la France,
& son retour est vne brauade qu’il fait à tous les
François. Mais nostre Alexandre, le Prince de Condé,
trouuera bien le moyen de le déjucher. Par les soins
de son Altesse Royale, la personne de ce coupable a
esté prescripte, & tous ceux qui le fauoriseront, descheus
de leurs charges, biens & dignitez. Cette Ame

-- 6 --

Royale a monstré par vne moderation sans exemple,
qu’il n’agissoit point pour ses interests, mais pour les
interests du Royaume.

 

Les Loix qui font nos Roys majeurs à l’aage de
quatorze ans, donnent les premiers rangs du Conseil
aux Princes du Sang ; & c’est maintenant le sujet de
tous nos troubles. On a exclus du Conseil ceux que
les Loix y establissent, pour mettre à leur place des
personnes non seulement indignes de ce rang, mais incapables
de faire leur fonction. Il ne faut que jetter les
yeux sur les succes de leur administration, pour voir
les fautes de leur Politique. La misere des Peuples & le
feu qu’ils ont allumé és quatre coins du Royaume, ne
sont que des funestes preuues de leur incapacité & de
leur malice. Le zele que nos Princes ont pour la Paix,
a este iusques icy combatu par la faction du Mazarin.
Ses Agents sont assez persuadés, que l’vnion de la Maison
Royale seroit la ruine de leur tyrannie, & que la
Paix, qui remettroit toutes choses dans leur propre assiete,
leur deffendroit de s’approcher si prés du thrône,
où le trouble de la Guerre les pousse. Ces boutefeux
amassent tout ce qui peut accroistre l’incendie, &
ouurant tous les pacquets, que nos Princes s’enuoyent
les vns aux autres, apprennent leurs sentimens ; & abusant
de la facilité de leurs Majestez, leur rendent suspects,
outre l’intelligence qui est entr’eux.

Que ceux qui iusqu’à present ont crû que l’esloignement
du Prince n’auoit esté qu’vn effect de son ressentiment

-- 7 --

(ne pouuant croire qu’vne terreur [1 mot ill.] peut
saisir cette grande Ame) apprennent à mieux iuger des
actions d’vn Prince, dont les lumieres surpassent autant
celles des plus sages, que sa valeur estonne les plus hardis.
On a crû iusques icy, que le retour du Mazarin
n’estoit qu’vn pretexte specieux pour prendre les armes
pour s’y opposer : Mais l’insolence de ce banny iustifie
que trop cette iuste défiance ; & à la fin, il se trouuera
que si Dieu ne nous deliure bien-tost de cét homme fatal,
que la France se verra en vn estat aussi pitoyable,
que celuy de la Grece, lors qu’elle se vit embrasée par
Paris & par Menelas, pour le sujet d’vne femme. C’est
bien plus bonteux à la France, que pour vn estranger
effeminé, elle se voye déchirée par ses propres Enfans.
Certes, il est bien plus iuste & plus raisonnable, que
tous les bons François se joignent ensemble pour aller
estouffer ce Monstre, & pour executer vn Arrest le plus
authentique & le plus equitable qui ait esté rendu par
nos souuerains Prestres de Themis. Quoy vn homme
aura esté banny de la France, comme perturbateur du
repos public, & il se trouuera apres des François qui
l’iront accueillir à son retour ? Non, ce ne peuuent estre
de vrays François, mais des poultrons pensionnaires
de l’auarice & de l’ambition. Quoy, Mazarin aura
l’effronterie de contreuenir à tant d’Arrests, & à la Declaration
du Roy, & on ne l’ira pas accabler ? Il est à
nos Frontieres, & nous le souffrons ? Il a mis le pied en
France, & nous l’endurons ? Quoy ! qu’attendons-nous ?

-- 8 --

qu’il vienne forcer nos portes, ou qu’il ferme les passages
aux viures, se mettant à la teste de ses satellites
& de cette armée de voleurs ? Ie veux bien croire qu’il
a assez de presomption pour se presenter encore dans la
France, & que sa malice luy persuade qu’il en fera vn
continuel embrasement ; Nous sommes assez aduertis
de ses trahisons, de ses attentats & de ses fureurs. Mais
grace à Dieu, nous auons de bons yeux pour voir venir
ses coups, & des bras assez forts pour les parer. La prudence
& les soins d’vne Ame Royale, les bons conseils
qu’elle a pris, les grands courages qu’elle choisit pour
les executer, vont agir si puissamment dans tous uos
besoins, que sa generosité repoussera non seulement
toute la violence de ce desesperé, mais nous rendra
mesme victorieux par sa défaite, & ie ne doute point
que des succez si merueilleux ne soient soustenus par
des progrés plus estonnans. Ainsi la France fera deliurée
par son alcide, des Monstres qui la rauagent ; Et
apres cette deliurance, on ne verra dans l’Estat qu’vn
enchainement de prosperitez.

 

FIN.

SubSect précédent(e)


Anonyme [1652], LE COVP D’ETAT DE MONSEIGNEVR LE DVC D’ORLEANS ENVOYÉ A MONSEIGNEVR LE PRINCE, touchant les affaires presentes. , françaisRéférence RIM : M0_800. Cote locale : B_7_9.