Anonyme [1649 [?]], LE GOVVERNEMENT PRESENT, OV ELOGE DE SON EMINENCE, SATYRE, OV LA MILIADE. , françaisRéférence RIM : M0_1503. Cote locale : C_4_27.
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LE GOVVERNEMENT
PRESENT, OV ELOGE
DE SON EMINENCE.

Satyre ou la Miliade.

 


PEVPLE esleuez des Autels
Au plus Eminent des mortels,
A la premiere Intelligence,
Qui meut le grãd corps de la France
A ce soleil des Cardinaux,
De qui d’Amboise & d’Albornox,
Ximenes & tout autre Sage,
Doiuent adorer le visage.
Le Globe de l’Astre des Cieux
Est moins clair & moins radieux,
Ses rayons percent les tenebres,
Produisent trẽte Autheurs celebres,
Et font vn affront au soleil,
Par cet ouurage non pareil.
Que si vos debiles paupieres
Ne peuuent souffrir les lumieres,
De ce corps desia glorieux,
Qui vous esbloüiront les yeux,
Contemplez l’ame plus obscure,
La sagesse & la foy moins pure,
Le iugement moins lumineux
De ce Polytique fameux
Qui rend l’Espagne triomphante,
Et la France si languissante,
Dans ses ambitieux souhaits :
Il ne veut ny trefue ny paix,
Sa fureur n’a point d’interualles,
Il suit les vertus infernalles,
Les fourbes & les trahisons,
Les pariures & les poisons
Rendent sa probité celebre,
Iusqu’en l’empire des tenebres,
C’est le Ministre des enfers,
C’est le demon de l Vniuers,
Le fer, le feu, la violence,
Signallent par tout sa clemence,
Les freres du Roy mal traittez,
Les Mareschaux decapitez,
Quatre Princesses exilées,
Trente Prouinces desolées,
Les Magistrats emprisonnez,
Les grands Seigneur empoisonnez,
Les Gardes des Sceaux dans les
chaisnes,
Les gentils-hõmes dans les gesnes,
Tant de genereux Innocents
Dans la Bastille gemissans,
Cette foule de miserables,
Où les criminels sont coulpables,
D’auoir trop d’esprit ou de cœur,
Trop de franchise ou de valeur,
Tant d’autres celebres victimes,
Tant de personnes magnanimes,
Qu’il tient soubs ses barbares loix,
Dont il ne peut souffrir la voix,
Dont il redoute le courage.
Dont il craint mesme le visage :
Ce grand nombre de mal-heureux.

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Qui sentent son ioug rigoureux :
Leur sang, leurs prisons, leurs supplices,
Sont ses plus aimables delices :
Il se nourrit de leurs mal-heurs,
Il se baigne en l’eau de leurs pleurs,
Et sa haine fiere & cruelle
Dans leur mort mesme est immortelle,
Il agite encor leur repos,
Il trouble leur cendre & leurs os,
Il deshonnore leur memoire,
Leur oste la vie & la gloire.
Ce tyran veut que ces martyrs
N’ayent que d’infames souspirs,
Dans leur plus iniuste souffrance,
Qu’on approuue ses violences,
Et qu’on blesse la verité,
Pour adorer sa cruauté.
Il ayme les fureurs brutales,
Des trois suppots de sa caballe,
De ce pouruoyeur de bourreaux,
Et de ces deux monstres nouueaux,
Qui plus terribles qu’vn Cerbere,
Deschirent sans estre en colere :
De Testu cette ame de fer,
Digne Preuost de Lucifer,
Cet instrument de tyrannie,
Qui rend la liberté bannie,
Ce Geolier, qui de sa maison
Faict vne cruelle prison,
Et qui traitte auec insolence
Les braues Mareschaux de France,
Lors qu’il les conduit à la mort,
Lors que l’Estat pleure leur sort,
Lors que leur destin miserable
Rendroit vn Tygre pitoyable.
Mais quels insignes attentats
N’ont faict MACHAVD &
L’AFFEMAS ?
Quels Iuges sont aussi seueres,
Que ces deux cruels Commissaires,
Ces bourreaux, de qui les souhaits,
Sont de peupler tous les gibets,
De qui les mains sont tousiours prestes
A couper des illustres testes,
A faire verser à grands flots,
Le sang dessus les eschaffaux :
La mort naturelle & commune
Leur desplaist & les importune,
Et la sanglante a des appas,
Où leurs cœurs prẽnent leurs esbats
En decapitant ils se iouent,
Ils sont encor plus guays s’ils rouẽt,
Mais leur plus agreable ieu,
Est de bruler à petit feu.
ARMAND a choisi ces deux
Scythes
Pour ses fideles satellites,
Pour monstrer qu’il tient en les
mains
La vie & la mort des humains,
Et qu’il regne par sa puissance,
Comme les Roys par leur naissance,
Ses Iuges menacent les Grands,
Et font trembler les innocens.
Castrain, Marillac & de Iarre
Ont paty deuant ces barbares,
Et veu leur mort dedans les yeux
De ces Tygres audacieux.
ARMAND voulant des sacrifices
De cruauté & d’iniustice,
Pour paroistre ses seruiteurs,
Ils sont les sacrificateurs.
Ce Moloce a pour ses Prestes,
Il arme de cousteaux tes traistres,
Pour immoler sur ses Autels
Non des bestes, mais des mortels,
Le vieux tyran des Arsacides

