Anonyme [1652], DERNIERE ET TRES-IMPORTANTE REMONSTRANCE A LA REINE, ET AV SEIGNEVR IVLES MAZARIN, pour haster son depart de la France. , français, latinRéférence RIM : M0_1020. Cote locale : B_4_25.
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DERNIERE
ET
TRES-IMPORTANTE
REMONSTRANCE
A LA REINE,
ET AV
SEIGNEVR IVLES MAZARIN,
pour haster son depart de
la France.

A PARIS,

M. DC. LII.

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Derniere & tres-importante
Remonstrance à la Reine, & au
seigneur Iules Mazarin, pour
haster son depart de la France.

MADAME,

Aujourd’huy que toute la France est en feu, les
Prouinces saccagées, les Villes en trouble, les Bourgs
pillez, les Villages confondus, les Campagnes rauagées,
les Maisons de plaisance, les Palais, les Tours,
les Chasteaux renuersez ou mis à sac, & Paris de tous
costez enuironné de gens de guerre qui le menassent
d’vne entiere desolation : daignez, s’il vous plaist, considerer
qu’estant Reine, qu’estant Mere, & qu’estant
Femme, vous deuez comme Reine veiller au bien
de vos peuples : comme Mere empescher que l’Estat
du Roy vostre fils, ne perde beaucoup de son éclat par
la confusion de ces guerres, dont on croit que vostre
passion est la seule cause : & comme Femme auoir de
la tendresse pour vne infinité de personnes que ce desordre
iette dans vn abysme de miseres inconceuables.
En effet, MADAME, ce n’est pas veritablement estre
Reine que de persecuter vos sujets ; & pour vous dire
ce que ie croy des droits de la Royauté. Sçachez que

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les Roys, presque de tous les Estats du monde ayans
esté tyrans dans leur commencement, sont deuenus
Rois legitimes, par le bon vsage qu’ils ont fait de la
puissance qu’ils auoient d’abord vsurpée, & l’aueu des
peuples qui les ont apres autorisez & reconnus : &
qu’ainsi comme le temps les a faits, il les peut iustement
destruire s’ils abusent de l’autorité que la faueur
du Ciel ou l’amour des peuples leur auoit mise entre
les mains, dans l’esperance qu’ils s’en seruiroient à procurer
le bien des particuliers & du public. Il est vray,
MADAME, que la Royauté se peut proprement nommer
vn sacrifice entier de celuy qui l’accepte, s’il a
dessein de bien l’exercer, puis qu’il se rend ainsi comme
vne victime consacrée au seul bien de ses sujets, &
qui cesse par consequent d’auoir rien de propre que la
volonté de leur rendre tous les seruices qu’exige la necessité
des affaires vrgentes de son Estat. Et sans mentir
les Rois ne doiuent estre non plus dispensez de ce
deuoir, que les Papes qui sont tous à leur Eglise, les
Euesques à leur Diocese, les Officiers à leur charge, &
les mariez à leur famille : en quoy l’on doit considerer
que le deuoir accroist à proportion de la grandeur de
la charge qu’on entreprend ; si bien qu’à tout examiner
on trouuera que les Rois des grands Estats, doiuent à
ce soin tous leurs soins, toutes leurs passions, & tous
les momens de leur vie, sans qu’il leur soit permis d’auoir
d’autre zele que celuy qui regarde le bien public,
ou qui tend à la conseruation ou l’accroissement de
de leur Monarchie. C’est pour vous dire, MADAME,
que ceux-là s’abusent infiniment, qui pensent que le

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Sceptre establit celuy qui le porte dans vne indépendance
qui le met en estat d’oser & de faire auec
impunité tout ce qui luy plaist, puis que par vne attache
ennemie de sa liberté, il le lie de plus de deuoirs,
qui font que chacun interessé dans sa conduite
épie ses actions auec des yeux vigilans, & croit
auoir droit d’en témoigner du ressentiment, lors
qu’il ne prend pas le soin de les regler sur ces maximes.
Ie sçay bien, que comme il est perilleux de
porter sa curiosité trop auant en ce qui touche la
Religion, il est dangereux en effet d’approfondir
cette matiere, & que ce siecle est temeraire de porter
les yeux iusques dans le Sanctuaire de la Royauté,
pour faire la discussion de ces points qui contiennent
ses plus grands mysteres : mais ie sçay bien
aussi que comme l’Escriture saincte a raison de dire,
Mal heur à celuy par qui le scandale arriue. On a de
mesme raison de dire, mal-heur aux Princes & aux
Reines, qui par leur mauuaise conduite ouurent
les esprits de leurs sujets à cette recherche, & les
forcent de passer du murmure à la desobeïssance, &
de la desobeïssance au souleuement, qui cherche à
se fortifier de ces appuis apparemment raisonnables.
Que si ce raisonnement est fondé sur la Iustice
& la parfaite equité, pensez, s’il vous plaist.

