Anonyme [1652], LE GOVVERNEMENT DE L’ESTAT PRESENT, Où l’on void les fourbes & tromperies de Mazarin. , françaisRéférence RIM : M0_1502. Cote locale : B_12_27.
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LE GOVVERNEMENT DE L’ESTAT
present.

SATYRE.

 


PEVPLE éleuez des Autels
Au plus Eminent des mortels,
A la premiere Intelligence
Qui meut le grand corps de la France ;
A ce Soleil des Cardinaux,
De qui d’Amboise & d’Albornox,
Ximenes, & tout autre Sage
Doiuent adorer le visage ;
Le Globe de l’Astre des Cieux
Est moins clair & moins radieux,
Ses rayons percent les tenebres,
Produisent trente Autheurs celebres,
Et font vn affront au Soleil,
Par cét ouurage nompareil,
Que si nos debiles paupieres
Ne peuuent souffrir les lumieres
De ce corps déjà glorieux
Qui nous éblouïront les yeux,
Contemplez l’ame plus obscure,
La sagesse & la foy moins pure,
Le jugement moins lumineux
De ce Politique fameux,
Qui rend l’Espagne triomphante,
Et la France si languissante
Dans ses ambitieux souhaits :
Il ne veut ni tréve ni paix :
Sa fureur n’a point d’interualles,
Il suit les vertus infernalles,
Les fourbes & les trahisons :
Les par jures & les poisons
Rendent sa probité celebre
Iusqu’en l’empire des tenebres.
C’est le Ministre des Enfers,
C’est le Demon de l’Vnivers :
Le fer, le feu, la violence
Signalent par tout sa clemence :
Les François tousjours mal-traittez,
Les Mareschaux décapitez,
Plusieurs personnes exilées,
Trente Prouinces desolées :
Les Magistrats emprisonnez,
Les grands Seigneurs empoisonnez :
Les Gardes des Seaux dãs les chaisnes,
Les Gentils hommes dans les gesnes :
Tant de genereux innocens
Dans les prison sont gemissans.
Cette foule de miserables,
Où les criminels sont coupables,
D’auoir trop d’esprit ou de cœur,
Trop de franchise ou de valeur.
Tant d’autres celebres victimes,
Tant de personnes magnanimes,
Qu’il tient sous ses barbares loix,
Dont il ne peut souffrir la voix,
Dont il redoute le courage,
Dont il craint mesme le visage.
Ce grand nombre de malheureux,
Qui sentent son joug rigoureux ;
Leur sang, leurs prisons, leurs suplices
Sont ses plus aimables delices ;
Il se nourrit de leurs malheurs,
Il se baigne en l’eau de leurs pleurs :
Et sa haine pire & cruelle
Dans leur mort mesme est immortelle ;

