Anonyme [1649], LE DESPIT DES MVSES CONTRE MAZARIN. EN VERS BVRLESQVES. , françaisRéférence RIM : M0_1004. Cote locale : C_2_50.
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LE DESPIT
DES MVSES CONTRE
MAZARIN.

En vers Burlesques.

 


Neuf pauures filles desolées,
Tristes, pasles, escheuelées,
Sans defense ny sans appuy
Te viennent trouuer auiourd’huy,
Non point qu’elles veuillent pretendre
De t’obliger à les entendre,
Esperant de luy quelque bien
Car elles ne manquent de rien,
Mais bien pour te faire la honte
De quoy tu fais si peu de conte
De leur art & de leur pouuoir.
Car si tu veux bien le sçauoir
Iupiter estoit nostre pere,
Memoire aussi fut nostre mere,
Qui nous esleua cherement,
Et prit tout son contentement
A nous donner non la richesse,
Mais la prudence & la sagesse,

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Où nous auons tant profité,
Que toutes auons remporté,
Le pouuoir & la preseance
Sur tout art & toute science.
L’vne excelle à faire des vers,
L’autre est prise dans l’vniuers
Pour presider à la musique,
A la dance, à l’arithmetique,
Et de mesme des autres arts.
On nous respecte en toutes parts,
Les Princes font de nous estime,
Les Poëtes dedans leur rime
De tous temps nous ont attestez
Comme grandes diuinitez.
Si tu lis Homere & Virgile
Tu connoistras que dans leur stile
Ils inuoquent nostre secours,
Et tu vois encor tous les iours
Que Colletet & que l’Estoile
Ne vont iamais à pleine voile
Dans leurs vers que premierement
Il n’ayent nostre agreement.
Il n’y a que luy sur la terre
Qui nous ait declaré la guerre,
Traistre, qui ne reconnois pas
Que tu mets tout l’honneur à bas,
Que tu as violé la France
Dont tu n’as point d’experience,
Science qui fut autrefois
Le delice des plus grands Roys,
Qui mirent toute leur puissance
A faire la reconnoissance
De ces grands & chers nourriçons

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Qui s’adonnent à nos chansons.
Mœcenas aima tant Virgile,
Que du fils d’vn tourneur d’argile
Il en fit vn riche bourgeois :
Et ce pauure aueugle Gregeois
Qui ioüoit auec sa vielle
Tous les iours sa chanson nouuelle
Ne manqua pourtant pas de pain,
Et il a tant fait à la fin
Qu’on le tient pour le vray genie
Du doux art de la Poësie.
Ie t’en rapporterois icy
Bien d’autres qui ont pris soucy
De ceux qui montez au Parnasse
Ont fait estat de nostre grace ;
Richelieu qui fut deuant toy,
Bien qu’il n’eut pas beaucoup de foy,
Nous prit toutes fois pour deesses,
Et nous fit beaucoup de largesses,
Entretenant à ses despens
Quantité de nos chers enfans ;
Aussi void-on sa renommée,
Pour toute la terre semée,
Dans la prose, & dedans les vers
Qui courent par tout l’vniuers.
Cependant que la terre & l’onde
Seront les deux pilliers du monde,
Pendant que le Soleil luira,
Que le Ciel en soy recourra,
Bref cependant que la nature
Aura soin de la geniture,
Tousiours le nom de Richelieu
Sera comme celuy d’vn Dieu,

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Et mesme l’on void les murailles
Parler apres ses funerailles
Et tenir à gloire d’auoir
Tant de marques de son sçauoir,
Et sa volonté qui fut bonne
Met tant en credit sa personne
Que les plus sçauans auiourd’huy
Se tiennent obligez à luy.
Mais toy, gros lourdaut, grosse beste
Tu n’as point de ceruelle en teste,
Sous ton chapeau de Cardinal
Tu n’es rien qu’vn gros animal,
Tu fais honte à ces grands genies
Dont les sciences infinies
Font au monde plus de clarté
Que le Soleil en plein esté.
Tu n’as rien d’obiect que les vices
Capables des plus grands supplices,
Ton cœur est lache & ne suit pas
La vertu ny ses doux appas,
Ton ame n’est que mercenaire,
Et ton esbat plus ordinaire
C’est l’impudique liberté,
Du peché le plus detesté ;
Ton soin & toute ta pensée
Est de voir ton ame blessée
Des plus grandes meschancetez ;
Des plus estranges cruautez,
Et des desirs les plus infames
Qui furent iamais dans les ames.
Tu n’es qu’vn traistre suborneur,
Tu n’espire rien qu’à l’honneur,
Qu’à la richesse, & qu’à l’empire,

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De iour en iour tu deuiens pire
Te donnant entier au peché
Où tu vis si fort attaché.
Ta conscience te bourrelle
A force qu’elle est criminelle,
Quand malgré cette liberté
Où le peuple a tousiours esté
Tu voudrois bien par ta puissance
Le reduire à l’obeyssance.
Ie dis de toy, car autrement
Il ne refuse aucunement
D’obeyrau Prince. Mais sçache
Que si ton action le fasche,
Quelque iour tu seras puny
De l’auoir ainsi des-vny
Et d’auoir apporté la guerre
Parmy cette agreable terre,
Parmy ce peuple florissant,
Peuple qui tousiours innocent
Conserue dans sa conscience
Le beau germe de l’innocence,
Et ne le quittera iamais,
Ou soit en guerre, ou soit en paix.
Nous auons vn regret dans l’ame,
Que pour toy qui n’es qu’vn infame,
Paris qui nous cherissoit tant,
Et ne fut iamais inconstant
A suiure nostre belle troupe,
N’a plus si bien le vent en pouppe,
Et que tant de milliers d’esprits
Qui florissoient par leurs escrits
Ont esté contraints de se taire,
Ne faisant pas bien leur affaire

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Et vraiment ne rencontrant pas
De Cezar ny de Mecenas.
Tu deurois rougir, ie t’asseure,
Et te repentir à cette heure
Donnant par ta mauuaise foy
Des suiets d’escrire de toy ;
On ne void plus que la satyre,
On n’aime plus que de mesdire,
Et c’est toy qui leur fournis tout
Depuis l’vn iusqu’à l’autre bout
Cela n’est pas trop agreable
De seruir à chacun de fable,
D’estre de mesme qu’vn faquin,
Vn marraut, vn traistre, vn coquin,
Tu ne sçaurois chercher d’excuse
A ce que t’aduertit la Muse,
Et ce n’est que par charité
Tout ce quelle t’a raconté.
Prens donc bien garde à ton affaire,
Car si tu ne veux pas mieux faire,
Il viendra quelque iour en fin
Que par vne piteuse fin
Tu perdras & l’ame & la vie.
On fait bien quand on se defie
De la fortune & de la mort.
Adieu, vois si nous auons tort.

 

FIN.

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