 

Pensez, MADAME, qu’on vous peut accuser auec
raison, de donner à la confidence d’vn Estranger des
soins que vous deuez tous au bien de vos peuples,
qui pour ce sujet se croyent iustement dispensez
des respects & de l’obeïssance qu’autrement ils seroient

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obligez de rendre à Vostre dignité pleine
d’éclat.

 

Ainsi, MADAME, daignez, s’il vous plaist, considerer
qu’il y a de l’iniustice à commettre ce que
que tous les hommes trouuent iniuste, & que les
Princes indépendans mesmes, sont quelquesfois
obligez de deferer & de seruir à la passion de leurs
sujets, iusqu’au point de trahir aux sentimens d’vne
populace animée d’auersion contre les objets de
leur bienueillance, les interests de leur amour mesme :
& que c’est vne loy dont Mahomet second, le
plus genereux & le plus braue des Empereurs Otthomans,
fut obligé de subir la rigueur dans Constantinople,
qu’il auoit de nouueau conquise sur
les Chrestiens ; lors que voyant que les Ianissaires
reprochoient à sa vertu, qu’elle s’alteroit dans les
embrassemens de cette belle Irenée, qu’il auoit gagnée
au sac de la Ville, & qui fut en suite l’objet de
son amour & de sa fureur, apres vne longue contestation
entre son ambition & son amour, & vn
long examen de ce qu’il estoit obligé de rendre à
l’vn & l’autre de ces deuoirs : Il prist enfin les interests
de son ambition & de son peuple, contre l’amour,
contre soy-mesme, & contre Irenée, à laquelle
il trancha la teste dans vn spectacle public, pour
laisser vn fameux exemple à la posterité, de la violence
qu’vn Prince est obligé de se faire en cette
occasion.

Pensez que ceux que vous condamnez comme
rebelles, & contre lesquels vostre ressentiment arme

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vostre haine en secret, sont les vrais François, &
ceux qui vous aiment veritablement, puis qu’ayans
soin de vostre honneur & procurans le bien de l’Etat,
ils veulent vous rendre à la vertu, dont vous
faisiez heureusement profession au temps du feu
Cardinal ; au lieu que ceux qui restent aupres de
vous, & les plus zelez de vostre party, comme ils y
demeurent attachez par la necessité que leur impose
vn pressant deuoir, par l’auarice ou l’ambition, vous
témoignent beaucoup moins de bienueillance, puis
qu’ils deffendent vostre passion dans les sujets qui
diminuent vostre estime parmy les peuples, & qui
vous peuuent engager bien-tost dans vne perpetuelle
suite de mal-heurs. Pensez au reste que vous n’estes
que depositaire d’vn bien dont vous semblez
disposer en Souueraine : que c’est violer plusieurs
deuoirs, que d’abuser de la puissance qu’on vous
auoit mise entre les mains, dans l’esperance que
vous en vseriez auec cette moderation dont on
croyoit vostre ame pourueuë, auant que d’en auoir
fait l’espreuue, & d’en abuser à la ruine de ceux par
qui vous fustes Regente, & qui vous auoient transferé
ce droit qui sembloit iustement leur appartenir.

 

Pensez que vous estes Mere d’vn Fils auquel veritablement
l’Empire appartient, & dont les mœurs
vous sont encore inconnuës, quelque soin que vous
preniez de le faire entrer dans vos sentimens, & de
luy donner des impressions fauorables à tous vos
desseins ; & que c’est enfin sous luy que les Villes &

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les Prouinces, & mesmes les cœurs & les affections,
qui sont à present diuisez se reüniront pour le bien
de tout l’Estat.

