Anonyme [1649], LE FORT ET PVISSANT BOVCLIER DV PARLEMENT, EN FORME D’APOLOGIE. DEDIÉ AV ROY. , français, latinRéférence RIM : M0_1402. Cote locale : A_3_64.
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LE FORT ET PVISSANT
BOVCLIER
DV
PARLEMENT,
En forme d’Apologie.
DEDIÉ AV ROY.

SIRE,

En vn temps auquel vos bons Ministres selon les
maximes d’vne Politique mal-heureuse, pouuoient
profiter à vostre desauantage de la malice des meschans,
s’ils eussent eu moins d’amour pour leur Prince, que d’interest
pour leurs personnes : ils n’ont point eu d’autres pensées que de
resister à leur fureur, & de s’opposer puissamment à leur violence :
Estant dans le corps de vostre Estat ce que les yeux sont dans le naturel
& l’humain, ils n’ont pas voulu ignorer leurs obligations en ce
rencontre : mais estans tres bien instruits que le propre de ces deux
Astres est de voir toutes choses sans s’apperceuoir eux mesmes si ce
n’est par reflexion. Oculi omnia vident seipsos non vident : Ils ont à leur
prejudice, & sans craindre ny les prisons, ny les chaisnes, ny toutes
les autres cruautez & chastimens dont on menassoit hautement tous
ceux qui entre prendroient de vanger l’injure qu’on faisoit à la Patrie :
Ils ont comme les Astres de ce Royaume, comme les Flambeaux
éclattans & lumineux de cét Empire, comme les yeux de ce
Corps si Monarchique, esté principalement attachez à leur chef ils
l’ont consideré sans [1 ligne ill.]

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ne songer qu’aux interests de vostre Majesté, & les maintenir contre
les attaques & les violences de ceux qui en meditoient la ruïne : ny la
perte de leurs charges, ny l’interdit de leurs fonctions, ny l’emprisonnement
de leurs personnes, ny la despoüille de leurs biens, ny la
perte de leur vie n’a point ietté dans leurs esprits inuincibles, & genereux
ces terreurs panniques qui appartiẽnent aux ames lasches, &
qui d’ordinaire font des bréches si notables sur les cœurs des plus
constans, qu’ils les obligent ou à trouuer quelque changement, ou à
apporter quelque mal-heureux lenitif à leurs déliberations, & à
leurs conseils : leur innocence les a munis & fortifiez contre toutes
ces craintes, & ils ont mesprisé toutes ces menaces, sçachant qu’ils
soustenoient la cause de celuy à qui seul en appartenoit l’execution :
car de dire & se vouloir persuader que la seule consideration du bien
public leur ait fait fermer les yeux à tant de choses qu’ils pouuoient
apprehender : Leurs conditions & leurs charges nous pourroient
bien donner ces sentimens, puis qu’ils sont les Peres des peuples ;
mais ces mesmes charges & ces mesmes conditions les establissant
dans vn degré d’obligation indispensable de considerer le bien public,
non seulement en soy, mais par rapport au particulier, celuy du
peuple par rapport à celuy du Prince, qui en est la cause, le fondement,
& la source. Ils ont eu particulierement esgard, SIRE, à vostre
propre conseruation, & à la deffense de vostre authorité : ils ont
agy principalement pour vostre gloire, sçachant qu’ils auroient rendu
les peuples assez heureux, si eux-mesmes ils l’estoient si fort, que
de vous faire triompher vne fois de l’insolence & de la fureur de
vos plus cruels ennemis : Que s’ils ont eu quelque veuë d’eux mesmes
dans cette affaire, ils n’en sont pas condamnables, ils le deuoient,
ils sont entre le Souuerain & les Suiets, entre le Prince & le
peuple la mesme chose que sont les Prestres entre Dieu & les hommes ;
ils sont le lien sacré, le nœud & l’assemblage de ces deux extrémes
si differens, & vouloir les destruire, c’est rendre l’vn & l’autre
mal heureux. Ils ont donc eu raison pour les maintenir tous deux
de se conseruer eux mesmes, puisque c’est le seul moyen de les faire
subsister. Ils sont le col qui porte toutes les influances du chef à
toutes les autres parties, & ce col doit estre semblable à celuy de l’Espouse ;
il ne doit point estre sans heaumes, sans rondaches, & sans
boucliers :Mille clypei pendent ex ea ; des boucliers, & non pas d’autres
armes ; estant seulement leur deuoir de se deffendre, & non pas d’attaquer.
Ils sont les Anges tutelaires de ce Royaume, ils doiuent
donc en calmer les orages & les tempestes. Ils sont les Pilotes & les

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Nochers qui tiennent en main le timon de cét Empire, il faut donc
qu’ils l’exemptent des escueils & des nauffrages. Ils sont ces [2 lettres ills.]ions
qui enuironnent le Trosne du plus sage des Princes, c’est donc a dire,
que dãs les occasions ils doiuent vomir les feux & les flâmes d’vne iuste
colere. Ils sont ces vaillans & ces forts, qui au dite de l’Espouse
en son Cantique, sont au tour de la couchette & du lict Royal de
Salomon, & ces forts ne sont pas sans espée ; Vnius cuiusque ensis super
femur. Tout cela signifie. SIRE, qu’ils doiuent estre armez pour la
deffense de vostre Majesté, & contre les vsurpateurs de vostre puissance.

 

Pourquoy donc, SIRE, les blasmer de l’auoir fait ? ce sont des
nuages de calomnie qui les inuestissent de toutes parts, & qui ne seront
dissipées que lors que vous serez en vostre Orient : Qu’ont-ils
fait autre chose que de satisfaire, & à la Nature, & à l’Euangile, imitãt
la prudence du serpent, qui a particulieremẽt soin de sa teste lors que
l’on n’en attaque que le corps : On vouloit d’vn mesme coup abattre
le Prince, les peres, & les peuples ; mais ce Senat Auguste a ietté ses
premieres pensées sur vostre Maiesté, SIRE, comme sur le Chef
d’où il tire ses plus benignes influences. Il faut repousser la force par
la force, & sans violer le precepte (puisque c’est vne Loy & humaine
& diuine, qui ne peut estre enfrainte sans vne lascheté honteuse,
& vn crime punissable.) Ie peux oster la vie à celuy qui est si
mal heureux que de me la vouloir rauir ; c’est vn cas decidé
il y a long-temps : le Fils de Dieu l’authorisa dans sa prise,
ses ennemis l’approchent à main armée ; pour obeïr, & donner appuy
à cette maxime du Droict naturel & des gens, qui nous ordonne
de nous deffendre, il renuerse les soldats ; mais en mesme temps
pour ne point faire tort à son amour, qui le destinoit au Sacrifice, &
qui pretendoit faire éclatter dauantage sa Bonté que sa Puissance ;
apres cette cheute il les releue : c’est vn temperamment de bonté &
de rigueur, qui a esté parfaitement imité de nos Magistrats.

