Anonyme [1652], LE FRANC BOVRGEOIS DE PARIS, Monstrant les veritables causes & marques de la destruction de la ville de Paris. Et les deuoirs du Magistrat & de tous les bons Citoyens pour y remedier. , françaisRéférence RIM : M0_1408. Cote locale : B_17_2.
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Le franc Bourgeois de Paris,
Monstrant les veritables
causes & marques de
la destruction de la Ville de
Paris. Et les deuoirs du Magistrat,
& de tous les bons
Citoyens pour y remedier.

C’est vne chose certaine, que comme
les Villes ont leur commencement,
de mesme que toutes les choses du
monde : Elles ont aussi leurs changemens,
reuolutions, & descheances, desquelles il
est expedient à vn chacun de connoistre les causes,
soit pour les preuenir, si elles sont en nostre
pouuoir, soit pour reconnoistre l’instabilité
des hoses humaines.

Les Politiques, remarquent quatre causes
principales de la descheance des Villes, & Estats
les plus florissants.

La premiere est, vne certaine necessité de la
Prouidence Diuine, par laquelle on voit déchoir
& perir, contre toute la connoissance que

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la raison humaine en peut suggerer, les Villes
les plus superbes, & les Estats les plus puissans.
Par exemple, qui auroit crû que la Republique
Romaine fut décheuë à vn tel point que nous
la voyons, lors qu’elle auoit sousmis sous son
Empire presque toute la terre, & qu’elle sembloit
ne pouuoir plus auoir aucun ennemy :
Quelques-vns disent que cela est arriué par le vice
& la corruption des Magistrats, ce qui peut estre
aucunement vray, mais ceux qui leur ont succedé,
n’ont pas esté meilleurs ny plus vertueux,
& ainsi il faut aduoüer, que cela est arriué par
vne secrete Prouidence de Dieu, pour punir
les pechez des hommes, à laquelle la prudence
humaine ne peut resister, estant certain comme
remarque. Velleius Paterculus, que lors que
Dieu veut renuerser vn Estat, il affoiblit les
Conseils de ceux qui les conduisent, ainsi que
Dieu dit ouuertement de soy-mesme dans le
Prophete Esaïe, au Chapitre 43. Sur quoy,
est remarquable ce qui se lit dans les Annales de
France, d’vn Anglois, qui comme vn François
luy demanda en se mocquant, lors que les Anglois
furent chassez du Royaume de France,
quand est-ce qu’ils y retourneroient, il respondit,
lors que vos pechez seront plus grands que
les nostres.

 

La seconde cause de la ruine des Villes & Estats

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est, lors que les membres qui les composent viennent
à se desvnir, & les esprits à se partager entr’eux
par diuisions & dissentions, car alors il s’ensuit
necessairement la dissolution & destruction
de tout le corps, ce que Platon a tres-bien representé
dans les liures de sa Politique, en ces mots,
les nombres ou la musique venans à se changer,
l’Estat & la Republique se changent necessairement,
& ce auec grande raison, soit que par là il
ait entendu le vray espace des années, où cet accord
& harmonie qui doit estre entre les Magistrats
& les sujets, car s’il a entendu le vray espace
des années, il est certain que les Estats, de mesme
que les corps humains, se changent & destruisent
dans certains temps, tels que sont aux hommes
les années, septiesme, quatorziesme, & autres
clymacteriques, qu’vn Ancien a appellé
tueurs & massacreurs d’hommes : & s’il a entendu
la concorde entre les Magistrats & les sujets, il
est certain que comme les nombres estans desjoins
& separez l’vn d’auec l’autre, la somme se diminuë
& vient à neant, & vne corde venant à se
rompre, ou vne voix à manquer dans vn concert
de musique, le concert ne peut subsister, de mesme
les parties & les membres d’vn Estat venans à
se desvnir & diuiser, l’Estat reuient necessairement
à son premier estre, l’vnion & concorde des
membres qui le composent, estant de telle necessité

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& consequence pour la subsistance mesme
des particuliers, que leur diuision & dissolution
entraisne necessairement la destruction du tout,
& des parties mesme, ne plus ne moins que la dissolution
des elemens celle du composé, à cause
dequoy cette vnion & societé entre les hommes
est à bon droit appellée l’ame du monde, & vne
harmonie : car comme le corps ne peut subsister
sans son ame, ny l’harmonie apres la des vnion
des sons, ou le composé apres la dissolution des
elemens, ainsi les Hommes & les Estats ne sçauroient
subsister sans cette vnion & concorde mutuelle.