 

Pensez que cette reünion ne se pourra faire sans
que la cause de cette diuision, qui vous sera peut-estre
imputée à crime, en l’attache trop forte que
vous eustes pour vn Etranger, haï de toute la France,
soit parfaitement connuë de ce Prince, & sans que
l’aspect de tant de lieux de plaisance ruinez par les
mains de vos soldats, aux enuirons de Paris, luy rafraichisse
la memoire de ce desordre, en l’obligeant
de reprocher à celle de vostre Regence que vous luy
aurez rendu la France moins belle & moins riche
que vous ne la receustes des mains de ceux qui vous
admirent à la regir.

Pensez que ce Prince ne tardera de prendre des
sentimens contraires à vos intentions, qu’autant
que le premier sentiment d’amour en touchant son
ame, tardera d’en ouurir l’entrée aux pensées de l’ambition
& de la gloire, qui luy feront fuir la tyrannie
de vos conseils, comme le ioug d’vne ancienne
seruitude, que tous les ieunes esprits naturellement
aiment à brauer, & qui fait que de ieunes Conseillers
prennent souuent aupres d’eux la place des
vieux Courtisans.

Pensez, MADAME, combien de iours vous auez
passez sous le regne d’vn autre Cardinal, dans la tristesse
& dans le deüil, & que ce souuenir vous oblige
d’auoir pitié des miserables, que vous voyez de
mesme affligez par la persecution d’vn autre Cardinal,

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plus insupportable que le premier.

 

Pensez ainsi que le regne de Louys le Iuste fut
pour vous vne saison de misere & de langueur, si
vous en exceptez seulement les années où le nom de
Mere vous fit paroistre auec vn peu plus d’éclat ; &
pensez que le regne d’vn autre Louys vous est à
craindre pour les causes que ie viens de mettre en
auant, & que de cette façon le temps de vos douleurs
n’est peut-estre distingué que par vn petit interuale
où vous deuez semer des bien-faits pour
moissonner des reconnoissances, dont vous aurez
sans doute besoin.

Considerez aussi, pour voir toutes ces raisons confirmées
par des exemples remarquables, que les Meres
imperieuses, & qui par d’ambitieuses pratiques
ont tasché d’vsurper sur la puissance de leurs fils
Mineurs, où deuenus grands, comme elles se rendent
importunes à ces ieunes esprits, à qui sur tout
la nouueauté plaist, deuiennent infailliblement les
objets de leur haine & de leur mépris, & ne manquent
d’attirer sur leurs personnes des disgraces, qui
comme elles se plurent à paroistre sur les plus hauts
theatres du monde, les rendent aussi les sujets des
Tragedies & des Romans.

Que s’il ne vous plaist de ietter les yeux sur
Olympie mere d’Alexandre, Parysatis mere de Cyrus
& d’Artaxerxes, Cleopatre mere d’Antiochus,
Agrippine de Neron, ou cette fameuse Irenée mere
d’vn Constantin, qui par son ordre eut les yeux creuez,
& qui la fit bannir apres : vous vous souuiendrez

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que ce siecle vous a fait voir vne Reine de France,
hors de France, accuser vainement son fils vostre
Epoux, de manquer de compassion enuers elle, à
cause que dans son veufage elle auoit formé des
desseins pareils aux vostres, sans toutefois auoir reduit
les Prouinces aux extremitez qui rendent maintenant
leur condition à déplorer.

 

Pensez enfin, qu’il n’est pas iuste que tout vn Estat
perisse pour vn seul homme, & que tant d’innocentes
victimes soient sacrifiées à vos ressentimens, parce
qu’il vous semble que deux ou trois vous choquent,
par des motifs de ressentiment & d’ambition,
au lieu que leur zele est generalement approuué de
toutes les Communautez & de tous les peuples.

