Anonyme [1649], LE GRAND GERSAY BATTV, OV LA CANNE DE MONSIEVR DE BEAVFORT AV FESTIN DV RENARD AVX THVILLERIES. EN VERS BVRLESQVES. , françaisRéférence RIM : M0_1510. Cote locale : C_4_25.
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LE GRAND
GERSAY
BATTV,
OV
LA CANNE
DE MONSIEVR
DE
BEAVFORT
AV FESTIN
DV RENARD
AVX THVILLERIES.

EN VERS BVRLESQVES.

A PARIS,

M. DC. XLIX.

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LE GRAND GERSAY
battu, ou la Canne de Monsieur
de Beaufort au Festin
du Renard aux Thuilleries.

En vers Burlesques.

 


HOLA Muse réveille-toy,
Viens vn peu jaser auec moy ;
Il faut malgré nostre Rouge-aze,
Que ie caquette & que ie jase.
Fut-il encores plus meschant,
Plus rude & de pied & de dent :
Parbieu n’importe, i’en veux dire ;
Ie ne puis m’empescher de rire,
BEAVFORT m’a mis en bonne humeur ;
Morbleu i’en deuiendray rimeur.
Laisse moy ma pauure humeur noire,
Permets moy de chanter sa gloire.

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D’eussay-je plus fort m’enrumer,
Ie veux, enfin, m’en escrimer.
I’en veux crier, à gorge pleine.
I’en veux vuider toute ma veine.
Peuples des bouts de l’Vniuers,
Venez apprendre dans ces vers,
La fierté d’ame, sans seconde,
Du plus braue Frondeur du monde.
Iamais ; hommes de l’ancien temps,
Le Berger vainqueur des Geans,
Le grand Monarque & grand Prophete ;
Ioüeur de harpe & de musette :
Iamais dis-je en l’arc de fronder,
Ne c’est vû si bien seconder,
Qu’auiourd’huy Beaufort le seconde
Quand la canne luy sert de fronde.
O diable quel rude joüeur,
Morbleu moy-mesme i’en ay peur,
Et d’vne si fascheuse gresle,
Ie crains seulement la nouuelle.
Muse tout beau, rasseurons nous,
Nous sommes esloignez des coups
Ne les crains point chere mignarde,
Gersay les a receus en garde,
Il a tout ; il n’en reste pas
O ! qu’il en fit vn bon repas.
O ! le mets doux & delectable,
Que l’on seruit à vostre table,

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Monsieur mon compere Renard ;
Que i’y voudrois arriuer tard,
Les bisques fussent-elle froides,
Fut-ce pour auoir mal au pié ;
Fut-ce pour estre estropié :
N’importe ; tant i’aurois de crainte,
Tout m’arresteroit sans contrainte,
Et feroit faueur à mes pas
Me détournant d’vn tel repas.
Cependant, Gersay, de Candale
Et d’autres de mesme caballe,
Prenent plaisir à s’esgorger
Chez ce Renard sans en bouger.
Là pleins de fumées bachiques,
Apres mille Panegyriques ;
En faueur du rouge Eminent,
Selon que leur cerueau tournant,
(Au moins le leur pouuoit permettre)
Ils changent de Page & de lettre.
Paris apres mille destours
Deuient le but de leurs discours.
Icy leur fumeuse eloquence,
Dans la carriere de licence,
Fait cent volte à tout moment :
Et le peuple, & le Parlement
Selon les argumens de verre
Sont les plus grands sots de la terre ;

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Ce sont tous frondeurs sur leur foy,
Et Beaufort enfin est leur Roy.
Sur cette pensée si verte,
Chacun d’eux rit à gorge ouuerte,
Si haut, si long-temps, & si fort,
Que le bruit va iusqu’à Beaufort.
Cette trouppe ensemble auinée,
Passe iournée apres iournée,
Dimanche, Lundy, puis Mardy,
Mercredy, Ieudy, Vendredy :
Enfin ce fut à ce iour maigre,
Que poisson cuit ; auec vinaigre,
Et d’autres encores, en cent plats,
Pour flatter les gousts delicats,
Attendans cette troupe illustre,
Furent preparez auec lustre.
L’art auoit ensemble ajusté
La beauté parmy la bonté ;
Et par ces mets si delectables,
Par des rencontres admirables,
Dont l’adresse n’a point de prix,
Tous les cinq s’en estoient nourris.
Morbleu seulement quand ie pense,
Quel plaisir auroit eu ma pance,
De ce remplir de ces morceaux ;
Et boire du vin à plein seaux,
Ou du moins à sa phantasie,
Plus doux que mane & qu’ambroisie,