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A moins commandé d’homicides,
Que ce moderne Phalaris,
Ce monstre entre les fauoris,
Son œil farouche & sanguinaire
S’alume dedans sa colere,
Ses regards sont d’vn bazilic,
Sa langue a le venin d’aspic,
Elle sert d’arme à sa malice,
Elle couure son iniustice,
Et mesle la douceur du mie
A l’amertume de son fiel,
Et sa parole est infidelle,
Autant que sa main est cruelle,
Il ne perce qu’en caressant,
Et n’estouffe qu’en embrassant,
Il flatte lors mesme qu’il tuë,
Et son ame n’est iamais nuë,
Il deguise ses actions,
Dissimule ses passions,
Compose son geste & sa mine.
Le demon à peine deuine,
Le mal qu’il cache dans son sein
Il lit à peine en son dessein,
Il ayme les lasches finesses,
De perdre malgre ses promesses,
De lancer soudain dans les airs
La foudre sans bruict, sans esclairs,
De faire esclater vn orage,
Lors que le ciel est sans nuage,
Il est meschant, il est trompeur,
Il est brutal, il est menteur,
Ses baizairs sont baizers de traistre
Il n’est iamais ce qu’il feint d’estre,
Il trompe par tous ses discours,
Et s’il traitte auecque des sourds
Il les deçoit par son visage,
Contrefaict le doux & le sage,
Leur sousrit, leur presse les mains,
Et par des conseils inhumains,
Faict apres tomber sur leur teste
Vne formidable tempeste,
Si les Reynes l’ont en horreur,
Il pleure pour gaigner leur cœur,
Il les combat auec leurs armes,
Et lors qu’il verse plus de larmes,
Il leur prepare vne prison,
Et s’il est besoin du poison,
Ses pleurs sont pleurs de crocodille,
Qui menacent de la bastille,
Qui pour venger des desplaisirs,
Causent des pleurs & des souspirs.
Son ame prend toute figure,
Hormis celle d’vne ame pure,
Il faict ce qu’il veut de son corps,
Le dedans combat le dehors,
C’est luy sans que ce soit luy mesme,
En fin c’est vn bouffon supresme,
Sans masque il est tousiours masqué,
Turlupin n’a point pratiqué
Tant de tours ny tant de souplesses
Tant de fourbes ny tant d’adresses
Que ce protecteur des bouffons,
Ce grand mœcenas des fripons,
Il faict bien chaque personnage,
Fors celuy d’vn Ministre sage,
Il imite bien les tyrans,
Et les Ministres ignorans,
Ce charlatan sur son theatre,
Croit voir tout le monde idolatre
De ses discours de ses leçons,
De ses pieces, de ses chansons.
On souffriroit ses comedies,
Quoy que foibles & peu hardies,
Si des tragiques mouuemens
N’en troubloient les contẽtemens,
S’il n’auoit affoibly la France,
En destruisant son abondance,
En augmentant tous les impoz
En multipliant tous les maux,
En tirant le sang des prouinces,

