Anonyme [1649], LE FOVDROYEMENT DES GEANS MAZARINISTES ABYSMEZ SOVS LES RVINES DV FAMEVX ET DESOLÉ BOVRG DE CHARENTON , françaisRéférence RIM : M0_1404. Cote locale : B_13_48.
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LE
FOVDROYEMENT
DES
GEANS
MAZARINISTES
ABYSMEZ
SOVS LES RVINES DV
FAMEVX ET DESOLÉ
BOVRG DE
CHARENTON

A PARIS,
Chez FRANÇOIS NOEL, ruë Sainct Iacques,
aux Colomnes d’Hercules.

M. DC. XLIX.

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LE FOVDROYEMENT DES
Geans Mazarinistes, abysmez sous les
ruines du fameux, & desolé Bourg
de Charenton.

L’experience nous a tousiours appris que iamais
le Ciel ne manque de vengeance pour
punir tost ou tard les temeraires, & les presomptueux ;
car plus la fureur de ces audacieux
les excite à faire la guerre à ceux qu’il
protege, d’autant plus aussi sa colere l’anime à trauailler pour
les destruire. Quelque tout bon & misericordieux que soit
Dieu, si ne voulut il iamais pardonner, ny faire grace, aux
plus beaux de tous les Anges, qui pour s’estre voulus égaler
à luy, les a rendus par leurs cheutes, les plus horribles & affreux
de tous les Demons. Les Geans qui eurent la presomption
de vouloir escheler le Ciel, ne furent-ils pas à l’instant
renuersez d’vn coup de foudre sur la terre ? De tous les crimes
dont les mortels se puissent iamais soüiller, il n’y en a
point de plus enormes, ny que la Iustice diuine chastie si seuerement,
que l’orgueil, & le delespoir. Ne peut on pas à
bon droict conuaincre de ces crimes, ces creatures, ces seconds
de Mazarin, ces boutefeux, ces rodomons, & ces arrogans,
qui pipez de l’esperance de participer aux quatre
millions d’or qu’a promis cet infame Estranger au Chef de
sa ligue, se sont si souuent vantez, en faueur de ce Monstre
abominable de la nature, de consommer & reduire Paris en
feu & en flammes, de violer les filles en la presence de leurs
meres, de tuer les enfans à la veuë de leurs peres, & en suite
acheuer de ruiner la France, pour assouuir leur rage, & leur
tyrannie ? N’est-ce pas estre bien presomptueux, que de se

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promettre vainement que des courages audacieux puissent
malgré toute sorte de resistence mettre à feu & à sang
vn Royaume pour quitant de Heros, de Princes, & de Peuples
belliqueux sont armez pour le defendre ? Que ce ne soit
le desespoir qui les tyrannise, il n’en faut point douter. A-t’on
iamais veu, sans rage, des enfans attenter à la vie de leur
mere ? Et n’est-ce pas estre bien desesperez, que d’ouurir auec
le fer le sein de la Patrie, qui leur a donné la naissance ? Hé
quoy, Demons, qui n’auez pour toutes ressemblances d’hommes
que le visage ! croyez-vous meriter de l’encens & des
sacrifices, pour plonger vos armes dans les entrailles de la
France ? Est-ce par de si enormes attentats, & par des actions
si cruelles, que vous croyez eterniser vostre memoire ? Il est
vray que vostre fureur n’agueres s’est émeuë contre Charenton,
où vous n’y auez pas fait tout le mal que vous y pensiez
faire, vous y auez trouué vn vaillant Chef, & de genereux
Soldats, qui ont plus endommagé vostre party que vous
ne vous l’estiez pas imaginé. Ils vous ont appris que plus lo
danger choque la valeur, plus elle se renforce, semblable au
vin, qui deuient plus fort quand il est émeu, la souplesse du
corps bien souuent s’oppose à la force, la resolution à la rage,
la vaillance à la furie, le courage à la confiance, & la generosité
à l’insolence. Quoy que victorieux en vne partie,
n’auez-vous pas esprouué, à vostre perte, qu’il n’y a point de
raison dans la chaleur des armes, ny guere d’ordre dans vn
combat opiniâtré comme lenostre ? Si ceux qui ont esté immolez
à la vengeance diuine, & qui ont esté seuerement punis
pour auoir forcé vn Peuple, fidele, armé pour sa defense dans
vn poste, qu’il n’occupoit que pour fauoriser la conduite des
viures, dont on leur vouloit empescher l’accés, viuoient encore
qu’ils auroient bien sujet de s’écrier. Que l’esperance
des hommes est trompeuse ! que la fortune est inconstante &
fragile ! & que les efforts humains sont vains ; puis qu’ils s’affoiblissent,
& se rompent dans le milieu des entreprises, &
que l’on void bien souuent le naufrage auant qu’on puisse
voir le port ! Il est certain que la vie des gens de bien est en
la main de Dieu, & qu’il est impossible aux meschans de

