Anonyme [1652 [?]], LE GRAND DIALOGVE DE LA PAILLE ET DV PAPIER, CONTENANT CE QVI CE peut dire de plus considerable sur ces deux sujets, auec leurs raisonnemens sur les affaires d’Estat, le tout en stile vulgaire. PREMIERE PARTIE. , françaisRéférence RIM : M0_1508. Cote locale : B_8_10.
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LE GRAND DIALOGVE
de la Paille & du Papier, contenant ce
qui ce peut dire de plus considerable sur
ces deux suiets, auec leurs raisonnemens
sur les affaires d’Estat, le tout en stile
vulgaire.
PREMIERE PARTIE.

LA Paille. Qui viue Monsieur le Papier,
qui viue, qui viue, il faut parler Grec,
ou ie te sçauray traitter en Mazarin, &
te donneray plus de coups que le moulin qui
ta fait.

Le Papier. Madame la Paille, bon quartier
de grace, ne sçais tu pas bien que ie n’ayme
qu’amour & simplesse, que ie sers d’ordinaire
aux personnes des professiõs ennemies de l’espée,
& qu’enfin comme on a coustume de dire
le Papier souffre tout. Mais d’où te vient auiourd’huy
cet excés d’audace ? à toy qui trembles
au moindre vent, & qui te laisses par tout
fouler aux pieds, ou si tu veux que ie te parle
en Rodrigue, puis que tu m’as osé demander si
i’auois du cœur ?

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Qui te rend auiourd’huy le sentiment si vain,
Toy qu’on ne veid iamais les armes à la main.

 

Il est vray que ie n’attendois rien moins de
ta part : mais ie voy bien ce que c’est : le Mars
& la Pallas de la France t’ont communiqué
quelque rayon de leur vertu par leur diuin attouchement,
& c’est en quoy ie puis asseurer
qu’ils sçauent faire de grands miracles, puis
qu’ils ont sçeu faire quelque chose de rien.

La paille. Ne parle point de la Paille auec
tant de mespris, puis qu’elle est ta riualle & ton
Antagoniste, & que tous les plus braues de la
France la portent maintenant au lieu de galands ;
au reste, ne suis-je pas Paille de bien &
d’honneur ? & d’vne extraction tres Illustre ?
ne m’est il pas permis de faire la vaine & la fiere ?
puis que le Mars & la Pallas de la France,
pour comble de bonne fortune, m’ont éleuée
au sommet de la grandeur, & placée au
dessus du haut estage où la prudence & la valeur
reside en leurs diuines personnes : mais
tréue de vanterie, ie n’ay point l’humeur sanguine,
puisque tu m’as demandé quartier, ie te
veux traitter en compere & en amy, dy moy
donc, te souuient-il du second de Iuillet ?

Le papier. Il m’en doit bien souuenir, puisque
ce iour de petit compagnon me fit grand

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Seigneur, & de plat comme ie fus tousiours, me
rendit tout boufi d’orgueil voyant que ie paroissois
Spectandus in certamine Martio.

 

Il m’apartient de parler Latin, puis que i’apprens
aux hommes toutes sortes de langues, & que ie
suis sçauant comme les liures. Ce fut certes la
premiere fois que ie parus en champ de bataille ;
c’est pourquoy ie te puis dire asseurement, que ie
ne me trouuay iamais à telles nopces, d’où vient
qu’on ne doit point trouuer estrange si ie ne reüssi
pas tres-bien d’abord.

La Paille. On sçait assez que ceux qui te portoient
à leurs chapeaux ne firent rien, qui vaille la
peine d’estre imprimé sur tes cahiers, aussi ie ne
fus iamais plus estonné qu’alors que ie te veis si
fort en monstre ; mais moy ne fis ie pas merueilles ?

Le papier. Des merueilles en effect, parce
que tu rendis toute la plaine rouge de sang, &
i’auois tort de douter tantost de ta force, apres en
auoir veu cette redoutable espreuue ; voila ce que
c’est d’auoir bon maistre, mais enfin chacun à
son tour.

La Paille. Quoy tu serois assés vain pour croire
auoir ta reuáche & tu sçais que i’ay des Mars & des
Pallas de mon costé. Non, non, ne t’amuse point
d’vne si folle esperance, & si tu n’as rien de plus
prest, scache que tu ieusneras longtemps. Simon
Mars a des bras d’Hercule, tu dois sçauoir qu’il a
des yeux d’Argus ; & si ma Pallas a les yeux & le visage

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d’vn Ange, elle a le cœur d’vn Heros & la valeur
d’vne Reyne des Amazones. Et puis dy que
ie ne scay prosner ainsi que toy, sinon que ie ne
sçeus oncques parler Latin, bien qu’il me souuienne
du temps des Romains.

