Anonyme [[s. d.]], LE FLEAV DE L’ESPRIT DE DIEV, SVR LES MINISTRES à deux Cœurs, à deux Maistres, & à deux Visages. "Le Seigneur veut que l’hypocrisie de ceux qui se glorifient en luy, pendant qu’ils le nient par des actions publiques, soit franchement reprise & hautement condamnées par les veritables Euangelistes de sa parole eternelle." Esaye 48. 58. & 66. , français, latinRéférence RIM : M0_1399. Cote locale : B_10_29.
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LE FLEAV
DE
L’ESPRIT DE DIEV,
SVR LES MINISTRES
à deux Cœurs, à deux Maistres, &
à deux Visages.

Le Seigneur veut que l’hypocrisie de ceux qui se glorifient
en luy, pendant qu’ils le nient par des actions publiques,
soit franchement reprise & hautement condamnées
par les veritables Euangelistes de sa parole eternelle. Esaye 48. 58. & 66.

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LE FLEAV
DE
L’ESPRIT DE DIEV.

Le Seigneur veut que l’hypocrisie de ceux qui
se glorifient en luy, pendant qu’ils le nient
par des actions publiques, soit franchement
reprise & hautement condamnée par
les veritables Euangelistes de sa parole
éternelle. Esaye 48. 58. & 66.

IL faut que tout le monde accorde à la mesme
verité, que l’Eglise en qualité d’Epouse
de Iesus-Christ, ne peut ester que tres-asseuré
contre le peché, contre la mort, & contre
l’enfer : que les portes de cette effroyable demeure,
n’auront iamais aucune puissance sur
elle : & que cela n’est que trop confirmé par l’esperance

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des promesses. Que puisque Iesus-Christ
qui est le vray fils de Dieu, & qui ne
sçauroit ny mentir, ny se tromper en façon quelconque
en est le Chef & le Protecteur : qu’il a
promis de l’assister iusques à la fin des siecles :
qu’il parle & parlera continuellement par sa
bouche : & que ce qui se fait par l’Eglise, se fait
au nom & sous l’authorité de cét adorable Sauueur
de nos ames ; il faut necessairement, dis je,
encore vn coup à cause de toutes ces raisons là,
que tout ce qui se passe, soit tres-saint & tres-infaillible,
& par consequent tres-approuué de
toute sorte de personnes. Mais il faut pourtant
aussi que l’on m’accorde qu’il n’ẽ est pas de mesmes
des Ecclesiastiques ; puis que cette mesme
verité dit que dans cette mesme maison il y a
des fidelles & des infidelles : des deuots & des
hypocrites ; des bons & des meschans esprits,
& qu’il y en a qui font vanité de se reculer de
la foy & de la veritable administration de l’Eglise ;
ainsi que font tous les Euesques, tous les
Archeuesques, & tous les Cardinaux qui abandonnent
le seruice de Dieu, pour esleuer le thrône
de leur ambition, sur le debris des Estats &
des Empires dont ils prennent la conduite, bien
loin d’arracher l’œil, ou de couper la main qui
les voudroit destourner de la parole Eternelle,
comme dit fort bien Iesus-Christ, parlant par

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la bouche de saint Matthieu son Euangeliste.

 

La dignité Ecclesiastique est bien souuent
donnée à des sujets tres indignes d’elle, ie ne
croy pas qu’il y ait iamais eu rien de si iniuste,
que de les laisser compatir ensemble : car si la
Prestrise est digne d’vne grande veneration, ie
trouue que le crime est encore bien plus digne
d’vn grand chastiment, quand il se rencontre
en la personne d’vn homme d’Eglise. La Iustice
se peut parfaitement bien rendre à l’vn sans
blesser l’autre en aucune sorte ; parce que la
qualité & le qualifié sont deux choses distinctes,
& parce que si leurs crimes estoient impunis,
tous les meschans se voudroient faire Prestres
pour se mettre à couuert du chastiment
qu’ils meritent. Le Charactere ne leur a pas
esté conferé de la part de Dieu, pour leur donner
la liberté de mal faire : & la Prestrise & la
Iustice ne sçauroient estre d’vne nature incompatible,
ainsi que le blanc & le noir, ou bien
ainsi que l’estre & le non estre. Puis que leur
vocation n’a pas le pouuoir de les empescher
de faire du mal, elle ne doit pas auoir la faculté
de les empescher d’en estre punis selon la grandeur
de leur faute. Leur mauuaise vie estant
de mauuais exemple fait tort à nostre Religion,
& confirme les heretiques dans la mauuaise
opinion qu’ils en ont conceue. Le grand nombre
des meschans Prestres fait le grand nombre

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des mauuais exemples, & fait qu’on n’en
croit Presque pas vn de bon parmy ce nombre
infiny qu’il y en a sur la terre. Leur faineantise
est cause de leur mal-heur, & l’on ne deuroit
iamais donner vn Ordre si sacré que celuy là,
qu’à des hommes qui fussent tres-sçauants,
tres-hommes de bien, & tres auancez dans
l’âge. L’on ne se sçauroit empescher d’auoir
du mépris pour les choses qui sont trop communes,
& qui ne produisent que des mauuais
effets, c’est pourquoy l’on n’en deuroit pas
tant faire comme l’on en fait, & ceux qui prostituent
ces dignitez en respondront deuant
Dieu comme d’vn tres-grand crime. Et comme
il y en est plus d’ignorans & de malicieux
que de sçauans & de raisonnables, il faut conclure
de là que ce n’est pas tant ny la pieté, ny
le zele, ny la deuotion, ny la gloire du Seigneur
qui les appelle à cette dignité, que le desir qu’ils
ont de faire barbe de paille à Dieu, & d’attraper
les biens de l’Eglise. Ostez le benefice de
la condition, vous leur ostez la volonté d’en
ester. Mais il faut qu’ils sçachent que le meschant
se ruine par son propre conseil : que leurs
sacrifices sont polluez comme ceux des Iuifs,
qu’ils sont abominables à Dieu, & qu’ils sont
reprouuez si tost qu’ils s’amusent à violer l’alliance
du mariage spirituel : Que ceux qui sont
esleuez dans les dignitez Ecclesiastiques doiuent

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seruir d’exemple : qu’ils n’ont esté commis
de Dieu que pour garder les Eglises : que
pour luy offrir des dons & des sacrifices : que
pour luy presenter des Prieres & des Oraisons,
pour la purgation des pechez : que leur office
c’est de sçauoir la loy : qu’ils ne doiuent point
chercher leur profit, mais ce qui est de l’honneur
du Seigneur : que Dieu est le seul heritage
dont ils se doiuent contenter : qu’ils doiuent
viure seulement des sacrifices qui leur sont offerts :
que leur impieté fait mourir tous les iours
Iesus-Christ, comme elle le fit mourir entre les
mains de ceux qui le mirent en Croix : & qu’ils
receuront vn salaire digne de leurs merites.

 

Mais ie ne sçay si ce n’est pas enfraindre les
priuileges des Ecclesiastiques, que de les vouloir
assujettir au iugement des hommes : Non,
puis que leur authorité ne consiste que dans le
bon exemple, & que la Iustice n’a pas moins de
droict de les punir quand ils l’ont merite, que
les autres personnes. Venons maintenant à
l’examen de leurs abominables actions, & faisons
voir comme ils abandonnent facilement
le seruice de Dieu, pour esleuer le throsne de
leur ambition sur le debris des Princes & des
peuples.

Le Cardinal de sainte Suzanne, premier
Ministre de Louys XI. & Guillaume de Harancourt
Euesque de Verdun, apres auoir gouuerné

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longues années les affaires de France, ne
conspirerent-ils pas par vn horrible attentat
contre la vie de ce grand Prince, a fin de donner
la Couronne à son frere. Mais le Roy considerant
le danger où ces deux perfides l’auoiẽt
mis, & sçachant que tous leurs desseins ne tendoient
qu’à les faire mourir, suiuant les lettres
& les memoires que sa Maiesté leur auoit surprises,
les fit arrester, & fit conduire ce Cardinal
au Chasteau de Montbason en Touraine,
par le sieur de Torcy, & mettre l’Euesque de
Verdun dans la Bastille, & sans auoir égard ny
à leur dignité, ny à leur caractere, on ne laissa
pas de leur faire leur procez non pas comme
Ecclesiastiques, mais comme criminels de leze
Maiesté, pour vous monstrer que ce n’est
pas d’auiourd’huy que la Iustice sçait parfaitement
bien distinguer la qualité d’auec le crime.
Il n’est point de loy qui puisse empescher
les droits de la Iustice. Tout criminel doit estre
puny par ceux que Dieu a establis à cette dignité,
afin de la render à toute sorte de personnes.
Ils sont hommes, Citoyens, subjets du
Roy, membres de l’Estat, faisans partie d’iceluy,
Habitans du Royaume, nez sous l’authorité
du Souuerain, obligez de droict diuin &
de droict humain à S. M. & aux loix du pais, ainsi
que les autres hommes, & ils ne voudroient
pas releuer que d’eux mesmes. S’ils veulent que