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En persecutant les grands Princes,
En outragant les potentats,
En leur vsurpant tous leurs Estats,
En formant vne longue guerre,
En l’attirant dans nostre terre,
En nous liurant aux Estrangers,
En mesprisant les grands dangers,
En desgarnissant les frontieres
En n’assurant point les riuieres,
Bref en abandonnant les Lys
A la fureur des ennemis,
Au sort des armes si funestes,
A la faim, la guerre ; la peste,
Lors qu’il doit penser aux combats,
Il prend ses comiques esbats,
Et pour ouurage se propose
Quelque poesme pour Belle-rose,
Il descrit de fausses douleurs,
Quãd l’Estat sẽt de vrays malheurs,
Il trace vne piece nouuelle,
Quand on emporte la Capelle,
Et consulte encor Bois-robert,
Quand vne Prouince se pert,
Les peuples sont touchez de crainte
Le Parlement porte leur plainte,
Implore le Roy pour Paris,
Sans offenser les fauoris.
ARMAND, toutesfois le querelle,
En flamme sa face cruelle,
Et d’vn regard de furieux,
Le traite de seditieux.
Certes illustre Compagnie,
Tu dois adoucir ce genie,
Dont le iugement nom pareil,
Paroist plus clair que le Soleil,
Luy seul descouure toute chose,
Preuient les effects dans leur cause,
Perce la nuict de laduenir,
Sçait tout deffendre & tout munir,
Il a pris l’attaque du Liege
Par vne fraude, & par vn piege :
Il a preueu ce que tu vois,
Le meurtre des peuples François,
Dix mille bourgades pillées,
Vn grãd nombres d’autres bruslées,
L’horreur, la mort de toutes parts,
Trente mille habitans esparts,
Cachez dans les lieux solitaires,
Dix mille desia tributaires,
Et les fers encor preparez
Aux foibles & moins remparez.
Demeure donc dans le silence
Auguste oracle de la France,
Laisse Armand mener le vaisseau,
Nul autre Pilote nouueau
Ne peut coniurer la tempeste,
Qui gronde dessus nos testes,
Luy seul commande aux Elemens,
Luy seul est le Maistre des vents,
Luy seul bride le fier Neptune,
Lors que son onde l’importune,
Il luy fait des escueils nouueaux,
Il se promene sur ses eaux,
Et d’vne digue merueilleuse
Dompte sa nature orgueilleuse,
Si le Dieu de toutes les Mers
S’est veu captif dessous ses fers,
Ne domptera-il pas l’Espagne,
S’il la rencontre à la campagne ?
Les humains flechiront-ils pas,
Voyants que les Dieux sont à bas ?
Il a vaincu les Nereides,
Terrassé les troupes humides,
Foudroyé cent mille Tritons,
Et ne craint vingt mille fripons,
Et cest l’Espagnole canaille,
Qui fuira deuant la bataille.
ARMAND, le plus grand des humains
Porte le tonnerre en ses mains,

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Il gouuerne la destinée,
Tient la fortune enchaisnée,
Son esprit fait mouuoir les Cieux,
Braue les Rois & les Dieux.
Crains-tu de n’auoir point de poudre ?
Ce Iupiter porte le foudre.
Crains-tu de manquer de canons ?
Il est trop au dessus des noms,
Au dessus des tiltres vulgaires,
Au dessus des loix ordinaires,
Pour employer dans les combats,
Autre tonnerre que son bras,
Ses moins fortes rodomontades
Sont bien plus que des canonades,
Dans ses plus foibles visions
Il terrasse dix legions,
En parlant auec ses esclaues
Il fait desia peur aux plus braues,
Auec ses seules vanitez
Il reprend desia des Citez,
Et dans sa plus froide arrogance
Conçoit vne riche esperance,
Il plaint quasi ces Estrangers,
De s’estre mis dans les dangers,
Où se sont mis Valence & Dosle,
Par leur temerité friuolle,
Ce sage se rit de ces fous,
Et les croit voir à deux genoux
Excuser leur outrecuidance,
D’auoir irrité sa prudence,
D’auoir mesprisé Richelieu,
Dont le nom rime à demy-Dieu,
D’auoir d’vne atteinte mortelle
Esbranlé sa pauure ceruelle,
D’auoir resueillé ses humeurs,
Qui l’ont agité de fureurs,
D’auoir terny toute sa gloire,
D’auoir esmeu sa bile noire,
D’auoir rendu son poil plus blanc,
D’auoir trop eschauffé son sang,
Et d’auoir reduict son derriere
A sa disgrace coustumiere,
Il croit, se voyant à cheual,
Voir Alexandre & Bucefal,
Il croit que sa seule prudence,
Le renom de son insolence,
Le son de ses trente mulets,
Le grand nombre de ses valets,
Les destours de sa Polytique,
Les secrets de son art comique,
Le verd esclat de ses lauriers,
Le bruit de ses actes guerriers,
Le feu de son masle courage,
Et les rayons de son visage,
Glaceront les timides cœurs
De ses fiers & cruels vainqueurs :
Il croit desia piller Bruxelles,
Et par des vengeances cruelles
Traitter comme l’on fit Louuain,
Apres la bataille d’Auain.
Pour faire de si beaux miracles,
Il consulte de grands Oracles,
Le Moyne des Noyers, Seguier,
Le ieune & le grand Bouthillier,
Voila les Conseillers supresmes,
Qu’il consulte aux perils extremes.
Le Moine, imite sainct François,
Il protege les Suedois,
Il a le zele Seraphique,
Il trauaille pour l’heretique,
Il est percé du diuin traict,
Mais non encor tout à faict,
Car il porte bien les stigmates,
Mais non les marques d’escarlates
Son Capuchon Piramidal
Ne luy plaist qu’estant à cheual,
Sur la beste luxurieuse,
Qui prend la posture amoureuse,
Et par le branle & par le chocq