 

Le Papier. A ce compte, tu es plus vieille
que moy, qui ne suis nay que cinq ou six siecles
apres : mais dy-moy deux mots de ta genealogie,
afin que ie rende à ton extraction l’honneur que
ie luy dois.

La Paille. N’as tu pas tort de me faire cette demande,
puis qu’il n’y a rien que tu ne doiue sçauoir,
& que la Paille n’a pas où loger grand science ?
Ne sçais tu donc pas ce que contiennent les liures ?
vn Poëte nommé Claudian, intitulé De raptu
Proserpinæ ? suiuant son rapport, Cerés est ma
grand maman, Triptolemus mon bon papa, le
Soleil mon pere nourricier, Flore ma gouuernante,
& l’Automne mon Oeconome, qui me traite
comme il luy plaist. Sus donc compere à toy le dé,
mais parle sans rien deguiser.

Le Papier. Helas ! mon extraction est si vile,
que i’auray honte de t’en rien reciter, principallement
ayant appris la tyge Royalle d’où tu sors.
le croy mesme que le grãd Boug à Iean des Chãps
comme porte le couplet de chanson, se tiendroit
offensé, si ie l’osois dire mon ayeul : & que la chevre
à Colintampon rougiroit si ie l’appellois ma
grand mere ; il n’appartient qu’à vn de mes confederez

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nommé le sieur Parchemin de se le donner
cet honneur. Pour ce qui est de moy, te suffise
seulement que ie me nomme Papier, & que pour
monstrer ma candeur, ie suis blanc comme lait.

 

La Paille. Compere, ie voy bien qu’il y a de
l’ordure en ta flute, puis que tu me cele ta parenté,
toutefois, si ie ne me trompe, les crieurs de
vieux drapeaux m’en pourroient bien apprendre
quelque chose, puisque leurs sacs pleins de haillons,
contiennent, à ce que l’on m’a dit, la matiere
de ton estre, à qui le moulin en te mettant sous la
presse, & te lauant le corps comme il faut, donne
la forme ; c’est enquoy tu n’as pas peu de rapport
auec Mazarin, qui vient comme toy, d’vn
lieu fort bas, qui le rend digne d’estre traitté de
mesme, estant fils d’vn Cuistre ou d’vn Chapelier ?
Mais à propos de Mazarin, d’où te vient auiourd’huy
l’inclination qu’on te voit témoigner pour
ce bon Apostre, & pour les siens, vraiment vn
estrange changement s’est fait en ta fortune & en
ton humeur. le croiray desormais que les agneaux
& les loups iront ensemble au bois s’ebatre, puis
que vous estes auiourd’huy comperes & bõs amis.
le pensois en effet que tu fusse le plus grand ennemy
qu’il eust au monde : n’en as tu pas dit aussi
plus d’iniures imprimées, que la grande Salle
du Palais n’en pourroit contenir, sans parler icy
de la vente ou proscription de sa Bibliotheque,
dont l’argent deuoit estre la recompense de celuy

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ou de celle qui feroit à sa teste, le traitement
que Iudith fit à celle d’Holofernes, puis de vous
voir apres cela confidens & bons amis : certes
c’est vn prodige qui n’eut iamais d’egal.

 

Le Papier. Commere, ainsi va le monde, ne sçais
tu pas qu’il est fou qui d’amis parle ? puis que tu as
tant d’aage que tu dis, ie ne doute point que ta
n’en ayes bien veu d’autres : mais sans aller chercher
dans mes vieux cahiers, des exemples de ces
changemens, n’as tu pas depuis dix ans en ça, veu
Le Prince de Condé parfait amy du Mazarin, &
le Mareschal de Turennes parfait amy du Prince
de Condé, c’estoit le pain & le lait, & c’est a present
la cheure & le cousteau ; & d’ailleurs n’as tu
pas veu le Mazarin & le Mareschal de Turennes,
Beaufort & Condé, à cousteaux tirés, & cependant
à present, qui toque l’vn toque l’autre ;
ce n’est qu’vne ame en deux corps, & qu’vn vray
symbole de concorde ; ce qui donne suiet de croire
que puis qu’il ne faut de rien iurer, ceux qui paroissent
maintenant si grands ennemis, seront peut-estre
bien-tost amis comme freres, & boiront ensemble
comme auparauant. Mais pour répondre
precisement à la demande que tu m’as faite, touchant
la nouuelle alliance que i’ay contractée
auec Mazarin, sçache que c’est vn des artifices de
cet Italien, qui veut par là témoigner sa candeur
& le dessein qu’il a de se reconcilier auec ses ennemis :
mais afin que personne n’y soit trompé, ie

