Anonyme [1652], LE DIOGENE FRANÇOIS, OV L’HOMME D’ESTAT A LA FRANCE SOVSPIRANTE. , françaisRéférence RIM : M0_1097. Cote locale : B_20_19.
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LE DIOGENE FRANÇOIS,
OV L’HOMME D’ESTAT.
A LA FRANCE
SOVSPIRANTE.

IL semblera à plusieurs que ce n’est pas grand mystere,
que ie propose sur le tapy, mais vn conte de
vieille, me voyant ramenteuoir aujourd’huy aux François
l’histoire du bon-homme Diogene, lequel, auec
sa lanterne, tracassoit parmy la multitude du peuple
qui estoit assemblé en la grand’place d’Athenes pour
chercher ce qu’il ne trouuoit pas. Et comme il se
voit importuné de declarer que c’estoit, respondit
brusquement qu’il cherchoit vn homme, Non de ressemblance
seulement : mais tel qu’vn homme doit
estre & paroistre.

Or de ceux-cy ne s’en rencontre-il pas si aisément
comme le vulgaire estime : car tel pense estre digne
de ce nom, qui en effect se trouue à l’ombre auec les

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bestes, quand le Soleil est couché, & c’est ce que ce
Philosophe vouloit representer par sa recherche.

 

S’il a fait ce traict dans la ville d’Athenes, que l’on
a estimé la Pepiniere qui a produit les plus grands esprits
de la Grec, & où l’on disoit que les hommes naissoient
sages de Nature. Qu’est-il fait maintenant dans
la France ? où il se peut dire auec verité, qu’il y a plus
de peuple, mais moins d’hommes que iamais. Dieu en
cela distribuant & retirant ses graces, selon qu’il veut
bien-heurer ou affliger vn Estat. Aussi voyons nous
que menaçant la Ville de Ierusalem, il luy fait dire par
son Prophete, Auferam à vobis validum & fortem,
virum bellatorem & consiliærium. Ie retireray du milieu
de vous les ames genereuses : Ce que Pybrac a compris
en ce Quatrain.

 


Quand tu verras que Dieu au Ciel retire
A coup à coup les hommes Vertueux,
Dis hardiment, l’orage impetueux
Viendra bien-tost esbranler c’est Empire.

 

Bien que l’homme soit le plus accomply animal de
la Nature, neantmoins il se remarque, que c’est celuy à
la perfection duquel elle manque le plus, & que pour
vn qu’elle nous donnera heroïque, elle en produit vne
infinité pleins de deffectuositez, soit de corps, soit d’esprit :
De sorte qu’il faut quelques fois des siecles entiers
pour en produire vn de genereuse naissance, &
de conduitte pareille.

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Ce n’est pas vne petite rencontre que d’vn homme :
Le Turc, quand il veut signifier vn gand personnage,
il l’apelle hommes ; Le grand Seigneur haranguant ses
Bachas & Capitaines, les nomme simplement hommes
Musulmans, tant il donne d’emphase à ce mot. L’Espagnol
vse de celuy de Varon, pour dénommer vn homme
de merite nasca mi hijo Varon, disent les Dames
Espagnolles en leur souhaits, que mon fils naisse
homme : Et est à noter qu’en ceste langue l’V se prononce
comme vn B, & proferent ce mot comme
nous celuy de Baron, lequel anciennement ne se
donnoit aux François que pour tiltre de valeur, & de
fait les Baronnies ont pris source de là, comme estant
la recompence des preux Cheualiers Barons, qui depuis
sont tombees en succession par desordre, sans
plus estre conferees à la Vertu.

Ainsi tout va en declin par l’ignorance, ou malice,
ou negligence de ceux qui sont au charges publicques,
qui laissent le vaisseau qui leur est commis à
l’abandon des tempestes : C’est pourquoy il est vray
de dire, que les Republiques tombent plustost en
decadence faute d’hommes que faute de moyens &
richesses : D’autant que la generosité acquiert ou
conserue, & la pusilanimité ne sçait conseruer ce
qu’elle possede.

Si iamais la France eust besoin d hommes, c’est auiourd’huy :
Toutes les parties de cest Estat sont malades,
la pluspart le preuoit, chacun l’aprehende en
general & nul en particulier ne porte le bras pour le

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secourir. Considerant en moy. mesme qui ne pouuoit
estre l’occasion, le suis deuenu Diogene, I’ay
trouué qu’il y a plus de barbes que d’hommes que
chacun ne pensoit pour soy, & que peu preuoyent,
que la vray fortune du particuliere doit enueloppee
dans le bien public : Mazime que la plus grande partie
de nos François ignore, & qui pour ne vouloir
contribuer au salut de l’Estat, tost ou tard contribueront
au mal heur d’iceluy.