 

La troisiesme cause que l’on remarque de la
ruine des Estats & Empires, est leur excessiue grãdeur,
sur quoy est remarquable dans Quinte Curce
la harangue des Scithes à Alexandre le Grand,
& le discours d’vn Autheur Italien en ces termes,
d’autant plus, dit-il, que le trou qu’on fait dans le
bois auec vne tariere s’agrandit, d’autant plus se
diminuë le bois : Ainsi vn Estat se diminuë d’autant
plus qu’il s’agrandit, parce que ses forces deuiennent
tousiours moins proportionnées à sa
grandeur ; Et tout de mesme qu’vn danseur de
corde tombe aisément, parce qu’il a la plante du
pied plus large que la corde, de mesme les Villes
& Estats qui sont d’vne excessiue grandeur, &
mal proportionnez à eux-mesmes, dechéent aisément,

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à cause dequoy l’Empereur Auguste
auoit à bon droit ordonné dans son dernier testament
de reduire les limites de l’Empire, & le Roy
Henry le grand celles de la ville de Paris.

 

La quatriesme marque de la cheute des Villes
& Empires, est lors qu’on les voit arriuées dans
vne supréme prosperité, qui est, comme on dit
communément, la veille de grands mal-heurs,
car il y a vn certain circuit des choses humaines,
qu’elles se changent tousiours en pis ou
en mieux : or lors qu’elles sont paruenuës dans
le souuerain degré de felicité, comme il ne manque
rien à leur bon-heur & prosperité, si elles
doiuent souffrir quelque changement, elles ne
peuuent que décheoir, leur arriuant necessairement
ce qui arriue à vn homme qui est paruenu
au sommet d’vne montagne, lequel s’il veut
aller plus auant, il faut necessairement qu’il descende.

L’application de ces choses se peut aisément
faire à la Ville de Paris, par ceux qui sçauent
que l’impieté, la mauuaise foy, l’injustice, la
corruption, & le desreglement des mœurs
y sont si communs parmy toutes sortes de personnes
& de toutes conditions, que la plus part
en font gloire ; qui ont connoissance des diuisions
& partages des esprits qu’on y a remarqué
depuis quelques années, & que l’on y voit

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encore à present, qui ne peuuent qu’estre funestes
à tout le corps ; qui voyent l’immensité
de son estenduë, & la multiplicité de ses habitans,
qui ne peut presque passer que pour vn
monstre : Et qui entendent la prosperité, splendeur,
& felicité extraordinaire, dans laquelle
elle estoit il y a dix ou douze années, laquelle ne
pouuant monter plus haut, ny demeurer longtemps
en vn mesme estat, non plus que toutes
les autres choses humaines, il faut necessairement
qu’elle diminuë.

 

Mais outre ces marques generales de la decadence
de la Ville de Paris, il y en a encore
deux particulieres qui sont d’vn tres-mauuais
presage, & qui tesmoignent vn assoupissement
& vne insensibilité, qui ne ressentent presque
plus l’humanité.

La premiere est, le peu d’estat & le mespris
que Messieurs de Ville ont fait dans les mouuemens
presens, de pouruoir au soulagement
des pauures Mendians, bien que le nombre en
ayt esté, & soit encore infini, & leur misere du
tout extraordinaire, ce qui est cause qu’il en est
mort plusieurs milliers de faim & de necessité,
sans aucun secours, laquelle inhumanité ne peut
qu’attirer des iugemens de Dieu du tout extraordinaires,
sur tous les habitans de la Ville de Paris,
qui ont pû les assister, mais notamment sur

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ceux qui ont la conduite de la Ville, & l’administration
des affaires publiques.