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Que j’enuie l’heur des destins ;
De ces illustres Mazarins.
Ha ! que ie cherirois la grace,
Qui m’auroit mis dedans leur place.
Mais tout beau ; j’y pense vn peu mieux,
Tout beau ; c’est trop estre enuieux.
Cette passion criminelle,
Ne m’est plus ny bonne ny belle.
Laissons leur, leur contentement
Sans le regarder seulement.
Laissons les asseoir à leur table
Fuyons en comme du grand diable.
Morbleu voicy venir Beaufort
Gare, tout va changer de sort.
Ces Messieurs, ces parleurs de fronde
Sont les plus effrayez du monde.
Ce Prince de Roy des frondeurs,
Reduit leurs ardeurs en tiedeurs,
Et de son œil qui les menasse
Il change leur tiedeur en glace.
Voicy, dit-il, ces grands Heros
Qui parmy les verres & les pots
Et dans l’attaque des bouteilles,
Font tous les iours tant de merueilles.
Voicy ces faiseurs de discours
Qui s’entretiennent tous les iours
Au despens de ma renommée
Qu’ils ont fletrie & diffamée,

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(Au moins & chacun l’entent bien
De paroles & de dessein.)
Car chacun aussi doit bien croire
Que d’effet nul ne le peut faire.
Or sus qu’elle est vostre raison
Mes Enfans de bonne maison ?
Sans parler à vous de Candale
Encor que de cette cabale.
Ie m’adresse à ces beaux Mignons,
C’est de vous que nous nous plaignons.
Gersay venez icy respondre,
Autrement ie vous iray tondre,
Et me porteray tout de bon
A vous monstrer vostre leçon.
A ces mots chacun sort de table,
Sans gouster du mets delectable ;
Car alors qu’on vint les troubler,
Ils ne faisoient que s’atabler.
Gersay les deux mains dans ces poches,
Peneux comme vn fondeur de cloches.
Ne respond rien à ce discours ;
Ils voudroient bien tous estre au cours,
Et prendre au lieu de vin d’Espagne
La liberté de la campagne.
Mais dedans ce repas troublé
Il sont pris comme dans vn blé.
En faueur de la peur qui presse
Leur Renard manque de finesse

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Et reste sans inuention
Contre la fureur du Lyon.
Morbleu qu’il fait bon voir ces drosles
Ioüer leurs pitoyables rolles ;
Tous tristes & peu differens
De ceux qui perdent leurs parens.
Hé bien ! les plus braues du monde
Vous voyez cet homme à la fronde
Que vous auez tant mesprisé,
Et quoy le Marquis de Gersay,
Passist, rougist de peur, de honte,
Quoy morbleu ce grand homme à conte
Qui cause comme vn perroquet,
Est, enfin, deuenu muet.
Ha, ha, vous faites des brauades
A la fumée des grillades ;
Et semblez vn Cesar Romain
Quand vous tenez le verre en main ;
Ha, ha, iamais le braue Achile,
Ny le preux Hector hors sa ville,
Ne ce monstrerent si vaillans,
Que vous faites chez les raillans.
Or monstrez nous vostre courage,
Or sus faites encores rage,
L’on vous monstre l’occasion ;
Ha ! vous manquez d’ambition ;
Et ie me trompe ou comme il semble,
Vostre generosité tremble.

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Ha ! certes vous auez donc tort,
De réveiller le chat qui dort ;
Si d’vne terreur sans pareille,
Vous fremissez quand il s’éveille.
Cependant Beaufort offencé,
Vous apprendra petit Gersay,
A mal parler dedans vos tables ;
Des Noms qui vous sont venerables :
Mais morbleu le voicy venir,
Lassé de se trop retenir,
Adieu la table est renuersée,
Sa main forte à punir poussée,
Tire l’espée & puis soudain,
Il la quitte & prend canne en main.
Que diable est-ce qu’il en veut faire ?
Voicy pour vous apprendre à taire
Monsieur le Marquis de Gersay ;
(Dit-il) puis aussi-tost lancé,
Vers vn coing où le Marquis tremble,
Il luy parle, il l’en frotte ensemble,
Et pour l’instruire à cette fois
Ce sert de la main, de la voix.
Ce Prince sur luy de sa canne,
Comme vn musnier fait sur vn asne,
Frappe sans intermission
Quel agir ! quelle passion !
S’il faut parler en Philosophe ;
Ou bien en marchand qu’elle estoffe.