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Faict dresser la pointe du frocq,
Il n’a plus le simple equipage
Du fameux mulet de bagage,
Qui n’auoit comme vn Cordelier,
Pour train qu’vn asne regulier,
Ceste vieille beste de somme
A pris le train d’vn Gentil-homme,
Qui bien quand le vin l’animoit,
Il a suiuant & secretaire
Il a carosse, il a cautere,
Il a des laquais insolens
Qui iurẽt mieux que ceux des grãds,
Il est l’oraele des oracles,
Il est le faiseur de miracles,
L’esprit Sainct forme ses discours,
Vn Ange les escrit tousiours,
Ils font par tout fleurir la guerre
Ils le canonizent en terre,
Il est des Saincts reformateurs,
De l’Ordre des freres Mineurs,
Il fait vne Regle nouuelle
Pour grimper au Ciel sans eschelle,
Pour y monter à six cheuaux,
Et par des ambitieux trauaux,
Gaigner Dieu par où les ames
Gaignent les eternelles flammes
Pour estre Capucin d’habit,
Pour estre esclaue de credit,
Pour estre eminent dans l’Eglise,
Pour empourprer la couleur grise,
Pour estre martyr des Enfers,
Pour estre vn monstre en l’Vniuers.

 

Seguier Race d’Apothiquaire,

 


Est vn esclaue volontaire,
Il est valet de Richelieu,
Et l’adorateur de ce Dieu,
Il prend pour regle de Iustice,
Ce bon sainct sans fard ny malice,
Il dict le voyant en Tableau,
Le Ciel n’a rien faict de si beau,
Ses volontez luy sont sacrées,
Les Aigres iniures sucrées,
Il tremble, il fleschit les genoux,
Il est prest à souffrir les coups,
L’appelle Monseigneur & Maistre,
Et pour luy violent & traistre,
Pour luy ne cognoist plus de loix,
Pour luy viole tous les droicts,
Sur son billet n’ose rien dire,
Se elle trente blancs sans les lire,
Trahit son sens & sa raison,
Tant il redoute la prison,
Il est morne & melancholique,
Il est niais & lunatique,
Vne linotte est son ioüet,
Il est solitaire & muet,
Tousiours pensif & tousiours morne
Rumine comme beste à corne,
Il auroit esté bon Chartreux
Car il est sombre & tenebreux,
Son humeur pedantesque & molle
Sent tres-bien son maistre d’escolle,
Il n’a point Noblesse de cœur,
Quoy qu’aye dit vn lache flateur,
Sa perruque en couurant sa teste,
Couure en mesme temps vne beste,
Car des bastons au temps iadis
Ont rendu ses sens estourdis,
Il va tous le iours à la Messe,
Sans que son iniustice cesse,
Les Moynes gouuernent son sceau,
Quand ils veulent il faict du veau,
Les Ordres Seraphines
Luy tiennent lieu de loix diuines,
Et la plus saincte Faculté
Par luy n’a plus de liberté.
Si Richelieu deuient iniuste,