Ils ont long-temps souffert, SIRE, la vexation & la tyrannie
auparauant que de se plaindre, ou par la crainte d’empirer les choses
au lieu de les adoucir, ou par l’esperance d’estre quelque iour affranchis
de tous ces maux, & de voir leur patience victorieuse de l’oppression
de leurs Tyrans : Le Marquis d’Ancre en ietta les fondemens,
le Cardinal de Richelieu continüa, & Mazarin natif de Sicile,
& Subjet de vostre ennemy a posé le toict & acheué cét ouurage.
Vostre Maiesté se peus faire instruire comme dés le commencement

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de la Monarchie on n’a iamais pû prendre aucune resolution
importante à l’Estat, sans assembler ces fameux personnages, qui
ont receu leur puissance & leur authorité dés la premiere race de
vos Peres, & qui ont receu leur nom de Louys X. lors qu’il institua
leur siege dans la premiere de ses Villes, & la Metropolitaine de vostre
Estat ; & neantmoins tous ces trois Sectaires & mal-heureux
reiettons de la race Machiaueliste voulant former vn nouuel ombre
de puissance pour en destruire le corps, ont impuuément violé les
Loix sacrées & augustes de vos Maieurs, & encore dans le regne de
vostre Pere, ostant aux deposts sacrez de sa Couronne & de la vostre,
la connoissance qui leur appartient solidairement de tous les
Edicts, Declarations, Ordonnances, & volontez des Souuerains,
tant pour le faict de la Iustice que des finances & des armes. Vos
Predecesseurs, SIRE, n’ont iamais rien entrepris d’innouer sans
leur consentement ; & ces trois Fauoris ont eu l’insolence de porter
plus loin leur pouuoir, & abusant de celuy qu’ils tiroient de vostre
Trosne, & dont ils estoient redeuables & tributaires à vos Maiestez,
ont tout entrepris sans eux, ont fait violence à la liberté de leurs suffrages,
ont cassé leurs Atrests, & se mocquant ou de leur moderation
ou de leur refus, ne pouuant faire sur leurs sentimens aucune
atteinte par leurs inuentions detestables, ils ont passé outre comme
s’ils eussent esté tout à fait indépendans ; Les Roys ont tousiours
deferé aux tres-humbles remonstrances, & aux plaintes que le Parlement
leur a fait de la part de tous les Estats, & ceux-cy les ont
tousiours mesprisées.

 

Le dernier, SIRE, a surmonté les deux autres, sa tyrannie a esté
plus cruelle, sa barbarie moins supportable ; car encherissant par-dessus
eux, apres auoir ruïné vos peuples, il s’est attaqué & à vos Magistrats,
& à nos Peres, il s’est resolu encore d’en opprimer la liberté,
d’en affoiblir la puissance, establissant de nouueaux droicts & leuées
par Arrest du Conseil contre les formes du Royaume, & Ordonnances
de tous nos Roys, & luy en ostant la connoissance par vn ordre
inusité en France, & contraire aux Loix fondamentales de l’Estat :
Le Parlement ne prend point d’autres armes que celles de la
douceur & de la clemence ; il se plaint, il supplie, il remonstre, donne
des Arrests, aduertit la Reyne vostre Mere des obseques prochaines
de cét Empire ; mais on luy oste la lumiere, ce mauuais Ministre
vse de sa bonté contre sa bonté mesme ; il interdit, il emprisonne, il
esloigne, il bannit, & contre les Loix fondamentales du Royaume,

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qui deffendent les emprisonnemens violens en des Prouince,
estrangeres, il relegue sur ses frontieres les premiers de ce Senat Auguste ;
adjouste l’horreur & l’incommodité du temps à l’incommodité
& l’horreur du supplice, les fait partir au milieu de la nuict, &
employe le poison pour leur faire perdre la vie au milieu de leur esclauage,
& de leur bannissement Et pour cela, SIRE, (vostre Majesté
le pourra elle bien croire) il se sert de l’image & du caractere
de vostre Majesté, il abuse de vostre Sceau ; & comme vn autre
Aman dans la Cour d’Assuere employa le cachet de ce Prince pour
perdre toute la race Iuïfue, & mesme tous les plus grands qui estoiẽt
soumis à sa Couronne ; celuy cy se sert du vostre pour faire ioüer
ses machines, pour abattre le Rempart de vostre authorité, le Soustien
de vos conquestes, le sacré Depositaire de nostre salut, & de
vostre repos ; pour rompre le lien & la chaisne qui vous vnit auec
vos peuples ; pour perdre cét illustre Senat, qui a fait de si grands
biens à l’accroissement de vostre Estat, & à la splendeur de vostre
Empire : Qui a fait perdre à l’Anglois la Souueraineté qu’il pretendoit
de la Guyenne, en le condamnant de pur crime de felonnie.
Qui a maintenu la Loy Salique contre l’imprudente Declaration de
Charles VI. qui adjugeoit la Couronne de France aux Anglois : Qui
a iugé nulle la cession que François I. fit à Charles V. de la Duché
de Bourgogne, aux droicts de la Maison d’Orleans sur le Duché de
Milan, & au Royaume de Naples & de Sicile : & qui a rompu les
choses illicites, à quoy il s’estoit obligé ; cette cession estant violente,
à raison qu’il ne l’auoit faite que parce qu’il estoit son prisonnier :
Qui a reüny le Duché de Bar à vostre Majesté sur le Duc Charles de
Lorraine, à faute de foy & d’hommage : Qui a resisté aux Papes ennemis
de la France, approbateurs des injustes vsurpations de la Nauarre
par Ferdinand Roy de Castille : Qui a chastié les Legats du
sainct Siege, qui venoient fulminer des interdits contre la France :
Qui a puissamment deffendu les droicts de l’Eglise Gallicane : Qui
s’est enfin roidy contre ceux qui ont eu l’audace que de vouloir transporter
par vne alliance pernicieuse vostre Trosne en Lorraine, pour
le faire passer par apres plus commodément en Espagne.

 

Voila, SIRE, les attentats de ce mauuais Ministre, voila les obiets
de sa cruauté & de sa fureur : Mais voicy la patience de ce Parlement
celebre, il souffre ce traitement l’espace de cinq années, pendant
lesquelles abusant de la bonté de la Reyne vostre Mere, & de
celle de nos Princes, il s’est rendu par leur tolerance si puissant, qu’il

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a disposé à son gré tant des personnes sacrées de vos Maiestez que
des plus grands de vostre Royaume ; que luy seul a esté administrateur
des affaires de la guerre, des finances, & de tout vostre Estat,
dont il n’a pas si-tost pris en main le Ministere, qu’il a fait prendre le
Duc de Beaufort, chassé le Duc de Vendosme son pere, esloigné sa
femme & ses enfans, banny les Princesses, donné des gardes au premier
de vostre Cour, changé celles de vostre Maiesté, dont pour disposer
luy seul, il se fait le sur-Intendant de son education, afin d’auoir
suiet de loger dans son Palais, luy donnant pour ses Gouuerneurs
des gens à sa deuotion, pour en former l’esprit sur ses principes,
ou en destruire la bonté par la corruption de ses maximes. Pendant
tout ce temps il se rend si absolu, qu’apres auoir fait vne profusion
estrange des finances de vostre Maiesté, auoir ruïné vostre
Royaume, transporté vos reuenus en d’autres pays, appauury vos
peuples par milles oppressions & surcharges, & tiré de ses veines
iusques à la derniere goutte de son sang, pour fortifier ses Cabalistes
& ses Supposts, apres auoir rendu la France sans commerce, les Villes
desolées, le plat pays exposé aux vols & aux assassins, tout l’Estat
à son ambition infame, & à l’auarice insatiable des Partisans, les
Marchands sans trafic, les armées sans argent, & sans secours ; il passe
encore plus outre : Il retranche, SIRE, les gages des Officiers de
vostre Maiesté, casse les priuileges de vos domestiques, oste cette
fidelle compagnie de Mousquetaires, la plus seure garde de vostre
sacrée Personne, laquelle il affoiblit pour renforcer la sienne. Il remplit
toute la Cour de gens de son pays en si grande abondance, que
l’on la prendroit moins pour la Cour de France que pour celle d’Italie
Il fait petit pat vne intelligence secrette, qu’il entretient auec
les ennemis, les Regimens & Compagnies tant de cheual que de
pied, dans les armées estrangeres ; flestrit nos Lauriers, reduit nos
Palmes en cendres, arresté le cours de nos victoires, retardé la gloire
& l’heureux succez de nos combats, & fait perdre quantité de batailles
ou faute d’argent, ou manque de secours, ou par vn ordre exprés
de ne pas attaquer, & vn commandement de ne pas vaincre : il traite
les Nobles comme les roturiers ; il met la Noblesse à la Taille, &
tout le monde à la besace : Et pour comble d’insolence, pour oster
la connoissance de sa mauuaise administration, & nous rendre malheureux
auec moins de resistance, il se ruë sur le Parlement, & s’attaque
aux Cours Souueraines, les suspend, les interdit, les exile, les
emprisonne.

