Anonyme [1652], LE DONNEZ-VOVS GARDE DV TEMPS QVI COVRT. , françaisRéférence RIM : M0_1172. Cote locale : B_20_50.
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LE
DONNEZ-VOVS
GARDE DV
TEMPS QVI
COVRT.

 


O la vicissitude estrange,
Toutes choses courent au change,
Le ferme est fondé sur le poinct,
Autres-fois on ne voyoit point
Tant de Crocheteurs par le monde,
De vigilans faiseurs de rondes,
De porteurs de paquets pliés,
De faiseurs de bonadiés,
Tant de faineans par les ruës,
Des questeurs de franches repuës,
De Sires Ieans escornifleurs
De pipeurs de dez, d’enjolleurs,
De frantaupins, de frippelippes,
De Moynes Laies, de franc-atripes,
De bouffons, de sots, de cocus
De truchements, courtiers de culs,
De Charlatans, planteurs de bourdes,
D’hypocrites, de limes sourdes
De chicaneurs, de patelins,

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De trompeurs, de maistres Gonins,
De rabilleurs de pucelages,
De faiseurs de faux mariages,
De nourrices auant le temps,
De plaisants, de rogers bon-temps,
De flannieres, de macquerelles,
De faiseurs de laict aux mammelles,
De faux-tesmoins, faux rapporteurs,
De fabulistes, de menteurs,
De semeurs de fausses sciences,
D’escarmoucheurs de consciences,
De corrupteurs de Magistrats
Bref mille & mille autres fratrats
Qui pullulent parmy les hommes,
En ce maudit siecle où nous sommes,
N’empoisonnient l’antiquité,
La Deesse de verité,
Sur son Cube estoit toutenuë :
Iustice marchoit tetenuë,
Sans colere, faueurs, ny choix,
Au gouuernement de ses Loix,
L’horrible Vipere d’enuie
De l’Enfer n’estoit point sortie,
La Noblesse aymoit la vertu,
Le Noble en estoit reuestu,
C’estoit son Clinquant : son Pannache,
Son pend oreille, sa moustache,
L’Eglise en sa splendeur estoit,

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Et dedans ses flancs ne portoit
Tant de seruiteurs d’elizées
Sa robbe n’estoit diuisée,
Par des Simons Magiciens,
Et l’on ne donnoit point aux chiens,
Le pain des enfans legimes :
Le Pasteur mesnageoit ses dixmes,
Sans les bailler aux hommes laix :
Mais sus donc, pronons nos balaiz,
Balions toutes ses ordures,
Ostons premier ses charges dures,
Ses porteurs de nouueaux Capots,
Subsides, emprunts, & imposts
Ces Fermiers, & ces monopoles,
Ces chaude-pisses, ces veroles,
Des raptasseurs de nez pourris
Vers bleds par les camars deuis,
Ces Gilles lans, ces carrelages ;
Et autres tels maquerellages,
Sources de tant de potions,
De poudres, de decoctions,
De diettes de robbes grises,
Et de semblables marchandises,
Qui purgent la bourse & le corps,
Chassons en mesme temps dehors
Ces subtiles Reuenderesses,
Ces Lam pronieres manieresses,

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Que faisant semblant d’apporter
A Madame, pour acheter
Quelque chaisne d’or singuliere,
Ou luy leuer sa penilliere,
Luy racoutrer son bilbouquet,
L’entrefesson, & le brisquet,
(Car ce sont là leurs doctes termes)
Ces croche-cons à bouches fermes
Entremeslent par leurs discours
Mille petits propos d’amours,
Et mettant la main sur la motte,
Glissent les poulets sous la cotte,
Chassons encor, jettons en l’eau
Ces vieilles lampes de Bordeau,
Mammelles molles & fannées
Comme vessies surannées,
Culs de Postillon endurcis,
Cols de Cycoigne retressis,
Dents deschaussées & pourries,
Arrengées en dents de scies,
Nez morfondus, yeux enfoncez,
Vieils fronts ridez & replissez
Comme vn garde-cul de village,
Vieille perruque à triple estage,
Poictrine de maigre pourceau,
Vieilles eschines de chameau,
Ventres pendans, jambes de lattes,