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veux bien que tu sçaches que ny luy ny les siens,
suiuant leur coustume, ne me mettent en parade
sur leur chapeaux, que pour me ietter apres dans
le feu, & m’employer au plus vil office de tous. Ils
disent aussi que ie ne suis bon qu’à faire des allumettes,
& que i’en ay seruy par toute la France pour
eschauffer la guerre qui s’est emeüe contre luy ;
c’est pourquoy qu’aucun ne s’y fie, ie t’en aduertis
de bonne heure, ou qu’ils sçachent qu’ils n’en auront
pas meilleur traitement que moy, mais toy
Commere la Paille, cõment te trouue tu de la courtoisie
& de la belle humeur de ces Princes & de ces
Princesses, qui t’ont choisie pour arborer leurs trophées ?
Es tu plus heureuse en ce rencontre que
ie ne suis, dois je porter enuie à ton bon-heur ?

 

La Paille. Voyla certes encore vne belle demande
pour vn vieux Rodrigue comme toy, ne vois-tu
pas bien à ma mine que i’ay mon compte, & que
ie suis satisfaite de tout point ? aussi quel honneur
plus grand me pouuoit-il arriuer ? de grands Princes
& de belles Princesses me caressent comme leur
confidente & leur bonne amie, & se sont mis sous
ma protection, ils sont cause que tout le monde
pour l’amour d’eux, me fait feste, & que qui ne me
veut receuoir passe pour schismatique & pour excommunie.
Iamais enfin, comme tu disois tantost,
ie ne me vis en telles nopces. Mais sur tout, c’est vn
rauissement pour moy, de voir comme on m’exalte
sur le Pont neuf, & par tout ailleurs, dans Paris &

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dans les Prouinces mesmes, & de voir les belles recherches
que font les plus grands esprits, pour
me donner les eloges que ie merite. Iamais tu n’as
veu tant de Rebus, de Proses & de Vers qu’on en a
dé-ia fait sur mon suiet : mais sur tout, n’as tu point
encor oüy la Chanson sur le chant de enfarinés, où
l’on me fait passer pour fille de bonne maison,
n’est ce pas quelque chose de rare, & ne confesse-tu
pas que la reprise en est bien iolie.

 

Le Papier. On m’en a tant mis sur le corps depuis
qu’on chante ces trudaines de Mazarinades,
qu’à peine ie puis connoistre les vnes d’auec les autres,
mais puis qu’il y va de ton interest, ie ne doute
point qu’il ne t’en souuienne parfaitement : car
estant le symbole de la legereté, tu dois estre de
l’humeur des ieunes filles, qui se plaisent d’estre
flatées, toutefois comme i’en suis le depositaire, ie
pense en auoir quelque idée, & si ie ne me trompe
c’est Tous ceux qui n’en porteront point,

La Paille. Passeront pour vrais Mazarins. Tu craignois à dire ce second vers, à cause qu’il
choque en quelque façon Mazarin, aussi pour
n’en point mentir, ie te trouue desia beaucoup plus
noir que de coustume, & c’est pourquoy le commun
dire se trouue tres veritable, que peché nuit ;
mais laissant à part cette matiere vn peu trop serieuse
pour mon humeur encore legere, dy-moy si la
rime des deux vers que nous venons de reciter, ne
te semble pas fort heureuse.

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Le Papier. Quelle ? La Paille. Mazarins & point.

Le Papier. Point & Mazarins ? fort heureuse.
pour la saison ou le galimatias est en vogue plus
que iamais. En voudrois-tu de meilleures pour le
Pont neuf, & ne vois tu pas qu’en y faisant vn fort
petit changement, on y trouue ce que le peuple
de Paris a tant souhaitté, c’est à dire, point de Mazarins.

La Paille. La remarque est rare & la pensée fort
subtile, mais voy combien ie suis honorée en cet
endroit.

 


Du grand Condé tous les gens-d’armes
En portent en guise de plumet.

 

Le Papier. Ce dernier vers pour marcher viste
n’a pas faute de pieds ; mais c’est ce qui le rend plus
tardif, & c’est ce qui nuisit le plus à Mazarin le iour
de la grande Bataille, où ie fus premierement mis
en parade sur les chapeaux des siens, pour les obliger
à s’entre-reconnoistre, parce qu’ayant beaucoup
de troupes mal en ordre, il ne les pût toutes
faire marcher d’vn mesme pied pour se trouuer au
combat à point nommé : mais ne me rendis-je pas
fauorable aux entreprises des tiens, leur fournissant
à tous vn blanc dans lequel ils n’auoient
qu’a tirer pour se defaire de leurs ennemis, comme
ie puis rapporter de certains, qu’ils firent autant
qu’il fut en leur pouuoir.