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nuire comme ils voudroient bien à ceux qu’il a pris en sa protection.

 

Encore que vostre victoire soit beaucoup plus sanglante
qu’elle n’est auantageuse, & que vous ayez perdu dans ce
combat presque autant de personnes releuées, & de Capitaines,
soit du Regiment des Gardes, de celuy de Nauarre que
nous auons perdu de soldats, ie ne doute point que vostre vanité
ne soit telle, de publier que c’est vn grand eschec à nostre
party, & que cette surprise de Charenton n’enfle de beaucoup
le courage des Mazarinistes, d’auoir enleué ce quartier
à la veuë de Paris, & presque en la presence mesme de
toute son Armée. Apprenez cecy de moy, que l’impreuoyance
quelquefois cause de grands malheurs aux succés de la
guerre ; & qu’aux affaires de grande importance, il ne faut
point du tout perdre de temps, puis qu’il ne faut bien souuent
qu’vn seul moment pour les ruiner, & qu’ordinairement vn
siecle ne suffit pas pour reparer les fautes, qui se font en vn
quart d’heure.

C’est ce qui me fait dire, que si tant d’excellens hommes
qui maintiennent le patty du Roy, de son Parlement, & de
toute la France, eussent eu le bonheur de preuoir cette Tentatiue,
il est certain que Dieu protegeant la Iustice de leur
cause, leur eust fait reduire en poudre cette ligue iniurieuse
& tyrannique. Il est vray que l’on me pourroit representer,
que le desir trop ardent de scauoir l’aduenir, reduit les hommes
bien souuent à ce point de folie de s’imaginer, vne eternité
dans les momens de la vie, & de ne considerer pas qu’en
elle il n’y a rien de si certain que l’incertitude. Ceux que la
nature a fait naistre mortels, doiuent reuerer les puissances
celestes, non pas les sonder trop auant, & rechercher
plustost leurs secours par leurs prieres, que leurs conseils secrets
par vne vaine curiosité. Ainsi l’on ne doit point blàmer,
ny nos Generaux, ny nos Soldats, de ce qu’ils n’ont
pas esté assez heureux pour cette fois de deffaire à platte couture
cette Armée de Cardinalistes, dont Dieu sans doute en
a voulu reseruer la deffaite à vn autre temps pour rendre sa
ruine plus fameuse, & nostre triomphe plus memorable. Ce

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mesme Dieu permet bien souuent le mal, mais il n’en est
point l’Autheur, & s’il ne l’empesche pas, il faut croire que
c’est pour des raisons qui nous sont inconnuës ; car qui est
celuy qui peut penetrer dans ses conseils ?

 