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Il agit encor leur repos
Il trouble leurs cendrer & leurs os :
Il des-honore leur memoire,
Leur oste la vie & la gloire.
Ce Tyran veut que ces Martyrs
N’ayent que d’infames souspirs
Dans leur plus injuste souffrance,
Qu’on approuue ses violences,
Et que l’on blesse la verité ;
Pour adorer sa cruauté.
Il aime les fureurs brutalles
Des trois suppots de sa caballe,
De ce pouruoyeur de boureaux,
Et de ces deux monstres nouueaux,
Qui plus terribles qu’vn Cerbere,
Déchirent sans estre en colere
De Testu cette ame de fer,
Digne Preuost de Lucifer ;
Cét instrument de Tyrennie.
Qui rend la liberté bannie,
Ce Geolier qui de sa maison
Fait vne cruelle prison,
Et qui traitte auec insolence
Les braues suposts de la France,
Lors qu’il les conduit à la mort,
Lors que l’Estat pleure leur sort,
Lors que le Destin miserable
Rendroit vn Tygre pitoyable.
Mais quels insignes attentats
N’ont fait ces meschans celerats ?
Quels Iuges sont aussi severes
Que ces cruels Commissaires ;
Ces boureaux de qui les souhaits
Sont de peupler tous les gibets ?
De qui les mains sont toûjours prestes
A couper des illustres testes,
A faire verser à grands flots
Le sang dessus les échafauts.
La mort naturelle & commune
Leur déplaist & les importune ;
Et la sanglante a des appas,
Où leur cœur prennent leur ébas :
En decapitant ils se joüent,
Ils sont encor plus guais s’ils roüent :
Mais leur plus agreable jeu
Est de brusler à petit feu.
Mazarin a choisi ces Scythes,
Pour ses fidels satellites,
Pour montrer qu’il tient en ses mains
La vie & la mort des humains,
Et qu’il regne par sa puissance
Comme les Rois par leur naissance.
Ses Tyrans menacent les Grands,
Et font trembler les innocens,
Castrain, Marillac & la Iarre
Ont paty deuant des barbares,
Et veu leur mort dedans les yeux
De ces Tygres audacieux.
Mazarin fait des sacrifice
De cruauté & d’injustice,
Pour paroistre ses seruiteurs,
Ils sont les Sacrificateurs.
Ce Molec les a pour ses Prestres,
Il arme de cousteaux ces traistres,
Pour immoler sur des Autels
Non des bestes, mais des mortels.
Le vieux Tyran des Arsacides
A moins commandé d’homicides
Que ce moderne Phalaris.
Ce Monstre entre les Fauoris,
Son œil farouche & sanguinaire
S’allume dedans sa colere ;
Ses ragards sont d’vn bazilic,
Sa langue a le venin d’aspic :
Elle sert d’armet à sa malice,
Elle couure son injustice,

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Et mesle la douceur du miel
A l’amertume de son fiel :
Et sa parole est infidele
Autant que sa main est cruelle :
Il ne parle qu’en caressant,
Et n’estouffe qu’en embrassant :
Il flate lors mesme qu’il tuë,
Son ame n’est iamais nuë,
Il deguise ses actions,
Dissimule ses passions,
Compose son geste & sa mine ;
Le Demon à peine deuine
Le mal qu’il cache dans son sein,
Il lit à peine en son dessein :
Il aime les lasches finesses,
De perdre malgré ses promesses,
De lancer soudain dans les airs
La soudre sans bruit, sans éclairs,
De faire éclatter vn orage
Lors que le Ciel est sans nuage :
Il est meschant, il est trompeur,
Il est brutal, il est menteur :
Ses baizers sont baizers de traistre,
Il trompe par tout ses discours,
Et s’il traite auec des sourds
Les deçoit par son visage,
Contrefait le doux & le sage ;
Leur sousrit, leur presse les mains :
Et par des conseils inhumains
Fait apres tomber sur leur teste
Vne formidable tempeste.
Si des Dames l’ont en horreur
Il pleure pour gagner leur cœur,
Il les combat auec leurs armes :
Et lors qu’il verse plus de larmes
Il leur prepare vne prison :
Et s’il est besoin du poison,
Ses pleurs sont pleurs de cocodrille,
Qui menacent de la Bastille,
Qui pour vanger des déplaisirs
Causent des pleurs & des soûpirs.
Son ame prend toute figure,
Horsmis celle d’vne ame pure.
Il fait ce qu’il veut de son corps ;
Le dedans combat le dehors.
C’est luy sans que ce soit luy mesme
Enfin c’est vn bouffon supresme ;
Sans masque il est toûjours masqué
Turlupin n’a point pratiqué
Tant de tours, ni tant de suplesses,
Tant de tours ni tant d’adresses,
Que ce protecteur de bouffons.
Ce Mœcenas de ces frippons.
Il fait chaque personnage,
Fors celuy d’vn Ministre sage,
Il imite bien les Tyrans,
Et les Ministres ignorans.
Ce Charlatan sur son theatre
Croit voir tout le monde idolatre
De ses discours, de ses leçons,
De ses pieces, de ses chansons :
On souffriroit ses Comedies,
Quoy que foibles & peu hardies,
Si des tragiques mouuemens
N’en troubloient les contentemens,
S’il n’auoit affoibli la France,
En détruisant son abondance,
En augmentant tous les impots,
En multipliant tous les maux,
En tirant le sang des Prouinces,
En persecutant les grands Princes.
En outrageant les Potentats,
En leur vsurpant tous leurs Estats,
En formant vne longue guerre,
En l’attirant dans nostre terre.