Rendez donc vostre ame à la pieté que vous sceustes
autrefois pratiquer de si bonne grace, & qui
rendoit vostre nom si fauorable par toute la France,
& nous faisant voir le retour de cette vertu que vostre
essor vers l’amour & l’ambition, fait passer
maintenant plustost pour vn effet d’hypocrisie &
de mauuaise prudence, que pour vn vray zele pour
le Ciel, iustifiez à la posterité la conduite de vostre
regne precedent, puis que celle de vostre Regence
ne trouuera que fort peu d’excuse aux siecles aduenir.
Sur tout ne faites pas tenir de vous vn discours
pareil à celuy qu’on tint autrefois de Calicula, l’vn
des plus méchans Empereurs de Rome, dont on publie
encor aujourd’huy, qu’il ne fut iamais de meilleur
Esclaue, ny de Maistre plus dangereux ; parce
qu’ayant sceu tenir sagement ses ressentimens & ses

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vices cachez, sous le regne de Tybere son oncle,
qui ne cherchoit que quelque pretexte specieux
pour le mettre à mort aussi bien que tout le reste de
sa maison : il les fit soudain éclater sous le sien à la
ruine de tout le monde, d’où vint qu’il fut enfin
surnommé la torche ardante, ou le flambeau du
genre humain.

 

Ainsi, MADAME, de ce qui nous parut vn bien
à desirer, ne faites pas vn mal à craindre, & si vostre
liberté fait nostre mal-heur, ne souffrez pas qu’on
publie à la diminution de vostre gloire, que vous
fustes aussi mauuaise Regente que vous auiez paru
bonne Reine, & que le seul remede à nos maux, fut
de vous oster cette fatale Regence, qui fut autant
iniurieuse à vostre reputation, qu’elle se rendit funeste
à l’heur de tous les François, puis que la
croyance demeure imprimée en tous les esprits, que
ce fut en cette maudite source que tous nos maux
ont trouué leur commencement.

Mais si toutes ces considerations sont impuissantes
pour effacer en son ame vne impression qui la
dérobe aux sentimens de tendresse qu’elle doit auoir
pour nous : Vous qui possedez ses plus tendres affections,
& que pour ce sujet ie veux traiter auec le
respect que merite le Conseiller ou le Confident
d’vne grande Reine. Pensez de grace, que vostre
fortune, quelque grande qu’elle soit est mal establie,
puis qu’elle n’a pour fondement que le cœur
d’vne femme & la faueur de la fortune, qui d’vne
égale vistesse tendent toutes deux au changement.

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Pensez qu’estant chargé de l’enuie & de la haine
vniuerselle, en vn climat où tous les objets vous
sont ennemis, vous auez à craindre vos gardes mesmes ;
que la fortune ne vous à peut-estre sauué d’vn
peril, que pour vous ietter en vn plus grand ; que
le Ciel n’a iusqu’icy fait auorter le dessein des Princes
& des Parlements contre vous, que pour vous
reseruer à la colere d’vn plus puissant ennemy, qui
ne vous à peut-estre aussi protegé, que pour vous
perdre en vn temps où vostre peine soit plus exemplaire ;
qu’il doit iustice à ses peuples de tous les torts
que vous leur auez faits & causez iusqu’icy ; qu’il
ne manque de sujets ny d’exemples pour se porter à
vous rauir luy-mesme ce qu’il vous a conserué, sans
sçauoir ce que vous meritiez ; & qu’il vous peut arriuer
de cette façon, ce qu’on voit arriuer à ces animaux
destinez à quelque sacrifice, qu’on ne dérobe
à la boucherie que pour les immoler puis apres aux
Dieux auec plus d’éclat ; & qu’enfin vous meritez
bien d’estre vne victime Royale, puis que vous n’estes
pas moins grand que Conchinne, & que vous
semblez auoir dessein de monstrer que c’est vn tribut
solemnel que doit vostre Italie à la vangeance
de nos Rois deuenus Majeurs.

Pensez combien de concussions, de voleries, de
brigandages, de meurtres, d’assassinats, de violemens,
d’incendies, de sacrileges & de prophanations
des lieux Saints, se font par vostre conseil ou par vostre
ordre, & considerez qu’vn homme quel qu’il
soit, auquel il reste encor quelque sentiment d’humanité

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ne peut aimer la vie, lors que sa conscience
luy reproche tant de pillages & tant de crimes, & le
conuainc de n’auoir fait que des mal-heureux ou
des coupables, dans l’Estat dont il eut le principal
gouuernement.