La Paille. Ainsi tu confesse que les miens se
comporterent en ce combat en gens de cœur, &

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ie te loüe de cette franchise, mais confesse pour
ma gloire que ce ne fut que depuis qu’ils eurent
l’honneur de me porter à leurs chapeaux, & que
l’Ordre de cheuallerie de la Paille fut érigée, par
ie ne sçay quelle vertu que ie possede sans la connoistre,
ie leur donnay de nouuelles forces, &
quoy que les ennemis eussent le vent & le Soleil
fauorables, ie leur rendy tout funeste, & firent
qu’ils n’eurent plus de iambes que pour fuir à vauderoute.

 

Le Papier. Madame la Paille, on t’employera
desormais aux talismans, & ie veux croire que tu
as quelque qualité occulte qui se rapportoit à la
qualité de l’Astre qui pour lors influoit sur Paris,
en vertu de laquelle tuas operé tous ces miracles,
aussi lambre qui a la vertu de t’attirer, sera desormais
beaucoup moins precieux que toy, nous te
verrons auec honneur entrer en la garniture des
plus iolis ameublemens, cõme des glands, gands,
cordons, guirlandes, coëffures, chapelets, croix
de parade, & autres pareilles ioliuetez. Mais ce
qui est bien plus considerable pour ta gloire, tu
dois auoir place en l’Histoire ; & mesme dans le
Temple de Memoire, on t’en doit bastir vn sous le
titre de Saint Antoine de la Paille, où les Images
du grand Condé, & de Mademoiselle, ta protectrice,
seront placés au frontispice, & se verront
aussi dans la Nef & dans le Chœur, ayant la Paille à
la main. Tous les Enygmes que les Regents des

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Coleges proposeront d’icy à plusieurs mois, n’auront
que ton merite pour suiet, les Affiges & les Almanachs
de 1653 ne contiendront que les marques
de ta dignité. L’Esté desormais ne portera dans
les tableaux, où l’on le peint entre les quatre saisons,
que tes liurées & tes couleurs. Les Paillasses
pour se coucher, plairont mieux aux delicats,
que les matelats & les lits de plume. On dansera
le branle de la Paille au Carnaual, & tous les
masques en feront des bandoulieres & des ceintures
au lieu de lierre Nice de la Paille emportera
le prix sur toutes les Villes, parce qu’elle à l’honneur
de voir ton nom ioint au sien : les chapeaux
de Paille des paysans vont estre plus honnorez que
les vigognes & les castors des grands Messieurs :
puisque cõme les robes des Capucins ont tousiours
quelque piece du vieil Adam, il faudra que ces chapeaux
de prix, pour sauuer leurs maistres de malencontre,
ayent tousiours quelque eschantillon,
de ton estoffe : & n’importe que quelques railleurs
ayent dé ja voulu dire que tu sers de matiere
au troisiesme Memento homo, puis Mademoiselle,
elle mesme, cet Ange visible, ce chef d’œuure
de la nature, ce miracle de perfection, cette Pallas
de la France, & le parfait appuy de sa liberté, t’a
daigné signaler, ou plustost consacrer par son diuin
attouchement & te placer sur son beau sein,
en vn endroit où la rose & le lis furent autrefois
glorieux d’auoir place. Croy moy, c’est d’où vient

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toute ta force, que cette genereuse Princesse t’a
communiquée par vn subtil escoulement, ou plutost
transmission du feu diuin qui l’anime, en ta
substance toute mince qu’elle est : mais dy-moy
quelque chose des merueilles burlesques qu’on a
faittes sur ce suiet.

 

La Paille. Tu veux parler de ce bel ouurage qui
porte pour titre le Bouquet de la Paille, dedié à
Mademoiselle, & lequel veritablement est burlesque
en diable & demy. On me donne là d’estrãges
eloges, dont pour mon honneur ie me veux reputer
indigne, bien qu’on me nomme la Reine des
fleurs, comme qui nommeroit vn grillon, Roy des
oyseaux : mais pour ce qui est du Bouquet de Mademoiselle,
voicy ce que l’auteur burlesque en dit.


Le Bouquet de Mademoiselle
Plus beau que la roze vermeille,
La lauande, les fleurs de lys,
La mariolaine, les soucis,
Et la tulipe & la fretille,
Le martagon & la myrtille,
L’imperial & crystalin,
La pensée & la giasmin,
Et l’aspic & la marguerite,
Qui est vne fleur bien petite,
Le thin, l’éternelle & l’œillet,
Enfin plus-beau que nul bouquet.
Ce qui est tres-veritable en autre sens : mais
comme cette matiere est tres delicate, il n’apartient

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qu’à vne teste couronnée de la traitter, mais
au reste, ne confesse tu pas que l’on m’honore
trop de me preferer a toutes les fleurs, toutes
nommées ainsi par nom & par surnom.

