Anonyme [1649], LE DIALOGVE DV SOLDAT, DV Paysan, de Polichinelle, & du Docteur Scatalon. OV RETOVR DE LA PAIX, AVEC LES REMERCIEMENS Au Roy & à la Reyne. , françaisRéférence RIM : M0_1089. Cote locale : C_7_19.
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LE
DIALOGVE
DV SOLDAT, DV
Paysan, de Polichinelle, &
du Docteur Scatalon.
OV
RETOVR
DE
LA PAIX,
AVEC
LES REMERCIEMENS
Au Roy & à la Reyne.

Chez IEAN HENAVLT, au Palais, dans la Salle
Dauphine, à l’Ange Gardien.

M. DC. XLIX.

Auec Permission.

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LE DIALOGVE
DV SOLDAT, DV PAYSAN,
De Polichinelle, & du Docteur
Scatalon.
OV
RETOVR DE
LA PAIX.
AVEC
LES REMERCIEMENS AV
Roy & à la Reyne.

LE SOLDAT.

Comment puissante Deïté Martiale, est-il
maintenant question que ie remette l’épée
dans le fourreau, auec les protestations
de ne plus piller le bon homme, ainsi
que la licence du temps me permettoit ?
Helas ! faudra-il que ie retourne en mon mesnage
pour refrener l’audace de mes actions, & m’accoustumer
à la misere d’vne besche, afin de substanter vne famille
beante, qui n’attend que l’heure de mon retour ?

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Faudra-il, dy-ie, qu’au lieu de commander, comme
ie faisois, ie sois commandé par le Seigneur de ma
retraicte, sans que i’ose me rebeller en aucune façon ?
L’on dict bien vray (ie le cognois) quand on parle
de l’occasion, & que l’on la figure estre chauve : car
souuentefois se presentant à nous, il nous semble
qu’elle doiue tousiours auoir la face riante : aussi l’esperance
que i’auois de profiter dans le mal-heur public,
me l’a fait de telle sorte negliger, qu’à present elle
à subjet de se rire de moy, & de me tourner le dos
pour iamais : ie n’en puis gueres esperer d’autre raison,
puisque l’imbecillité m’a seruy de guide en toutes les
entreprises que i’ay faites : Et d’autre part, n’ayant seruy
mon Prince que pour le lucre, & non pour l’affection
que ie doibs auoir à son seruice, il est impossible
qu’il me puisse arriuer vne meilleure fortune. C’en est
fait, il n’y a plus de remede, vn membre estant separé
de son corps, les moyens defaillent du tout de le remettre :
nous auons la paix, ie le voy bien : voila pourquoy
ie suis contraint de me retirer, si ie ne veux encourir
la iuste rigueur des Ordonnances.

 

LE PAYSAN.

HO, ho ! compagnon, as tu regret de deuenir
homme de bien ? n’y a-il pas assez long-temps
que tu fais de l’entendu, & que tu t’exerce à la pillerie ?
pense-tu quand la guerre dureroit dauantage, que tu
deuinsse plus riche que tu n’es ? non, non mon amy, il
t’en pourroit prendre tout autant comme il m’en à pris

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autrefois : I’ay esté bon drolle, & peut-estre aussi dessalé
que tu peux estre, & si en fin ie n’ay point trouué meilleur
potage que celuy que ma pauure femme Guillemette
m’apreste d’ordinaire. En ce temps-là ie courois
quelquesfois à la picorée, quelquesfois ie faisois du
butin ; tantost de trois ou quatre vaches, tantost de
quelque bon cheual, ou de quelque poulain, & si de
toutes ces petites fredennes là, ie n’ay sçeu iamais en
acquerir vn poulce de terre : bel exemple, pauure garçon,
pour t’inciter à ton deuoir, & à la recognoissance
de tes fautes !

 

LE SOLDAT.

HÉ quoy ! ie seray donc contraint de me reduire
au petit pied, & de sonner la retraicte, sans
pouuoir espargner de mes fatigues vne poire pour
la soif ?

LE PAYSAN.

Foy d’homme ie te le conseille, le plustost que tu
pourras : car si tu attends que nostre bon Maistre
se mette en cholere, ie ne voudrois pas donner vn liard
de ta peau : & puis toy-mesme recognoissant ta faute,
il ne seroit besoing d’autres tesmoings que toy : C’est
pourquoy, compagnon, tu te retireras, si bon te semble ;
quant à moy ie ne t’en diray plus aucun mot.