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En nous liurans aux estrangers,
En meprisant les grands dangers.
En de garnissant les frontieres,
En n’assurant point les riuieres,
Bref en abandonnans les Lys,
A la fureur des ennemis.
Au sort des armes si funeste,
A la faim la guerre la peste,
Lors qu’il doit penser aux combats,
Il prend ses comiques esbats.
Et pour ouurage se propose,
Quelque pœsme pour Belle rose,
Il d’escrit de fauces douleurs,
Quand l’Estat souffre de vrays, mal-heurs.
Il traicte vne piece nouuele,
Quand on emporte la Capelle,
Et consulte encore Bois-robert,
Quand vne Prouinee se pert.
Les peuples sont touchez de crainte,
Le Parlement porte leur plainte,
Implore le Roy pour Paris,
Sans offenser les fauoris.
Mazarin, toutesfois le querelle,
En flamme sa face cruelle,
Et d’vn regard de furieux,
Le traite de seditieux.
Certes illustre compagnie,
Tu dois adoucir ce genie,
Dont le jugement nom pareil,
Est plus clair que le Soleil.
Luy seul découure toute chose ;
Preuient les effects dans leur cause,
Perse la nuict de l’aduenir,
Sçait tour deffendre & tout munir.
Il a pris l’attaque du Liege,
Pour vne fraude & pour vn piege,
Il a preueu ce que tu vois,
Le monstre des peuples François.
Dix mille bourgades pillées,
Vn grand nombre dautres bruslées,
L’horreur, la mort de toutes parts,
Trente mille habitans espars
Cachez dans les lieux solitaires,
Dix mille déja tributaires,
Et les fers encor preparez,
Aux foibles & moins remparez.
Demeure donc dans le silence,
Auguste Oracle de la France,
Laisse Mazarin au vaisseau,
Nul autre pilote nouueau.
Ne peut conjurer la tempeste,
Qui gronde dessus nos teste,
Luy seul commande aux Elemens,
Luy seul est le maistre des vens,
Luy seul bride le fier Neptune,
Lors que son onde l’importune,
Il luy fait des escueils nouueaux,
Il se promenne sur ses eaux.
Et d’vne digue merueilleuse,
Dompte sa nature orgueilleuse,
Si le Dieu de toutes les mers,
Ses veu captifs dessous ses fers.
Ne domptera-il pas l’Espagne,
S’il la rencontre a la campagne ?
Les humains flechiron-t’ils pas,
Voiant que les dieux sont à bas ?
Il a vaincu les Nereides,
Terrassé les troupes humides,
Foudroyé cent mille Tritons,
Et ne crains vingt mille fripons.
Et cette Espagnol canaille,
Qui fuira deuant la bataille,
Mazarin, le plus grand des humains,
Porte le Tonnerre en ses mains.
Il gouuerne la destinée,