Mais ô quelle mort est la vostre, ennemis coniurez de
Dieu, du Roy, du Parlement, des peuples, & du Royaume !
vn scelerat estranger, vn perturbateur du repos public, & le
tyran de vostre Patrie, a-t’il biẽ eu la puissance de vous charmer
par l’eclat des immenses richesses qu’il a vollées à la
France ? les promesses de vous enrichir de l’appauurissement
de l’estat, ont elles bien pû seduire vos esprits à ce point de
vous rendre criminels de leze Maiesté diuine, & humaine,
de trahir vostre honneur, & vostre gloire, égorger cruellement
vos freres & vos amis, piller, & brusler les Eglises, violer
les femmes, & les filles, & tout cela, pour empescher
qu’vn traistre Sicilien ne soit puni des enormes crimes, qu’en
gros & en détail il a commis contre toute la nature. Infortunez
Courtisans, qui selon l’aparence humaine, estes morts
en l’ire de Dieu ! quels sont vos tourmens auiourd’huy & quelles
sont les ardeurs, qui deuorent incessamment, & vos corps
& vos ames ? le souuenir m’espouuante, & les flammes qui
vous bruslent continuellement, glacent mes sens de l’horreur
que ie conçois de vos peines éternelles. Vous connoissez
maintenant si le Cardinal Mazarin a pouuoir de vous absoudre
des pechez qu’il vous a fait commetre, les tresors qu’il
vous a promis, ne seront point donnez à vos vefues, ny à
vos enfans : mais quand bien ce lâche homme auroit cette
espece de bonté parmy tant de meschancetez, que de donner
à vos successeurs apres vostre mort, ce qu’il vous auoit
promis durant vos vies, & que vos heritiers voulussent tout
prodiguer pour vous retirer de l’abisme de vos miseres. Helas !
tout cela seroit inutile, il faut qu’éternellement les corps
& les ames, de ceux qui meurent en la disgrace de Dieu souffrent
des peines continuelles ! Où estes vous donc creatures
tourmentées à toute éternité, sans espoir de grace, ny de diminution
de vos peines.

O Duc de Chastillon, qui auiez desia tant donné de

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preuues de vostre valeur en de si fameuses rencontres, & qui
en faisiez encore bien esperer de plus grandes à la France !
cõment a t’il esté possible, que vous vous soyez rangé de l’iniuste
party des Mazarins, puis que vous n’auez iamais eu dans
vostre vie vn plus puissant obstacle à vostre bonne fortune,
que cét infidele Ministre d’Estat ? Ne deuiez vous pas vous
ressouuenir, que pour recompenser les glorieux trauaux que
vous auiez pris, comme Lieutenant du Roy dans l’armée de
Flãdres, au siege d’Ipre, le General vous voulut faire le Gouuerneur,
& que Iules, de qui vous auez depuis si inconsiderément
pris les interests, vous en empescha auec violence,
aymant mieux d’y establir vn sien confident, qui venoit n’aguere
de faire prendre Courtray à l’Archiduc Leopold, que
de vous rendre iouyssant d’vn honneur que vous auiez si bien
merité ? Qu’est deuenu vostre sentiment, auez vous degeneré
à l’illustre sang des Colignys, qui ont tousiours esté les
ennemis ouuerts des Tyrans ? Ne deuiez-vous pas vous representer
que si à vne bataille en France aupres de Sedan,
contre des estrangers, vous auiez eu l’honneur & la gloire de
deliurer feu M le Mareschal de Chastillon vostre pere, General
de l’armée, que le sort auoit fait presque prisonnier de
l’ennemy, il falloit acheuer de bien, & fidellement seruir le
Roy, & sa Patrie, & non pas ainsi aueuglement tourner casaque,
pour épouser la querelle du plus cruel, & du plus detestable
ennemy qui aye iamais deuoré les entrailles de la
France ? ie ne veux pas noircir vostre estime d’vn si cruel reproche,
que celuy de vous estimer indigne du noble sang de
vos ayeuls : mais l’irreparable tort que vous vous estes fait, &
à vostre haute reputation, ne peut m’empescher de vous dire,
que si l’on ne vous accuse de perfidie que vous ne pouuez
euiter qu’on ne vous conuainque d’vne trop temeraire inconsideration.
Vostre conuersion à la foy catholique penset’elle
faire, que la misericorde de Dieu sur passe sa iustice ; ie le
souhaite auec autant de passion que i’ay enuie de viure.

 

Que le trepas deplorable du vaillant, & magnanime de
Clanleu, est bien plus glorieux que le vostre ! il est mort les
armes à la main, en combatant valeureusement pour conseruer

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le Poste de Charenton, que nos Generaux auoient confié
à sa fidelité, & à sa grande experience. Son courage inuincible
a refusé le quartier que vous luy auez voulu donner,
aymant mieux mourir courageusement pour le seruice de
son Roy, & de sa Patrie, que de se rendre laschement aux
ennemis de l’vn & de l’autre.

 

FIN.

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