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cela soit ainsi, il faut qu’ils aillent chercher &
viure dans vn pays où il n’y ait point de Roys,
& où ils doiuent tascher de se rendre Souuerains
eux mesmes. Quand Dieu a dit que le Roy estoit
ordonné pour rendre la iustice à tous ses subjets,
est-ce que Dieu n’entendoit pas qu’ils fussent
du nombre ? Quand Dieu a dit qu’il se falloit
donner garde de son indignation, est ce qu’il en
a exempré les Ecclesiastiques ? Quand il a dit
qu’il falloit prier pour luy, qu’il le falloit honorer
& qu’il luy falloit ester subjet, est-ce qu’il vouloit
que les Prestres luy fussent desobeïssans, &
qu’ils eussent les oreilles bouchées à ses ordres ?
Ie voudrois bien sçauoir à qui est-ce que S. Paul
addresse ses paroles, quand il dit, soyez édifiez :
pour maison spirituelle & sainte sacrificature,
pour offrir sacrifices spirituels : vous estes la generation
esleuë, la sacrificature Royale, la gent
sainte, le peuple acquis, afin que vous annonciez
les vertus de celuy qui vous a appellez : soyez
donc subiets à toute creature humaine, pour l’amour
de Dieu, soit au Roy comme au Superieur,
soit aux Gouuerneurs comme à ceux qui sont
enuoyez de par luy à la vengeance des mal-faicteurs,
& à la loüange de ceux qui font bien. Admone
illos principibus, & potestatibus subditos esse,
dicto obedire, dit S. Paul écriuant à Tite : mais se
peut-il voir quelque chose de plus pressant sur
ces matieres là que ce qu’il escrit aux Romains

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au commancement de son treiziéme chapitre.
Toute personne soit sujetté aux puissances superieures :
car il n’y a point de puissance sinon de
par Dieu, & les puissances qui sont, en sont ordonnées ;
c’est pourquoy qui resiste à la puissance,
resiste à l’ordonnance de Dieu, & ceux qui
resistent à l’ordonnance de Dieu, seront damnez
éternellement par leur faute.

 

Voyez de grace quand il dit toute personne,
si les Euesques, les Archeuesques, les Cardinaux,
& mesmes les Papes sont du nombre des personnes,
& si ces Messieurs-là ne sont pas aussi obligez
d’obeïr aux Commandemens de Dieu que le reste
des hommes. Iusques à ce qu’ils m’ayent fait
voir qu’ils ne sont pas compris sous des loix qui
parlent à tout le monde, ie croiray pourtant
qu’ils y sont obligez, & qu’il n’y a ny caractere,
ny condition qui les puisse exempter d’estre iugez
criminels, lors qu’ils en auront fait le pourquoy,
par ceux qui doiuent iuger toute sorte de
personnes, sans auoir égard ny à la condition des
vns, ny à la dignité des autres. Dieu s’expliquant
sur ces matieres là, par la bouche de son admirable
Legislateur Moyse, dit que celuy qui ne
veut pas obeïr au Iuge, iugeant selon la loy doit
estre mis à mort à l’heure mesme. Quoy, vous
voudriez appeller du iugement de ceux que
Dieu met au rang des Dieux, & au iugement de
qui il s’est voulu soubmettre luy mesme iusques

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à la mort, quoy qu’il fust sans peché, comme
estant impecable : Non haberet potestatem aduersum
me vllam, nisi tibi datum esset de super, dit cét
adorable Sauueur répondant à Pilate, lors qu’il
luy disoit qu’il auoit pouuoir de le iuger à la
mort, ou de luy donner la vie. Enfin Iesus Christ
bien loin de se vouloir soustraire de la iurisdiction
d’vn luge seculier & payen, il declare hautement
qu’il a vn pouuoir absolu du Ciel de le
iuger comme les autres hommes. Et pourquoy ?
parce qu’il est ne Iuif, & parce qu’il est subjet de
l’Empereur, ainsi que tous ceux qui viuent sous
la domination de son Empire.

 

De grace, Messieurs les Prelats, & Messieurs
les Pontifes, estes vous de meilleure maison que
le Fils de Dieu, ou estes-vous plus sacrez que luy,
& plus auant dans les dignitez Ecclesiastiques.
Puis qu’il est le Roy, le Monarque, le Seigneur
absolu, le Fondateur, la Pierre angulaire, & le
Chef essentiel de toute l’Eglise Catholique, Apostolique
& Romaine. Estes-vous plus que les
Apostres, & que les Pontifes. Saint Paul n’a-t’il
pas reconnu Felix & Portius Festus pour ses Iuges.
Apres que le President eut fait signe à cét
illustre Docteur des Gentils, de répondre aux
accusations qu’on luy faisoit : ne dit-il pas qu’il
repondroit de meilleur courage, sçachant bien
qu’il y auoit plusieurs années qu’il estoit Iuge
de la nation Iuifue. Et au chapitre suiuant ne dit

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il pas encore à Festus qu’il vouloit estre iugé deuant
Cesar puis qu’il assistoit au siege ? Ad tribunal
Cesarius sto, ibi me oportet iudicari, dit ce grand
vaisseau d’election, à celuy qui vouloit qu’il fut
appellant de la sentence de son veritable Iuge.
Il ne disoit pas comme nos Ecclesiastiques d’auiourd’huy
qu’il ne deuoit pas répondre deuant
vn luge seculier, quoy qu’il fut sans comparaison
bien plus esleué qu’ils ne sont pas dans les
dignitez Ecclesiastiques. Voyez, Messieurs les
Prelats qui abandonnez le seruice de Dieu, pour
esleuer le throsne de vostre ambition demesurée
sur la ruine des Estats & des Monarchies, si vous
estes plus éclairez, plus innocens, & plus priuilegiez
que cette lumiere Euangelique ? Voyez si
les actions du Fils de Dieu, & les humilitez de ce
grand saint, ne vous doiuent pas seruir de regle,
si vous n’auez point vne creance contraire à celle
que vous faites semblant de professer, pour attraper
le benefice.

 

Et quoy que nous ayons desia fait mention
dans nos Apophtegmes de l’esprit de Verité, de
quelques exemples que nous allons mettre icy,
nous ne laisserons pas de les repeter encore vne
seconde fois en faueur de ceux qui n’ont pas leu
cette autre piece.

Abiathar Souuerain Pontife, ne fut-il pas priué
du Pontificat par Salomon, pour auoir voulu
attenter à sa personne ? Constantius fils de l’Empereur

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Constantin le Grand iugea bien, & punit
encore de plus le Pape Liberius, pour n’auoir pas
voulu condamner Athanase Euesque d’Alexandrie :
L’Empereur Iustinien fit bien faire le procez
au Pape Siluerius, pour auoir fauorisé les
Goths contre sa Maiesté Imperial.

 

Mais laissons-là les Papes quoy qu’il y en ait
beaucoup qui ont esté iugez par les Iuges seculiers
des Roys & des Princes ; reuenons aux Euesques
& aux Cardinaux, qui se meslent des affaires
des Souuerains de la terre.

Le Cardinal du Prat fut fait prisonnier par François
I. pour auoir eu quelques intelligences auec
les ennemis de cette Couronne.

Henry III. fit bien tuer le Cardinal de Guise,
& arrester prisonniers le Cardinal de Bourbon
& l’Archeuesque de Lyon, pource qu’ils troubloient
tous ses Estats, & parce qu’ils portoient
ses subjets à se rebeller contre luy, & à se tirer de
l’obeïssance qui luy estoit deuë.

Gilles Archeuesque de Rheims, ne conspira-t’il
pas contre la vie de Childebert Roy de Mets
son Souuerain Seigneur, ne procura-t’il pas la
perte du Roy & du Royaume de Bourgogne en
faueur de Chilperic & de Clotaire ?

Ebbon Archeuesque de cette mesme ville,
quells attentats ne commit-il pas contre Louys le
Debonnaire, tellement saint qu’il fut quelque
quarante iours Durant, sans viure de quoy que

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ce fut, que de la sainte Eucharistie ? Il le calomnia,
il l’excommunia, il le chassa de l’entrée de
son Eglise, il le mit au rang des penitens publics,
& finalement il le dépoüilla de sa Couronne.

 

Le Cardinal de Pelué Archeuesque de Sens
ne se rebella-t’il pas contre Henry IV ?

Gontran Roy d’Orleans ne fut-il pas contraint
de faire faire le procez à Salonie Archeuesque
d’Embrun, & à Sagitaire Euesque de Gap pour
crime de leze Maiesté ?

Ganelon Archeuesque de Sens, ne se reuolta-t’il
pas contre le Roy Charles le Simple son Souuerain
Seigneur, & ne voulut-il pas liurer sa personne
& ses Estats à Louys Roy de Germanie
pour le rendre maistre de la France ?

Genebrard Archeuesque d’Aix ne fut-il pas
declaré atteint & conuaincu du cas de crime de
leze Maiesté, pour auoir composé vn liure contre
Henry IV. & pour auoir voulu faire souleuer
la Noblesse & le Clergé de Prouence contre le
Roy, tant il auoit dessein d’attenter à l’Estat & à
sa personne ?