 

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Que fait le Parlement, SIRE, il essaye par les mesmes voyes de
clemence & de douceur à s’opposer à la rapidité de ce torrent, car
estans conuaincus que le mal seroit sans remede, s’il le laissoit si longtemps
temps sans secours, & qu’il alloit tous les iours iettant de si profondes
racines, qu’à la fin il seroit impossible de le destruire, il prend resolution
de s’vnir. Mazarin estimant que cette vnion de toutes les
Compagnies, qui ne tendoit qu’à remedier aux abus par les moyens
les plus sages & les plus moderez, estoit absolument sa ruïne ; s’y
estant opposé par des menaces & des violences inutiles ; il fait mine
de plier, il reçoit les remonstrances, il aggrée les assemblées ; &
voyant que l’on commençoit par la reuocation des Intendans des
Prouinces, il prie que l’on retarde l’execution de cét Arrest, Monsieur
le Duc d’Orleans en demande la surseance ; & ayant contre les
coustumes fait venir en son Palais des Deputez pour conferer, il
amuse nos Magistrats par de belles promesses : Le Chancelier s’engage
de faire vne Declaration conforme a cét Arrest, le Parlement
se soumet ; & le lendemain Monsieur le Duc d’Orleans, Oncle de
vostre Maiesté, en apporta vne, mais bien differente de son original,
ne faisant aucune mention de la dissipation des finances, & ne parlant
au lieu de la quatriéme partie des Tailles, que de la huictiéme, &
cela encore auec des conditions si onereuses, que cette decharge
estoit moins aduantageuse qu’inutile & importune. On ne manque
point, SIRE, d’en refuser la verification : ce refus n’aggreant pas,
donna l’inuention de suppléer à son defaut par l’establissement d’vne
Chambre de Iustice : On le propose dans vne seconde Declaration
dont l’on chargea encore son Altesse, pour la porter à la Cour.
Ces Argus clairvoyans, ces Lynx tous pleins d’yeux & de lumieres
en eurent assez pour reconnoistre que c’estoit vne fourbe & vne inuention
pour sauuer ceux qui auoient tout perdu ; neantmoins dissimulant
encore cette fois, ils fléchissent pour ne pas rompre, & pour
auoir plus de liberté de soulager la misere des peuples, par leurs déliberations
& leurs conseils. Leur douceur, SIRE, ne fut pas imitée,
ils ne receurent pas tant qu’ils donnerent ; ils accordent tout ne
pouuant rien refuser ; & les Ministres ne manquent pas de s’opposer
à tous leurs Arrests de Police, & de la reformation necessaire à vostre
Estat.

Pour cela, SIRE, Mazarin vous faisant le Ministre de ses méchancetez,
& de ses fourbes, vous fait prendre seance en vostre lict
de Iustice, auec vne Declaration en main qui n’estoit qu’vne illusion

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continüelle, deffendant aux Compagnies de plus s’assembler que
par vostre authorité. Mais voyans que vostre authorité mesme dont
il pretextoit cette deffense, & auoit iusques alors pallié sa tyrannie,
estoit extraordinairement choquée, ils ne font point de scrupule
de contreuenir à ces ordres, pour examiner de pres, & expliquer
cette Declaration inique & frauduleuse auec la liberté de leurs
suffrages : Cette genereuse resolution iette les aggresseurs dans l’interdit,
estonne les Autheurs de ses diuisions, ils se desesperent de
voir que leurs fourbes sont reconnuës ; & croyant que le seul expedient
qui leur reste est la cruauté & la fureur, ils se resoluent d’enleuer
du Parlement ceux qui leur faisoient ombrage, & s’opposoient à
leurs entreprises : ils se seruent de l’occasion d’vne victoire pour
contenter leur rage, ils ioignent la fureur auec la pieté, l’ingratitude
auec la reconnoissance, les lauriers auec les chaisnes, les cyprez auec
les palmes, & troublant les acclamations populaires d’vne illustre
bataille gaignée sur les ennemis, lors que l’on acheue le Te Deum, ils
emprisonnent les plus gens de bien de nos Senateurs : Mais leur esclauage,
SIRE, ne dura pas long-temps, car la populace s’estant
souleuée à cause de cette capture sacrilege, & de cét execrable attentat ;
les Autheurs de cette action inique furent contraints de les remettre
en liberté, & les ramener triomphans.

 

Le Parlement, SIRE, pouuoit dés lors se seruir de l’occasion,
& ayant deux cens mille hommes sous les armes pour arrester la fureur
populaire qui alloit mettre tout en desordre, s’ils ne les eussent
prises, il pouuoit se vanger de cette conspiration par la perte & l’extermination
entiere de tous leurs conspirateurs. Neantmoins,
SIRE, il se contente de l’affranchissement des esclaues, & de la restitution
que l’on leur fait, quoy que contrainte & forcée, de tous
leurs prisonniers ; se persuadant qu’ils les vainqueront moins par le
fer & par les armes, que par la patience & la douceur ; mais ils se
trompent, tant s’en faut que cela amollisse leurs cœurs, qu’au contraire
cela les endurcit dauantage ; ils ont veu auec combien de zele
cét illustre Senat a calmé la sedition, a leué les cantonnemens & barricades,
a destendu les chaisnes, a remis les esprits en leur premiere
assiette, a fait baisser les armes, & rendu tout l’Estat pacifique. La
Reyne vostre Mere, SIRE, en a admiré les soins, reconnu l’affection
& le zele, promis de n’en perdre iamais la memoire, de s’en
ressouuenir eternellement, tesmoigné qu’elle n’a plus de cœur que
pour Paris, & qu’elle va reconnoistre cette obligation qu’elle a à

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cette Ville par vne Paix generale. Et neantmoins apres ces
belles promesses, apres ces sentimens d’admiration, de loüange,
d’affection, de reconnoissance, de remerciment : on vous enleue,
SIRE, au milieu de la nuict, sans tambour, sans trompette, & sans
la suite & l’appareil digne d’vne Majesté Royale, comme si ce larcin
& ce vol n’eust pas eu assez d’horreur par la seule circonstance de
vostre personne sacrée, sans y adjouster encore celle du temps, & de
vostre equipage. Cét enleuement, SIRE, ne manque pas de ietter
vne consternation generale dans les esprits de vostre peuple, il se
lamente, il crie, il pleure, il se rend inconsolable, il redemande son
Roy, & cependant personne n’est capable de cette restitution que
celle qui vous ayant obtenu du Ciel, ne deuoit point vous refuser à
la terre, & laquelle apres vous auoir donné par miracle, estoit encore
obligée de vous rendre à nous-mesme par iustice : On l’en prie, on
l’en cõiure, le Parlement touché de compassion & de pitié par les gemissemens
de vostre pauure peuple, se transporte à Ruel, prie la
Reyne vostre Mere de retourner à Paris, & d’y ramener vostre Majesté
qu’vn mauuais Ministre nous auoit enleué, auec dessein de mettre
le trouble dans vostre Estat, pour obliger vostre ennemy, dont il
est le Pensionnaire & le Sujet : mais elle change ses premiers sentimens
en d’autres bien differens & bien estranges ; auparauant elle
admiroit, maintenant elle rebute ; elle loüoit, elle blasme ; elle estimoit,
elle mesprise, elle se ressouuenoit, elle oublie ; elle promettoit,
elle menace ; elle remercioit, elle condamne ; elle change son admiration
en reproches ; ses loüanges en blasme, son amour en haine,
son estime en mespris, son ressouuenir en oubliance, ses remercimens
en ingratitudes, & charge la premiere Compagnie du Royaume
de mauuaises paroles & d’injures, apres ne luy auoir fait esperer
que des reconnoissances & des biens faits.