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Tient la Fortune en chaisnée,
Son esprit fait mounoir les cieux,
Braue les Rois & les Dieux.
Crains tu de n’auoir point de poudre
Ce Iupiter porte le foudre ?
Crains tu de manquer de canons,
Il est trop au dessus des noms,
Au dessus des titres vulgaires,
Au dessus des loix ordinaires,
Pour employer dans les combats,
Autre tonnere que son bras ?
Ses moins foibles rodomontades,
Sont bien plus que des canonades,
Dans ses plus foibles visions,
Il terrasse dix legions.
En parlant auec ses esclaues,
Il fait déja peur aux plus braues,
Auec ses seules vanitez,
Il reprend déja des citez.
Et dans sa plus froide arrogance,
Conçoit vne riche esperance,
Il plaint quasi ces estrangers,
De s’estre mis dans les dangers,
Où se sont mis Valence, & Dole,
Par leur temerité friuolle.
Ce sage se rit de ces fous,
Et les croit voir à deux genoux
Excuser leur outrecuidance,
D’auoir irrité sa prudence,
D’auoir mesprisé Mazarin,
Dont le renom ne vaut plus rien,
D’auoir d’vne atteinte mortelle,
Esbranlé sa pauure ceruelle,
D’auoir resueillé ses humeurs,
Qui l’ont agité de fureurs.
D’auoir terny toute sa gloire,
D’auoir esmeu sa bille noire,
D’auoir rendu son poil plus blanc,
D’auoir trop eschauffé son sang.
Et d’auoir reduit son derriere,
A sa disgrace coustumiere,
Il croist se voyant à cheual,
Voir Alexandre & Bucœphal.
Il croit par sa seule prudence,
Le renom de son insolence,
Le son de ses trente mulets,
Le grand nombre de ses valets.
Les destours de sa politique,
Les secrets de son art comique,
Le vert esclate de ses lauriers,
Le bruit de ses actes guerriers.
Le feu de son male courage,
Et les rayons de son visage,
Glaceront les timides cœurs,
De ses fiers & cruels vainqueurs.
Il croit déjà piller Bruxelles,
Et par des vengeances cruelles,
Traitter comme on fit Louvain,
Apres la Bataille d’Avain.
Pour faire de si beaux miracles.
Il consulte de grands Oracles
Le Moyne, Lyonne, Tellier,
Le jeune & le grand Bouthillier.
Voila les Conseillers supremes,
Qu’il consulte au perils extremes :
Le Moyne imite S. François,
Il protege les Suedois.
Il a le zele Seraphique,
Il trauaille pour sa bout que,
Il est percé du diuin traict,
Mais non encor tout à fait.
Car il porte bien les stigmates,
Mais non les marques d’escarlates,
Son Capuchon Pyramidal,
Ne luy plaist qu’estant à cheual.
Sur la beste luxurieuse.

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Qui prend la posture amoureuse,
Et par le branle & par le chocq,
Fait dresser la pointe du frocq.
Il n’a plus le simple equipage ;
Du fameux mulet debagage,
Qui n’auoit comme vn Cordelier,
Pour train qu’vn asne regulier.
Cette vieille beste de somme,
A pris le train d’vn Gentil-homme,
Que bien quand le vin l’animoit,
Le braue cauallier se nommoit,
Il a Suiuant & Secretaire,
Il a carrosse, il a cauterre,
Il a des laquais insolens
Qui iurent mieux que ceux des grãds,
Il est l’oracle des oracles,
Il est le faiseur de miracles,
L’esprit S. forme ses discours,
Vn Ange les escrit toûjours,
Ils font par tout fleurir la guerre,
Ils le canonizent-en terre,
Il est des saints reformateurs
De l’ordre des Freres Mineurs.
Il fait vne regle nouuelle
Pour grimper au Ciel sans eschelle,
Pour y monter à six cheuaux,
Et par des ambitieux trauaux.
Gaigner Dieu par où les ames
Gaignent les eternelles flammes
Pour estre Religieux d’habit,
Pour estre esclaue de credit.
Pour estre eminent dans l’Eglise,
Pour empourprer la couleur grise,
Pour estre martyr des enfers,
Pour estre vn monstre en l’Vniuers
Cette Race d’Apothiquaire
Est vn esclaue volontaire,
Il est valet de Mazarin,
Et l’adorateur de ce dain.
Il prend pour regle de Iustice,
Ce bon Saint sans fard ni malice,
Il dit le voyant en Tableau,
Le Ciel n’a rien faict de si beau.
Ses volontez luy sont sacrée,
Les Aigres iniures succrée,
Il tremble, il fleschit les genoux,
Il est prest à souffrir les coups.
L’appelle Monseigneur & Maistre
Et pour luy violant & traistre,
Pour luy ne connoist plus de loix,
Pour luy viole tous droits.
Sur son biller n’ose rien dire,
Scelle trente blancs sans les lire,
Trabit son sens & sa raison,
Tant il redoute la prison.
Il est morne & melancholique,
Il est niais & lunatique,
Vne linote est son jouet,
Il est soliraire & muet.
Tousiours pensif & tousiours morne
Rumine comme beste à corne.
Il auroit esté bon Chartreux,
Car il est sombre & tenebreux.
Son humeur pedantesque & molle,
Sent tres-bien son maistre d’escolle,
Il n’a point noblesse de cœur,
Quoy qu’aye dit vn lasche flateur.
Sa perruque en couurant sa teste,
Couure en mesme temps vne beste,
Car des bastons au temps jadis,
Ont rendu ses sens estourdis.
Il va tous les jours à la Messe
Sans que son in justice cesse,
Les Moynes gouuernent son sceau,
Quand il veulent ils fait du veau,
Les ordres Seraphines,