 

Le Papier. I’auoüe que ta vanité ne peut estre
que bien fondée sur ce suiet : mais i’en sçay, qui
comme l’auteur de ton Apotheose, te loüeront
de meilleure grace, & quisçauront aussi mieux
parler de la gloire que Mademoiselle merite pour
les merueilles qu’elle fit au grand iour de ta
Feste. Pour ce qui est de Monsieur le Prince, ie
ne sçay si ie dois croire ce qu’on a laissé par escrit
en quelque endroit sur ma peau.

Que comme il estoit en peine de trouuer l’estofe
de quelque marque à laquelle les siens peussent
se reconnoistre, d’autant que les Mazarins s’estoient
dé-ia saisis de la mienne, qu’ils faisoient
voir en pontificat sur leur lampons ; vn ange luy
apportant vn brin de Paille que Madamoiselle
auoit touché, luy dit, In hoc signo vinces, ce qui fut
cause qu’il ordonna que tous ses soldats prendroient
cette marque, à laquelle la victoire estoit
enchaisnée par ie ne sçay quels secrets ressorts :
mais i’ay tort d’auoir lasché deuant toy tant de
Latin, ie sçay que tu n’en as iamais veu bouteille,
& qu’à peine tu sçais escorcher le François ;
car si ie te viens d’entendre parler Phœbus, ie
puis dire que c’estoit par miracle, & en vertu de
l’influence secrette de l’Astre qui t’est maintenant

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si fauorable, ie sçay bien que le Dieu Pan,
ayant le premier fait des flutes de tes tuyaux, t’apprit
autrefois à former des tons harmonieux, au
son desquels les bergers se demenoient comme
des Lutins, en dansant sur les monts d’Arcadie,
& les asnes mesme de ce climat, surpris de la nouueauté
de cette harmonie, brayoient comme des
demons : mais tu seruois d’organe à la voix de ce
Dieu pour former les diuers tons & muances qu’il
luy plaisoit sans y rien contribuer de ton genie.
Aussi tu n’as pas le demy quart de la ceruelle d’vne
mouche, & les anciens qui logerent leurs Nymphes
& Deesses par tout, & mesme sous l’escorce
des arbres, n’en ont iamais imaginé sous la tienne
parce que n’y trouuant nul suc elles y fussent mortes
de faim & de soif, & que le vent les eust
transportées à son gré de tous costez ; mais puis
qu’il faut trauailler à tes Eloges, & que cet exercice
est de mode, ie te veux monstrer que bien
que ie sois le plus plat du monde, ie scay me mõtrer
enflé quand ie veux, pour loüer à propos, &
mesme en beau termes ce qui le merite. Le terme
latin Palea, respond à celuy de Paille, en François,
& de ce terme Palea, fut à demi formé le non des
Empereurs Paleoloques, qui commanderent en
qualité d’Empereurs, deux cens ans à Constantinople.
Voila desia vn grand hõneur pour la Paille ;
d’ailleurs pour faire voir que l’augure en est heureuse,
& que ce n’est pas d’auiourd’huy qu’on a

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veu l’ordre des Cheualiers de la Paille en France,
sçache qu’au temps des guerres, ie croy d’Othon
III. Empereur d’Allemagne contre vn Roy de
France, sur le mépris que le Roy de France auoit
fait d’Othon, & le nommant Empereur de Paille,
ce Prince irrité de cette iniure entrant en France
auec vne puissante armée fit prendre à tous ses soldats
des chapeaux de paille, & vint en cét équipage
iusqu’à Paris, où ces deux Princes s’accorderent,
d’où peut estre venu le Prouerbe qui porte, quand
on en vient à quelque rigueur auec quelqu’vn qui
nous estoit intime auparauant que la Paille est rõpuë
entre nous, ce qu’on dit peut estre au lieu de la
paix, pour monstrer que l’vn s’vsurpe souuent pour
l’autre. Ie t’aurois dit ce que designoit l’Hieroglyphe
de la Paille chez les Ægyptiens, mais ie ne
te veux pas charger la memoire de tant de choses à
la fois. Quoy qu’il en soit, la Paille sert à beaucoup
d’vsages, comme la décrit plaisamment l’autheur
du Bouquet de Mademoiselle, mais il est certain
que le grain vaut mieux.