 

Le Parlement, SIRE, auec vne égalle bonté essuye toutes ces
disgraces & ces hontes ; & sçachant que ce changement si subit estoit
l’effer de l’approche des armées & des trouppes, dont le Cardinal
dégarnissoit vos frontieres pour asseurer sa perte, maintenir le monopole
dans son credit, continüer sans obstacle le pillage de vos finances,
& s’opposer entierement à l’execution des bonnes Loix :
Voyant que le mal s’augmentoit de iour en iour : Qu’il entretenoit
la guerre par ses intrigues. Que les deniers leuez sous pretexte de la
guerre ne passoient point ses coffres : Que le peuple plioit sous la
charge trop pesante des impositions & des taxes : Que les Tailles

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estoient tombées en party contre nos Ordonnances & nos Loix :
Qu’il auoit volé tout vostre reuenu, engagé & r’engagé tout vostre
Domaine : Qu’il vouloit faire vn fameux Hospital de toute la France :
Que de tout vostre Estat il en alloit faire vne pure tyrannie ; mais
sur tout qu’il obscurcissoit le lustre & l’esclat de vostre puissance, &
ruïnoit de fond en comble l’authorité Royale : Il est enfin reuenu de
son assoupissement, & se ressouuenant du pouuoir que vos Peres luy
ont donné ; se ressouuenant de ce qu’ils doiuent au Royaume & au
Roy dãs sa minorité ; qu’il est vostre Tuteur naturel pendant ce tẽps ;
Iugeant enfin qu’vne plus grande tolerance le rendroit coupable, il
s’est resolu d’aller à la cause du mal & d’en sapper les fondemens. Ces
resolutions, SIRE, estonnerent les injustes Protecteurs de ce mauuais
Demon. Ces deux premiers Princes de vostre Sang, Monsieur
le Duc d’Orleans & Monsieur le Prince charmez par cét infame,
escriuent au Parlement, le prient de surseoir leur deliberation iusques
à ce qu’ils eussent conferé ensemble à S. Germain ; on leur accorde.
Et quoy que l’on connust assez que toutes ces conferences
n’estoient que des amusemens dont on se seruoit pour eluder
l’effet de ces bons desseins, & donner loisir aux trouppes de s’aduancer :
toutesfois il ne refuse aucune ouuerture d’accommodement,
encore que la Conference se deubt faire dans vn lieu où il estoit
facile de les sacrifier à la vengeance & à la fureur de leurs
ennemis ; Ils enuoyent des Deputez ; on parle ; on confere ; six semaines
entieres se passent à recommancer tousiours la mesme chose
sans rien conclure. Apres quoy enfin les oppresseurs de la liberté
publique, se trouuent autant forcez par leur conscience que par la
necessité, & les fortes & pertinentes raisons de nos Magistrats, d’arrester
les affaires. Le tout se termine à vne Declaration : on la dresse :
on l’enuoye à S. Germain, où ayant trouué vne estime & vne
approbation commune, elle est renuoyée le lendemain au Parlement
de mesme qu’elle auoit esté concertée.

 

Cette Declaration, SIRE, fut aussi tost suiuie du retour de vostre
Majesté, auec vne resiouyssance generalle, & l’acclamation de
tous les peuples : Mais comme les ioyes & les contentemens de ce
monde ne sont point si purs qu’ils ne soient détrempez de fiel & d’amertume,
les Ministres qui conseruoient dans le cœur vne vengeance
& vne trahison secrette, ne manquerent pas de troubler cette resiouyssance
commune, par le renuersement & la ruïne de toutes les
choses dont ils auoient esté les approbateurs ; Ils disent que cette

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Declaration est vne loy du temps, vn ouurage de la force & de la
violence qu’on auoit exercées sur l’esprit de la Reyne Mere de vostre
Majesté ; & sous ce pretexte malicieusement inuenté, ils y contreuiennent
ouuertement, par de nouuelles leuées, par des Commissions
extraordinaires, par de nouueaux monopoles, & par des surcharges
immenses & tyranniques. Les enfans, SIRE, n’eurent
pas en ce rencontre tant de patience que leurs peres : Le Parlement
souffre, quoy qu’à contre cœur, ces iniustices & vexations insupportables,
& qui ne tendoient qu’à reduire toutes les choses dans
vn plus horrible chaos que celuy dans lequel elles estoient enseuelies
auparauant qu’il les eust restablies : Mais les peuples s’impatientent,
& reclament l’auctorité des Loix contre leurs perfides infracteurs,
qui y contreuiennent impunément. Cét auguste Senat ne
peut point se dispenser d’accorder quelque chose à la voye publique.
La premiere chose qu’il fait apres la S. Martin, à l’ouuerture des
Chambres, c’est de commencer les assemblées pour remedier à ces
desordres ; Monsieur le Duc d’Orleans & Monsieur le Prince y vinrent
prendre leur place, à la requeste & à la persuasion des faux
Ministres, lesquels les ayant remplis tous de fiel pour ces personnes
incorruptibles, & ayant porté le dernier à traitter de mauuaises paroles
& de menaces quelques-vns de la Compagnie, iusques à leur
oster la liberté de leurs suffrages, ne laisserent pas de conceuoir de
bonnes resolutions : mais ces bonnes resolutions trauersées par le
Conseil, auorterent dés leur naissance, & demeurant sans execution,
ne furent pas si heureuses que de voir le iour.

 

Chose estrange, SIRE ! faict inoüy ! horrible lascheté, & indigne
d’vn cœur de Prince ! Il n’y auoit encote que deux iours que
tous deux auoient protesté en plain Parlement, que la Reyne vostre
Mere vouloit que la Declaration fust obseruée : Qu’ils estoient venus
de sa part pour reconnoistre & punir les infracteurs, & la faire executer
ponctuellement. Et neantmoins ils en portent vne autre à la
Chambre des Comptes, toute contraire à celle qu’ils auoient approuuée,
qui estoit l’ouurage de l’Enfer, & le dernier effort de la tyrannie.
On vouloit par icelle que les Compagnies Souueraines, faisant
seruit la Iustice à l’iniquité, authorisassent elles-mesmes les
vols, les concussions & les pillages : & qu’apres auoir condamné les
crimes couuerts, elles canonisassent auec scandale les publics &
manifestes, dont pour oster l’horreur & accroistre l’vsage & la pratique,
on en permettoit le commerce à tout le monde auec impunité,

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sans crainte de perquisition, sans déroger à la noblesse, & sans
contreuenir aux bonnes Loix. Toutes personnes, SIRE, ont pouuoit
de s’engager dans cette vsure, dans ce funeste brigandage, dans
ce honteux peculat. Mais comme Dieu qui est le Maistre des Princes,
& qui en sçait ruïner les conseils & chastier la malice, ne peut
souffrir de tels abus, iniurieux à ses Loix & aux vostres, il ne manque
pas de susciter aussi tost le Clergé, lequel voyant qu’vn tel
ouurage estoit contraire & aux Loix de Dieu, & aux Ordonnances
de vos Peres ; qu’il insinüoit la corruption des bonnes
mœurs & du Christianisme, & qu’il aboutissoit à la ruïne entiere
de tous vos reuenus & de vostre Estat, ne le voulurent point
souffrir. Monsieur l’Archeuesque de Paris, & la Sorbonne arrestent
ce poison qui par son escoulement contagieux & si general, se
preparoit à donner de si puissantes atteintes sur le corps & sur l’ame
de vos sujets ; que les tuant tous deux d’vn mesme coup, l’vn
par le crime, & l’autre par la necessité & l’indigence, il eust remply
les tombeaux de cadavres, les Prisons d’esclaues, les Hospitaux
d’infirmes, & tout le Royaume de pauures, & l’Enfer de
damnez.