 

La deuxiesme est, la negligence que l’on a
aussi tesmoignée à regler & moderer les abus en
la vente des viures & danrées absolument necessaires
pour la subsistance des habitans de la Ville,
notamment les excez des Boulangers au prix
du pain, & des Meusniers en la mouture des
bleds, qui y ont apporté plus de cherté que le
defaut des bleds : car tout le monde sçait que les
Boulangers ont vendu & vendent encore le petit
pain le double de ce qu’ils peuuent le vendre
legitimement, eu esgard au prix du blé, & que
les Meusniers ont exigé & exigent encore des salaires
du tout excessifs pour la mouture des
bleds, sans parler de ce qu’ils en prennent indirectement
à leur accoustumée, mesme lors que
l’on est present par les voyes secretes & indirectes
qu’ils ont pour cet effet inconnuës à tous autres,
ayans exigé en dernier lieu iusques à huit
& dix liures tournois pour la mouture d’vn septier
de blé, bien qu’ils ne payassent pas plus
de ferme de leurs moulins qu’auparauant : Au
moyen de quoy les pauures qui n’auoient pas de
quoy leur payer & à leurs valets, tout ce qu’ils
demandoient, estoient tousiours les derniers à
moudre, quoy que les premiers au moulin, &
les plus necessiteux, estans ainsi contrains de

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souffrir la faim, tandis que les riches qui auoient
du pain chez eux, ou dequoy en acheter au marché
tenoient les moulins occupez, ce qui seruoit
aussi de pretexte aux Boulangers pour encherir
le pain, aussi bien qu’en tout autre temps les fraudes
ordinaires des Meusniers.

 

La Ville de Paris, a autresfois en de bien
moindres rencontres acheté des bleds des deniers
communs, & fait des magazins publics,
soit pour le reuendre à vn prix moderé au peuple
qui n’en auoit pas, soit pour en faire distribuer
du pain aux pauures en pure aumosne, ou a
moitié prix pour les secourir d’autant, mais en
celle-cy, elle est demeuree comme immobile &
insensible à la misere & necessité des pauures,
bien que peut-estre iamais elle n’y eut esté plus
grande.

Quelques-vns imputent cette faute à l’ancien
Prouost des Marchands, disans qu’il estoit bien
ayse de laisser les peuples dans la necessité & la
souffrance, afin que le desespoir les obligeât finalement
à se jetter sur ceux qu’on leur vouloit persuader
estre la cause de leurs maux, mais le moderne
n’a pas esté plus soigneux depuis qu’il est
en charge, de rechercher ou profiter des moyens
tres-fauorables & auantageux qui luy en ont esté
proposez, quoy que tout le monde esperât
qu’il deut commencer les fonctions de sa charge

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par quelque bon ordre pour le soulagement des
pauures, ce qui fait voir que Dieu nous a abandonnez
dans nostre insensibilité pour nous affliger
encore de plus rudes chastimens que ceux
que nous ressentons à present : Ceux-là ne sont
pas moins coupables, qui ayans des bleds chez
eux, plus qu’il ne leur en faut pour leur prouision
n’en ont pas secouru, & n’en secourent pas
encore les pauures, soit en leur en faisãt distribuer
en aumosnes selon leur portée, soit en l’offrant à
ces fins à l’Hostel de Ville à vn prix raisonnable.

 

L’ancien & le moderne Prouost des Marchands
& les Escheuins de la Ville, allegueront sans
doute en ce rencontre, le nombre excessif des
pauures, auquel il estoit impossible de subuenir ;
& qu’il y auoit assez de bled dans la Ville chez
les particuliers, sans qu’il fut besoin de se mettre
en peine d’en faire venir de dehors, & d’en faire
des amas pour le seruice du public.