 

Pensez ainsi, qu’on ne peut estre heureux en faisant
des mal-heureux, qu’il faut estre tousiours hors
de soy pour tirer quelque satisfaction de sa grandeur
en cét état ; que les Palais cimentez de la sueur
& du sang des miserables, sont sujets aux grands
coups de foudre ; que le sommeil des Tyrans n’est
point exempt d’inquietude & de terreur ; que ceux
qui se veulent faire craindre de tout le monde, ont
aussi tout le monde à craindre ; & que ceux qui font
pleurer les autres, apres auoir long-temps pris plaisir
à cét exercice, sont contraints de le pratiquer
eux-mesmes, & font rire en cét etat ceux que leur
vanité faisoit pleurer auparauant.

Pensez que celuy qui dans l’isle de Samos faisoit
tout retentir du son d’vne infinité d’instrumens de
Musique, lors que tout l’Orient estoit en pleurs
pour son sujet, Antoine dis-je, apres les aimables
diuertissemens de sa vie, nommée sans pareille, fut
obligé d’en changer le nom en vne autre, qui témoignoit
le changement de sa fortune ; & lors qu’il
fut contraint de se donner le coup mortel dans Alexandrie,
n’eut que la satisfaction d’expirer aux yeux
de celle qui fut cause de sa ruine, & que la morsure
d’vn aspic mit en etat de le suiure bien-tost apres.

Pensez de mesme, que celuy qui de la tour de

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Mecenas, consideroit auec plaisir le progrez du feu
qu’il auoit fait mettre dans Rome, & chantoit cependant
en habit de Comedien, vne chanson qu’il
auoit composée luy-mesme sur le sujet de l’embrazement
de Troye ; quelque temps apres abandonné
de tout le monde, & reduit par Arrest du
Senat à la fatale necessité de mourir, fut obligé
de donner des larmes à son mal-heur, lors qu’au
fonds d’vne mazure pleine de broussailles, faisant
creuser vne fosse à la proportion de la grandeur
de son corps, il redisoit souuent ces paroles, En
quel état ie meurs ; & tout Maistre du monde qu’il
estoit, pût à peine trouuer vne main secourable, qui
dans son peril voulust aider l’effort qu’il fist pour
s’oster la vie, qu’il n’auoit conseruée durant les quatorze
années de son Empire, que pour la ruine du
genre humain. Craignez aussi d’estre obligé de dire
auec luy ces paroles dignes d’vn Neron mourant,

 

Dedecore vixi turpius per eum.

Pensez que comme rien n’est si voisin du miracle
que le prodige, & que ces deux sujets sont souuent
confondus par nostre imagination, ayant fait
voir l’vn à l’Europe, par vostre éleuation du neant
au haut degré d’honneur où vous fustes : vous pouuez
bien faire voir l’autre à la France par vostre
cheute precipitée, que vous marchez entre de dangereux
precipices, que vous estes haï dans tous les
lieux où vous estes, detesté dans ceux dont vous sortez,
redouté comme la foudre en ceux où vous vous
efforcez d’entrer, & generalement abhorré de tout

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le monde, & que de cette façon si la digue que vous
opposez à la fureur des peuples, peut estre rompuë
par quelque effort de vostre mal-heur ou de leur rage,
il n’est point de si cruels supplices que vous ne
soyez en estat d’endurer ; puis qu’il est vray que de
tous les maux que peut souffrir vn Tyran, le plus
grand est de tomber entre les mains d’vne populace
irritée.

 

Pensez enfin que le present vous est suspect, que
l’aduenir vous est à craindre, & que le passé vous
fait de iustes reproches, & croyez pour vous oster
l’espoir de vous restablir iamais dans la France, que
tous les bienfaits du monde ne seroient pas capables
d’effacer dans les esprits des Parisiens & de tous
les François, le souuenir des outrages qu’ils ont receus
de vous dans les deux guerres que vous leur
auez faites auec tant d’inhumanité, que les cruautez
commises par vos troupes, trouuent à peine des
exemples chez les Turcs & chez les plus barbares
Nations de la terre.

Ayez soin aussi du salut de la Reine, si vous l’aimez
autant que les obligations que vous luy auez
vous y peuuent obliger, & luy remonstrez qu’Attalie,
Reine du peuple d’Israël, perdit son Ochosias
& se perdit elle-mesme, pour s’estre portée à des extremitez
moins dangereuses que celles où la Reine
s’emporte auec vous ; & vous sçauez que la fin en fut
assez tragique pour m’obliger à la passer sous silence,
pour ne sembler auoir dessein d’en vouloir tirer
consequence en cét écrit.