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Contre le Parlement Auguste,
Il a l’ardeur d’vn renegat,
Et sous mains les choque & les bat :
Mais son auarice est extréme,
Et dans sa dignité supreme,
Il fait le geux & le faquin
Comme s’il n’auoit pas du pain,
Son ame basse & mercenaire
Le rend plus cruel qu’vn corsaire
S’il y va de son interest,
Ou quãd quelque maison luy plaist,
Il ne croit point d’illustre ouurage
Que de s’enrichir dauantage,
Et pleure de n’auoir encor,
Peu gagner vn million d’or,
La F. cette Serruriere,
Cette lay de, cette fripiere,
Ce dragon qui rapine tout,
Qui court Paris de bout en bout,
Pour auoir aux ventes publiques,
Les meubles les plus magnifiques,
Et ne donnant qu’vn peu d’argent,
Elle fait trembler le Sergent,
C’est à Seguier vne harpie,
Vn Demon, qui sans cesse crie,
Qu’il faut voler à toutes maias,
Que sans biens les honneurs sont
vains.
Elle contrefait la bigotte,
Et se laisse leuer Ia cotte,
Assaisonnant ses voluptez,
D’eau beniste & de charitez,
Son mary caresse les Moynes,
Elle carresse les Chanoines,
Et fait auec chacun d’eux
Ce qu’on peut faire estant deux,
Des Noyers nouueau Secretaire,
Merite bien quelque salaire,
Car il est assez bon valet,
Quoy que ce ne soit qu’vn triboulet,
Et ne cognoist point de prudence
Que la plus Iasche complaisance,
Et cherche son element,
Par vn infame abaissement,
Sa vertu n’est point scrupuleuse,
Et d’vne ad esse merueilleuse,
Quitte le bien, & suit le mal,
Selon qu’il plaist au Cardinal
Vne legere suffisance,
Passe en [illisible] y pour grande science,
Et le signale entre ses veaux,
De Lomenie & Phelipeaux :
Son ame est esgale à sa mine,
Elle est petite, foible & fine,
Et n’a point du tout cét esclat,
D’vn grand Secretaire d’Estat,
Sa splendeur n’estant que commune,
Ne peut aux yeux estre importune,
Et son naturel bas & doux
Luy donne fort peu de jaloux,
Seruient, ton Noble genie,
T’a faict sortir la tyrannie
De ce regne, où les genereux
Sont tous pauures & malheureux,
Ainsi l’astre par la lumiere,
Esclatte vne vapeur grossiere,
Qui ternit toute la clarté,
Et qui nous cache sa beauté
Que si le Soleil chasse l’ombre,
Il perce le nuage sombre,
Espere que les enuieux
Te verront vn iour glorieux :
Mais le plus beau des Polytiques
Est Chauigny, dont les pratiques
Luy procurent auant le temps
Le venin des plus vieux serpens,
Il est fourbe, il est temeraire,
ARMAND l’a pour son Emissairẽ
Et vers Monsieur, & vers le Roy,
Et vers tous deux il est sans Loy,

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Il tromperoit son propre pere,
Trahiroit sa propre mere,
Si le cours de ses passions
Rapportoit à ses actions.
Il a tant apris d’vn tel Maistre
Le Mestier de fourbe & de traistre.
Qu’il est le premier Fauory
De ce Ministre au cul poury.
Ses prodigieuses richesses
Le sõt brusler pour deux maitresses :
Par la gloire il est emporté,
Et par les femmes il est dompté,
Son esprit embrasse les vices,
Son corps embrasse les delices,
Qui corrompent le iugement,
Par le brutal debordement,
Il se flatte de l’esperance,
De se voir Duc & pair de France.
Et dans son desir violent,
Trouue que son remede est lent.
L’amour qu’ARMAND luy porte
est telle,
Qu’elle esgalle la paternelle,
Et si son pere n’estoit doux,
Il en pourroit estre ialoux
Sa femme apprend d’vn bon Stoïque
La naturelle Polytique,
Et que tout vice estant esgal,
L’adultere est vn petit mal,
Mais pour punir ceste coquette,
Il luy rend ce qu’elle luy preste.
Voila les Ieannis, les Sullys,
Les Villeroy, les Sylleris,
Dont ce fier Tyran de la France
Consulte la rare prudence :
Si tu demande des Heraus,
Qui nous desliurent de nos maux,
Les Brezay & les Meillerayes
Sont les Medecins de nos playes :
Si tu veux des foudres de Mars,
Qui seruent de viuants rempars,
Coëslin dans la plaine campaigne
Sert plus qu’vne haute montaigne,
Courlay dans l’Empire des flots,
Faict vn grand rocher de son dos,
Ces deux bosses preseruent la Frãce
De toute maligne influance.
Tous ces braues Auanturiers,
Nous promettent mille lauriers :
Ils outragent les Capitaines,
Ils font des entreprises vaines,
Et quoy qu’ils craignent les hazars,
Ils veulent passer pour des Cesars.
Mais qui regne sur le finances ?
Bullion, dont les violences
Sont le principal instrument
De cét heureux gouuernement,
Le plus cruel monstre d’Affrique,
Est plus doux que ce frenetique,
Qui triomphe de nos malheurs,
Qui s’engraisse de nos douleurs,
Qui par ces aduis detestables
Rend tous les peuples miserables,
Qui par ses tyranniques loix
Les fait pleurer d’estre François.
Qui surpasse les bourreaux mesmes,
Se plaist dans leurs tourmens extremes
Qui d’vn exil s’est trempé les mains
Dans le sang de cent mille humains,
Qui leur blessure renouuelle,
Du fer de sa plume cruelle,
Et rit en leur faisant souffrir
Mille morts auant que mourir :
Est-il vn merite si rare,
Qui puisse adoucir ce barbare ?
Le grand Veimard & sa valeur
Peuuent-ils flechir ce voleur ?
Il ne cognoist point de Iustice,