Mais à cela on leur respond, que tant plus est
grãd le nombre des pauures, tant plus estoient-ils
obligez de contribuer à leur subsistance, sçachans
bien qu’à cause de leur nombre, ils ne pouuoient
trouuer à suffisance par la Ville pour leur nouriture,
& à cet effet de leur faire distribuer du pain
sinon en aumosne entiere, du moins à vn prix
fort modique, pour leur donner occasion d’employer
vtilement les aumosnes qu’ils trouuent

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en argent par la Ville : & pour ce qui regarde les
bleds, que si bien il y en a grande quantité dans
la Ville, chez les particuliers, les pauures gens
n’en ont pas pour cela d’auantage, & c’est pour
cette consideration que l’on deuoit plustost faire
rechercher par des notables Bourgeois en chaque
quartier de la Ville, les bleds superflus, ou
autres qu’on eut veu en danger de se corrompre,
& obliger les proprietaires d’iceux, de les employer
incessamment, ou les vendre à vn prix
raisonnable au public, & les remplacer incessamment
par des nouueaux : Au moyen de
quoy on eut euité la perte d’vne infinité qui se
sont corrompus, & corrompent tous les iours
chez les particuliers faute de soin, d’experience,
ou de lieu propre pour les conseruer, les tenans
la pluspart enfermez dans des muids, ou autres
lieux peu aërez, ne daignans les employer de
bonne heure, & les renouueller de temps en
temps, l’employ desquels bleds on asseure estre
maintenant vne des principales causes de la grande
quantité de maladies que l’on voit à present
dans la Ville, & capable finalement d’y causer
des maladies contagieuses, si l on n’y remedie.

 

Et pour ce qui regarde les abus & excez extraordinaires
des meusniers & boulangers, ils allegueront
sans doute, que les changemens des
moindres choses, quoy que dommageables, sont

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quelquefois de dangereuse consequence, ce qu’ils
appuyeront du precepte des Medecins, notamment
d’Hypocrate, qui dit, que si des corps malades
sont accoustumez à viures d’alimens mauuais,
& mal-sains, bien que par l’vsage d’iceux le
mal s’augmente, il vaut mieux les laisser dans l’vsage
des mauuais alimens ausquels ils sont accoustumez,
que de les charger de bons & inusitez remedes.
Mais bien que des semblables raisons en ce
rencontre, ne puissent venir que de tres-mauuais
Politiques, & de personnes interessées, directemẽt
ou indirectement en la continuation de semblables
excez, puis qu’elles n’ont lieu qu’en ce qui regarde
le gouuernement general de l’Estat, pour
refuter ce raisonnement par la mesme comparaison,
on peut demander si le mal est ainsi venu à
telle extremité, que sans l’vsage des vrays remedes
on ne peut plus sauuer le malade : on doit
pour ces considerations s’empescher de les appliquer,
& si l’application s’en peut faire en vn
temps plus fauorable, que lors que le malade
connoissant & estant pressé de son mal, demande
luy mesme & est prest & resolu de souffrir la
plus dure cure que le Medecin voudra luy ordonner.

 

Iamais il n’a esté plus necessaire, & ny la conjoncture
plus fauorable pour faire vn bon reglement
contre les abus & excez des Meusniers &

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Boulangers, que maintenant que tout le peuple
en connoissant & sentant par sa propre experience
le dommage & l’incommodité, les a
en horreur, y souhaitant hautement le remede,
sans que l’on doiue apprehender comme autrefois,
que telles gens puissent causer des necessités
& desordres dans la Ville, puis que tous
les Bourgeois ont appris, & pris coustume de
faire boulanger chez eux, & qu’ainsi vn chacun
peut se passer d’eux, soit en faisant du pain
chez soy, soit en profitant de la cõmodité des bureaux
establis dans la Ville, de grand pain Bourgeois
au poids, en eschange du bled, dont la
commodité est tres-fauorable, & tres-auantageuse
à tout le menu peuple, notamment depuis
que l’entrepreneur les a reduits à vne seule
sorte de pain pour le commun auec son tout, les
sons seulement ostez, tant pour oster toute apprehension,
qu’il employât ou effleurât les bleds
ou farines pour faire du pain blanc, pour rendre
ou donner en eschange à d’autres, que pour
preuenir les inegalités & autres defauts, que la
diuersité du pain y a causé par le passé, duquel
pain il fait rendre plus ou moins par sextier, selon
la qualité du bled qu’on luy fournit, auec
toutes les asseurãces & precautions que l’on sçauroit
souhaiter amplement desduites dans l’imprimé
qu’il en fait donner dans ses Bureaux.