 

La Paille. C’est aussi ce que disent les Mazarins
à la Cour que nous auons de la Paille, & qu’ils ont
le blé, mais leurs fiévres quartaines qui les puissent
bien sangler, ils ont le blé voirement les damnez
de Partisans, ils sont gras de quoy les autres
sont maigres, c’est ce qui cause auiourd’huy tous
nos desordres, mais on n’en veut pas demeurer là,

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vertu-bleu le partage seroit mal-fait, tout d’vn costé
& rien de l’autre, il faut qu’ils rendent ce qu’ils
ont mal pris ou qu’ils disent pourquoy. Ceux du
party des Princes portent la Paille aussi pour monstrer
qu’ils soustiennent l’interest du peuple auquel
rien n’est demeuré que l’écorce, mais à tout
bon compte reuenir. Il n’est pas échappe qui traisne
son lien, & il est encore à coucher qui peut-estre
aura mal nuict enfin le Diable n’est pas toûjours
à la porte d’vn pauure homme, & Dieu veut
ieu, bien qu’il ne soit pas ioüeur : on crie aussi tant
Noël qu’il vient : Mais pourquoy m’as tu dit que
i’estois le troisiéme memento homo, c’est ce qui me
tient le plus au cœur, parce que ie trouue ces paroles
vn peu de dure digestion.

 

Le Papier. Commere, ma mie tu viens d’en rendre
la raison presque sans y penser : ne sçais-tu pas
que le lendemain du Mardy Gras, qu’on nomme
vulgairement le Mercredy des Cendres, vn Ecclesiastique
en chaque Parroisse, appliquant de la
poudre ou de la cendre au front de chaque personne
qui deuant luy se presente à genoux commence
la petite remonstrance qu’il luy fait par ces paroles,
Memento homo, l’on te met sur le chapeau des
Parisiens, pourquoy sinon pour les aduertir de la
misere qui les regarde, & pour les obliger à considerer
que tout ce qui luit n’est pas or : qu’aux bons
mesmes souuent méchet, & qu’en plusieurs estats

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se void que ieune ne meurt, enfin qu’ils seront
bien-tost reduits à coucher sur la paille, s’ils n’y
prennent garde d’autre façon qu’ils n’ont fait par
le passé.

 

La Paille. Compere, ta raison n’est pas fort mauuaise,
& ie la trouue plausible, mais il me semble
que tu mords en riant, & ie te trouue encor vn plaisant
Robin de me parler en ces termes, toy qu vne
iuste punition du Ciel a rendu fugitif auec ces bons
chiens de Mazarins qui te portent. Mais quand ils
te mettent en parade sur leurs chappeaux, n’y portent-ils
pas l’Arrest de leur condemnation, nous
monstrans les verges dont ils nous ont chastiez,
lors qu’ils payoient les pauures Prouinciaux qu’ils
persecutoient comme des martyrs des Arrests du
Priué Conseil, & Verifications du Parlement : tu
deurois ainsi te mordre la langue quand tu dis du
bien de Mazarin, apres en auoir tant dit de mal.

Le Papier. Ie ne sçaurois tant en dire qu’il y en a,
mais ie veux en tous suiets dire la verité, & me sçais
tu mauuais gré de parler franchement, puis qu on
dit communement qu’vn aduerty en vaut deux enfin
ie ne sçaurois estre sac à Diable, & la candeur
qui paroist sur ma superficie, est aussi par faite en
mon ame : on me laua trop la peau quand on me
fist pour y laisser aucune tache, mais si ie suis Prince
par inclination, t’estonnes-tu de me voir Mazarin
par necessité, puis que toy mesme as dit de moy

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que le Papier souffre tout.

 

La Paille. C’est ce qui forme vn tres-mauuais
presage contre luy, puis que ce signal que les siens
portent, est vn éternel souffre-douleur, on dit aussi
que l’augure fatal qui luy promettoit vn bon-heur
tres-grand, auec vne tres-grande éleuation de fortune,
est accomply dans ce rencontre, puis qu’au
lieu de Pape, il est veritablement deuenu Papier :
mais enfin que dit la Cour de voir que ie fasse l’office
des plumes & des rubans, & que i’orne la teste
de tant de millions de personnes, qui sans cela ne
la croyroient pas en seureté.

Le Papier. Que c’est vn plaisir de te voir principalement
sur les grands chapeaux des Peres Iesuistes,
sur les coqueluches des moines gris, & sur
les castors des Conseillers & Presidens, car enfin la
regle y est mise ; Tous ceux qui n’en porteront point
passeront pour vrays Mazarins, & ie croy qu’il vaudroit
mieux pour la seureté de sa personne estant
dans paris, estre reuestu de la peau d’vn loup garou
que de passer pour Mazarin, ventre saint Gris on
les grille comme pourceaux, au peril de brusler
tout l’Hostel de Ville, & tout Paris mesme, s’il faisoit
mine de l’empescher : on dit aussi que tu serts
de cordon, aux vns de plumes, & de galands aux
autres, & de cornes à vne infinité qui n’en font nul
semblant, enfin que cette mode est bien iolie, mais
qu’elle n’est pas pour durer.