 

C’a esté le motif qui m’a fait conduire mon Diogene
dans Paris : Ie m’en fusse voluntiers excusé, pour
la crainte que i’auois que sa lenterne ne fist prendre
la cheure au Parisiens, estimant qu’il se voulust mocquer
d’eux, & ramenteuoir la lanternerie de la place
Royalle : toutesfois il n’est pas temps de se railler,
mais de se rallier, pour la conseruation de la personne
du Roy, & du Royaume. Voyons donc ce qu’il
fera, faire sous luy tout voir : il sçait nostre mal, la
question est s’il rencontrera des hommes pour y apporter
le remede.

Commençons par le plus sainct & sacré, faisons
luy contempler le Corps Ecclesiastique, & sur tout
ceux qui pour l’esperance de l’Escarlate batissent sur
le dos de leur Roy & bien-faicteur la grandeur d’autruy,
Viens, Diogene, viens, és-tu sourd-dy, viens
vistement, & cherche parmy ce corps quelque homme
pour deffendre l’authorité de nos Roys, rembarrans
l’ingratitude de ceux qui veulent reuestir autruy
des despoüilles de la France, sans considerer qu’ils

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luy doiuent leur biens & leurs foriunes, apporte ta
lanterne, voy exactement si tu y trouueras quelque
bon deffenseur des priuileges de l’Eglise Gallicane,
& qui fasse rougir de honte ceux qui retranchẽt les
Conciles de Constance & de Basle du rang des Conciles
Generaux, d’autant que par iceux ces propositions
nouuelles sont absolument condamnees. Ha
saincte harpe de Dauid ! qui jadis chassois les mauuais
demons, où es-tu maintenant ? N’est-ce pas chose
estrange que les François deuiennent viperes pour
deuorer la Mere qui les nourrist.

 

Au lieu de nous ressentir de ce que l’on nous a priué
de la part que nous auions à la chaize de S. Pierre,
aulieu, dis-ie, d’en demander raison, nous poursuiuons
sottement vne vsurpation temporelle sur les Couronnes,
à la quelle nous n’aurons iamais part. Où est nôtre
entendement, Diogene ? point d’hommes, point
d’Euesques, que d’Angers, que de dangers.

Passons à la Noblesse, voyons si elle ressemble à
ces vieux Palladins Gaulois que nous lisons aux histoires
auoir respandu tant de sang pour empescher la
cheute de cest Estat, qui eussent plustost perdu la vie,
que d’endurer aucune chose au preiudice de nos Rois,
il semble que tout soit abastar dy maintenant : Car ny
l’exemple de nos Ancestres, ny le mespris que l’on
fait de vous, ne vous eschauffe en rien le courage,
tant la coyonnerie s’Ancre par tout.

I’apprehende nostre perte quand ie remarque en
nos ennemis plus de vertu que parmy nous, estans,

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sans comparaison, plus affectionnez au bien de leur
Prince & de leur patrie : l’Espagne produit de fidelles
seruiteurs à son Roy, ils taschent de faire leur fortunes
comme icy, mais ce n’est iamais en trauersant les affaires
du Prince ny son Estat ; Que ne les imitons nous
en cela ? Nous ne voyons pas en France des DomChristophe
de Mora ny d’Anthoine de Prada ; le premier
si tost qu’il vit que le conseil d’Espagne ne se
gouuernoit si prudemment qu’il faisoit durant le regne
de Philippe second, apres auoir remonstré que
l’on quittoit le chemin qu’auoit tenu ce sage Roy il se
retira en Portugal, plustost que de voir passer en sa
presence chose tant soit peu preiudiciable à la Couronne :
L’autre vit content en son Iardin, contribuant
seulement de conseil au faict du gouuernement, sans
briguer ne posseder dignité aucune, encore qu’il ne
possede que peu de biens.