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L’experience toute notoire de la vente du pain
à la liure, qui se fait depuis quelque temps tout
publiquement par tous les Carrefours de la Ville,
& les iours de marchés, mesme parmy les
Boulangers, auec l’applaudissement de tout le
monde, qui en vn autre temps n’eut peut-estre
pas esté soufferte qu’auec beaucoup de bruit &
de trauerses de la part des Boulangers, quoy que
sans aucun droit, iustifie pleinement la verité de ce
raisonnement pour ce regard.

 

Pour ce qui regarde les Meusniers, vn chacun
sçait que tenans les moulins d’autruy, ils ne
peuuent se passer de les faire valoir pour en pouuoir
payer la ferme, quand la necessité de leur
entretien ne les y obligeroit pas, & qu’ainsi ils
souffriront tousiours tels reglemens raisonnables
que l’on voudra leur imposer pour le bien
public, aussi bien que ceux des autres Villes du
Royaume. D’ailleurs estans personnes publiques,
on peut les y forcer, soit en employant leurs
moulins par d’autres, comme il est tres aysé, ou
autrement par les voyes de la Iustice, ausquels
ils ne sont pas assez forts pour resister, principalement
maintenant qu’ils ont tout le peuple
pour ennemy. Cependant les Bureaux qui s’establissent
dans la Ville & Faux-bourgs par vn
particulier, où il se charge de faire moudre, receuoir,
& rendre aux poids les bleds & farines

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qu’on y enuoye, sauf à luy à en payer aux Meusniers
leurs droits ordinaires, ou tels autres dont
il peut conuenir auec eux, & son recours contre
iceux des fraudes qu’ils y peuuent commettre,
enuoyant mesme prendre & rendre à ses
frais, ainsi que les Meusniers, les bleds chez les
particuliers lors qu’ils n’ont pas la commodité
de les enuoyer dans lesdits Bureaux. Le tout
moyennant vn salaire modique & reglé pour
le droit de mouture, & tous autres frais, qui n’est
que la moindre partie de la valeur du bled, que
les Meusniers ont de coustume de prendre indirectement
outre leurs salaires legitimes, sont vn
exemple d’vn remede tres-salutaire dans Paris,
contre les maluersations ordinaires des Meusniers,
duquel neantmoins ils n’oseroient se
plaindre, tant parce qu’il ne desroge aucunement
à leurs droits & libertez legitimes, non-plus
que la vente & eschange à la liure du grand
pain Bourgeois remarqué cy-dessus, à ceux des
Boulangers ordinaires, que parce qu’ils ont
toute la liberté de se conseruer leurs chalandises
auec beaucoup moins de peine, de frais & d’embarras,
voire mesme ceux qui veulent s’en acquiter
fidellement, ont tout moyen d’en acquerir de
nouuelles, & tenir leurs moulins ordinairement
occupez sans perdre le temps à aller chercher des
bleds de maison en maison, comme ils ont accoustumé

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de faire auec beaucoup plus de frais &
de perte de temps, puis que se rendans assidus
dans lesdits Bureaux, & s’aquitans fidellement &
diligemment de la mouture des blez, on leur y
baillera sans contredit, non seulement les bleds
de ceux qui les indiqueront, mais aussi d’autres
au prix & conditions dont ils conuiendront auec
ledit Entrepreneur.