Pierre Euesque d’Antioche fut chassé de son
siege, & degradé de sa dignité par Zenon d’Orient,
pour sa mauuaise vie.

Irenée Euesque de Tyr fut depossedé de son
Euesché, par Theodose & Valentinien, parce
qu’il auoit deux femmes.

Chilperic premier, fit faire le procez à Chartier,

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Euesque de Perigueux, pour auoir escrit
contre ce Prince.

 

Clotaire II. fit proceder criminellement contre
Lendemon Euesque de Sion, pour auoir conspiré
contre sa personne.

Louys le Debonnaire fit mettre Theodulphe
Euesque d’Orleans en prison pour auoir conspiré
contre sa Maiesté en faueur de Bernard Roy
d’Italie.

Hincmar Euesque de Laon fut declaré criminel
de leze Maiesté, pour auoir conspiré contre
Charles le Chauue.

Estienne Euesque de Paris, fut accusé d’estre
infidelle à Louys le Gros, & pour cela il fut chastié
de sa temerité & de son impudence.

Philippe Auguste surnommé Dieu donné, fit
bien donner vn Arrest contre Manasses Euesque
d’Orleans.

Pierre de la Breche Euesque de Bayeux, fut
bien condamné par Arrest du Parlement a estre
pendu & estranglé, pour auoir communiqué
les secrets de l’Estat au Roy d’Espagne, & pour
auoir tenu la main à la mort du Prince Louys,
fils aisné de Philippe III.

En l’an 1486. l’Euesque de Perigueux & l’Euesque
de Montauban furent accusez, conuaincus,
& condamnez pour crime de leze Maiesté,
par des Commissaires à ce deputez de la part du
Roy Charles VIII.

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En l’an 1549. l’Euesque d’Agen, & l’Euesque
de Besiers furent bien iugez pour mesme crime.

Claude de Xaintes Euesque d’Eureux fut bien
puny pour auoir soustenu que le parricide commis
en la personne de Henry III. auoit esté iustement
attenté, & qu’il estoit permis d’en faire autant
à Henry IV.

Guillaume Roze Euesque de Senlis, fut bien
condamné à faire amende honorable dans la
grande Chambre du Palais, pour auoir voulu
trauerser les affaires de Henry IV.

Enfin le nombre des Ecclesiastiques qui ne se
sont iamais portez qu’à mal faire est si grand,
que ie ne sçay si vn trauail de dix années de temps
suffiroit pour en décrire la vie.

Iugez apres cela si l’on doit souffrir que les
Ecclesiastiques abandonnent le seruice de Dieu
pour esleuer le thrône de leur ambition sur la
ruine des Estats, & sur la disgrace des Princes.
Ce sont de ces idolatres de l’ancienne Loy, qui
n’auoient iamais que le veau d’or dans la pensée.
Où s’ils ont d’autres diuinitez, ce ne sont que celles
du faste, de la pompe, du crapule, & de la
libidination ; en faueur de qui ils n’ont que des
encensemens tous nouueaux, & des offrandes
toutes extraordinaires. Point de foy ny de fidelité
ny pour Dieu ny pour leur Prince : & ils ne
font semblant d’en auoir pour l’Eglise & pour le
Pape, desquels ils se disent estre les creatures,

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que pour s’exempter de toute la iurisdiction des
Princes : de l’abaissement desquels ils bastissent
& entretiennent toute leur grandeur, laquelle
n’a nul fondement, ny dans les Canons ny dans
les Conciles, ny dans l’Escriture Sainte. A quel
propos est-ce donc qu’vn Cardinal aura le maniment
des affaires d’vn Estat, ou la Charge du
Royaume de France, veu qu’il s’est assuietty par
vn serment qui luy doit estre inuiolable, s’il a
tant soit peu vn grain de foy, à vn Pontife, qui le
plus souuent sera mille fois plus Espagnol que
François : plus ennemy mortel de cét Estat que
de l’enfer : & par consequent tres zelé pour le
seruice de ceux dont les interests sont tres-mal
accordans auec ceux de cét Empire.

 

Outre cela, comment est-ce qu’on pourroit
contraindre vn homme, qui tient n’estre responsable
de pas vne de ses actions deuant aucun Iuge
seculier, à rendre compte du gouuernement des
Finances, quand il les auroit toutes volées, lors
qu’il seroit question de le luy faire rendre ; puis
qu’il pretend que son priuilege de Clericature
seul est capable de le mettre à couuert de toutes
les violences qu’on luy sçauroit faire ? Le Roy
Iean fils aisné de Philippes de Valois, pourueu
d’vn tres bon Conseil fit oster les sceaux & le
maniment de toutes ses affaires à Desdormans
son Chancelier, sitost qu’il eut le Chapeau de
Cardinal sur la teste Les Venitiens ne voudroient

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pas souffrir pour quoy que ce fust qu’vn Ecclesiastique
eut mis le nez dans les affaires de leur
Republique.

 

Et pour vous faire voir que ces gens là ne
croyent point du tout en Dieu ny en son Eglise ;
combien de Conciles & de Canons leur deffendent-ils
de se mesler des affaires prophanes : des
negoces des seculiers : & principalement du fait
de la guerre, où il y va de la ruine de plusieurs
Estats ; de la mort d’vn nombre infiny de personnes,
du violement & du bruslement de tout vn
monde. Cela ne se peut faire sans sacrileges, sans
profaner les Temples, sans démolir les Autels,
sans couurir toutes les campagnes de sang, sans
abolir le culte que nous deuons à Dieu, & sans
deshonorer tout à fait le Ministeriat Apostolique,
pour l’establissement duquel Iesus-Christ a
souffert tant de martyres.

Et après cela vous voulez que ie croye que
ces Ecclesiastiques sont des Ministres de Dieu,
puis qu’ils font plus de mal que tous les diables
ensemble ne sçauroient faire ? Vous croyez que
l’on doit de la veneration à des demons incarnez,
& à des ames reprouuées depuis le commencement
des siecles ? Vous voulez apres cela que des
Prestres ou des Ecclesiastiques de cette nature
soient des Vicaires de Iesus-Christ : des Moyenneurs
entre Dieu & nous, & qu’ils puissent consacrer,
sacrifier, & absoudre, aussi bien que ceux

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que Dieu a appellez à cette dignité sacrée depuis
cét instant qui nous sera éternellement incomprehensible :
Vn ennemy mortel de Dieu & des
hommes : vn monster qui est en horreur au Ciel
& à la terre : vn esclaue de toutes les puissances
infernales : Vne creature à la quelle il ne reste aucune
semblance de son Createur, & qui par ses
déportemens s’est renduë indigne de ses graces :
Vn Lucilio Vaninus qui crucifie Dieu mille fois
le iour, pourra faire nostre salut, cependant qu’il
ne fait que se rendre abominable à celuy sans lequel
il ne sçauroit faire ny le sien ny le nostre.

 

L’Ordre & le Charactere de la Prestrise ne se
donnent qu’au sujet que l’on suppose en estre digne :
car certainement si l’on croyoit qu’il en fut
indigne on ne le luy donneroit pas ; c’est pourquoy
ie doute si en conferant l’vn & l’autre à vn
tres abominable pescheur ils luy sçauroient estre
bien conferez ; puis que la dignité & l’indignité
sont d’vne nature tout à fait incompatible. Neanmoins
l’Eglise nous commande de croire, sur peine
de peché mortel, qu’il s’imprime quelque
chose d’inuisible & de permanent, qu’on appelle
Charactere spirituel, oútre la grace des autres
Sacremens en l’ame de celuy qui reçoit l’Ordre
de Prestrise, qui ne se peut iamais effacer d’vne
fois qu’il y est empraint : parce qu’il se donne en
faueur de tous les Chrestiens & de tout le Christianisme,
& non pas en faueur de ceux qui le reçoiuent.

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Mais ie dis aussi en receuant cela qu’il faut
qu’ils reçoiuent quelque chose qui les esleue au
dessus des autres hommes, & qui les fasse ressembler
à Iesus-Christ beaucoup mieux que nous,
par quelque vertu toute spirituelle, s’ils ne veulent
pas que ie doute de leur veritable vocation,
dans vn Ministere de si haute importance. Nous
ne reconnoissons la nature des causes que par la
nature des effets qu’elles produisent.

Le Roy Charles VI. ne sceut iamais auoir raison
des sommes immenses que le Cardinal d’Amiens
luy auoit volées ; parce qu’il se retira à
Rome auec tous ses larrecins : & le Cardinal
Balue n’en eut il pas fait autant, si le Roy ne l’en
eut empesché en se saisissant de sa personne ? Le
Cardinal d’Yort ne vola-t’il pas tous les thresors
du Roy d’Angleterre pendant son Ministere ? Le
Cardinal de Transsyluanie ne rauit il pas ce
Royaume là à la Crestienté par son ambition demesurée ?
Outre cela, il est expressement deffendu
parles loix & par les Ordonnances, de souffrir
iamais aucun debteur ny aucun comptable
à la Republique ou au Domaine du Roy, dans
l’administration des affaires, que premierement
il n’ait rendu ses comptes, & payé s’il est en reste
de quelque chose.