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Souuenez-vous encor, pour vous asseurer moins
aux heureux succez qui vous sont quelquesfois arriuez,
que la fortune, comme Vespasian, se plaist à
remplir des auares à la façon des esponges, pour
auoir le plaisir de leur faire rendre, en les pressant par
quelque mal-heur, tout ce qu’ils rauirent auec
beaucoup de soins & de veilles : qu’elle les esleue au
faiste pour les faire tomber au precipice, & qu’enfin
il n’y a rien dans le monde de fragile, ny qui
s’escoule si facilement, qu’vne grande puissance,
qui n’est point appuyée sur ses propres forces.

Tacite.
Nihil in
rebus humains
tam
fluxum atque
fragile
quam summa
potentia
non sua
vi nixa.

C’est pour vous dire, que comme vostre puissance
ne subsiste que par celle de la Reine, qui dépend
de celle du Roy, & que vous tirez vostre auantage
de l’aueuglement de ce Prince, qui ne luy peut plus
gueres durer en l’âge où il est, & dans les connoissances
qu’on tasche de luy donner des desordres que
vous excitez dans son Estat : elle est certes mal asseurée,
puis que ce discours est desia presque en la bouche
de tous. Que puis qu’vne Eclypse de Soleil cause
nos mal-heurs par vostre moyen, vne Eclypse de
Lune nous est necessaire pour les guerir.

N’oubliez pas aussi de ietter les yeux sur le sujet
qui fait dire à Tacite cette belle Sentence, sçachant
que si tost que Neron eut osté les gardes à sa Mere,
& pris vn logis separé du sien, elle se vid abandonnée
presque de tout le monde, & reduite auec son
Pallas, à qui l’on vous compare auec beaucoup de
raison (parce qu’il fut de basse naissance, fauori de
cette Princesse, & le plus riche de son siecle) à faire

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des brigues contre son fils, qui la perdit par le conseil
mesme de Seneque, & qui fist aussi bien-tost perir
ce miserable affranchi, qui s’estant rendu maistre
de ses affections & rendu chef de son conseil, auoit
causé la ruine des plus illustres Testes de l’Estat.

 

Sur tout, considerez que le Prince est vn inuincible,
que vous ne sçauriez iamais dompter par la
force, ny gagner par les soumissions & par les presens,
apres auoir payé les grands seruices qu’il vous
auoit rendus, du trait de la plus grande ingratitude,
& de la plus noire perfidie qui fut iamais ; & comme
ie connois son humeur imperieuse & braue, ie sçay
qu’il mettra tout en vsage pour vous perdre, & se
sentant fauorisé dans ce dessein de la bienueillance
de tous nos peuples, & mesme de tous les estrangers,
ie ne doute point qu’il ne forme les resolutions
qu’exprime ce vers de Virgile,

Flectere si nequeo superos acheronta mouebo.

On vous pourroit remonstrer de plus pour vous
faire connoistre que le Roy mesme ne peut auec
toutes ses forces, où vous fondez vostre esperance,
vous restablir dans vostre premiere dignité, que
Henry le Grand apres tant de villes prises, & trois
grandes batailles gagnées, ne put iamais reduire
tout à fait son Empire sous son obeïssance, ny se faire
aimer de ses sujets, qui l’adorerent depuis, tant
que son esprit parut infecté de l’heresie, qu’on haïssoit
cependant beaucoup moins en luy qu’on ne
vous haït à present ; & i’adiousteray, que ce souuenir
fut cause que le plus méchant & le plus abominable

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de tous les hommes, forma la funeste resolution
de luy porter dans le sein vn coup fatal, dont la playe
saigne encor plus de quarante ans apres sa mort.

 

Mais la raison ne vous fait-elle pas voir clairement,
que c’est vne cruelle extremité, qu’obliger
nostre ieune Prince à ruiner ses païs pour vous en
rendre le maistre, puis qu’ainsi vous semblez en
vser enuers la France, auec la mesme tyrannie que
ce Marcellus qui tua Postumia sa Maistresse, parce
qu’elle refusoit de l’espouser, apres luy auoir permis
les faueurs de la ioüissance.

Il est vray que ce sentiment est bien esloigné de
la generosité d’Alexandre, qui seulement entrant
dans la Perse, où son bon-heur luy auoit fait gagner
sa premiere bataille, deffendit qu’on y fit aucun
degast, sous le pretexte témoigné par ces paroles
dignes d’eternelle memoire, qu’il falloit épargner
ce qu’il estimoit desia sien.