 

De mesme, il n’a iamais esté si necessaire ny le
temps si opportun pour establir vn reuenu fixe
pour l’entretien des pauures mendians dans Paris,
que maintenant que le nombre en estant infini,
vn chacun souhaite auec passion d’estre deliuré
de l’importunité que l’on en reçoit, à cause de
quoy il n’y a personne qui ne soit raui de contribuer
pour ce sujet, cela se peut neantmoins faire
sans venir à aucune imposition par les moyens
qu’en suggere vn projet d’Edict qui se publie
pour ce sujet, qui ne consistent qu’en simples
premices & reconnoissances enuers Dieu, destinées
par le droit diuin & humain aux choses pies,
en ordonnant cependant pour y subuenir, vne
queste pour vne fois, de bleds sur les bourgeois
& habitans de la ville, qui en ont plus qu’il ne
leur en faut pour leur prouision, & d’argent sur
les autres, au moyen de quoy, & d’autres expediens
non moins doux & fauorables que l’on peut
trouuer : certaines personnes poussées d’vn veritable

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zele de charité, veulent entreprendre d’enformer
tous les pauures de la Ville en certains
lieux, les y entretenir, & employer les valides
d’entr’eux, sans qu’ils aillent plus mendier par les
ruës. Les Anglois nous en fournissent vn tres-bel
exemple, qui pour attirer la benediction de
Dieu sur leurs desseins, quoy qu’iniustes, ont dans
le plus fort de leurs mouuemens estably les
moyens d’entretenir tous les pauures dans certains
lieux, ne souffrans plus qu’ils mendient par
les Villes, ainsi que l’on a remarqué dans les Relations
ordinaires qui viennent toutes les semaines
de Londres, ce qu’ils auoient tousiours negligé
de faire aussi bien que nous, dans la paix &
la prosperité.

 

C’est donc au Magistrat politique de profiter
de ces exemples, & pouruoir à bon escient au soulagement
des pauures pour appaiser l’ire de Dieu,
& destourner ses chastimens de dessus nous, &
aux mesmes fins remedier au déreglement des
mœurs, comme la principale cause, sans doute,
des fleaux dont Dieu nous afflige, restablir la pieté
& la bonne foy, procurer la paix & l’vnion entre
les peuples, & pour le soulagement commun
de tout le peuple, faire vn bon & stable reglement
contre les abus & maluersations des Meusniers
& Boulangers, afin que le pauure peuple ne
se trouue plus exposé aux extremitez & desordres

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du passé, ou du moins si la confusion de la ville
de Paris ne souffre pas que l’on y fasse des reglemens
plus asseurez, d’appuyer & authoriser les
exemples remarquez cy-dessus, afin qu’ils seruent
d’vn frein à l’aduenir contre tels desordres, faisant
soigneusement executer la visite & recherche
ordonnée des bleds qui se corrompent dans
la ville, ainsi que dessus, tandis que la saison est
fauorable pour les renouueller, afin de preuenir
les plus grandes maladies que l’employ d’iceux,
pourroit apres causer.

 

Mais comme l’inegalité ordinaire du prix du
blé dans Paris, est la cause par fois, & le plus souuent
le pretexte de l’inegalité des Boulangers au
prix du pain, & des excez qu’ils commettent en
iceluy, & que ceux qui vendent aujourd’huy publiquement
le pain à la liure par les ruës, pourroient
auec le temps y exceder aussi sous les mesmes
pretextes, pour couper le mal à la racine &
auoir tousiours vn pied certain pour regler le prix
du pain quand on voudroit, il seroit tres à propos
& tres-expedient pour le public, que la ville
de Paris vsast de la mesme methode que celle de
Lyon, en la maison qu’on appelle à tres-bon
droit la Prouidence, c’est à sçauoir qu’elle eut ordinairement
des magazins publics de bleds dont
elle regleroit le prix de temps en temps, selon
les saisons, ne permettant point aux Boulangers