Henry II. fut contraint de faire rendre compte
à Messieurs de Guyse de l’administration
qu’ils auoient euë des Finances de France, quoy

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que ce fut le plus benin & le plus souffrant Prince
du monde : mais s’estant aperceu où l’auoit conduit
l’ambition demesurée de ces gens-là, il se
resolut à cette poursuitte. C’estoit aussi par où
il deuoit commencer, s’il vouloit suiure le droit
chemin qui conduit les Princes à l’amour de ses
subjets & qui les fait regner sans crainte.

 

Mais pour remedier à tous ces desordres, il
faudroit que le Roy fit faire vn Edict, comme fit
Henry II. en l’an 1560. où il fut dit que tous les
Prelats, Euesques, & Diocesains resideroient en
leurs Eueschez & en leurs Diocezes, sur peine
d’estre declarez rebelles aux Ordonnances de sa
Maiesté, & d’estre poursuiuis comme perturbateurs
de la felicité publique.

Mais que font-ils encore dans leurs Eueschez
& dans leurs Diocezes ? au lieu de catechiser leurs
parroissiens, & de leur prescher les Misteres de
nostre Redemption : au lieu d’instruire les peuples
& de faire dignement la charge qu’ils occupent,
ils ne leur parlent que de payer les dixmes,
& les offrandes, ils ne s’entretiennent que de festins
& de promenades, de ieux & de paillardise,
de chasser & de paroistre, de traiter l’vn & de festiner
l’autre : d’auoir quantité de domestiques,
des chiens & des cheuaux, & de mille autres diuertissemens
de cette nature, sans auoir aucun
soin des pauures de qui ils prodiguent le bien
auec des voluptez incroyables.

-- 22 --

Ie ne m’estonne pas apres cela si Dieu se courouce
contre eux, & si pour les humilier, sa diuine
bonté les expose à la risée des peuples.

C’est pourquoy vn Edict non seulement pour
les faire resider dans leurs Diocezes : mais encore
pour la reformation de leur vie, ne seroit pas mal
necessaire, à cause du mauuais exemple qu’ils
donnẽt aux veritables croyans, aussi bien qu’aux
heretiques, sur peine d’vne équitable impetration
de leurs benefices.

Certainement si les Roys veulent estre aymez
de leurs subjets, & satisfaire au commandement
de Dieu, & retenir les peuples dans vne parfaite
obeїssance, il faut qu’ils reglent la vie des mauuais
Prelats, qu’ils écoutent les plaints des miserables
oppresses, & qu’ils chassent toutes ces
sangsuës publiques de leurs Royaumes. Ils ne
sont Roys que pour cela, & s’ils ne le font pas ils
se rendent indignes des graces que Dieu leur a
faites, & l’obligent quelquefois à transferer ces
mesmes graces en d’autres familles, ainsi qu’il se
peut voir dans les decrets de sa prouidence infinie,
& ainsi mesme qu’il est arriué quelquesfois
en France.

Il est vray qu’il n’y a point de lien qui retienne
si puissamment les subjets dans la parfaite obeïssance
qu’ils doiuent à leur Souuerain, que la pureté
de la Religion à la quelle on les fait viure, qui
n’est autre chose que de bien connoistre Dieu,

-- 23 --

& se porter humblement à faire ce qu’il commande.
Et parce que ce lien est dénoüé tant par
la malice des Ecclesiastiques, que par l’ignorance
de ceux qu’ils deuroient instruire, il est necessaire
d’y mettre quelque ordre, si nous ne voulons
encore attirer l’ire de Dieu sur nous, qui semble
menacer toute la France d’vne grande ruine.
Car qui a iamais veu l’Estat & l’Eglise plus persecutez
qu’ils sont, le premier par les diuers partis
qui s’y sont formez, & l’autre par la diuersité des
interpretations que chacun donne à sa mode, &
à la parole de Dieu & au sentiment des peres. Et
d’où vient tout cela ? c’est que Messieurs les Ecclesiastiques
sont les premiers qui se laissent aller
aux erreurs, qui viuent mal, & qui n’ont ny zele
pour Dieu, ny amour quelconque pour ses creatures.
C’est que la plus grande partie ne sont que
des ignorans, des libertines, & des idolatres du
seul benefice.

 

Enfin pour remettre les seculiers & les Ecclesiastiques
dans le veritable chemin de bien faire,
il faudroit assembler vn Concile general, ou du
moins vn Concile national, tant pour reformer
les mœurs des Clercs que des Laїcs, que pour
remettre la verité Chrestienne hors de controuerse,
ainsi qu’on faisoit tous les ans en France
depuis le commencemẽt du Roy Clouis iusques
au Roy Charles VII. & mesme encore quelquefois
du depuis, ainsi qu’il se peut voir par l’Histoire.

-- 24 --

Il n’y va pas moins en cela que de nostre
salut, & de la conseruation de tout le Royaume.
Et cela se deuroit faire sans épargner les Italiens
qui occupent la troisiesme partie des benefices
de France, qui ont des pensions infinies dessus :
qui s’approprient nos meilleurs reuenus : & qui
se mocquent de la simplicité auec laquelle nous
leur laissons suççer tout nostre sang, ainsi qu’à
des estranges sangsuës. En l’an 1561. sous le regne
de Charles IX. Monsieur le Chancelier deliura
des Lettres Patentes, par lesquelles il estoit fait
commandement à tous les Prelats de se tenir en
leurs Diocezes, ou autrement que l’on confisqueroit
leurs meubles : & le Parlement de Paris
les condemna à vuider la ville dans vn certain
temps, sur peine d’y estre contraints, & de voir
mettre leurs meubles au beau milieu de la ruë.

 

En l’an 1560. ne futon pas contraint de representer
au Roy François II. que les Euesques n’auoient
aucune crainte deuant les yeux, de rendre
cõpte à Dieu du troupeau qu’ils auoient en charge :
& que leur plus grand soin n’estoit que de s’ẽ
parer du biẽ de l’Eglise pour en abuser en de folles
& en des scandaleuse despenses ? tellement
qu’on en auoit veu quarante ou cinquante resider
à Paris, pendant que le feu s’allumoit en leurs
Dioceses. En mesme temps on voyoit donner les
Eueschez à des ignorans & à des debauchez, incapables
de pouuoir faire leur charge, si biẽ que

-- 25 --

les sots & les meschans, estoient par ce moyen là
les maistres des biens & des dignitez Ecclesiastiques :
Ainsi le Christianisme estoit aux abbois, &
les Chrestiens à l’agonie. Les Curez ignorans, auares,
& occupez à toute autre chose qu’à leur
charge, auoient esté pour la plus part pourueus
de leurs Cures par des moyens illicites.

 

Les Cardinaux & les Euesques, ne font pas difficulté
de donner les Benefices qu’ils ne peuuent
pas garder pour eux, à leurs Maistre d’hostel, & à
leurs valets de chãbre, à leurs cuisiniers & à leurs
laquais, se rendant par ce moyen là odieux, & à
Dieu & aux hommes, & remplissant les dignitez
de l’Eglise d’vn nombre infiny de personnes indignes.
Si bien que Dieu irrité contre ces Demons
empourprez, semble preparer leur ruine,
par les mesmes moyens dont il se seruit quand il
voulut renuerser la grandeur du Royaume des
Iuifs, & les liurer à la mercy de la tyrannie estrangere.

La dissolution des Ecclesiastiques fut cause de
la naissance des heresies, il n’y a donc que la reformation
qui les puissent esteindre, contraria contraijs
curantur, dit le Maistre de l’Eschole : C’est
pourquoy si vous vous estes autrefois laissés vaincre
à vos ennemis, tachez de les defaire presentement
auec les armes de l’amour de Dieu & de la
charité Chrestienne, la bonne vie persuade bien
mieux que le discours, & le tranchant de l’espée

-- 26 --

ne sert à l’esprit que pour faire perdre le corps &
l’ame tout ensemble. La harangue qu’vn nommé
l’Ange fist en la premiere conuocation qui
fut faite des trios Estats, en l’an 1591. portoit qu’il
y auoit trios vices extremement dangereux qui
pulluloient entre les Ecclesiastiques, qui estoiẽt,
l’ignorance, l’auarice, & la pompe ou superfluë
despence de cette inuenerable troupe Sacrée, en
chiens, en cheuaux, en seruiteurs & en bonne
chere : Mais ie trouue qu’ils ont bien augmenté
du depuis, & qu’on y peut bien adiouter presentement
sans mantir, le crapule, la libidination,
& l’Atheisme, qui ne sont pas vices de petites impartance.