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Luy tiennent lieu de loix diuines,
Et la plus sainte Faculté,
Par luy n’a plus de liberté,
Si Mazarin deuient injuste
Contre le Parlement Auguste,
Il a l’ardeur d’vn renegat,
Et sous mains les choque & les bat.
Mais son auarice est extreme,
Et dans sa dignité supresme
Il fait le gueux & le faquin,
Comme s’il n’auoit point du pain.
Son ame basse & mercenaire,
Le rend plus cruel qu’vn corsaire.
S’il y va de son interest,
Ou quand quelque maison luy plaist,
Il ne croit point d’illlustre ouurage,
Que de s’enrichir dauantage,
Et pleure de n’auoir encor
Peu gaigner vn million d’or.
La Fabry, cette serrurierre,
Cette laide, cette fripiere,
Ce dragon qui rapine tout,
Qui court Paris de bout en bout
Pour auoir aux ventes publiques
Les meubles les plus magnisiques,
Et ne donnant qu’vn peu d’argent,
Elle fait trembler le Sergent.
C’est à Sieuger vne harpie,
Vn demon qui sans cesse crie,
Qu’il faut voler à toutes mains,
Que sans biens les honneurs sont vaines.
Elle contre fait la bigotte,
Et se laisse leuer la cotte,
Assaisonnant ses voluptez,
D’eau benistes & Moines,
Elle carresse les Chanoines,
Et fait auec chacun d’eux
Ce qu’on peut faire estant deux.
Desa jeu nouueau Secretaire,
Merite bien quelque salaire,
Car il est assez bon valet,
Quoy que ce ne soit qu’vn jodelet.
Et ne connoist point de prudence,
Que la plus lasche complaisance,
Et cherche son element
Par vne infame abaissement.
Sa vertu n’est point scrupuleuse,
Et d’vne addresse merueilleuse,
Quitte le bien & suit le mal,
Selon qu’il plaist au Cardinal.
Vne legere suffisance
Passe en luy pour grande science,
Et le signalle entre ses beaux,
De Lomenie & Phelipeaux.
Son ame est esgalle à sa mine,
Elle est petite, foible & sine,
Et n’a point du tout cet esclat
D’vn grand Secretaire d’Estat.
Sa splendeur n’estant que commune,
Ne peut aux yeux estre importune,
Et son naturel bas & doux,
Luy donnefort peu de jaloux.
Seruient ton noble genie,
T’a fait sortir la tyrannie
De ce regne où les genereux
Sont tous pauures & malheureux.
Ainsi l’Astre par la lumiere
Eclate vne vapeur grossiere,
Qui ternit toute la clarté,
Et qui nous cache sa beauté
Que si Soleil chasse l’ombre,
S’il perce le nuage sombre,
Espere que les enuieux,
Te verront vu jour glorieux.