 

Le Parlement, SIRE, tout du moins autant zelé pour la Maison
de Dieu, que pour la vostre, s’oppose aux pernicieux desseins du
Cardinal, lequel se voyant poursuiuy d’assez prés ; n’estant retourné
à Paris, & ramené vostre Majesté que pour prendre vne occasion
plus fauorable à ses desseins, & au party des Monopoleurs : Que pour
esbranler les esprits des plus fermes au seruice du public : Que pour
corrompre les plus affectionnez aux interests de vostre Maiesté :
Que pour diuiser entr’eux les Officiers du Parlement, & negocier
des intelligences secrettes ; voyant la mine éuentée, ses malices découuertes,
ses desseins contredits, apres auoir attiré de Flandre, d’Italie,
& de Catalogne des troupes aux enuirons de Paris, fait distribuer
des deniers aux Officiers de guerre pour faire des recreuës, enuoyé
les ordres de tenir leurs troupes prestes au premier mandement,
fait vn fonds de quatorze millions de la despoüille de vos
troupes, & des gages de vos Officiers, pour le payement d’vne puissante
armée : en fin voyant tous ses desseins prests de reüssir, voyant
qu’il ne pouuoit voler vos finances, & y porter la derniere main : il
vous vole vous-mesme, il porte derechef la main sur vostre sacrée
personne, il enleue vostre Majesté de son lict : & pour la seconde
fois, il vous emporte à S. Germain à deux heures apres minuit,

-- 15 --

Monsieur le Prince y consent sous pretexte de recompenses imaginaires
de quelques places que l’on luy promet en droict de Souueraineté,
& dont l’on flate son ambitiõ naturelle ; Monsieur le Duc d’Orleans
ne gouste point de prime abord ce procedé, la consideration
de ce qu’il vous est par le sang le dissuade de tremper dans cét horrible
attentat, & ce vol sacrilege ; sa resistance fut grande par la connoissance
de son deuoir, & la bonté de sa nature ; mais comme il est
facile, il se laissa entraisner par la Riuiere dont il est obsede il y a tant
d’années, dont il a esté trahy tant de fois, & dont les mœurs sont aussi
corrompuës, & aussi basses que la naissance.

 

Le pretexte que l’on prit, SIRE, pour pallier cét enleuement, &
leur crime ; ce fut de mander par vne Lettre de cachet : qu’il n’y auoit
point dans Paris de seureté pour vostre personne : Qu’il y en auoit
quelques vns dans le Parlement qui auoient de mauuais desseins
contre vostre Majesté : Qu’il y en auoit qui entretenoient des intelligences
secrettes auec les ennemis de vostre Estat ; que pour cela vostre
Majesté auoit esté obligée de sortir de Paris : Cette calomnie,
SIRE, ne peust aucunement esbranler la conscience irreprochable
de cét Auguste Senat, lequel pour s’en purger apres vne assemblée
tenuë pour ce sujet, deputerent à S. Germain quelques vns de leur
Corps pour sçauoir les noms des accusez, s’instruire de leurs accusations,
& leur faire leur procez ; mais le silence des accusans, SIRE,
fut vne assez ample preuue de l’mnocence de ces personnes incorruptibles,
& vne marque indubitable du dessein qu’auoit ce Cardinal
de ietter de la discorde entre les Cours Souueraines, de fermer
les passages, d’arrester les viures, de bloquer Paris, de le reduire à la
faim, & à vne extréme necessité, pour diuiser le Parlement d’auec le
peuple, pour perdre les vns & les autres auec plus de facilité, estans
attaquez separément. Mais il se trompe, ils demeurent tous deux plus
vnis que iamais ; le Parlement apres auoir pourueu le premier iour à
la seureté & subsistance de la Ville, ordonne de prendre les armes
pour sa conseruation, pour s’ouurir les passages, pour repousser les
gens de guerre, lesquels la veulent obliger par toute sorte de violence
à rachepter la vie, la liberté, & le repos des habitans, abandonnant
les plus zelez de leur Corps à la fureur des Ministres, pour leur estre
sacrifiez comme de mal-heureuses victimes ; La patience luy échape
mais ce n’est que pour se deffendre ; & quoy qu’il deubt estre sensiblement
touché des conspirations que l’on tramoit pour sa ruïne,
pour auoir voulu seulement adoucir l’oppression publique, & guarir

-- 16 --

les blesseures de l’Estat, il ne voulut point encore vser de son authorité
legitime ; il se contente de donner vn Arrest contre l’Autheur
de nos afflictions & de nos maux, le declare criminel de leze-Majesté,
ordonne de sortir de la Cour dans vingt quatre heures, & du
Royaume dans huictaine.

 

Cét Arrest, SIRE, fut suiuy des soins prompts & diligens
qu’apporterent auec toute sorte de moderation & de douceur ces
fameux Magistrats pour le gouuernement non seulement de la premiere
Ville de vostre domination, mais encore de tout vostre Royaume :
on a sans eux fait des imposts & des leuées, on a supprimé
leur puissance par vne autre illegitime, on en mal-traite les plus notables,
on en a injurié les plus vertueux, on en a banny les plus zelez,
on en a emprisonné les plus fidels, on en a fait mourir les plus
innocens, ils ont veu opprimer vos peuples, destruire leur liberté,
desoler leur fortune, & en toutes ces choses, obscurcir le lustre & la
gloire de la Monarchie Françoise, & vous oster d’entre les mains
l’heritage de vos peres : & on trouuera estrange qu’ils se soient opposez,
SIRE, à ces pillages, à ces injustices, à ces violences, à cét
attentat, & qu’ils ayent cherché les moyens de restablir vostre puissance
sur les ruïnes de la tyrannie, & qu’apres tant de Conferences,
d’assemblées inutiles, & des traitemens injustes ; ils s’efforcent &
employent tout ce que Dieu, la Nature, leur naissance, leur condition,
& vostre Sceptre leur a donné de forces pour maintenir vostre
lict de Iustice dans Paris, & empescher que l’on ne le transporte
(selon la Lettre escrite au Procureur General, & au Preuost des
Marchands) en vne petite Ville, ou par vne metamorphose estrãge
les coulpables, prenant la place des innocens, & l’iniquité selon la vision
de cét anciẽ Monarque, celle de la Iustice, les voleurs eussẽt esté
les Iuges, faisant les objets de leur cruauté & de leur fureur ceux qui
le deuoient estre auparauant de leur apprehẽsion & de leurs craintes.
Vostre Maiesté, SIRE, trouueroit sans doute bien plus estrange
s’ils n’en auoient vsé de la sorte, & ioignant la rigueur à l’humanité,
la seuerité à la clemence, la verge auec la manne, le visage de lion
auec la face d’homme, ayant vostre Couronne en depost, & estans
responsables de vostre Estat ils ne l’eussent purgé par le feu de cét air
contagieux, & de ces pestes mal heureuses pour le remettre sain,
pur, & entier entre vos mains. Pour cela, SIRE, il donne des Arrests
plus solemnels & equitables que ceux que les faux Ministres firent
publier dans le marché de Poissy, & les lieux circonuoisins ; deffendans

-- 17 --

à qui que ce soit, sur peine de la vie, d’amener de [2 mots ills.]
Paris, & d’y faire aucun trafic : & apres auoir armé tout [1 mot ill.] eslisent
des Generaux, des Capitaines & Officiers, & [3 mots ills.]buër
eux-mesmes & tout le Corps, tant pour la Subsistance de l’armée,
que pour l’ouuerture des passages, Ont-ils mal fait, SIRE, de
se conseruer ? ont ils mal fait de resister à vn Tytan ? ont-ils mal fait
de nous secourir ? ont-ils mal fait de vous deffendre, & de vous preteger ?
C’est pour ce sujet, SIRE, qu’ils ont pris les armes, & non
pas pour leur interest, comme l’on les accuse : Car l’authorité des
Iuges est comme la Verge d’Aaron, elle fleurit & fructifie sans humeur
terrestre ; elle est comme la Palme qui croist aux lieux les plus
steriles, que le sel, les pierres, & le sable rendent plus belles : Ils ne
sont point enracinez dans l’interest, si ce n’est dans le vostre, SIRE,
puis qu’ils risquent tout ce qu’ils possedent pour conseruer vos biens,
vostre repos, vostre vie, vostre liberté, vostre puissance, & empescher
que vostre Royaume ne deuienne la proye de vos ennemis.