 

Esclaire, Diogene, & voy si tu en trouueras en
France beaucoup de pareils : Ne rougissez vous point
de honte ? Ne recognoistrez vous iamais la bassesse de
vos ames ? quittez l’espee, prenez l’escritoire, l’on
vous fournira de papier & d’Ancre pour descrire vos
laschetez. Quelle pitié de voir vne Noblesse valleter
vn homme qui ne vaut ny pour la guerre ny pour le
Conseil ? qui à cause de ses demerites ne s’ose presenter
au Parlement pour se faire receuoir en sa charge
pretenduë, qui abbaye apres les biens des meilleures
familles du Royaume pour esleuer sa piete parenté,
qui a englouty les thresors du Roy, qui vous

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morgue en luy aidant à establir sa fortune, Il a bien
raison de vous appeller Coyons, auec nostre argent,
il vous a dépoüillés de vos Estats, places & gouuernemens,
ensemble de vos honneurs, il fait des pensionnaires
dans tous les corps de Iustice, pour auctoriser
ses iniustices, il pratique des Partisans auec lesquels
il s’entend pour rançonner le peuple : Qui du
massacre de la Noblesse proiecte le rauissement de
leurs charges, qui mettra les Officiers à la mercy des
Assasins pour en auoir les despoüilles, Cachez vous
Diogene desesperé qu’il faille qu’vn homme vous
mette la valleur deuant ses yeux. Ie ne parle point des
Grands ny des Pairs. Non ce n’est point d’eux que ie
parle, mais seulement de ce Flasque, & de ce que ie
vois & preuois. S’il y a quelque chose de caché és
cœurs de telles ames. Il m’est deffendu de donner
plus auant, y pense qui voudra.

 

He bien Diogene, iras tu aux hostels de ceux qui
vuident leurs logis d’honneur pour les remplir de pistoles
& de vitupere à la posterité. Où és-tu grand
Fabius, & toy Cincin tus que l’ennemy du peuple
Romain ne sceut iamais vincre par presens ? ny l’ambition
rien gaigner sur vostre pauureté. O ames diuines
que diriez vous de voir nos François si manniables
au son de l’argent ? Ne vous corrigerez vous iamais
de ce deffaut si ferez. Y a quelques temps qu’vn
de nos Princes fit vne action si vertueux, qu’il seruira
d’exemple aux autres. Exemple, dis-ie, rare, & d’autant
plus recommandable que durant c’est ardeur

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d’auarice qui regnoit pour lors, & qui regne encore
plus a present, il ne voulu iamais toucher à la beauté
de quatre cens mil Escus que l’on luy offroit pour
son gouuernement. Ha ? que Diogene souhaitte au
Royaume beaucoup de personnages de pareille
vertu.

 

Que dis-tu, Diogene, prendras-tu la hardiesse
d’entrer ou est le Roy pour y considerer sa personne
sacree. Ie sçay que tu diras, car tu és bon François,
qu’il semble que l on desire plutost qu’il soit long
temps enfant, que bien-tost homme ; Il faut que c’este
liberté eschappe à Diogene, d’autant qu’il est du
naturel des Dames, qui aprehendent en Mariage la
rencontre des Maris, qui ne sont vrayement hommes,
Il voudroit que sa Maiesté dementist à son aage, à
quoy vne genereuse nourriture luy seroit vn grand
auantage, ayant desia la nature bonne pour luy.

L’Empereur Charles-Quint, eut cest heur, que
dés l’aage de quatorze ans on l’occupoit dans les affaires,
on le faisoit assister au Conseil, non pour y commettre
des actes d’enfantillage mais pour y escouter
les propositions & resolutions des affaires, on ouuroit
& lisoit-on deuant luy les pacquets des Princes
estrangers, on luy monstroit les dépesches sur iceux,
on traictoit en sa presence de toutes sortes de maximes
importantes au gouuernement, & pour luy esguiser
l’esprit & le courage, on luy rementeuoit à toute
heure les ennemis de la maison de Bourgogne, auec
vn desir violent de s’en vanger : De fait il l’a bien monstré,

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& la France la bien esprouué à son mal-heur, que
l’on l’auoit fait homme. C’est ainsi le chemin qu’il
faut tenir pour le deuenir, nul n’a tant besoin de l’estre,
que les Roys : Helas ! que c’est vne grande misere
quand il faut chercher des Princes en plain iour ;
Cela est excusable pour le commun, mais le sang
Royal, doit comme vn Soleil, esclairer des son Leuant,
& donner des le matin des Rayons de vertu
sur ses subiects.