Ainsi, Monsieur, faites s’il vous plaist, que la
crainte de vous perdre, ou le desir de nous sauuer,
vous empesche d’acheuer l’ouurage de la ruine des
peuples, desia trop auancé par vos pratiques, afin
de n’auoir plus besoin de traisner de ville en ville
apres vous nostre ieune Roy, comme vne saincte
Relique qui vous sauue de tous perils, lors qu’il est
luy-mesme le plus grand qui vous soit à craindre, &
que vous accroissez mesmes par les conseils violents
que vous luy donnez.

Pour vous imprimer cette creance, ie vous apporterois
icy l’exemple de celuy qui conuia Phalaris

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d’immoler dans le Taureau d’airain le premier
estranger rencontré, & qui fit cette loy pour luy-mesme,
ne considerant pas qu’il estoit d’vne Prouince
estrangere : Mais sçachant comment le pauure
Seneque fut traité par son Disciple, auquel il
auoit dépeint la misericorde comme vn vice &
comme vne passion des foibles esprits, ie vous prie
seulement de reflechir sur ce trait de la Iustice diuine,
puis que c’est vous renuoyer estudier vostre leçon
en vostre païs, d’où viennent tous les grands
maux de la France.

 

C’est ce qui vous doit faire voir, que puis qu’il
vous faut inéuitablement perir par la haine de vos
ennemis, où le ressentiment de vos protecteurs : le
seul conseil que vous deuez prendre maintenant, est
d’abandonner le timon d’vn Nauire, où vous estes
contraint de faire voile sur vne mer tousiours
couroucée, & de vous relascher en quelque port
où vous restiez à l’abry des coups de la tempeste qui
doiuent bien-tost briser vostre vaisseau, si vous esperez
encor vous eslargir en pleine mer.

Certes s’il vous restoit quelque sentiment d’humanité,
vous ne prefereriez pas vostre satisfaction
particuliere, aux interests & aux desirs de tout vn
Royaume, & voyant que tous d’vne ferueur égale
pressent vostre depart, nous vous entendrions sans
doute tenir ce langage d’Auguste au temps de sa deliberation,
pour iuger s’il deuoit quitter l’Empire,
ou non, S’il importe à tant de monde que ie meure pourquoy
restay-je viuant ? N’entendez-vous pas aussi la

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voix de tant de millions d’hommes qui repetent
souuent ce vers de Virgile en parlant de vous ?

 

Quid struit aut qua spe inimica in gente moratur.

Et de tant d’autres qui semblent vous dire auec luy,

I sequere Italiam ventis pete regna per vndas ?

Mais sur tout le murmure des ombres de ceux
que vous auez fait perir iniustement, pour establir
les fondemens de vostre fortune sur leurs ruines, ne
vous cause-t’il point de terreur, lors qu’elles semblent
pousser contre vous cette voix du profond de
leurs tombeaux ?

Exoriare aliquis nostris ex ossibus vltor.

Et crier aux Parisiens pour réueiller leur valeur
endormie,

 


Vos vnanimes densate caternas
Et Regem vobis pugna defendite raptum.

 

Que si cependant la passion qui vous preoccupe,
iointe aux mouuemens de vostre ambition, vous
empesche de gouster la force de nos discours & de
nos raisons ; i’espere que comme Cresus, qui dans
ses prosperitez s’estoit tousiours moqué de la sagesse
menassante de Solon, se souuint seulement de ses
aduertissemens sur l’échaffaut, en repetant plusieurs
fois son nom, qui fut cause que Cyrus son vainqueur
luy sauua la vie, dont il passa le reste dans vn
regne beaucoup plus moderé ; estant de mesme bientost
dans le peril, vous vous souuiendrez de nos Remonstrances,
dont ie beniray l’augure, si elles operent
en vostre sort les mesmes effets. Adieu.

FIN.

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Anonyme [1652], DERNIERE ET TRES-IMPORTANTE REMONSTRANCE A LA REINE, ET AV SEIGNEVR IVLES MAZARIN, pour haster son depart de la France. , français, latinRéférence RIM : M0_1020. Cote locale : B_4_25.