Anonyme [1649], LE GRAND BREVIAIRE DE MAZARIN, REFORMÉ A L'VSAGE ET VTILITÉ DE LA FRANCE, PAR NOSSEIGNEVRS DE PARLEMENT , français, latinRéférence RIM : M0_1505. Cote locale : A_3_16.
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LE GRAND
BREVIAIRE
DE MAZARIN,
REFORMÉ A L’VSAGE ET
VTILITÉ DE LA FRANCE,
par Nosseigneurs de Parlement.

PARCE que le sieur Mazarin est vn
fort deuot personnage, sa deuotion
est cause qu’il a inuenté en
France vn nouueau Breuiaire, que
luy-mesme a industrieusement relié,
mais aux despens de cét Empiré,
dõt ie desire vous en faire vne particuliere description,
les feüillets de ce Breuiaire sont du plus
fin or de la France, où son Office est escrit du sang
du pauure peuple François ; son Office est composé
de mesme que celuy des autres Vidames ; de Matines,
de Laudes, de Prime, de Tierce, de None,
de Vespres, & de Complies, ne croyez pas que
dans ses Matines il remercie Dieu ainsi que les autres
Prestres des biens qu’il a receu, il recite ses

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heures d’vne autre plus belle façon, lesquelles il
accommode aux heures de la iournée.

 

A MATINES.

Svr les huict heures du grand matin il commence
à dire ses Matines en cette sorte. Lors
qu’il veut se leuer du lict il appelle vn de ses hommes
de Chambre, qui s’aduance doucement auec
vne humilité sans pareille, & incontinent les
Pages & les Lacquets qui sont aupres du feu comme
des Statuës muettes, s’empressent à qui mieux
mieux faire son deuoir, & a mesure que nostre
Ministre void son vallet il luy tend la main, en
apres il leue vne cuisse du lict & apres l’autre, si
grauement, que vous diriez qu’il veut faire l’entrée
d’vn ballet à l’Italienne, où qu’il a dessein de
representer le personnage de Momus, comme
il a fait autrefois par necessité, les Lacquets luy
donnent ses pantoufles, les Pages sa robbe fourrée,
chamarrée auec presque autant d’aulnes de passement
d’or, qu’il a fait en sa ieunesse des macquerellages
à Rome, auec ce bel appareil il s’en va droit
à la cheminée de sa chambre aussi bellement
que s’il auoit peur de casser des œufs dessous ses
talons, son Chirurgien est la tout prest, qui prend
tant de peine pour luy accommoder la teste &
peindre le visage, que vous le prendriez pour vn

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autre Adonis, s’il n’auoit le nez si puant, lors que
son Eminence est bien parée, voicy qu’vn de ses
Gentilshommes luy porte vn boüillon, dont le
prix excede la valeur de son patrimoine, & pour
finir ses Matines il fait commemoration de ses
Vierges, qui sont ses deux Niepces qu’il voudroit
canoniser en France, bien qu’elles soient desia canonées
en Italie.

 

A LAVDES.

SES premieres heures ainsi finies, voicy vne
trouppe des Fauoris & des Partisans qui viennent
entendre ses Laudes, où il employe toutes
les figures de sa Retorique, pour faire esclatter à
merueille la Prudence de la Reine, le Courage
de Monsieur le Duc d’Orleans, & la fidelité de
Monsiéur le Prince de Condé, tous ses suppots,
sont autant d’Eschos qui repetent ce qu’il
vient de dire.

A PRIME.

POVR dire cet Office Nostre Ministre sort
de sa Chambre, d’où il va salüer le Roy, auec
vn visage de Seneque, & le souz-ris de Iudas, il
fait en mesme temps participer de ses bonnes graces
à Monsieur le Duc d’Anjou, & en suitte il discourt
des affaires de consequence auec la Reine.

A TIERCE.

NOSTRE Iule ne sçauroit bien dire cet
Office, Si Monsieur le Chancelier ne luy
sert de Clerc, si bien qu’il s’en va le salüer dans
son Cabinet. Ceste visite luy sert de De profundis,

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tellement elle luy entre dans le cœur, neantmoins
il ne laisse pas de faire son personnage, &
pour tesmoigner sa grande deuotion, il commence
& acheue cet Office, en disant, Poter Noster,
& Monsieur le Chancelier luy respond, Et ne nos
inducas in tentationem.

 

A SEXTE.