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Mais le plus beau des politiques
Est ce fourbe, dont les pratiques
Luy procurent auant le temps
Le venin des plus vieux serpens :
Il est fourbe, il est temeraire,
Mazarin l’a pour Emissaire :
Et vers Monsieur, & vers le Roy,
Et vers tous deux il est sans loy ;
Il tromperoit son propre pere,
Trahiroit sa propre mere,
Si le cours de ses passions
Rapportoir à ses actions.
Il a tant appris d’vn tel maistre
Le mestier de fourbe & de traistre,
Qu’il est le premier fauory
De ce Ministre qui trahy.
Ses prodigieuses richesses
Le font brûler pour deux maistresses,
Par la gloire il est emporté,
Et par les femmes il est dompté,
Son esprit embrasse les vices,
Son corps embrasse les delices,
Qui corrompent le jugement
Par le brutal debordement :
Il se flate de l’esperance
De gouuerner toute la France :
Et dans son desir violent
Trouue que son remede est lent.
L’amour que luy porte Mazarin
Est semblable à celle d’vn badin,
Et si son pere n’estoit doux,
Il en pourroit estre jaloux ;
Sa femme apprend d’vn bon Stoïque
La naturelle politique,
Est que tout vice estant égal
L’adultere est vn petit mal
Mais pour punir cette coquette
Il luy rend ce qu’elle luy preste.
Si tu demandes des Herauts
Qui nous deliurent de nos maux,
Les Brezay & les Meslerayes
Sont les Medecins de nos playes ?
Si tu veux des foudres de Mars
Qui seruent de viuans rempars ;
Coeslin dans la plaine campagne
Sert plus qu’vne haute montagne,
Courlay dans l’empire des flots
Fait vn grand rocher de son dos ;
Ces deux bosses preseruent la France
De toute maligne influence.
Tous ces braues auanturiers
Nous promettent mille lauriers,
Ils outragent les Capitaines,
Ils font des entreprises vaines ;
Et quoy qu’ils craignent les hazards
Ils veulent passer pour Cezards :
Mais qui regne sur les finances,
Bullion dont les violences
Ont esté ce bel instrument
De cét heureux gouuernement.
Le plus cruel monstre d’Affrique
Est plus doux que ce frenetique,
Qui triomphe de nos malheurs,
Qui s’engraisse de nos douleurs ;
Qui par des aduis detestables
Rend tous les peuples miserable ;
Qui par des tyranniques loix
Les fait pleurer d’estre François.
Qui surpasse les Boureaux mesme,
Se plaist dans leurs tour mẽs extremes ;
Qui d’vn exil s’est trempé les mains
Dans le sang de cent mille humains ;
Qui leur blessure renouuelle,
Du fer de sa plume cruelle,
Et rit en leur faisant souffrir
Mille morts auant que mourir.