 

Quand à l’ignorance, disoit-il en continuant,
commençant depuis ceux qui tiennent les plus
hautes dignitez de l’Eglise iusques aux plus petites,
ie trouue qu’elle est si visibles à toute sorte
de personnes, qu’il est impossible qu’on la puisse
reuoquer en doute : & cette ignorance n’est pas
seulemẽt la mere de toutes les erreurs qui se sont
glissées dans la Religion : mais elles en est encore
de plus la veritable nourrice. Les anciẽs Decrets,
& les anciennes constitutions de l’Egise y auoiẽt
voulu donner ordre, non seulement par des bõnes
ordonnãces : mais encore par des nouueaux
soins, en mettant des nouueaux Officiers en chaque
Eglise Cathedrale, & en chaque Eglise Collegiale,
neanmoins cela n’empescha pas que les

-- 27 --

Ecclesiastiques ne fussent aussi ignorans que de
coustume : tellement que leurs mœurs corrompus
leur auoient donné vn tel desdein du Ministere
où ils estoient appellez, qu’il sembloit que
ce fut vne chose honteuse & contre la dignité Ecclesiastique
que de prescher, ou que d’enseigner
les peuples. En prenant exẽple sur les plus grands,
les simples curez en vouloient faire de mesmes,
ou s’ils le faisoient lors qu’ils y estoiẽt contraints,
c’estoit auec des discours du Ricochet, qui sentoient
plus l’esprit mal edifiant, que le Pasteur
bien raisonnable.

 

Le luxe & l’auarice ne sont pas moins esclatans
parmy eux que l’ignorance. Au Concile de Carthage
qui fut tenu sous le Pape Innocẽt premier
de ce nom, il y fut ordonné que les Euesques auroient
vne petite loge garnie d’vn pauure mesnage,
pres l’Eglise, & que là ils viuroient petitement :
& nous les voyons auiourd’huy auec des
suittes qui font honte à celle des premiers Roys
de Frãces. Nous en auons deux parmy nous sans
les nommer de peur de scandaliser personne, dõt
l’vn ne conte ses reuenus que par des millions, &
l’autre ne les admire que par les profusions des
seruices qu’on luy fait à table. Et ce bien là Messieurs
les Prelats vous a esté donné pour aller
du pair auec les Souuerains ? c’est ce qui vous
trompe, il vous a esté donné pour le manger auec
les pauures en faueur de qui il a esté donné,

-- 28 --

& non pas auec des personnes qui sont le plus
souuent de meilleur maison que vous ne sçauriez
iamais estre, & qui ne vous en sçauroient auoir
aucune obligation en vous faisant l’honneur
de vous faire la Cour & de se trouuer à vostre
ordinaire le ne veux pas dire qu’il y en a
quelque fois quelques vns qui tachent de viure
en ce faisant, du bien que leurs peres, trop pieux
en cela, leur ont osté, pour donner à des Prelats,
qui l’employent à des fins bien esloigneés des
intentions du Fondateur, qui en a despoüillé sa
famille.

 

Oüy certes, les Roys Childebert, Pepin,
Louys VII. Dagobert, S. Louys, Robert, Philippes
le Bel, Charlemagne, Philippes de Valois,
auec la plus grande partie de la Noblesse de
France, extremement zelez pour l’accroissement
de la Religion Catholique Apostolique
& Romaine, & qui à iuste titre ont remis les Papes
dans leurs sieges, ont fondé tant d’Eglises
& de Monasteres, & ont fait tant de dons à l’Eglise
ou pour mieux dire aux Ecclesiastiques,
qu’ils en ont ruiné & dissipé tous les patrimoines
de leurs enfans : & qui pis est encore, ils leur
ont baillé les charges & les dignitez de la iusti-
dont la plus part en abusent en telle sorte que
la Noblesse n’a plus moyen d’aller seruir le Roy
dans les occasions de la guerre : & dans l’extremité
où elle se trouue reduitte, elle est contrainte

-- 29 --

de faire la cour à des potirons esleuez en vne
seule nuict, pour viure du bien qu’on leur a osté,
afin d’en engraisser ces ennemis de Dieu & des
hommes.

 

Ie sçay bien, Messieurs, que ces veritez
vous paroistront odieuses : mais sçachez s’il vous
plaist que le temps est venu, qu’il faut que nous
preschions ceux qui deuroient prescher aux autres,
& puis que vous entreprenez de faire nostre
charge, ne trouuez pas mauuais que nous entreprenions
de faire la vostre, le droict de l’vn & de
l’autre estant du moins reciproque en cela. Et ie
trouue qu’il n’est pas si estrange de voir prescher
vn seculier, puis que tout le monde est obligé de
trauailler à la vigne du Seigneur, que de voir vn
Ecclesiastique abandonner le seruice de Dieu
pour s’embarasser dans les affaires des hommes,
contre le vœu & le serment qu’il en a fait à tous
les deux ensemble.

Cela n’est-il pas de bonne grace, de voir qu’vn
Prelat qui s’est du tout consacré à Dieu ne songe
qu’à plonger ses mains dans le sang de ceux en
faueur de qui Iesus-Christ s’est exposé à la mort
pour leur donner la vie ? Ne sçauez vous pas bien
que Dieu vous deffend de tremper vos mains
dans l’ame de vos freres, sur peine d’estre damnez
d’vne damnation eternelle ? Ne sçauez-vous pas
que Dieu venge la mort de ses seruiteurs, & principalement
celle des innocens contre leurs homicides ?
Et parce que vous auez esté des preuaricateurs

-- 30 --

de la loy de Dieu, & parce que la perte
de ces pauures innocens a esté trouuée en vos
aisles, ou pour m’expliquer auec le Prophete
Royal Dauid en vostre protection, vous serez
aussi bien priuez de la celeste Hierusalem, que
vous auez esté priuez de la grace, parce que le Seigneur
a dissipé toute la confiance que vous pouuiez
esperer en sa misericorde. Quis est in vobis,
qui claudat ostia, & incendat altare meum gratuito ?
Non est mihi voluntas in vobis, dicit Dominus exercitum :
& manus non suscipiam de manu vestra. Il faut
donc de necessité necessitante, que le Prelat laisse
toutes les affaires des hommes, aux seculiers,
s’il veut estre sauué, afin de pouuoir plus dignement
vaquer aux affaires de Dieu & de son Eglise.
Il faut donc pour cela qu’il songe à bien prier
Dieu, & non pas qu’il s’embarasse des affaires
temporelles du monde : Il faut donc qu’il viue en
sorte qu’il tasche de ne scandaliser personne, &
qui au lieu de moyenner la paix entre les Princes
Chrestiens, il ne songe pas à les embarasser de
guerres ciuiles : Il faut qu’il ne communique
point aux pechez d’autruy : & qu’il se contente
des premices qu’on a destinez au Sanctuaire des
Prestres, qui est vne oblation que sa diuine Maiesté
commanda aux Iuifs de leur faire tous les
ans. La premiere se faisoit le lendemain de Pasques
d’vne gerbée des premiers espics, sur le
commencement des moissons : La seconde se
faisoit cinquante iours apres au iour de la Pente-coste,

-- 31 --

de deux pains de bled nouueau, & de quelques
sacrifices sanglants : & la troisiesme se faisoit
apres le quinziéme iour de Septembre des premiers
fruicts du froment, d’orge, de raisins, d’oliues,
de grenades, de figues, & de dattes : & si
Dieu veut que cette Ordonnance soit perpetuelle
en toutes leurs demeures, & en toutes leurs
generations : si il veut que quand ils moissonneront
les terres qui sont à eux, qu’ils ne scient pas
tout & qu’ils en laissent vne partie pour les estrãgers
& pour les pauures.

 

Les Leuites qui estoient les veritables Prestres
dediez au seruice de Dieu, n’auoient point
de possession, parce que cet adorable Seigneur
estoit leur veritable heritage. On leur donnoit
seulement les sacrifices & les oblations des Hosties
& des victimes, pour leur subsistance. Ezechias
en constituant les ordonnances sacerdotales
veut qu’on leur donne les dixmes afin qu’ils
puissent mieux vacquer au seruice de Dieu & de
son Eglise. Et si encore auec tout cela Dieu ne
veut pas que ceux qui auront la moindre tasche
du monde approchent de ses Autels ny qu’ils luy
offrent aucun sacrifice. Audite hoc sacerdotes, quia
vobis iudicium est, quoniam victimas declinastis in profundum,
c’est pourquoy prenez garde à vous car
vous trébucherez en vostre iniquité au iour de
la desolation vniuerselle. Ie vous auois choisis
pour seruir de sentinelle sur la maison d’Israël :
mais au lieu de sauuer le troupeau, vous l’auez