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La Paille. Et qui pourra la finir ?

Le Papier. Le retour de Mazarin à Paris.

La Paille. S’il y vient croix de paille, il sçait trop
quel il y fait, & que s’il estoit assez hardy pour y venir,
on le frotteroit bien d’autre chose que de Paille
ie sçay aussi qu’il n’est pas si fou, quelque mine
qu’il fasse, ie dis quand il en auroit le pouuoir,
comment ? si l’on brûle l’Hostel de Ville pour auoir
les valets, que ne feroit-on point pour auoir le maistre
qui est la cause du mauuais temps qui court, &
de ce que les Boulangers font le pain si petit, il sçait
& que quand le badault commence à s’échauffer,
il ne connoist maistre ny maistresse, & ne se remet
pas comme on veut : il se souuient encore des
premieres barricades de Paris : Enfin, il n’est rien
de tel pour luy, que d’auoir la campagne libre, mais
encore que, iuge-t’il de l’ardeur que les miens témoignerent
contre luy ?

Le Papier. Que c’est vn feu de paille en effet, &
qu’ils n’oseroient quelque mine qu’ils fassent, dépoüiller
le respect de l’authorité Royalle, en vertu
de laquelle il espere bien-tost s’en rendre maistre,
qu’il les rendra plus petits que fourmis, & plus souples
qu’vn gand, & qu’ils seront encor tous fiers de
luy venir baiser la pantoufle, & que leur rendant le
pain qu’il leur oste si tost que le Roy s’approche de
leur ville, pour les obliger d’en souhaiter le retour,
ils seront à luy comme les Sergens sont au Diable,

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c’est à dire tous entiers & par pieces.

 

La Paille. Compere, il t’est permis de tout dire
& de railler, mais si tu vois iamais le temps-là, sçache
que ie seray Reyne de France, & que ie l’ira y dire
à Rome, il méprise donc les Princes qui me protegent.

Le Papier. Tant s’en faut, il connoist la valeur
des vns & la prudence des autres, mais comparant
leur force à l’authorité Royalle, il croit que c’est vn
verre contre vn pot de fer.

La Paille. Il ne void pas le caphard qu’il est,
ne vous déplaise pourtant, Monsieur le Papier, si
ie parle de luy en ces termes, que l’authorité
Royale est bien affoiblie & bien obscurcie par les
tenebres qu’il répand sur son eclat, que les Princes
iettent à present de grandes lumieres en sa comparaison,
que la pluspart des Prouinces en sont éclairées,
que Paris n’a plus d’autres estoiles & d’autre
Soleil, & que cette grande ville estant vne fois vnie
pourroit venir à bout de tout vn monde armé contre
elle.

Le Papier. Commere, ie te prends au mot, mais
penses-tu que tous ceux qui te portent sur le chapeau
soient Princes dans le cœur, comme tous ceux
qui portent de grands chapelets en Italie, ne sont
pas censez bons Chrestiens. L’Escriture sainte dit
que si nous auions vn grain de foy, nous renuerserions
les montagnes, & si Paris en auoit vn d’vnion

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il enuoyeroit cinq cens Mazarins à tous les mille :
ne vois-tu pas qu’on ne fait & qu’on n’auance rien
en suitte de cette vnion, marque infaillible qu’elle
n’est faite qu’à demy, & comme on dit vulgairement
par bien-seance & par grimasse, autrement
tu verras d’estranges effets.

 

La Paille. Compere, tu ferois bien du chemin
en iour, si tu vas ainsi le grand galop, mais comme
ton cheual ruë, il est trop furieux pour durer au
trauail. Il ne faut pas aller si viste, puis que peu de
monde te sçauroit suiure, ne sçais-tu pas que le
mont S. Michel & que Paris ne fut fait tout à la
fois, que les iours sont tous les iours, qu’il en est
plus, comme on dit que d’œuures, & que petit à
petit on va bien loin ; enfin ce n’est pas peu pour la
ruine de Mazarin, que tout Paris ait leué le masque
contre luy, les Chefs des Prouinces qui le
haïssent interpreteront tousiours cét Arrest à leur
auantage, & le prendront pour le signal qu’ils attendoient
pour leuer les armes, & ie sçay que si ce
mal-heureux Cardinal ne gagne au pied, tu verras
bien-tost beau ieu, parce que la partie est tres-bien
faite contre luy. Ie t’en engage ma parolle
qui en vaut mille, & ie le iure foy de Paille qui est
tout dire.