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Croupions pointus, & fesses plates,
Vieilles lanternes de Conuents,
Vieils Havres ouuerts à tous vents,
Vieilles masures ruinees,
Vieilles barques abandonnees,
Vieilles granges, vieils culs rompus,
Vieils fleaux dequoy on ne bat plus,
Vieilles braguettes, vieilles braques,
Vieilles caisses, & vieux cabats,
Vieils estallages, vieils haras
Vuidez, sortez, vieille antiquaille
Vous ne seruez de rien qui vaille,
Ballons encor fermement
Ces reuendeurs d’entendement
De memoire artificielle
Ces esponges de Damoiselle
Leurs fards, leurs peignes, leurs miroits,
Leurs affiquets, leurs esuantoirs
Leurs petits chiens, excuse-vesses
Leur brusque branlement de fesses
Leur cajol, leurs attraits charmeurs
Ris, fards, & regards rauisseurs
Leurs finesses, leurs pomperies
Leurs passe-temps leurs railleries
Leurs secrettes esmotions
Leurs desguisees passions
Leurs souspirs feints, leurs larmes feintes

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Le flatter de leur douces plaintes,
Les bons coups qu’ils font à l’escart,
Leurs Seruantes de chambre au quart,
Leurs coiffeures, leurs masquarades,
Leurs massepins & mammellades,
Leur chaud Satyrion confit,
Et autres esperons de lit.
Mais abbatons la grande arraigne
Qui chasse aux bidets d’Allemagne,
Et cét autre qui en ce coin
Estend ses voiles de si loin :
Voyez-vous ces quatre arraignees
Comme elles sont embesongnees
A tendre leurs rets aux passans
Allons donc viuent houssans
Cette petite libertine,
Elle est chaste comme Faustine,
A de son venimeux poison
Gasté mainte honneste maison :
Sus donc qu’elle soit balloyee.
Cette place est bien nettoyee,
La plus grosse ordure est dehors,
Allons visiter d’autres bords,
Et chassons de nos Republiques
Les Histrions, les Empyriques,
Les beuueurs de vin par excés,
Les rajeunisseurs de procés,

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Solliciteurs, faiseurs de clauses,
Bailleurs d’aduis, vendeurs de causes,
Les Zizames, les Arabins,
Les grands babillars aux festins,
Les Carneades, les Sophistes,
Les Sarcophages Atheistes.
Tous ces nouueaux reformateurs,
Et ces Alchymistes souffleurs
Qui (pour vn lingot sous la cendre)
Trouuent vn licol pour les pendre,
Nous voulons aussi balloyer
Le Rigistre qui sçait ployer,
Les Bergers qui ont deux houllettes,
Les collations de sœurettes,
Tant de baiser par charité,
Et petits presens de pitié,
Et autres pratiques deuotes,
Les causes de tant de riottes,
De tant de lits priuez d’amour,
De tant de pains perdus au four,
De tant de napces esgarees,
De tant de mantes deschirees,
De tant de lardiers tous vuides,
De tant de scandales semez,
Qui font rire à pleine gorge
Les Saincts de la nouuelle forge,
Car parmy ses deuotions

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On voit bien peu de Stations
Paules, Marcelles, Fabioles
Et de semblable Christicoles
De Saincts Hierosme encor moins :
Chassons encor tous faux tesmoins
Tous examents signez sans lire
Le Pescheur qui à toute main
Prend tout poisson auec son ain,
Les Medecins qui sont trop riches
Les Pharmacopoles trop chiches
Les Chirurgiens trop piteux
Les Pages qui sont trop honteux
Vne Nourrice trop songearde
Vne Nonain trop fretillarde
Vn Confesseur trop indulgent
Vn Connestable negligent
Vn Secretaire trop polixe,
Vne trop jeunette obstetrice,
Vn Brasseur prés de mauuaise eau
Vn Patissier prés d’vn bordeau
Vn Boucher de puante haleine
Vne seruante trop mondaine
Vn Escolier prés d’vn tripot
Vn Tauernier aupres du pot
Vn Meusnier prés de sa tremie
Vn Ialoux prés d’vne Abbaye
Nous chassons aussi les Sorciers