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LE SOLDAT.

C’Est vne chose qui m’est pourtant bien amere,
que d’auoir eu en main licence, & maintenant
la subjection : toutesfois, de m’en fascher dauantage,
l’on me tiendroit pour indiscret, & pour rebelle parauanture
aux iustes desseins de nostre bon LOVIS :
Dieu le conserue, & luy fasse tousiours la grace de venir
à bout de ses entreprises : pour moy, ie proteste de
le seruir en toutes les occasions qui se pourront presenter,
soit en paix, soit en guerre, soit à tous les naufrages
qu’vne marastre fortune luy pourroit susciter,
dont Dieu le preserue, s’il luy plaist.

POLICHINELLE.

Foy de gentil homme, qui n’en tient pas beaucoup
de tache, ou bien de Docteur in vtroque iure
subauditur de plaisanterie. si tu ne te retires, Monsieur
le Soldat, tu verras le moule de mon bonnet bien en
cholere : car mon Maistre & ma Maistresse (à qui
Dieu vueille donner bonne vie, & à moy aussi) m’ont
commandé de te tirer droict à la visiere, si tu ne vas vitement
retrouuer ta femme & tes enfans : i’y suis bien
resolu, ie t’en asseure : & si d’auanture i’ay les yeux si
troubles que ie ne puisse bien viser, ie feray plustost
escurer mes lunettes. Ho, ho, n’y a il pas assez long
temps que l’on voit par les champs des porteurs d’espées ?
allons, allons de par-Dieu faire boüillir la marmitte,

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& trauailler à puissance ; pour moy ie ne demande
que paix & concorde, la prosperité de mon
Maistre & de ma Maistresse, & la robbe neufve qu’ils
me promirent dernierement : Enuoyons donc la guerre
en couche, car il me semble que c’est assez plumé la
poulle, & ruiner le pauure paysan : & puis, mon humeur
ne m’y porte pas. Hé ne vaut-il pas mieux que
tout le monde viue de son mestier, que d’estre tousiours
en crainte de ne pas manger sa souppe, encore
qu’elle soit dressée ? Ne vaut-il pas mieux que Maistre
Polichinelle fasse la morgue & le pouf pres la cuisine,
auec sa robbe, son bonnet, & ses lunettes, que de le
voir derriere vne muraille faire le hou hou ? Foy de garçon,
& d’habile homme à peu prés, ie trouue ceste sauce
là vn peu plus douce que toute la guerre ; & si ie
m’asseure que beaucoup d’autres seront de mon advis :
Que vous en semble-il, Monsieur le Docteur ? par vostre
foy dites-le : n’estudiez vous pas en temps de paix
auec vn esprit plus deliberé, que lors qu’il vous faut
porter vne bandoüliere & vn mousquet à la porte ?

 

LE DOCTEVR.

Maistre Polichinelle, la merueille du monde, &
le monde des merueilles, i’approuue fort ce
que vous opinez, & principalement les choses qui concernent
l’honneur & l’authorité de nostre Roy, & la
tranquillité publique ; non pourtant que ie sois fasché
de souffrir des fatigues pour vn faict d’Estat ; mais à
cause du trouble & de la confusion qui pendant vn reuers

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de fortune faict naistre vn nombre infiny de partis :
Vn Dieu, vne Foy, vne Loy, & vn Roy, c’est ce
qui nous doit gouuerner & conduire en toutes les occasions,
telles qu’elles se pourroient presenter : & quiconque
entreprendra d’y contrarier, il aura assez amplement
la cognoissance de son abus : si bien que Soldat,
tel qu’il soit, païsan reuolté, ou fol reprouué ou approuué,
il faut qu’il sçache que le temps se iouë de
nous ; combien qu’il semble que nous le manions à
baguette. Arriere donc tous ces appetits de rebellions
& de licences : arriere toutes ces entreprises ; venons
au but, nous auons la raison, qui nous sert de guide, &
le iugement, qui nous esclaire, qui nimis alta petit, inferiora
subit.

 

Cela s’est veu depuis peu de iours en ça, nostre Roy
en a monstré le reuers en tel dessein ; chacun l’approuue,
& s’y porte pour luy de telle sorte, que de faire autrement,
ce seroit à iuste raison rechercher son precipice,
& tesmoigner sa desobeïssance.

FIN.

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