 

Cependant, SIRE, pourquoy trouuer mauuais que l’on vous
donne des mains pour vous deffendre quand l’on se sert des vostres
pour vous attaquer ? Pourquoy gronder de voir des Iuges & des
Magistrats qui sont (au dire de Plutarque dans ses Morales) le Sel
des Republiques & des Empires, vouloir s’opposer à la corruption
& à la ruïne du vostre ? Pourquoy à raison de ces genereuses resolutions
les vouloir despoüiller de la Iudicature, qui est vne dignité si
glorieuse ; que c’est la plus honnorable recompense des Apostres
pour auoir tout quitté, & suiuy le Messie ; Sedebitis & vos iudicantes.
Matth 19. Pourquoy ne vouloir pas que les Peres donnent le pain
à leurs enfans ? Pourquoy des-agréer que les Cieux versent leurs benignes
influences sur les corps inferieurs, & les priuer de leur lumiere,
pour remplir la terre de vacuité & de confusion ; Aspexi terram &
ecce vacua erat & nihil : En voicy la raison ;Aspexi cœlos & non erat in cis
lux. Ierem. 4. Pourquoy trouuer estrange, SIRE, que l’on empesche
que l’on ne vous despoüille de cette Iustice, qui est au dire d’Isidore
Pelusite, en vne exhortation à l’Empereur Basile, le plus honnorable
& le plus riche vestement des Roys ; [illisible]
Pourquoy trouuer estrange que nos Iuges soient nos Defenseurs
& nos Capitaines, puis qu’ils ont esté ainsi establis de Dieu ?
Pourquoy en vn mot blasmer ce que la Nature authorise, ce que vostre
authorité commande, & ce qui ne peut estre refusé ny au Roy,
ny au peuple sans injustice & sans crime. C’est de vostre bouche,

-- 18 --

SIRE, que ces fameux personnages attendent la iustification de
leur procedé.

 

Quoy, SIRE, auriez-vous approuué la prophanation de la Iustice,
que les Grecs ont nommée la chose la plus sacrée du monde, &
que les Hebreux ont appellée le sondement des choses les plus harmonieuses ;
au contraire, vostre Maiesté sans doute n’estant pas
moins Religieuse que ses Ancestres & ses Predecesseurs, auroit puny
la lascheté de ses soustiens, s’ils auoient esté ou si mauuais, ou fi
foibles que d’en tolerer sans resistance la destruction & la ruïne. Vostre
interest, SIRE, vous en auroit inspiré les sentimens, estant comme
disoit Homere, Iliad. 7. le premier de ses Senateurs, & le chef de
tous ces hommes qui ne viuent que de laict, & n’ayant plus qu’vn
ombre de puissance si l’on vous despoüilloit de cette vertu ; Car dit
S. Augustin, que deuiennent sans elle les Royaumes & les Empires,
sinon des retraites de voleurs & de brigands ; Quid sunt regna sine
iustitia nisi mœra latrocinia. C’est le propre de la Iustice conseruant les
suiets en paix, & les deffendant des guerres & des oppressions, de
maintenir le Prince dans sa puissance legitime, laquelle s’éuanoüit
& se dissipe en mesme temps que l’on luy en enleue le fondement &
l’appuy : Les Roys sans Iustice perdent leur qualité maiestueuse, &
comme Vlisse voguant sur les eaux estoit prest du naufrage lors qu’il
quittoit la robe dont Calypso l’auoit muny contre le choc des futures
tempestes, ils sont abysmez sous les ondes du mal-heur quand
ils en sont despoüillez : Sans elle, SIRE, il n’y a point de Roy : Dieu,
(disoit Plutarque) ne peut pas faire qu’vn homme soit Prince sans
elle sine iustitia quidem nec iouem posse principem agere : Sans elle l’Estat
ne peut pas perseuerer ; car l’Estat, dit ordre, l’ordre est contraire
à la confusion, & il n’y a que confusion où cette Vertu ne se trouue
point : car ou la Iustice manque, les Ministres tyrannisent, les Suiets
se reuoltent, les peuples se souleuent, les ennemis font des surprises,
les Prouinces se rebellent, le commerce cesse, les Marchands sont
banqueroutes, les Laboureurs pensent dauantage aux moyens de se
fortifier pour se deffendre, qu’à cultiuer la terre pour nous nourrir,
tout le monde se plaint, tout le monde gemit, de sorte qu’en cette
maniere il est impossible que le Royaume perseuere, il est impossible
que la Monarchie subsiste : Sans la Iustice la Principauté est vne pure
tyrannie. Cette vertu, SIRE, est comme l’ame en l’homme, la teste
au corps, la forme au composé, & la difference dans la diffinition :
Dieu mesme sans elle n’a point d’Empire : Sine iustitia nec iouem quidem.
posse principem agere.

-- 19 --

Les plus sages Politiques, SIRE, mettent la Iustice pour rempart
contre la tyrannie & les violentes vsurpations des Grands ; & Platon
disoit que ce [3 lettres ill.]ant Phrygien ne pouuoit sans elle affermir son Empire :
C’estoit donc, SIRE, le deuoir de cét illustre Senat de s’opposer
en ce rencontre aux violences & aux cruautez des faux Ministres,
à ces allumettes de discorde, à ces esprits Catilinaires qui meriteroient
le feu pour auoir à l’aduantage d’vn infame Sicilien cherché
l’embrasement de leur Patrie ; c’estoit à eux à esteindre cét Erostrate
incendiaire du Temple de la Paix, à dompter ce Chameau qui
ne boit qu’en eau trouble, à retenir ce Cancre qui regarde de
trauers la prosperité de la France, à engourdir ce Veau-marin qui
saute d’aise parmy la tempeste & l’orage, à moderer ce Camelcon à
qui la perfidie fait changer de couleur à tout moment, à temperer
cét Assyrien mal-heureux qui n’adore que le feu des combustiõs ciuiles,
& qui comme vn Pyrauste ne se plaist que dans les incendies, &
dans les flammes : C’estoit à eux, SIRE, à seruir de barriere à la fureur
& conuoitise de Mazarin, lequel ayant esté comme cét Ouurage
& Marmouzet de Promethée formé de la lie & de la bouë d’vne
tres-vile naissance, & nouuellement animé d’vn feu d’amour pris
au chariot de la Lune, & tiré secrettement de son sein aueugle ;
estant enfin deuenu grand, & de Pigmée qu’il estoit, ayant
pris la hauteur d’vn Geant à la faueur de son Ministere, a declaré la
guerre aux Dieux, les voulant aneantir : Ils l’ont fait, SIRE, dans le
dessein de maintenir l’authorité de vos Peres, & la grandeur de vostre
puissance.