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Que les fougues de son caprice
Il outrage les Officiers,
Il gourmande les Chancelliers,
Armand soustient son insolence,
Volle auec luy toute la France,
Et pour confirmer les Edicts,
Rend les Magistrats interdits
Tous les François sont tributaires
De ces deux horribles corsaires :
Iamais Pirates sur les mers,
N’ont faict tant de larcins diuers
Ce notonnier a ce pillotte,
Rapinant auec vne flotte :
Cornuel meut les auirons,
Luy seul vaut trente larrons,
Bullion par ses auarices,
Entretient son Iuxe & son vice,
Ce gros Guillaume racourcy,
A tousiours le ventre farcy,
Et plein de potage & de graisses,
Baise ses infames Maistresses,
Le gros Coquet ce gros taureau,
Est son honneste macquereau,
Voila la fidelle peinture
D’vn auorton de nature,
D’vn Bacchus, d’vn Pifre, d’vn Nain
D’vn Serpent enflé de venin,
Que Louys d’vn coup de tonnerre,
Doit exterminer de la terre,
PARIS pour illustre tombeau,
Luy prepare vn sale ruisseau,
Promet de longues funerailles,
Ases tripes, à ses entrailles,
Et s’oblige a grauer son nom,
Sur les pilliers de Montfaulcon,
Il fera bien la mesme grace,
A vn morceau qui le surpasse,
En blasphemes & iuremens,
Et l’esgalle en debordemens,
Ce Magistrat est adultaire ;
Iniuste fripon themeraire,
Et pour estre fils de Martin :
N’est pas moins fils de putain,
Dans Paris il vent la Iustice,
Il exerce encor la police,
Mais on y méprise sa voix,
Et l’on hait ses iniustes loix.
Grand Senat tu hais tout de mesme
Ce le Iay ce buffle supresme,
Le chef honteux d’vn noble corps,
L’horreur des viuans & des morts,
Cet infame qui sans naissance
Sans probité sans suffisance,
Et sans auoir seruy les Roys,
Se voit sur le trosne des loix,
Cet animal faict en Colosse,
Ce grand & ce vieux Rosse,
Qui n’est bon que pour les harats,
Et pour ses amoureux combats,
Qui dans Maison rouge se pasme,
En baisant vne garce infame,
Qui parut mort entre ses bras,
Qu’on trouua couché en ses dras,
Qui dans cette extase brutalle
Approcha de l’onde infernalle,
C’est pour couronner son bon-heur,
S’il mouroit en son lict d’honneur.
Cet yurongne n’a rien d’honneste
Son ame est l’ame d’vne beste,
Et n’a que de lasches desirs,
Et rien que sales plaisirs,
Sa maison est vne retraicte
Où loge l’ardeur indiscrette,
Où regne Venus & Bacchus
Des macquereaux & des cocus
Cursi, d’Herbelay & de Coruille,
Dont il voit la femme & fille,
Il se plaist d’estre yure souuent,
C’est alors qu’il paroist sçauant,

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Et que ceint d’vn laurier bacchique
Il discours de la republique,
Et la d’Herbelay & de la Tour,
De leur beauté de son amour,
Il vieillit sans deuenir sage,
Il fuit tousiours le mariage,
Il estoit gendre & tres-meschant,
Du grand capitaine Marchand,
Il estoit ciuil à sa femme,
Brusloit d’vne impudique flamme,
Elle de sa part l’encernoit,
Prodigue vers qui luy donnoit.
Ce Boucquin pour nourrir son vice,
Vend publiquement la Iustice,
D’Herbelay l’a mise à l’encamp,
Tire huict mille escus par an,
Fait ordonner ce qu’on demande
Pourueu qu’on luy porte vne offrande,
Se vante parmy les tailleurs,
Qu’elle est grosse de procureurs,
Qu’elle enfantera vingt Officiers,
Le digne prix de ses seruices.
Que s’il est sale en ses amours,
Il est plus sot en ses discours,
Ses harangues sont pedantesques
Et pleines d’infinies grotesques,
Empruntant tousiours son Rollet,
D’vn Esprit pedant & follet,
Il ayme si fort la nature,
Qu’il parle au Roy d’Agriculture,
De bien semer, de bien planter
Desmonder clacquer anter,
Il discours tout d’vn art si rare,
Que dans les iardins il s’esgare,
Traitte Louys de Vigneron,
Adiouste ce tiltre à son nom,
Compare vn grand arbre à la France
Et ce bel Astre à sa prudence,
Qu’il sçait esbranler les Estats,
Qu’il sçait couper les Potentats,
Qu’il sçait anter guerre sur guerre,
Qu’il sçait bien cultiuer les terres
Ainsi ce sublime Orateur,
Ce sage & delicat flatteur,
Ce Satyre à la gorge ouuerte,
Ce beau porteur de cire verte,
Cet Athée ennemy de Dieu,
S’est fait amy de Richelieu,
Il est traistre à sa compagnie,
Les soubmet à la tyrannie,
Denonce les plus gueux,
Excite Richelieu contre eux,
Et fait qu’il ordonne vn supplice,
Pour le courage & la Iustice,
Il bannit les bons Magistrats,
Comme perturbateurs d’Estats,
Introduit par toute la France
Le crime de leze Eminence,
Vange auec moins de cruauté
Celuy de leze Majesté,
Il fait reuerer sa personne,
Plus que Louis & sa Couronne :
Par ses seruices dignes de feu,
Il a gaigné le cordon bleu,
Cordon qui seruira de corde,
Si on luy fait misericorde,
Car la rouë à peine est le prix
Des attentats qu’il a commis,
Armand à ces ames si pures,
Dispense les Magistratures,
Et faict regner sur ses subiets
Ceux qui sont dignes de gibets,
C’est la conduite admirable,
De ce Ministre incomparable,
De ce Capitan sourcilleux,
De ce Matamore orgueilleux,
De ce ieune Hercule des Gaules,