VNE grande trouppe des Flateurs qui est
escortée par des Manteurs, Concussionnaires,
Traistres, loüeurs & Partisans assistent
auec passion à c’est exercice de sa Pieté, le Cardinal
Mazarin commence c’est Office par vne Leçon
d’Horace, O Pueri Pueri virtus post nunimos.
Et pour suiuant sa ptiere il s’adresse à Dieu en cette
sorte : Si possible est, Transeat à me calix iste, En
suitte tous ses complices disent, Et dimitte nobis
debita nostra, En sa seconde Leçon, il exhorte ses
Fauoris à la patience, à l’imitation de Iob, quelle
comparaison d’vn homme de bien tel que Iob
estoit, auec des Voleurs, d’vn homme d’honneur
auec des gens sans adueu, & d’vn Roy auec des
Bardaches, il finit ces Heures par ce Prouerbe
Male parta, male dilabuntur.

A NONE.

NOSTRE bon Prelat estonné de voir ses
Fourbes & ses Ruses sont descouuertes,
pour resiouüyr son cœur, & s’exciter l’appetit, fait
couurir sa table de plus de mets que son Pere n’en
a mangé durant sa vie. La Musique & les Concerts
des Luts sont le premier seruice de son repas, sa

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gourmandise est bien si grande qu’elle luy a faict
inuenter vne façon nouuelle de Plats & d’Assiettes
à la Mazarine, ayant ordinairement à ses costez
ses deux Niepces, à qui il commence ces heures
par c’est Antienne, Bonum est nos hicesse facimaus
ibi tria Tabernacula, apres il dit ceste Leçon, Bibamus
& Edamus post mortem nulla voluptas, &
pour finir None auec son repas, tournant sa face
vers ces Domestiques, chante ce Verset, Tot plus
fuit potæ, plus sitiuntur aquæ.

 

A VESPRES.

LES Vespres à la Mazarine sont bien differentes
des Siciliennes, qu’il commence par ces
beaux mots, Apres la pence, vient la danee. Si bien
que nostre braue Cardinal commence le Bransle
de ioüer, afin d’auoir aussi bien l’argent des Princes
& des Grands de la Cour par tricherie, comme
il a rauy celuy du pauure Peuple, par ses finesses,
les Cartes & les Dez sont ses plus beaux liures,
qui luy font abhorrer autant les gens de lettres,
qu’il ayme les Louys, quand la nuict le presse de finir
ses heures pour dire Complies, il est touché
d’vne Syndese qui le porte à dire à ses Partisans,
Tollimur in altum vt lapsu grauiore ruamus.

A COMPLIES.

IL n’est rien de plus fascheux à nostre Mazarin
que de dire Complies, il ne seroit iamais racomply
des delices ny des tresors de la France, il
les commence d’vne voix triste & plaintiue, & addresse

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ce verset à nostre Auguste Parlement ; Couuerte
nos Deus salutaris noster, & auerte tram
tuam a nobis, & en suite il chante ce motet au Roy.
Esto mihi in Deum protectorem & in domum refugij,
vt saluum me facias, apres se tournant du
costé de la Reyne, il luy dit aucc mille sanglots.
Quoniam fortitudo mea & refugium meum es tu,
& propter nomen tuum deduces me, & enutries
me, apres il harangue Monsieur le Duc d’Orleans
en cette sorte. Educëe me de laqueo hoc quem absconderunt
mihi, quoniam tu es protector meus, &
en apres il dit à Monsieur le Prince. In te Domine
speraui non confundar in æternum, enfin il dit
à Monsieur le Chancelier d’vne voix plaintiue
ce verset. Inclina ad me aurem tuam accelera
vt eruas me, nostre Ministre ne voudroit iamais
mettre fin à ses Heures, mais il est temps qu’il se
retire, & qu’il dise son Breuiaire à la Romaine, le
sien ne vaut plus rien, depuis que Nosseigneurs de
Parlement en ont leué la couuerture, qui estoit
l’authorité Royale, adieu donc Mazarin, puisque
tu as acheué ton office, va reuoir l’Italie, car la
commemoration de tes Confesseurs les Partisans
est inutile, & celle des Martyrs François qui demandent
vengeance à Dieu, te doit faire mourir
de regret, si tu n’ayme mieux perdre la vie sur vn
eschassaut. Vade non vale.

 

FIN.

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Anonyme [1649], LE GRAND BREVIAIRE DE MAZARIN, REFORMÉ A L'VSAGE ET VTILITÉ DE LA FRANCE, PAR NOSSEIGNEVRS DE PARLEMENT , français, latinRéférence RIM : M0_1505. Cote locale : A_3_16.