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Est-il vn merite si rare
Qui puisse adoucir ce Barbare ?
Le grand Condé & sa valeur
Peuuent-ils flechir ce voleur ?
Il ne connoist point de Iustice
Que les fougues de son caprice ;
Il outrage les Officiers,
Il gourmande les Chanceliers.
Mazarin auec son insolence
Volle toûjours toute la France :
Et pour confirmer les Edicts
Rend les Magistrats interdicts.
Tous les François sont tributaires
De plusieurs horribles Corsaires,
Iamais Pirates sur les mers
N’ont fait tant de larcins diuers,
Ce Notonnier à ce Pilote,
Rapinant auec vne flotte,
Cornuel meut les auirons,
Luy seul a plusieurs millions.
Il fait regner sur les subjets
Ceux qui sont dignes des gibets,
C’est la conduite admirable
De ce Ministre incomparable,
De ce Capitan sourcilleux,
De ce Matamore orgueilleux,
De ce jeune Hercule des Gaules,
Qui les porte sur ses épaules,
Qui sous ce faix n’est iamais las,
Qui n’a point besoin d’vn Athlas,
Et qui dessus sa maigre eschine
Veut porter la ronde machine :
Ce Courtisan subtil & vain
A fait le Politique en vain ;
Les fautes sont toutes visibles,
Et ne nous sont que trop sensibles :
Les premieres prosperitez
L’ont signalé de tous costez :
Mais les auantures sinistres
L’ont mis au rang des sots Ministres,
Et est que dans les grands malheurs
Que l’on reconnoist les grands cœurs,
L’esclat des heureuses fortunes
Rend rare les ames communes,
Et les ouurages du hazard
Passent pour chef-d’œuure de l’art.
Tout Pilote est bon sans orage,
L’imprudent alors paroist sage :
Mais il se montre ingenieux
Lors que les flots montent aux Cieux :
Quand Dieu punissant l’Infidelle,
Quand il foudroyoit les rebelles,
Quand il vangeoit le droict des Rois,
Quand il combatoit pour les Loix,
Quand il chastioit la Sauoye,
Quand il nous la donnoit en proye,
Quand il se seruoit de nos mains
Pour deliurer les Souuerains,
Mazarin égaloit les Anges,
Et les flateurs dans les loüanges
Donnoit au bras de Mazarin
Les miracles da bon Destin :
Non que par ses soins & ses veilles
Il n’ait eu part à ses merueilles,
Et que Dieu n’ait des instrumens
Des plus fameux euenemens :
Mais la diuine prouidence
Conduisoit sa foible prudence ;
La force des Astres diuins
Me toit la force en ses mains,
Dieu regloit les causes secondes,
Et calmoit la fureur des ondes :
Il leur faisoit baiser alors
Nostre digue ainsi que leurs bords.
Et la Prouidence eternelle
Le destruit comme vn rebelle.

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Dans Ré, dans Cazal & Mantouë,
Qui n’a point veu que Dieu se jouë
Des vains & des ambitieux
Qui pensent escheller les cieux,
Lorsque le Seigneur des batailles,
Attaque ou defond des murailles,
Les foibles domptent les puissans,
Et les Nains vainquent les Geans,
Sous luy les hommes obeissent
Sous luy les elemens flechissent.
Il retient le cours du Soleil,
Il destourne vn sage Conseil,
Il glace de peur les armées,
Il les rend d’ardeur enflammées,
Il meut leur corps pousse leur bras,
Dresse leur mains, regle leur pas,
Et par des destours inuisibles,
Conduit les courages sensibles,
Armand faisoit fleurir les lys,
Quand Dieu perdoit nos ennemis,
Mais quand il a pris pour objet,
D’estre plustost Roy que subjet,
De faire adorer sa prudence
Plus que la Royale puissance,
D’estre le tyran des François,
Et le fleau des plus grands Rois,
D’eterniser dedans la terre,
Le triste flambeau de la guerre,
De violer tous les traitez
De voler toutes les Citez,
D’vsurper toute la Loraine,
D’emprisonner sa souueraine,
De separer ce que Dieu joint
De mépriser ce qu’il enjoint,
De rendre l’Eglise asseruie,
De ne luy laisser que la vie,
De la faite esclaue des Rois,
De rauir ses biens & ses droicts,
De dissoudre vn saint mariage,
Pour faire vn ridicule ouurage,
Pour joindre auec des ieunes lys,
Des grateculs & seps vieillis,
Pour méler le sang de la France
Au vil sang de son Eminence,
Pour faire Dame Combalet,
La veufue d’vn pauure Argoulet,
La posterité d’vn Notaire,
L’hermaphrodite volontaire,
La main de la main du vigent,
La Princesse au teint desaffrant,
La Nayade qui dans sa chambre,
Tient vne fontaine d’eau d’ambre,
Et chasse le Dieu des jardins,
Parmy les lys & les jasmins,
Quand renuersant le cours des choses,
Il a fait des metamorphoses,
A rendu vierge Marmouset
La femme d’vn maistre mulet,
Alors les celestes puissances,
N’ont pû souffrir les insolences,
On a veu cét audacieux,
Hay de la Terre & des Cieux,
On a veu ses palmes fanées,
Depuis le cours de trois années
Dieu ne reglant plus ses desseins,
Ils ont paru des choses vains
Il vouloit vaincre l’Allemagne,
Et dompter la Maison d’Espagne,
En laissant perir nos soldats,
Victorieux aux Païs-bas.
En commuant l’or des finances,
Dans l’éclat des magnificences,
En prodiguant pour ses Duchesses,
De quoy munir ses forteresses,
En amassant de grands tresors
Dedans le Havre & autres ports,