 

La Mere des deux Graccus Romains, disoit que
la bonne nourriture estoit vne double naissance aux
Enfans. C’est enuers les Princes, que ceste sentence
se doit plus exactement praticquer. L’on doit à
l’enuy trauailler à fortifier leurs esprits. C’est ce que
Diogene & le Caton François remarquent estre plus
necessaire à sa Maiesté. Luy & le Royaume ont besoin
de le voir bien-tost homme, si bien-tost ne
voulons souffrir vn grand Ecclypse dans l’Estat.
Mais quoy ? au lieu de remedier à ce mal, on tasche
à rendre criminels de leze Maiesté ceux qui descoure
le pot aux Roses.

A la Cour, Diogene, il ne faut pas tout dire, ie ne
te conseille pas d’y estre plus longuement, il te faut
faire vn tour dans le tiers Estats, tu y pourras trouuers
des hommes au moins tu y oras prou discourir
du bien public, tu y remarqueras beaucoup plus de
Cicerons que de Catons, à bien faire il ne faut point
tant de discours, ny faire seruir la balance de Iuce,
do trébuchet à peser l’Or, ny faire des reglements

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de Police, non à dessein de soulager le peuple, mais
pour tirer argent des Mestiers, & faire venir des
prouisions & fornitures de mesnage, aux hostels des
Magistrats. Diogene, mon amy, ie crains que tu les
trouue aussi corrompus que les autres, & tout de mesme,
tout de Mesme, Bourgeois, Officiers, Marchands,
Ouuriers, Laboureurs, trompent comme
les autres, & tout de mesme tant le desordre regne
par tout.

 

O auarice que tu as faict vne playe mortelle dans
l’Estat ! Ainsi l’antique Rome se perdit si tost que
l’argent trouua entree aux charges. Que deuons-nous
craindre auiour d’huy ? helas ! nostre mal seroit
en quelque façons supportable si l’on pouuoit longuement
viuoter dans ce desordre : Mais il faut que
ce mal nous tuë, ou que nous le tuons, c’est la verité,
quelques raisons specieuses que l’on propose au
contraire : Dessillons nous les veux, chassons les humeurs
cacochymes qui atrophient ce Royaume. Le
Ciel puisse tousiours conseruer nostre Roy, pour en
detourner le malheur. Mais Diogene crie tout haut
comme le Paralitique, que la France n’a point d’hommes
pour la porter en la Piscine, à fin de la guerir.
He quoy ! la laisserons nous mourir ? Les Prelats
n’en auront ils point pitié ? Ne sera elle pas assistee
des Grands, des Officiers, & des Pairs, non, Ha pauure
Estats qui n’a plus d’homme ! Taschons au moins de
le denenir C’est le plus bel animal que Dieu ait creée,
Il se plaist à le contempler comme vn Chef-d’œuure

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admirable. Et l’homme mesme sert d’admiration a
l’homme quand il est vertueux. Il n’est celuy si lasche
qui ne sente escauffer son Ame au recit des gestes valeureux
de nos vieux Gaulois. Nous en sommes iussus,
François, si nous ne les pouuons imiter en conquestes,
imitons les à deffendre ce qu’ils nous ont laissé. Ne
consentons par fetardise à la dissipation de cest Estat.
La gloire que nous en laisserons à nos enfans sera plus
riche que l’amas des pistolles. Ceux qui sont descendus
de ce braue Comte de Dunois ont plus d’allegresse
en escoutant raconter les proësses que ce Genereux
Prince a fait chassant les ennemis de ce Royaume,
qu’ils n’ont de plaisir auiourd’huy à posseder sa succession.

 

Scachez, François, que quiconque est vertueux
laisse ordinairement biens & honneurs à ses enfans :
Car qui a de la vertu, a du credit, qui du credit de l’authorité,
& qui sçait paruenir à ce degré ne manque de
posseder ce qui est necessaire à la grandeur d’vn homme
de courage. Il est vray que ce chemin est plus long
pour s’enrichir que l’autre, mais en recompense il est
plus glorieux & durable.

Si nous tenions ceste voye l’ennemy nous redouteroit,
le bien public prospereroit nostre renommee fleuriroit.
Les petits n’auroient la hardiesse d’enjamber sur
les Grands pour les dépoüiller. Hé, qui les rend ainsi
temeraires ? C’est qu’ils croyent que les François ne
sont plus hommes. Ce mesme defaut fait que les femmes
gourmandent leurs maris : Et voyla comme la France

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est déchiree en tous ses membres. Ce plat pais mangé
par des partysans, d’imposts, & de sel, Ne serons nous
iamais dessalez en deux façons ? les Prouinces seront
elles tousiours pigeonnces & reduites à tel poinct de
malheur. Rendons iustice à nous-mesmes, Seruons fidellement
le Roy. L’on n’est point blasmé d’establir sa
fortune pres de sa Maiesté, pourueu que ce soit par
recompences de bons seruices : Il faut aimer Alexandre,
non pour ses liberalitez seulement, ains pour ses
vertus, Nature & la Loy nous oblige à ce deuoir, Diogene
recognoist les bons seruiteurs, quand il void
que leur interest particulier ne marche deuant celuy
de leurs maistres.