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Qui les porte sur ses espaules,
Qui soub ce faix n’est iamais las,
Qui n’a point besoin d’vn Athlas,
Et qui dessus sa maigre eschine
Veut porter la ronde machine.
Ce Courtisan subtil & vain,
A fait le Politique en vain,
Les fautes sont toutes visibles
Et ne nous sont que trop sensibles,
Les premieres prosperitez
L’ont signalé de tous costez,
Mais les auantures sinistres
L’ont mis au rang des sots Ministres,
Et est que dans les grands malheurs
Que l’on reconnoist les grands
cœurs
L’esclat des heureuses fortunes,
Rend rares les ames communes,
Et les ouurages du hazard
Passent pour Chef-d’œuure de l’art.
Tout Pilote est bon sans orage.
L’imprudent alors paroist sage :
Mais il se monstre ingenieux
Lors que les flots montent aux
Cieux.
Quand Dieu punissoit l’infidelle,
Quand il foudroioit les rebelles,
Quand il vengeoit le droict des
Rois,
Quand il combatoit pour les loix,
Quand il chatioit la Sauoye,
Quand il nous la donnoit en proye,
Quand il se seruoit de nos mains,
Pour deliurer les souuerains :
Armand estoit esgal aux Anges,
Et les flateurs dans les loüanges
Donnoient au bras de Richelieu
Les miracles du droict de Dieu.
Non que par ses soins & ses veilles,
Il n’ait eu part à ces merueilles,
Et que Dieu n’ait des instrumens,
Des plus fameux euenemens :
Mais la diuine prouidence,
Conduisoit sa foible prudence,
La force des Astres diuains,
Mettoit la force en ses mains.
Dieu regloit les causes secondes
Et calmoit la fureur des ondes :
Il leur faisoit baiser alors,
Nostre digue ainsi que leurs bords,
Et la prouidence eternelle,
La destruict apres la Rochelle,
Donnons-en la loüange à Dieu,
Non pas au nom de Richelieu,
Dans Ré, dans Cazal, & Mantouë
Qui n’a point veu que Dieu se iouë
Des vains & des ambitieux,
Qui pensent escheller les Cieux ?
Lors que le Seigneur des batailles,
Attaque ou deffend des murailles,
Les foibles domptent les puissans,
Et les Nains vainquent les Geans,
Soubs luy les hommes obeissent,
Sous luy les elemens flechissent,
Il retient le cours du Soleil,
Il destourne vn sage Conseil,
Il glace de peur les armées,
Il les rend d’ardeur enflammées,
Il meut leurs corps, pousse leur bras,
Dresse leurs mains regle leurs pas,
Et par des detours inuisibles,
Conduit les ouurages sensibles.
Armand faisoit fleurir les Lys,
Quand Dieu perdoit nos ennemis,
Armand ne trouuoit point d’obstacles,
Quand Dieu nous faisoit des miracles :