-- 32 --

porté dans le precipice. Ne sçauez-vous pas bien
qu’il faut que l’Euesque soit irreprehensible, sobre,
prudent, modeste, chaste & propre à enseigner,
point auaricieux de peur qu’il ne tombe en
la condemnation du Diable. Qu’il faut qu’il ne
s’embarrasse point du tout dans les affaires seculieres
& qu’il ne se destourne pas pourquoy que
ce soit de faire sa charge. Celuy qui gardera mes
commandemens, & mon alliance, dit la parole
eternelle, ie luy donneray vn nom eternel & le
resiouiray en la maison de mon oraison, ses Holocaustes
& ses oblations ne seront parfaitement
agreables sur mes Autels, parce que ie veux que
ma maison soit appellée la maison de prieres par
tous les peuples de la terre : mais tous ces ignorans
& tous ces chiens muets, qui ne sçauroient
aboyer pour ma gloire, qui dorment dans les vanitez
de la terre & qui ne se repaissent que de
choses perissables : Et tous ces pastures qui mesprisent
l’intelligence des misteres de leur salut &
du salut de leur troupeau, & qui par vn abominable
aueuglement, se plongent dans vn nombre
infiny de vices, il faut qu’ils s’asseurent d’estre
consacrez à la deuorante rigueur des feux eternels,
pou la satisfaction de leurs crimes. Voila
vne prodigieuse condamnation d’vn iugement
sans appel & vn iuge sans reproche, & si Messieurs
les Prelats qui se meslent des affaires du
monde ne trembleront pas pour cela, ny ils n’en
feront pas vne meilleure vie. Mais s’ils ne le font

-- 33 --

point, le Roy, comme Lieutenant de Dieu en
terre, y doit employer la main de sa Iustice, à l’imitation
du Roy Hesechias, comme nous auons
desia dit, qui obligea tous les Ecclesiastiques à
bien faire le deu de leurs charges, en ordonnant
des prouisions pour ceux qui vacqueroient à la
lecture de l’Escriture saincte.

 

L’assemblée que le Roy Charles VII. fit faire
à Bourges, & celle que le Roy Louis XI. fit faire
à Orleans, ne furent faites que pour cela : & ie
trouue que Philippes le Conquerant pour auoir
banny les Iuifs de ses Estats, & fait la guerre aux
Albigeois : ny Louis VI. pour auoir secouru le
Pape Gelase, le Pape Paschal, le Pape Calixte &
le Pape Innocent, contre Henry IV & Henry V.
Empereurs d’Occident, ne doiuent pas estre
plus loüez pour cela, que Charlemagne, Louis
le Debonnaire, Constantin, & Guillaume Duc
de Normandie, pour auoir reformé l’Estat des
Ecclesiastiques ; attendu que ceux-cy trauailloient
plus, s’il me semble, pour la gloire que les
autres.

Le reglement des Prelats se peut faire en les
contraignant de demeurer dans leurs Dioceses ;
en leur reglant leur dépense, en les obligeant à
distribuer le surplus aux pauures, en les exerçant
à la Predication, & en ne donnant iamais les Benefices
qu’à des hommes tres sçauans & tres-renommez
par la sainteté de leur vie. Qui sunt authores
& causa malorum Pastorum participes erunt pœnarum

-- 34 --

quas ipsi mali Pastores in stricto Dei iudicio patientur.
Si Dieu impute les fautes des mauuais Pasteurs
à ceux qui sont cause des maux qu’ils font,
pour les auoir éleuez à des charges dont ils
estoient indignes ; ie vous laisse à penser de ce
qu’il fera contre ceux qui les font estans reuestus
d’vne dignité qui surpasse celle des Anges. Ouy
certes, il n’y a point de Roy qui ne soit obligé
d’en respondre deuant Dieu, s’il ne fait pas tout
son possible pour y mettre l’ordre.

 

Allez, dit Iesus-Christ, parlant aux Eccclesiastiques
en parlant à ses Apostres : Preschez, guerissez
les malades, & nettoyez les ladres, & ne
portez ny or, ny besace par le chemin : car
l’ouurier est digne d’estre nourry. Il ne leur dit
dit pas allez, en dissipant mal à propos le bien
des pauures ; cependant que vous les laisserez
mourir de faim, auec des grandes suittes de cheuaux,
d’hommes & de carrosses, à la Cour des
Princes du monde, pour voir si vous pourrez ruiner
leurs Estats, & tirer iusques à la derniere goute
du sang de leurs suiets, en les accablant d’vn
nombre infiny de guerres tant estrangeres que
domestiques. N’estes-vous pas au nombre de
ceux qui doiuent soigneusement mediter, garder,
obseruer, & enseigner les Commandemens
de Dieu aux enfans des hommes ? N’estes-vous
pas au nombre de ceux qui doiuent plustost
obeïr aux Commandemens de Dieu, que de luy
offrir des sacrifices ? N’estes-vous pas au nombre

-- 35 --

de ceux qui doiuent imiter Iesus-Christ beaucoup
mieux que le reste des hommes ? Le disciple
est-il par dessus le Maistre, & le seruiteur par
dessus son Seigneur ? Ne vous est-ce pas trop
d’honneur d’estre traitez comme celuy qui vous
a creez, & à qui l’on doit toutes choses ? Si les
peuples l’ont appellé Belzebub, luy qui est l’origine
& la source de toutes les Sainctetez ; quel
nom ne donneront-ils pas à des abominables tyrans,
& à des prodigieuses sangsuës publiques ?
Qui me reniera deuant les hommes, ie le renieray
deuant mon Pere qui est és Cieux, dit cét
adorable Sauueur de nos ames. Et ces signes
suiuront ceux qui auront creu en mon nom ils
chasseront les Diables hors les corps des possedez,
& s’ils mettent les mains sur les malades ils
seront gueris à l’heure mesme. Apres cela tastez-vous
le poulx ; & voyez si vous faites-bien vostre
deuoir, en exerçant ce que vous estes obligé
d’exercer par la charge que l’on vous a donnée ?
A l’œuure on connoist l’ouurier ; & voyez encore
vn coup apres cela, si vous remplissez bien la
place de ceux qui doiuent aller prescher l’Euangile
par tout le monde ? Voyez si vous estes au
nombre de ceux à qui il faut cent Benefices, &
cinq ou six cens mille liures de rente, pour les
employer en chiens, en cheuaux, en femmes, &
en bonne chere ?

 

Ne sçauez vous pas bien que vous estes obligez
bien plus que le reste des hommes, en qualité

-- 36 --

d’Ecclesiastiques, d’estre de bonne vie, d’estre
tres sçauans, d’auoir l’esprit détaché des
biens & des honneurs de la terre, & de ne vous
occuper qu’à catechiser, & qu’à prescher la parole
de l’Euangile ? Nul seruiteur, dit Iesus-Christ
parlant aux Pharisiens, ne sçauroit seruir
à deux Maistres, principalement quand les commandemens
de l’vn sont tous contraires aux commandemens
de l’autre : c’est pourquoy vous ne
sçauriez parfaitement bien obeyr aux volontez
de Dieu, & bien obeyr aux volontez d’vne ambition
si prodigieuse que la vostre.

 

Dieu en parlant a vous par la bouche de son
Prophete Osée, preuoyant bien la vie que vous
deuiez faire, ne dit-il pas qu’il vous chassera de
sa sacrificature ; puisque vous auez mesprisé de
sçauoir ce que vous estiez obligez d’apprendre.
Et sainct Paul ne veut-il pas que l’Euesque soit
irreprehensible, propre à enseigner, non conuoiteux
du bien, ayant le secret de la Foy en pure
conscience, se conformant en cela aux Ordonnances
Canoniques : Ne doiuent-ils pas suir
l’ignorance comme la peste ; puis qu’elle est, selon
sainct Isidore, la mere nourrice de toutes les
erreurs des hommes. Sainct Hierôme dit que
l’Office du Prestre consiste, non seulement à enseigner
la parole de Dieu ; mais aussi à refuter &
à contredire tous les sentimens des Heretiques,
ce qui leur est impossible de pouuoir faire, s’ils
ne sont extrémement versez en Philosophie & en

-- 37 --

Theologie. La Philosophie leur donne vne connoissance
certaine, éuidente & scientifique de
tous les estres du monde : & la Theologie qui
est vne science des choses diuines, leur apprend
ce qu’ils doiuent faire pour leur salut & pour le
nostre.

 

Voila, Messieurs les Ecclesiastiques, non seulement
ce que vous deuez sçauoir : mais aussi sçauoir
faire, si vous ne voulez pas qu’à la fin les peuples
lassez des desordres que vous causez en France
ne se sousleuent contre vous, & ne vous chassent
de tout l’Empire François, aussi bien que de
vos dignitez & de vos benefices. Si vous méprisez
Dieu qui est tout bon, nous auons encore
plus de raison de mépriser ceux qui se sont haïe
vniuersellement du Createur & de toutes ses
creatures. Quand les loix sont méprisées : quand
l’ordre est peruerty : & quand la forme est toute
changée, il faut de necessité qu’il arriue du
changement, ou quelque extraordinaire décadence.

La pluspart de ces Messieurs ne font leur charge
que par commission, & l’autre partie n’en font
point du tout, & si qui plus est, ils n’en font rien
faire par personne.

