Anonyme [1649], LE CROTESQVE CARESME-PRENANT DE IVLES MAZARIN. PAR DIALOGVE. , françaisRéférence RIM : M0_851. Cote locale : C_1_51.
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LE
CROTESQVE
CARESME-PRENANT
DE
IVLES MAZARIN.

PAR DIALOGVE.

A PARIS,

M. DC. XLIX.

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LE CROTESQVE CARESME-PRENANT
de Iules Mazarin

DIALOGVE.

Caresme-Prenant.

Mon Maistre, ie viens voir ce qu’a desir
de manger vostre Eminence. Ne desire-t’elle
point auiourd’huy faire bonne
chere.

Son Eminence.

Ie le voudrois bien, il y a des-ja assez longtemps
que ie ne l’ay faite : mais ie voudrois bien
aussi qu’elle ne me coutast guerre.

Caresme-prenant.

Qu’elle vous couste ce qu’elle pourra, ie n’ay
plus qu’aujourd’huy à vous seruir ; Il vous la faut
bien faire.

Son Eminence.

Tun’as plus qu’aujourd’huy, quoy ! tu me quitteras ?

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Caresme prenant.

C’est bien malgré moy, puis que l’on m’y force.

Son Eminence.

Hé ! qui t’y force ?

Caresme-prenant.

Hé ! ne le sçauez-vous pas bien, c’est Caresme.

Son Eminence.

Caresme ! ie ne sçais ce que tu me veux dire, ie
n’ay encore connu iusqu’à present que le Prenant.

Caresme-prenant.

Hé bien bien, si vous ne l’auez connu, vous le
connoistrez.

Son Eminence.

Ie ne le veux point connoistre, ie n’ay que faire
de luy, ie me trouue bien de toy, dis luy qu’il s’en
retourne, & demeure.

Caresme-prenant.

Ie ne suis pas le plus fort.

Son Eminence.

Tiens le bien, ie te veux faire venir du secours.

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Caresme-prenant.

Il sera trop long à venir, le voilà qui me va
prendre.

Son Eminence.

Hé ! tiens-le encore vn peu.

Caresme-prenant.

Ie ne sçaurois plus.

Son Eminence.

Hé ! que me donnera ce Caresme.

Caresme-prenant.

Du Poisson.

Son Eminence.

Du Poisson ! ie suis assez humide de moy mesme,
& de la viande.

Caresme-prenant.

Point de viande.

Son Eminence.

O ! ie ne veux donc point de luy, ie ne m’en
sçaurois passer, il m’en faut.

Caresme-prenant.

Oüy, mais en disant tousiours que vous ne voulez
point de luy, i’ay bien peur que vous mesme ne
vous trouuiez pris. Voyez donc ce que vous desirez
tandis que ie suis encore à vostre seruice.

Son Eminence.

Bien, donne-moy donc quelque chose qui me
ragouste, car ie suis bien degousté, ie suis desia
tout malade quand ie pense qu’il faut que tu me
quitte.

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Caresme-prenant.

Il vous faut pour tant prendre courage, mon
Maistre, pendant que vous y estes, quand vous n’y
serez plus, vous n’y serez plus.

Son Eminence.

Ny auroit-il point moyen de rien garder.

Caresme-prenant.

Quand ie vous en ferois garder, ie n’y serois plus
pour vous le donner : Regardez donc ce que vous
voulez que ie vous apreste : Voulez-vous vn potage
à la volaille.

Son Eminence.

Oüy, comme à l’ordinaire.

Caresme-prenant.

Et de bœuf & de mouton vous n’en voulez point.

Son Eminence.

Non point pour de mouton, si ce n’est de la
queuë, car i’en ay bon appetit : Si tu auois aussi
quelque bon coq d’Inde.

Caresme-prenant.

Ie n’en ay que de Sicile.

Son Eminence.

Et quelque bon oyson gras.

Caresme-prenant.

Ah ! pour d’oyson gras, vostre court en est plaine.

Son Eminence.

Des Ieanbons de Mayence.

Caresme-prenant.

I’en ayque ie ne sçay s’ils sont de Mayence ou d’ailleurs,

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mais ie suis tousiours bien asseuré qu’ils sont
bons : D’espaules à la daube, vous n’en auez point
enuie.

 

Son Eminence.

On m’en a appresté assez.

Caresme-prenant.

Des langues parfumées.

Son Eminence.

Elles m’ont fait mal, i’en ay trop vsé, i’en suis encore
malade, & si ie ne sçay si i’en gueriray.

Caresme-prenant.

I’ay oublié à vous demander s’il ne vous plaist
point quelque bonne longe de veau.

Son Eminence.

Non, i’en ay encore de reste.

Caresme-prenant.

Vous en mangeriez bien pour le moins quelques
ris & quelques palais.

Son Eminence.

Ie ne sçay, i’en perdis dernierement le goust.

Caresme-prenant.

Des pigeonneaux à la poivrade.

Son Eminence.

Cela m’eschauffe trop le costé.

Caresme-prenant.

Mais qu’apperçois-ie, Caresme-prenant, c’est vn
homme qui a beu.

Son Eminence.

Tu luy as donc laissé boire mon vin ?

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Caresme-prenant.

Mon Maistre ne vous faschez point, ce n’est pas le
vostre.

Son Eminence.

Pourquoy le souffre-tu dans ma court ? s’il faut
que quelqu’vn le voye, tu feras mocquer de moy.

Caresme-prenant.

Laissez dire ce qu’on voudra, il vous suffit qu’il
vous apporte, vous n’auez que faire de mulle auec
luy, iamais mulle ne vous seruiroit comme il vous
sert, elle reculeroit quelquefois plus qu’elle n’aduanceroit,
& celuy-là auance tousiours.

Son Eminence.

Hé bien ! mais est ce là tout ce que tu as à me
donner à manger ? I’apprehende tellement de trouuer
le poisson de ce Caresme, que ie ne prendray
plus rien qu’en tremblant.

Caresme-prenant.

Ie n’ay plus rien à vous donner, tout le reste m’est
desia pris, ie vais mettre ordre aux saulces.

Son Eminence.

Faits-les donc bien de haut goust, car ie n’en ay
guere.

FIN.

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