Le plus Sainct de vos Maieurs SIRE, ne faisoit que de commencer
encore à gouuerner, que des esprits turbulens & seditieux fondez
sur le bas aage du Roy, taschent à troubler la Monarchie, ils allument
la guerre par tout le Royaume : Le Duc de Bretagne, le
Comte de Champagne & de la Marche souhaitant s’establir sur son
débris, se liguent ensemble, vnissent leurs trouppes, & leur armée
grossissant remplit le pays d’horreur & d’effroy. Vous estes, SIRE,
l’enfant de ce Monarque, le fils de ce Sainct, le Successeur de la
Couronne & de son Sceptre, vous le deuez estre de sa saincteté
& de sa vertu dont les illustres idées, & les genereuses pratiques
vous furent si agreablement inculquées en vne Chaire des
plus celebres de Paris, par la bouche & l’organe de Monseigneur de
Corinthe : Mais vous ne deuiez pas estre l’heritier de son mal-heur
& de son infortune, il falloit que nos Magistrats voyant que des factieux

-- 20 --

vouloient faire renaistre les mesmes troubles en vostre Estat,
arrestassent le cours de leurs mauuais desseins ; il n’y a point de malheur
pareil aux factions & guerres ciuiles : Factiones fuere eruntque magu
exitio pluribus populas quam bella externa quam fames morbiué. T. Liue.
Ce sont des deluges qui bouleuersent & noyent les plus puissans
Royaumes, & ils deuoient s’opposer puissamment à ce mal heur
pour en retenir la rapidité : Ils n’y ont pas manqué, SIRE ; il est vray
que ç’a esté ce semble auec plus de douceur & de bonté qu’ils ne deuoient,
mais la Iustice qui est tousiours assaisonnée de clemence ne
peut auoir plus de vitesse & de rigueur ; elle a vne espée, mais elle a
vne balance ; & cette balance, disent les Astrologues, est au Zodiaque,
entre le Signe de la Vierge, & celuy du Scorpion : Elle est seuere,
mais sa seuerité est douce, elle marche comme les Dieux
quand ils chastient :Dij pedes habent laneos. Elle va lentement ; c’est ce
que nous ont signifié les Anciens par vne riche peinture ; Ils peignoient
la Iustice sur vn chariot de triomphe qui n’estoit traisné ny
par des cheuaux, ny par des cerfs legers, mais par deux vieilles femmes
qui ne pouuoient presque se soustenir, l’vne portoit à la main
vn baston sur lequel elle s’appuyoit, & l’autre vne espée rompuë ; cela
veut dire, SIRE, que la Iustice doit estre lente à punir, & que si
elle a de la seuerité, cette seuerité doit estre douce ; les Iuges doiuent
vser de maturité en leurs iugemens, & ne se pas precipiter : Nostre
Dieu & le vostre, SIRE, nous en donne l’exemple, quoy qu’il soit
l’œil du monde ; que rien n’eschappe à sa connoissance ; qu’il voye
sans considerer ; qu’il n’ait pas besoin de temps pour s’instruire, &
que sans Arithmetique, sans regle, sans mesure & sans poids, il connoisse
le nombre, la dimension, la valeur & la grauité de chaque chose ;
neantmoins l’impieté & la voix des crimes des Sodomites ayant
monté iusques à son Throsne ; & l’ayant irrité, il en differe le chastiment,
& demande du temps pour s’en instruire ; Descendam & videbo.
Genes. 18. La clemence & la Iustice, SIRE, sont les deux principales
vertus des Roys, le Prince ne doit rien tant aymer que la clemence,
& n’auoir rien tant en horreur que la cruauté : c’est pour cette raison
que les Souuerains sont appellez Pasteurs des oüailles, les Peres
des peuples, & que les Romains appelloient leurs Empereurs & leurs
Roys du nom de Sauueurs, ainsi estoient nommez les Iuges d’Israël,
pour nous apprendre la necessité de la douceur & de la misericorde
en leurs personnes.

 

La Iustice & la misericorde, SIRE, sont les deux Poles des Monarchies,

-- 21 --

ce sont ces deux gardes inseparables du Roy Prophete, ce
sont ces deux mains qui soustiennent le Throsne de Salomon, ce
sont ces deux pieds de l’Ange de l’Apocalypse, ce sont les deux faces
du Cherubin, ce sont ces deux Gemeaux du Cantique qui repaissent
dans les lys : Duo gemelli qui pascuntur in lilijs ; ce sont en fin ces deux
mammelles de l’Espouse qui en sont la figure, mais la seconde doit
l’emporter sur la premiere, & la Politique doit s’accorder en ce
poinct auec la Theologie, qui nous apprend que Dieu ne fait iamais
banqueroute à sa misericorde, & l’exerce mesme iusques sur les
damnez : Que l’on n’accuse donc point nos Senateurs : Que l’on ne
blasme point nos Magistrats de n’auoir pas esté si viste que la fureur
populaire à repousser & punir la violence d’vn faux Ministre, & à
donner des bornes à ses tyrannies insupportables à vos peuples,
desaduantageuses à leur puissance, & fatales à vostre authorité. Le
Iuge doit estre comme le Musicien qui lie & serre des cordes, & puis
en lasche d’autres, dit Policrates l. 4. Il doit ioindre la manne auec
la verge, & agir sans passion & sans fureur ; C’est ce que nous represente
cette poitrine descouuerte de cét homme armé de pied en cap,
tenant d’vne main vn drapeau fait de pieces de soyes de toutes couleurs,
au milieu duquel estoit peinte vne rose pour deuise ; & de l’autre
vne balance, ayant tout proche vn ours, dans son bouclier vn
lyon, & ces mots aux pieds de la statuë : Oux ego gentis Saxonum victoriam
certam polliceor venerantibus, & sur sa teste estoient ces trois paroles,
her, man, sal, vir, communu, conseruator Goropius Becan. & Artemius
C’est, SIRE, l’expression naïfue & naturelle de l’obligation
de vos peuples, & du deuoir de nos Magistrats, que les Saxons nous
ont fourny dans cette figure de leur Republique auparauant que
d’estre subjuguez par Cha[2 lettres ill.]emagne. Cette statue nous apprend, SIRE,
qu’vn Empire & vn Estat doit auoir des forces & des armes
pour se deffendre des ennemis tant estrangers que domestiques. Cét
homme armé est l’image de vostre Parlement, qui doit estre armé
pour vostre deffense, & celle de vos Sujets : Qui doit auoir la force
du lyon pour resister aux vsurpateurs de vostre puissance, & de nos
fortunes : Qui doit auoir la hardiesse de l’ourse pour artaquer, &
n’est-ce pas ce qu’il a fait : Vrsi pugnaturi contra tauros supini iacent, dit
Pline. Il n’a combattu qu’en pliant, qu’en flechissant, qu’en s’abaissant,
qu’en se prosternant, qu’en suppliant auec humilité, qu’en se
couchant par terre auec douleur, qu’en remonstrant auec instance ;
supini, si le drapeau de diuerses couleurs monstre l’vnion des affections