Ils ont des Iurisdictions de haute, moyenne,
& basse Iustice, la moindre desquelles est contraire
à leur profession ; parce qu’elles ne sont
deuës qu’aux Magistrats qui ne doiuent estre
constituez que par le Prince. La Iurisdiction

-- 38 --

porte auec soy vn nombre infiny d’inquietudes
pour les iugemens & pour les biens de la terre ;
& bien souuent connoissance sur la vie & sur la
mort des hommes, à cause de la haute iustice : &
la charge d’vn Ecclesiastique consiste en la contemplation,
en la lecture, en l’interpretation de
l’Euangile, en la Predication, & en l’administration
de tous les Sacremens de l’Eglise necessaires
à tout moment, & à toute sorte de personnes : ce
qu’il luy est impossible de pouuoir mettre en
execution, s’il se veut occuper aux iugemens &
aux decisions des affaires des Princes & des peuples.
La censure Ecclesiastique purement spirituelle
leur doit suffire, ainsi qu’elle est portée
par les Euangelistes. Si ton frere a peché contre
toy, dit le Sauueur de nos ames, va & le reprends
entre toy & luy seul ; s’il t’écoute tu as gagné ton
frere : mais s’il ne t’écoute pas, prends auec toy
deux ou trois personnes : & s’il méprise encore de
t’écouter, dis-le à l’Eglise : & s’il n’écoute pas
l’Eglise, traite-le comme vn payen & comme vn
ennemy de Dieu & des hommes.

 

Iesus-Christ montre bien que les Ecclesiastiques
ne doiuent pas auoir ny aucun territoire, ny
aucune iurisdiction temporelle, lors qu’il dit à
Pilate que son regne n’est point de ce monde, &
lors qu’il dit en S. Luc, que les renards ont leurs
trons, & les oyseaux du Ciel leurs nids : mais que
le fils de l’homme n’a pas où reposer sa teste. Le
droict du glaiue materiel suit necessairement le

-- 39 --

teritoire, ainsi que l’effet suit la cause : C’est
pourquoy Iesus-Christ respondit à celuy qui le
prioit de dire à son frere qu’il diuisast l’heritage
qu’ils deuoient partager ensemble, ô homme !
qui mas constitué iuge ou partageur entre vous ;
comme s’il eut voulu dire que l’Eglise & moins
encore les Ecclesiastiques, ne se doiuent iamais
entremettre d’auoir des possessions, ny de iuger
des heritages des hommes.

 

Doncques vostre puissance, Messieurs les Prelats,
ne consiste qu’à bien prescher, & qu’à bien
viure pour seruir d’exemple, si vous ne voulez
auoir plus d’authorité que Iesus-Christ, ou plus
de liberté que ses Apostres, parce que vous n’auez
reçeu les Clefs du Royaume des Cieux, que
pour reprimer le vice, & non pas pour ordonner
d’aucune peine exemplaire. Si vous me voulez
opposer qu’Ananias & que Saphira furent punis
de mort par S. Pierre pour auoir menty au Saint
Esprit ; ie vous respondray que c’est vne action
miraculeuse & toute extraordinaire de la iustice
diuine, de laquelle on ne sçauroit tirer aucune
consequence pour vn droit ordinaire, non plus
que de ce qui est rapporté par leremie, quand il
dit : Voicy, ie t’ay aujourd huy constitué sur les
gens & sur les Royaumes, afin que tu arraches
& que tu destruises : que tu perdes & que tu subuertisses,
& moins encore des deux glaiues dont
parle saint Luc, attendu que ce n’est qu’vne allegorie
qui ne se peut entendre que spirituellement.

-- 40 --

Et certes il n’y a qui que ce soit au monde
qui puisse tirer vn sens liberal d’vne diction qui
ne peut estre ou qu’allegorique ou que mistique.

 

Que cette authorité de Saint Bernard n’arreste
encore personne quand il dit, remets ton
glaiue dans sa gaine : car ces paroles bien entendues
font plus contre l’Eglise que pour l’Eglise,
car si Dieu ne vouloit pas que le Prince des Apostres
mit l’espée à la main pour deffendre la vie
de son propre fils : à plus forte raison voudra
t’il encore qu’vn ministre qui est en son abomination
l’y mette, pour exterminer la plus grande
partie des enfans de son Eglise.

Il est vray que lors que les Ecclesiastiques se
faisoient considerer par la sainteté de leur vie,
les Princes Chrestiens estoient bien aise de se seruir
de leur conseil pour oster tous les soubçons,
toute la facheuse impression, tout le mauuais
iugement qu’on eût peu faire de leurs maximes,
mais depuis qu’ils se sont tout à fait deprauez :
& qu’ils ont esté soubçonnez d’aspirer à la Monarchie
temporelle, de laquelle Eugubinus,
Bozzius, Carrerius, Bellarmin, & Baronius,
ont amplement escrit ; ces Princes ont bien
fait de les chasser de leurs Ministeres, tant en
paix qu’en guerre.

Voicy deux merueilleux exemples contre ceux
qui employent les biens Ecclesiastiques à vn autre
vsage qu’à celuy à qui ils doiuent estre employez,

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pris de la mesme parole de Dieu, laquelle
on est obligé de donner vne foy inuiolable.
Nadab & Abiu enfans d’Aaron premier Sacrificateur
& Souuerain Pontife, prirent chacun
vn encensoir pour aller encenser deuant le Seigneur :
mais pour y auoir mis du feu qu’il ne faloit
pas, & auoir mesprisé celuy qu’il y falloit
mettre, le mesme feu qu’ils y auoient mis les
consomma à l’heure mesme sur la place. Ananias
& sa femme Saphia, pour auoir voulu frustrer
les autres Chrestiens d’vne partie de l’argent
qu’ils auoient receu d’vne terre, quoy que
ce fut leur propre bien, furent en mesme instant
punis d’vne mort subite. Craignez donc
Ministres infidelles, la colere du Seigneur, afin
que la maladiction dont parle le Prophete Esaye
ne s’accomplisse sur vos pauures ames. Vous
estes bien aise qu’on vous die que vous estes les
bergers du troupeau de Iesus-Christ, qui a esté
rachepté au prix de son sang, & qu’il vous est
permis de vous ayder de son laict & de sa laine :
mais vous ne voulez pas entendre qu’on vous die
qu’en cette qualité de bergers, il vous faudra
rendre compte de toutes les ames qui periront
par vostre faute. Vous bouchez les oreilles à
cette formidable sentence que le berger de tous
les autres bergers a prononcé, Sanguinem eius de
manu tua requiram, dit-il, & si pour celà vous ne
changerez pas de façon de faire. Vous aymez
mieux les biens perissables & mal acquis, que

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les biens perissables. O cœurs endurcis ! dessilez
les veux à ce que vous faites. Empeschez que la
beste de l’abysme, ne vous fasse pas dauantage la
guerre, afin que vous ne tombiez mort pour iamais.
Faites que ce monstre à dix diademes ne
vous fasse pas adorer son dragon, ny blasphemer
dauantage contre cette prouidence qui vous a
honorez de son ministere. Ne soyez pas comme
ce faux Prophete qui fut ietté dans vn estang de
feu de soulfre. Ne faites plus transgresser les peuples
par vos impietez aussi que les sacrificateurs
Ophny & Phinées faisoient autrefois à la porte
du temple. Le mesme esprit qui suscita Elie à la
porte de ceux de Baal, pourroit bien susciter les
peuples à la vostre.

 

Les Colomnels les Vitellesques & les Caraffes
ont esté des grands Ministres d’Estat pour le seruice
de leurs maistres. Mais celuy qui a le mieux
fait de tous, c’est le Cardinal de Richelieu, si on
peut dire du bien d’vn homme qui quitte le seruice
de Dieu pour se mesler des affaires du monde.
Il est vray qu’il fut ambitieux iusques au dernier
point ; car pour n’estre que le cadet d’vne
maison de Gentil-homme, il ne cessa iamais
qu’il ne fut Cardinal, Duc & Pair de France,
Grand Maistre & Sur Intendant General de
la Nauigation & Commerce de France, Lieutenant
general pour le Roy en Bretagne, & si fort
maistre de l’esprit de son Souuerain, qu’il faisoit
toutes les fonctions de Roy ; cependant que le

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Roy ne faisoit que celles d’vn Prince trop indulgent
aux volontez de son Ministre. Ainsi pour
tirer sa maison de l’indigence où elle estoit, &
pour la rendre la plus illustre de France, en biens,
en charges & en dignitez comme c’est l’ordinaire
des Ministres ; il fit armer contre ceux de
la Religion pretenduë Reformée, & fit declarer
la guerre au Roy d’Espagne, afin que par le
moyen des leuées extraordinaires de deniers
qu’il feroit sur les sujets du Roy, sous vn si beau
pretexte, il se peût enrichir luy & les siens des
sommes immenses qu’il leueroit sur les peuples.
Enfin, du sang du peuple il fist faire le plus superbe
bastiment de l’Europe, lequel contient en
soy les plus riches dépoüilles de l’Estat, accompagné
d’vne Ville portant le titre de Duché & de
Pairie, du reuenu de cent mille liures. Outre cela,
il a laissé à ses heritiers les Terres les plus seigneuriales
du Royaume. Il a donné la Duché d’Aiguillon
à sa Niepce, auec quatre cens mille liures
de rente, sans compter ce qu’il a laissé à ce nombre
infiny de parens & d’alliances qu’il a faites
aux meilleures Maisons de France.