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Nourrissons d’esprit familiers
Permutations Clericales
Bigamies Sacerdotales
Les alliancs de Nonains
Aduocats prenans des deux mains,
Procureurs qui sont sans malices
Sergens qui doiuent leurs offices
Greffiers qui babillent souuent
Les Commis qui n’ont point d’argent
Le Iuge qui n’a qu’vne oreille
Celuy qui dit, à la pareille
Le Regent qui ne fesse pas
Valets trop long-temps au repas
[1 lettre ill.]aquais cheminans des machoires
Tabellions sans escritoires
Le Receueur qui s’appauurit
Le Financier qui s’enrichit
Le Poëte qui tient de la Lune
Le Chantre qui tient de Saturne
Le Contemplatif jouial
Le barguigneur Mercurial
Les Enucques qui veulent frire
Cocus qui veulent d’autres rire
Begues qui veulent discourir
Les boiteux qui veulent courir
Aueugles iuger du visible
Sauetiers qui lisent la Bible

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Les femmes qui veulent prescher,
Ladre qui craint l’autre toucher,
Cordonniers portans les pantoufles,
Les chats qui veulent porter moufles,
Sur tout gardons nous aujourd’huy
De l’enuieux qui louë autruy,
Du pourceau qui dort sous la table,
Du Loup qui fait du charitable ;
Du Singe qui berse l’enfant,
De la Mousche sur l’Elefant,
De l’Ours qui nous monstre sa patte,
Du Renard qui les poulles flatte,
Du Lyon qui a beu du vin,
Des Syrennes de Farmessin,
Du Cancre qui hume les huistres,
Et des Asnes de Franc-arbitres :
Il se faut conseruer aussi
Du ris du Tyran endurcy,
Des larmes d’vne Courtisane
Des finesses de la chicane,
De la baguette d’vn Huissier,
De la nauette d’vn Tyssier,
D’vn qui pro quo d’Apoticaire,
D’vn & cetera de Notaire,
Des blandices d’vn macquereau,
Des accolades d’vn Bourreau,
De l’Inquisition d’Espagne.

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Des coupe-bourses de Bretagne,
D’vn fé de dé d’Italien,
Et d’vn certe à bon escien,
D’vn veritablement de traistre,
Et d’vn chien qui n’a point de maistre :
De la main d’vn bon Escriuain,
De la cuisine d’vn Vilain,
Du cousteau du Flamand yurongne,
Et du cap de Dious de Gascongne,
Du Sacrament de l’Allemand,
Et de la fureur de Normand,
De la grotte Sauoisienne,
De la crotte Parisienne,
De la verolle de Roüen,
Mais nous voicy à sainct Aignen
O ! Dieu que d’ordures estranges,
Que de culs cachez dans les granges,
Que de bons Ians, que de jambons,
Que de bouteilles & de flacons,
Que de fleurettes refoulees,
Que de filles despucelees.
Que de beaux collets desfraisez,
De busques rompus, seins brisez,
Que de mains sous les vertugades,
Que d’andoüilles, que de sallades,
De jonchees, de ceruelats,
De tables, de pots & de plats,

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Que de fringantes Damoiselles,
Que de tintamarre de vieilles,
Que de viollons, que de haut-bois,
Que de putains dedans les bois,
Que de collerettes rompuës,
Et que de fesses toutes nuës,
Que de beaux tetins descouuerts,
Que d’enfans auront les yeux verts,
Qu’il faudra eslargir de robbes,
Et d’esplisser des garde-robbes :
Que de baptesmes clandestins,
Que de peres, que de parains,
Balions donc ces villenies,
Ses danses, ses folastreries,
Ces blanques, ces jeux de hazard,
Ces discoureurs d’amour a part,
Ces viuandiers de Foires franches
Tauerniers pour quatre Dimanches
Et chassons encor au balay
Ces beaux tireurs de Papegay
Que leurs arcs, & leurs cordes roides
Abbatent les roupies froides
Qui pendent au nez morfondus
Des enfans de Cauls refondus
Or voila bien des places nettes
Nos tasches seront bien-tost faites
Il ne reste qu’a balier

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La loyauté du Cousturier
La paresse du laquais Basque
Le trop grand courage d’vn flasque
Les goutes d’vn jeune sauteur
La grand’blancheur d’vn Ramonneur
Le trop grand silence des femmes
Les bastards des chastrez infames
Mais sur tout dechassons ailleurs
Ces fols Poëtastres rimailleurs
Dont la rime est si mal limee,
Et la lime si mal rimee
Qu’vn bon rimeur en rimaillant
Relime leur rime en rimant
C’est fait, allons quittons l’ouurage
Ne nous lassons point dauantage :
Hercul bien empesché seroit
Si toute la terre il vouloit
Rendre d’ordure repurgee
Comme il fit l’estable d’Augee.

 

FIN.

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