-- 22 --

differentes en vne seule ; il a r’allié en vne seule & attaché au
bien du public les inclinations de nos Senateurs auparauant si diuerses
& partagées à des interests si notables, & à des objets si differens.
Il tient la balance en main puis qu’il ne prend les armes que pour defendre
la Iustice & vostre authorité ; Mais sur tout, SIRE, il porte
la poitrine descouuerte dans la sincerité de ses intentions, il la porte
desarmée resistant à ses aduersaires sans aucune alteration ; car sçachant,
comme dit Seneque, au liure de la clemence, que les massacres
& les carnages sont aussi honteux au Prince que le sont au Medecin
les funerailles & les obseques ; Tam turpe est principi multa supplicia
quam Medico multa funera, estant de l’humeur de Scipion, qui aymoit
mieux sauuer vn Citoyen que perdre mille ennemis, & voulant
se faire reconnoistre par leur douceur (qui est l’appanage, le signe, le
symbole, & le caractere des bons Ministres) d’auec ceux dont la rage
qu’ils ont executé dans tous les maux qu’il nous ont fait souffrir,
sans en auoir iamais fait aucun, monstre bien qu’ils n’en ont que l’apparence,
& que c’est injustement & sans raison qu’ils se vantent de
soustenir vostre party : il n’a pris les armes purement que pour nous
aller chercher du pain, pour luy donner passage, pour luy faire escorte,
pour nous deffendre & pour vous conseruer ; nos ennemis
s’en sont mocquez, SIRE, nous reprochant dans des Placarts & Libelles
seditieux semez dans toutes les ruës de vostre grande Ville
par l’vn de leurs Heros : que nos troupes ne paroissoient point ; qu’elles
ne passoient point les Faux bourgs, ou que si elles alloient plus
loin, elles n’estoient pas si-tost sorties, qu’elles r’entroient aussi-tost,
& se r’enfermoient dedans leur coque : Cela s’appelle, SIRE, estre
iustifié par la bouche mesme de ceux qui nous accusent ; il n’en faut
pas dauantage pour vous faire voir la bonté de nostre cause, la fidelité
de vos Sujets, le zele de vostre peuple, & l’innocence du Parlement,
lequel n’ayant leué des soldats que pour maintenir vostre Personne
sacrée dans la puissance, & vos Sujets dans la soubmission &
dans le calme ; si neantmoins il a esté obligé de faire des playes de
peur d’en receuoir ; d’offenser, de peur d’estre offensé ; de tuer, de
peur d’estre tué ; de respandre le sang de ceux qui vouloient respandre
le sien ; il n’a offencé qu’en se deffendant, & encore ç’a esté auec
tant d’irresolution, de repugnance, & de douleur, que ie le pourrois
iustement comparer en cecy à Marcellus dont par le sainct Augustin
au liure premier de la Cité de Dieu : Ce Prince, SIRE, estant sur le
poinct de gaigner Syracuse, & monté sur vne haute Tour d’où il contemploit

-- 23 --

sa bonne fortune ; comme il vid le choc, le chamaillis des
armes, le sang qui couloit, la campagne ionchée de corps morts, il
se mit à pleurer : Ainsi le Parlement forcé dans des rencontres qu’il
ne peut euiter à moins que de se rendre criminel, & paroistre peu
zelé & pour le Prince, & pour le peuple, ternissant le lustre & la
beauté de ses Lauriers & de ses Palmes par des pleurs qui luy sont
plus agreables que ses propres victoires ; donne cent gouttes de larmes
pour vne goutte de sang, marry que sa condition l’oblige à vaincre,
ne pouuant vaincre que par la mort & la deffaite : Il pleure,
SIRE, pendant que l’Autheur de nos troubles & de nos miseres
comme vn autre Neron regarde auec ioye au trauers de l’émeraude,
c’est à dire, d’vne verte esperãce de nostre ruïne, les combats de nos
Athletes, repaist sa cruauté de leur sang, sa fureur de leurs blessures,
sa rage de leurs douleurs, sa barbarie de leurs souspirs, sa vie de leur
mort, pendant qu’il regarde les feux de la guerre qu’il a allumée par
tous les cantons de vostre-Royaume ; qu’il le considere se deschirant
soy-mesme auec plaisir de ses mains sanglantes par des factions domestiques,
tirant son asseurance de son desespoir, ses ris de ses larmes,
son chant de ses sanglots, sa felicité de son mal-heur, & sa fortune
de son tombeau.

 

En faut-il dire dauantage, SIRE, pour sa iustification & la deffense
de ce fameux Senat, quand la Nature, les Loix, vostre authorité,
la doctrine, Dieu & les hommes n’auroient pas approuué leur
procedé, ne le seroit-il pas assez par ces raisons ? On l’a iugé si iuste,
SIRE, que tous les Estats se sont ioints auec eux, & leur ont donné
les mains : vos reuenus pillez, vos Finances volées, vos peuples appauuris,
vos Prouinces desolées, vos Loix enfraintes, vostre authorité
vsurpée ont donné sujet aux vns & aux autres de violenter leur
humeur pour corriger celle d’vn mauuais Ministre, lequel abusant
de vostre puissance estoit l’Autheur de tous nos maux : On n’a pas
voulu, SIRE, suiure le conseil de Trajan. Cét Empereur offrant au
premier President de sa Ville vne espée toute nuë, luy dit : Cape ferrum
hoc & siquidem recte Imperium gessero prome, sin autem contra me vtere.
Niceph. 1. 8. Hist. Eccl. c. 23. On a veu vostre Royaume & vostre
Empire tres-mal administré ; mais comme vous n’en estiez point
la cause, & que vostre aage encore tendre & delicat vous dispensoit
de regner par vous-mesme, & mettoit vostre Couronne en tutelle,
vos Tuteurs se sont souleuez contre vos Ministres, le Parlement a
pris les armes pour vous, & non pas contre vous, & escoutant auec

-- 24 --

plus de raison cét aduis qu’vn mauuais Conseiller donnoit à vn malheur
eux enfant reuolté contre son pere, qu’Architofel donnoit à
Absalon armé contre Dauid : Vnum virum tu quœris & omnis populus
erit in pace. 2. Reg. 17. Voyant auec certitude & sans erreur que Mazarin
estoit la cause de nos miseres & de nos troubles, & que tout vostre
Estat ne pouuoit estre pacifié qu’en l’expulsant du Royaume selon
la voix publique : il a pris les armes pour l’en bannir, toutes les
Prouinces les ont prises pour cela, tous vos Parlemens pour ce suiet
ont enuoyé des Deputez, toute la terre s’est remuée pour s’en deffaire :
Vos ennemis mesmes, SIRE, ont demandé sa perte, quoy qu’il
les obligeast à vos despens, tous les peuples, toutes les nations le
sont venus chercher comme l’Autheur de leurs infortunes, dans le
desir d’en faire vne victime publique, & de l’exposer à vn dernier
naufrage pour calmer & adoucir les tempestes qu’il auoit excité par
tout le monde ; & par consequent, SIRE, estant vray, comme dit
Xenophon, que le Monarque ne monte pas au Throsne pour auoir
soin de soy-mesme, mais pour procurer le bon-heur & à la felicité &
à ses Suiets : Rex eligitur non vi sui ipsi is curam habeat, sed vt per ipsum
qui illum elegerunt in fœlicitatem viuant. Que vostre Maiesté ne trouue
point mauuais que vostre Parlement & vos Peuples ayent fait en ce
rencontre ce qu’elle auroit non seulement approuué, mais encore
commandé si elle auoit esté en aage de le faire ils ont moins cherché
leur bon-heur que vostre repos, le restablissement de leur liberté
que celuy de vostre puissance, ils ont eu plus de veuë des interests de
vostre sacrée Personne que de tout ce qu’ils pouuoient souhaiter
pour leur égard, puis qu’ils ont tout hazardé leurs biens, leur repos,
leurs charges, leur liberté, leur vie, & tout ce que l’on peut dire pour
le soustien & la protection de vostre authorité, dont ils esperent que
vostre Maiesté conseruera vne eternelle reconnoissance.

 

FIN.

Du 23. Mars.
1649.

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Anonyme [1649], LE FORT ET PVISSANT BOVCLIER DV PARLEMENT, EN FORME D’APOLOGIE. DEDIÉ AV ROY. , français, latinRéférence RIM : M0_1402. Cote locale : A_3_64.