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Mais quand il a pris pour obiect,
D’estre plutost Roy que subiect,
De faire adorer sa prudence,
Plus que sa Royale puissance,
D’estre le Tyran des François,
Et le fleau des plus grands Rois,
D’eterniser dedans la terre
Le triste flambeau de la guerre,
De violer tous les Traictez,
De voler toutes les Citez,
D’vsurper toute la Loraine,
D’emprisonner sa Souueraine,
De separer ce que Dieu ioinct,
De mespriser ce qu’il enioinct,
De rendre l’Eglise asseruie,
De ne luy laisser que la vie,
De la faire esclaue des Rois,
De rauir ses biens & ses droicts,
De dissoudre vn sainct mariage,
Pour faire vn ridicule ouurage,
Pour ioindre auec des ieunes Lys,
Des grateculs & seps vieillis,
Pour mesler le sang de la France
Au vil sang de son Eminence,
Pour faire Reyne Combalet
La veufue d’vn pauure Argoulet,
La posterité d’vn Notaire,
L’Hermaphrodite volontaire,
L’Amante & l’Amant de Vigean,
La Princesse au teint de saffran,
La Nayade, qui dans sa chambre
Tient vne fontaine d’eau d’Ambre,
Et le chaste Dieu des Iardins,
Parmy ses Lys & ses Iasmins :
Quand renuersant le cours des choses
Il a faict des Metamorphoses,
A rendu Vierge Combalet
La femme d’vn Maistre Mulet,
Alors les Celestes puissances,
N’ont pû souffrir ses insolences :
On a veu cét audacieux
Hay de la Terre & des Cieux,
On a veu ses palmes fanées
Depuis le cours de trois années,
Dieu ne reglant plus ses desseins,
Ils ont paru des songes vains :
Car vouloir vaincre l’Allemagne,
Et dompter la Maison d’Espagne,
En laissant perir nos soldats
Victorieux aux pays Bas,
En consumant l’or des finances
Dans l’esclat des magnificences,
En prodiguant pour ses Duchesses,
De quoy munir ses forteresses,
En amassant de grands tresors
Dedans le Havre & autres Ports,
En laissant dans les autres villes
Des troupes foibles & debiles,
Ayant plus de soing des prisons,
Que des Forts & des Garnisons,
C’estoit vn dessein Chimerique
Digne de ce grand Polytique,
D’vn Heros au dessus des noms
Du Roy des petites Maisons,
Ses visions creuses & folles
Ont mis les forces Espagnoles
Dans le sein de l’Estat François,
Et pres du Trosne de nos Rois
La France a receu mille atteintes,
Ses douleurs esgallent ses craintes,
Tous ses membres sont languissans,
La guerre a perclus tous ses sens,
Et la vigueur de sa Noblesse
N’est plus auiourd’huy que foiblesse.
Elle est malade en tout son corps
Ne peut faire de grands efforts,
A besoin que la main Diuine
Le preserue de sa ruine,

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Et ne doit demander à Dieu.
Que la perte de Richelieu,
Car si le Ciel benit nos larmes,
S’il seche le cours de nos armes,
Et qu’ARMAND possede LOVIS,
Par ses mensonges inoüis,
Il reprendra sa tyrannie,
Il redoublera sa manie,
Il bannira les plus puissans,
Il perdra les plus Innocens,
Il conçoit desia des vengeances,
Il prepare des violences,
Ce lyon bat desia son flanc,
Son cœur est alteré de sang,
Ses yeux estincellans de rage,
Sa gueulle s’apreste au carnage.
Faut il que combattant pour nous,
Nous nous exposions à ses coups,
Et qu’en deffendant nos murailles ?
Ce Serpent ronge nos entrailles,
Faut-il qu’en asseurant nos biens,
Nous nous asseurions nos liens ?
Faut-il qu’en gardant nostre maistre,
Nous gardions ce barbare Prestre,
Et qu’esclaues comme deuant
Nous nous perdions en nous sauuant ?
Grand Roy banny par ta puissance,
La seruitude de la France,
Chasse l’orgueilleux Potentat,
Et le Demon de ton Estat.
Ton triomphe sera funeste,
Si ce cruel Monstre nous reste,
Ouure les yeux, arme ton bras,
Pour mettre deux tyrans à bas,
Couronne les faicts de la Gloire,
Qu’auroit ceste double victoire,
Faits punir l’Autheur de nos maux,
L’autheur de mille & mille impos,
Faictes que la Iustice diuine
Accable ce nouueau Conchine,
Laisse deschirer à Paris,
Le plus meschant des fauoris,
Et fuys en sauuant la Couronne,
Cet Oracle de la Sorbonne,
Son Sepulchre en vain sera beau,
Les tyrans n’ont point de tombeau.

 

FIN.

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Anonyme [1649 [?]], LE GOVVERNEMENT PRESENT, OV ELOGE DE SON EMINENCE, SATYRE, OV LA MILIADE. , françaisRéférence RIM : M0_1503. Cote locale : C_4_27.