-- 13 --


En laissant dans les autres villes
Des troupes foibles & debiles,
Ayant plus de soin des prisons
Que des Forts & des Garnisons :
C’estoit vn dessein chimerique,
Digne de ce grand Politique,
Du Heros au dessus des noms,
Du Roy des Petites-Maisons.
Ses visions creuses & folles
Ont mis les forces Espagnoles
Dans le scin de l’Estat François.
Et prés du Trosne de nos Rois
La France a receu mille atteintes,
Ses douleurs égalent ses craintes :
Tous ses membres sont languissans,
La guerre a perdu tous ses sens ;
Et la vigueur de la Noblesse
N’est plus aujourd’huy que foiblesse,
Elle est malade en tout son Corps,
Ne peut faire de grands efforts,
A besoin que la main diuine
Le preserue de sa ruine :
Et doit demander pour son bien
La perte de Mazarin :
Car si le Ciel benit nos armes,
S’il seiche le cours de nos larmes,
Que Mazarin possede LOVIS
Par ses mensonges inoüys,
Il reprendra sa tyrannie,
Il redoublera sa manie,
Il bannira les plus puissans,
Il perdra les plus innocens,
Il conçoit déjà des vengeances,
Il prepare les violences.
Ce Lion bat déjà son flanc,
Son cœur est alteré de sang,
Ses yeux estincellans de rage,
Sa gueulle s’appreste au carnage :
Faut-il que combattant pour nous,
Nous nous exposions à ses coups,
Et qu’en defendant nos murailles
Ce Serpent ronge nos entrailles ?
Faut-il qu’en asseurant nos biens
Nous nous asseurons nos liens ?
Faut-il qu’en regardant nostre Maistre,
Nous regardions ce barbare traistre,
Et qu’esclaues comme deuant
Nous nous perdions en nous sauuant ?
GRAND ROY banny par ta puissance
La seruitude de la France,
Chasse l’orgueilleux Potenrat
Et le Demon de ton Estat.
Ton triomphe sera funeste,
Si ce cruel Monstre nous reste,
Ouure les yeux, arme ton bras,
Pour mettre deux Tyrans à bas :
Couronne les faicts de la Gloire,
Qu’auroit vne double victoire ;
Faits punir l’autheur de nos maux,
L’autheur de mille & assauts,
Faits que la Iustice diuine
Accable ce nouueau Conchine.
Laisse déchirer à Paris
Le plus meschant des Fauoris :
Et fuis en sauuant la Couronne,
Cét Oracle de la Sorbonne,
Son sepulchre en vain sera l’eau,
Les Tyrans n’ont point de tombeau,
L’on verra qu’en l’air à la fin
Son grand pouuoir prendra fin.

 

FIN.

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Anonyme [1652], LE GOVVERNEMENT DE L’ESTAT PRESENT, Où l’on void les fourbes & tromperies de Mazarin. , françaisRéférence RIM : M0_1502. Cote locale : B_12_27.