Le Papier. Foy de Paille, ô le grand Serment s’il
en fut iamais, & ie vois maintenant que c’estoit celuy
que les Dieux fa soient autrefois & qu’ils craignoient

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de violer, ou s’ils ont iuré iusques icy par
les Ondes Stigiennes, ie sçay qu’ils iureront desormais
comme toy, foy de Paille, ainsi ie nose plus te
contredire puis que i’aurois beaucoup moins d’autorité
iurant foy de Papier, qui seroit vn serment
de Colporteur & de Scribe, cependant ie ne voy
pas qu’on fasse grand estat ny de toy ny de moy, &
le prouerbe y est expres qu’ils ont inuenté de nouueau,
pour monstrer que nous diminuons par nostre
foiblesse de l’estime & de l’autorité des sujets
qui nous portent.

 

La Paille. Trouue bon de m’en faire part, & ie
te feray quelque autre plaisir, ou t’apprendray
quelque autre secret en en reuanche.

Le Papier. Commere ma mie vous ayderez encor
s’il vous plaist à le celler, vous pouriez estre de
l’humeur de Pandore, qui pour n’auoir pû s’empescher
d’ouurir la boette qu’elle auoit en garde,
lascha tous les maux du monde qui y estoient enfermez,
& qui sans cela n’eussent iamais trouué le
moyen d’en sortir au grand benefice de tous les
mortels, & sur tout des François, qui sans cela n’auroient
ny guere du Mazarin, ne sçay tu pas bien
qu’vn coup de langue est pire qu’vn coup de lance,
& qu’il ne fait pas bon dire tout ce que l’on sçait,
suffit qu’il parle du Roy des Princes & du peuple,
& qu’il baille à tous son sac & ses qnilles.

La Paille. Commere, ie voy que tu fais grand

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cas de peu de chose, & tu crois que i’ay bien peu
de sens de n’entendre pas ce que tu veux dire par
ces paroles dont tu me cele vne partie, ie sçay le
le Prouerbe tout entier, & sçay aussi qu’ils nomment
Paris, à cause de moy, la grande Paillarde de
l’Apocalypse, mais qu’ils se prennent au bout du
nez les traitres qu’ils sont, il y a plus de paillardise
de leur costé que du mien, mais comme tu viens
de m’aduertir, ie sçay que souuent trop parler nuit,
& qu’il ne faut pas dire ce que l’on sçay tout à la fois,
c’est pourquoy si tu le trouues bon, sans nous animer
dauantage, nous remettrons la dispute à vne
autre iour, ou nous viendrons nos espées, ie dis
nos langues bien acerées pour en découdre,
& en attendant, chacun de nous estudira
bien sa leçon pour estocader comme il faut.
Tu me diras des nouuelles de Pontoise ou de Melun,
& ie t’en debiteray de Paris vn plain sac qui
vaudront bien les tiennes, ie veux dire si les discours
que nous auons tenus dans cette premiere
conuersation, plaisent à ceux qui prendront la peine
de les lire pour s’en diuertir ; & partant nous
nous separerons comperes & bons amis.

 

Le Papier. Commere, c’est tres bien dit, ie m’en
vay feuilleter tous mes recueils de Prouerbes pour
te respondre, sçachãt que c’est le langage qui t’est
le plus familier. Adieu donc, ou plustost iusqu’au
reuoir.

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La Paille. Adieu Monsieur le Mazarin.

Le Papier. Adieu Madame la Princesse.

La Paille. Ouy Princesse, & qui te commandera
bien tost comme à mon valet.

Le Papier. Puis que toutes choses se disposent
à cet heureux effet, ie seray bien forcé de t’obeyr :
mais qu’il fera beau voir ce regne de Paille.

La Paille. Il y fera du moins aussi bon viure que
sous le tien de Papier, & ie veux bien que tu scaches
que ce sera vn regne tout de Pailles d’or.

Le Papier Ie n’ay donc plus rien à dire, sinon que
ie suis ton tres-humble seruiteur le Papier ?

La Paille. Et moy ta Maistresse & ta Reyne,

La Paille.

FIN.

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Anonyme [1652 [?]], LE GRAND DIALOGVE DE LA PAILLE ET DV PAPIER, CONTENANT CE QVI CE peut dire de plus considerable sur ces deux sujets, auec leurs raisonnemens sur les affaires d’Estat, le tout en stile vulgaire. PREMIERE PARTIE. , françaisRéférence RIM : M0_1508. Cote locale : B_8_10.