 

Et toutesfois la venalité qui regne parmy nous : que
l’on s’enqueste tant que l’on voudra, l’on ne sçauroit
remarquer vn si salle trafic en toute l’Europe, sçauoir
si les honneurs, les Gouuernemens des Prouinces &
des places se vendent en Espagne ? ce seroit vn crime
de l’auoir seulement pensé ; En France, c’est habileté
de les maquignonner, & gloire de les emporter par
telles voyes, ce qui aliene la naturelle obligation que
le subiect doit à ses Princes en ce qu’il n’estime l’establissement
de sa fortune, que du fond de sa bource.

Recognoissons donc nostre mal, ne recullons plus à
nous monstrer hommes, il semble que la beauté du nom
Masculin soit Hermaphroduisé parmy nous, aussi ne
parle on plus masle auiourd’huy, l’on dit Souleil pour
Soleil, chouse pour chose, Coutton pour Coton tant
nos Courtisans parlent molement François, & de fait

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nous voyons que le Royaume de Couchin, aux Indes
Orientales, est deuenu femelle en France par metamorphose
coyonnesque tant on se plaist à la nouueauté,
& à voir des Auortons morguer les plus hupéts
de cest Estat.

 

L’Asne du Commun, dit le prouerbe, est tousiours
mal basté, chacun se repose sur la vigilance de son voisin,
pour racoutrer son bas : C est ce que representoit
vne Menuisiere à son Mary, la chalandise duquel estoit
fort enuiée, Mon amy, luy disoit-elle, ne redoutez
nullement la caiollerie des François, ils ne vous feront
nul desplaisir, ils s’atenderont tous les vns aux autres
pour le faire.

Ainsi le Roy & le public est seruy, ainsi le mal se
glisse. I’ay erainte que nostre infortune ne ressemble
celuy des Ponts & digues mal entretenus, où l’on
remarque tantost la cheute d’vne pierre, tantost vne
liaison s’entrouurir, tantost vne arche se dementir, les
passans disent bien ces digues se ruinent ? cependant
l’on neglige d’y trauailler, puis vne nuict ameine vn
rauage d’eau ou desgorgement de Mere qui emporte
tout & submerge le païs. C’est ce qu’il nous faut aprehender,
les menaces de la ruine de l’Estat sont apparentes,
il est aysé d’y remedier en mettant l’interest
particulier sous le pied, si nous le faisons la Digue
creuera, & nous trouuerons inondez dans le deluge
general. N’est ce pas chose déplorable, il n’y a que
quatre ans que ceste Couronne estoit florissante, redoutee,
pleine de grans thresors : paisible : auiourd’huy

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elle est pauure, endetee desnueë d’argent à l’emprunt,
pleine de factions, & preste à s’en aller par
lambeaux. Ne conniuons plus, si nous atendons à
l’extremité à découurir le mal, l’on ne nous en sçaura
point de gré. Ie le sçay bien dés hier. Diogene,
Veit le Roy, n’attendons à le secourir lors qu’il n’y
aura plus de remede, Tous les beaux esprits de la
France sont assemblez pour y auiser, à bien faire, il
ne faut point tant d’artifice, qu ils ioignent seulement
la prud hommie auec l’habileté, tout ira bien, qu’ils
y apportent vne prudence sans malice, c’est la drogue
qui nous donnera la guarison. Helas qu’elle est rare !
elle ne se rencontre que dans les ames vrayement
masles, telle les cherche, Diogene Dieu luy face la
grace d’en trouuer, afin qu’il puisse dire tout haut,
que la France à encore des hommes pour la secourir
& empescher son déclin. Trauaillons y à l’enuy.

 

LA FRANCE SOVS LE NOM DE CATIN.

 


Miserable siecle ou nous sommes,
Se disoit Alix à Catin,
Si ie n’ay du lait au tetin
Ce deffaut me vient faute d’hommes.

 

FIN.

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