 

Apres cela, Mazarin plus fourbe & plus voleur
que son deuancier, qui a tousiours abusé de
la confiance que la Reyne prend en luy ; que la
seule trahison a eleué à la dignité de Cardinal,
plustost que l’intention de bien seruir Dieu ; qui
nous a este laissé par son predecesseur pour acheuer
nostre ruine ; qui, porté d’vne mesme ambition

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& d’vne plus ardente conuoitise, pour luy
& pour les siens, s’est emparé de la personne du
Roy ; qui a diuerty tous les deniers publics par
l’vsage des Comptans, afin de les employer à son
profit, & au profit de ses parens ; qui a fait verifier
plusieurs listes d’Edicts & de Declarations, à la
foule & à l’oppression des peuples ; qui a empesché
la Paix, & qui a causé tous les desordres de
l’Europe, est venu prendre sa place, au grand
preiudice de toute cette Couronne. Enfin, il
entretient la guerre parmy nous, au lieu de
nous donner la paix ; il leue tous les subsides
sans payer ny soldats ny Capitaines ; il prend les
gages de tous les Officiers du Royaume : despoüille
vniuersellement toutes sortes de personnes
de leurs biens ; il a mis les Tailles en party
contre l’ordre prescrit par les Loix du Royaume ;
il choque les Princes & les Parlemens, & cherche
tous les iours les moyens d’assouuir sa demesurée
ambition sur le débris de l’Estat & des
peuples.

 

Apres cela, quelle punition peut-on faire à des
Prelats de cette nature ? Si Dieu ne voulut pas
que Dauid luy edifiât son Temple, encore qu’il
l’eût trouué selon son cœur ; pour auoir tué ceux
que sa diuine Maiesté luy auoit mesme commandé
de defaire : Ie ne croy pas qu’il vueille que ces
Prelats, qui sont cause de tant de meurtres, de
tant de voleries, de tant de violemens, de tant
d’incendies, de tant de sacrileges, & de la perte

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de tant d’ames qui meurent dans les occasions,
luy fassent iamais aucun sacrifice. Car si la guerre
entreprise par le commandement de Dieu, a pû
soüiller vn Prince qui n’auoit esté sacré que pour
cela ; comment est-il possible que celle qui se
fait contre sa saincte & sacrée volonté, & contre
les Enfans de son eglise, ne soüille pas extrémement
ceux qui la font, & ceux qui en sont la
cause ?

 

Sçauez-vous comment vous pourrez estre mis
au nombre de ceux de qui vous tenez la place,
dit cét adorable Sauueur de nos ames, parlant aux
Ecclesiastiques, si vous viuez en paix & en dilection
auec tout le monde ? Voila les veritables
armes des disciples de Iesus-Christ, & de tous
ceux qui ne se veulent pas mettre au nombre
des ames reprouuées. Si les Enfans de Dieu dit
sainct Gregoire sont reconnus par la paix : voyez
si ceux qui n’aiment que la guerre, ne sont pas
veritablement les enfans du Diable L’Eglise
n’est qu’vn corps composé de diuers membres,
afin de viure tous en paix, sous vn mesme Chef,
qui est Iesus-Christ. O Cardinaux ! ô Euesques !
ô Coadjuteurs ! comment osez-vous iamais approcher
du sainct Sacrement de l’Autel, qui n’est
qu’vn vray banquet de paix & d’amitié, ayant encore
les mains toutes sanglantes de la mort de
vos freres, que vous auez fait mourir par les conseils
que vous auez donnez à ceux qui l’ont fait,
ou qui l’ont fait faire ?

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O cœurs de sang & de flamme ! est ce là le
moyen de verifier que vous soyez esleus à cette
dignité, par la vocation du S. Esprit, & que vous
soyez des veritables Lieutenans des Apostres ?
Voyez si vos sacrifices peuuent, estre fort agreables
à Dieu, puis que vous ne luy offrez que des
campagnes teintes de sang & couuertes de corps
morts : des villes demolies ou du moins toutes
ruinées : des villages bruslez : des vierges violées :
des Temples & des Autels abarus : les lieux saints
prophanez : des peuples accablez de necessité :
d’orphelins abandonnez ; & vne infinité de veufues
sans aucune assistance. Ouy Messieurs les
Ecclesiastiques voila les effets de la plospart des
venerables Prelats de nostre siecle. La ruine de
leur prochain, c’est leur salut ; les miseres publiques
ont fait leurs thresors, & les larmes d’autruy
font toutes leurs ioyes Miserables que vous estes
que n’auez vous plus d’égard au caracteres de
Iesus-Christ, desquels nous sommes tous également
marquez qu’aux prodigieux sentimens
d’vne ambition si demesurée que la vostre. Ne
sçauez-vous pas bien que nous deuons estre tous
vnis à Iesus-Christ ? que nous sommes tous sacherez
d’vn mesme sang : que nous sommes tous
sortis d’vne pareille souche, regenerez d’vn mesme
baptesme ; nourris de pareils sacremens : que
nous serons tous jugez d’vn mesme Iuge : que
nous deuons esperer mesme loyer & mesme peine :
que nous auons tous le diable pour nostre

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commun ennemy : & que nous sommes tous
subjets à la mort sans aucun respect ny de grandeur
ny de bassesse.

 

Mais ie ne sçay si ie parle à des Chrestiens, en
parlant à des Ecclesiastiques qui ne font que des
actions de tyrans, de sang-suës publiques, &
d’Antropophages ? Mais ie ne sçay si ie parle à des
Athées en parlant à des Prelats, qui ne font rien
de ce que Dieu veut, & qui font le contraire de
ce qu’il leur commande ? Car les Ecclesiastiques
qui croyent en Dieu, comme ils sont obligez d’y
croire, au lieu de se mesler des affaires de la guerre,
ils s’amusent à prescher l’Euangile à toute sorte
de creatures : à chasser les diables des corps des
possedez : à chanter les loüanges de Dieu en toute
sorte de langues : à conuertir les infidelles & les
errans : & à guerir toute sorte de malades. Signa
autem eos qui crediderint, hæc sequentur : in nomine meo
damonia eiicient, linguis loquentur nouis. Serpentes rollent :
& si mort ferum quid biberint, non eis nocebil. Super
agros manus imponent, & benè habebunt. Dit la
parole eternelle parlant à ses veritables Ecclesiastiques.
Voyez si ceux qui font le contraire de
tout cela peuuent estre du nombre.

Mais apres auoir veu ce que Dieu dit aux Prelats,
voyons en peu de mots ce qu’il dit aux peuples,
afin qu’ils ne fussent pas comme l’Pharisien
qui se iustifioit luy mesme. Si vous n’obeïssez pas
à mes commandemens, & que vous meprisiez
mes iugemens & mes preceptes, ie vous visiteray

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en mon indignation & vous trébucherez deuant
vos ennemis, vous fuirez sans que personne vous
poursuiue : ie lanceray sur vous le glaiue exterminateur
de ceux qui ont viole les ordres que ie
leur ay prescrits ; & ie vous donneray en proye à
ceux qui ne desirent que vostre perte. Et le mesme
Prophete dit en vn autre passage : que si le
peuple eust escouté Dieu, & qu’il eust cheminé
en ses voyes, qu’il eust humilié ses ennemis deuant
luy, & qu’il eust exterminé ceux qui le troublënt :
Conuertissons nous donc au Seigneur,
& il appaisera sa iustice. Ses Prestres pleureront
auec nous, & il nous fera aux vns & aux autres
vne égale misericorde. Toutes les aduersitez que
Dieu enuoya aux Iuifs sont escrites, afin que nous
en fassions nostre profit, & que nous nous corrigions
à leur exemple : & si nous ne le faisons pas,
nous sommes asseurez d’en estre punis encore
plus griefuement que nous n’auons pas esté dans
toutes les guerres passées ; car ie vous asseure que
le Seigneur est courroucé, & que son Prophete
Ezechiel menasse de nous faire trébucher par
l’espée, par la famine, & par la peste : C’est pourquoy,
Laudate Dominum omnes gentes : laudate eum
omnes populi. Quoniam confirmata est super nos misericordia
eius : & veritas Domini manet in æternum, afin
que nous ayons la Paix temporelle, & la Paix eternelle.
Ainsi soit il, par sa saincte grace.

 

FIN.

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Anonyme [[s. d.]], LE FLEAV DE L’ESPRIT DE DIEV, SVR LES MINISTRES à deux Cœurs, à deux Maistres, & à deux Visages. "Le Seigneur veut que l’hypocrisie de ceux qui se glorifient en luy, pendant qu’ils le nient par des actions publiques, soit franchement reprise & hautement condamnées par les veritables Euangelistes de sa parole eternelle." Esaye 48. 58. & 66. , français, latinRéférence RIM : M0_1399. Cote locale : B_10_29.