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d’en acheter ailleurs, & leur reglant ordinairement
le prix du pain, sur le prix du
blé dans lesdits magazins publics : au moyen de
quoy on remedieroit aux inegalitez ordinaires
du prix du blé & du pain dans Paris, on preuiendroit
les amas superflus que plusieurs en font, qui
en causent la cherté excessiue parmy le menu peuple,
on osteroit toute occasion aux suruentes que
les marchands de blé en font à toute heure à leur
volonté, selon les diuers bruits qui courent, &
aux fraudes qu’ils commettent à cet effet, ne faisans
venir leurs bleds que petit à petit dans la ville,
achetans mesme ceux des marchands estrangers
sur les chemins, afin que l’abondance dans
la ville ne les empesche pas de le vendre tout ce
qu’ils desirent, ainsi que l’on a veu depuis quelques
années, la Cour de Parlement ayant esté
obligée de donner à diuerses fois des commissions
a des particuliers pour y aller veiller : & finalement
la Ville seroit tousiours munie contre
les accidens qui peuuent arriuer.

 

Si donc la ville de Lion vse de cette precaution
& de cét asseuré remede contre tous les abus
& excez qui se commettent au prix du blé & du
pain, quoy qu’elle soit beaucoup moins populeuse
que la ville de Paris, & qu’estant aux portes
de la Bourgogne, Bresse, & Dauphiné, qui sont
des greniers inépuisables de blé, elle ait tout

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moyen d’en auoir quand bon luy semble, auec
autant & plus de facilité que la ville de Paris, au
moyen du Rosne & de la Saone, combien plus le
doit faire la ville de Paris, qui à cause du nombre
infini de ses habitans, ne peut subsister que par
l’aide des Prouinces plus esloignées ; vn ordre si
rare & si admirable nous doit seruir d’exemple,
aussi bien que celuy que la mesme Ville pratique
en l’entretien de ses pauures, ne souffrant dans
icelle aucun mendiant.

 

Il ne faut pas alleguer icy que la liberté de
vendre les denrées à tel prix que l’on veut dans
Paris y est necessaire, pour y en procurer l’abondance,
car bien que ce soit vne chose ridicule,
que ceux qui ont des denrées s’empeschent de les
vendre parce que le prix en est reglé, & à cét effet
de les porter aux lieux où la debite s’en peut
faire ; ie n’entens pas oster la liberté aux marchands
de blé de le vendre raisonnablement ce
qu’ils pourront, soit aux particuliers, soit à la
Ville, à cause des risques qu’ils y peuuent auoir,
mais ie pretens seulement preuenir les fraudes
qui s’y peuuent commettre, soit par eux, ou par
les Boulangers, sous pretexte d’vne rareté & cherté
imaginaire du blé, & neantmoins il est certain
que comme cét ordre seroit tres-vtile aux Boulangers
mesmes, parce que par ce moyen ils pourroient
tousiours vendre le pain à proportion du

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prix du blé, sans risque de ramendement, & sans
apprehender que les vns le peussent vendre
moins que les autres : il seroit aussi tres-auantageux
aux Marchands de blé, car ayans en la vente
qu’ils en feroient à la Ville vne debite prompte
& asseurée en gros de leurs bleds, auec vn profit
reglé & asseuré, ils pourroient chacun en faire
venir & vendre beaucoup plus, auec beaucoup
moins de frais, de soins, de risque, & d’embaras,
qu’en le vendant en détail à longs iours sur les
ports, où ils en perdent le plus souuent par la corruption
d iceluy faillites ou autrement.

 

Ie ne parle pas icy des autres denrées & marchandises,
parce qu’estans moins necessaires à la
vie, & vn chacun s’en pouuant mieux passer, les
excez y sont moins à craindre : neantmoins ce
n’est pas moins du deuoir du Magistrat de remedier
aux abus qui s’y peuuent commettre.

Il n’y a donc sans doute point de bon Citoyen
qui n’approuue & n’autorise de tout son pouuoir
des desseins & moyens si legitimes, comme les
veritables remedes à l’aduenir à tous les maux
que nous souffrons à present.

FIN.

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