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Cependant en femme de Lot,
Le reste campé ne dit mot ;
Chacun voit le Prince & s’estonne,
Considerant comme il testonne,
Ce braue courtisan Gersay :
Et certes, il fust agencé,
Aussi bien qu’il le pouuoit estre,
Car Beaufort le seruit en maistre.
Iamais valet demy ployé,
Ne l’auoit si bien nettoyé,
Que par quelques vertus secrettes,
Ce Prince le fit sans vergettes.
Fit-il le propre au dernier poinct
Le Marquis ne s’en pleindra point.
Pour vn Capitaine des Gardes,
C’est assez battre sur ces hardes,
Et s’il estoit plus delicat
Il derrogeroit au soldat.
Morbleu quittons cette pensée
Son ame d’vn beau feu pressée
L’emporte comme grand guerrier
Aux champs pour chercher du laurier.
Mais morbleu plustost il fait gille,
Il n’estoit pas seur dans la ville,
Il auoit à craindre Beaufort,
Il auoit à craindre l’effort
D’vn peuple qui de grand courage
Pour ce cher Prince feroit rage.

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O qu’il est aise d’estre aux champs !
O combien luy dura le temps !
Qui de chez Renard la tasniere
Tient sa liberté prisonniere,
Que pasle & froit tout comme vn mort,
Il fallut escouter Beaufort,
Que sans respondre à sa harangue
Immobile de corps & langue
Il fallut souffrir tristement,
Cent coups de canne en vn moment.
Ha ! qu’à present à la campagne
Monté sur vn genet d’Espagne,
Il declare auec volupté
Sa haute generosité.
O Iupin ! qu’il est vaillant homme !
Iamais Marcellus hors de Rome,
Ne harcela tant Hannibal
Comme il tourmente son cheual
A courir de haye en bruyere
Pour rencontrer son aduersaire ;
Au moindre petit bruit de vent
Il croit que c’est luy qu’il entent
Et dans le trouble d’vn tel doute
Il tremble, il fremit, il escoute :
Si quelque caualier passant
Vient vers luy ; soudain paslissant
Le cœur plein de frayeur secrette,
Il le combat mais en retraite ;

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Et comme vn Scyte adroit & prompt
C’est du dos & non pas du front
Dans cette humeur folle & cornuë,
Par sa terreur entretenuë,
S’il voit dessus quelque coupeau,
Vn berger auec son troupeau ;
Soudainement bride abatuë,
Il court en criant tuë, tuë ;
Et si le pauure berger fuit
Doublé de cœur il le poursuit,
Et plein d’vne charmante audace,
Prince ne quitte pas la place,
Tu ne sçaurois plus t’en sauuer
(Dit-il) il nous faut acheuer,
Reuiens ie cesse de poursuiure.
Alors comme s’il estoit yure,
Il pense à ce qui c’est passé ;
Ie suis, dit-il, trop auancé :
Fy des fougues & des boutades,
I’irois tomber aux Embuscades,
Enfin, nous nous precipitons
Puis ce tournant vers les moutons,
Ha ! morbleu de l’humeur altiere,
Ie suis attaqué par derriere,
Et donnant de ces deux tallons
Fuyons, genet, dit-il, vollons,
Sauuons nous mon cheual d’Espagne,
Abandonnons leur la campagne,

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Le combat seroit importun ;
Ils sont pour le moins cent contre vn :
Et ie cesserois d’estre sage,
Si i’escoutois mon seul courage.
Ainsi le pauure de Gersay,
De corps & d’esprit offencé ;
Tient la campagne & s’imagine
Que qui luy decrota lechine,
Doit encores l’aller chercher,
Aux endroits qu’il peut ce cacher.
Tu te trompe cerueau debile,
Plus plein de de flegme que de bile,
Quand l’offenceur est decroté
Et que l’offencé contenté ;
A pris vne bonne vengeance,
Là s’arreste sa violence.
Il n’a plus à courir apres
L’offenseur chargé de cotrests
Qu’il fuye iusqu’au bout du monde,
Sa follie est bien sans seconde,
Et sa terreur hors de saison,
S’il craint qu’apres tout sans raison
Son ennemy las de le battre
Le suiue encor pour le combatre,
Ainsi reuiens de tes deserts
Gersay c’est du temps que tu perds,
Si ton accident te tourmente
Il n’est rien là qui te contente.

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Beaufort est dedans sa maison
Il vit en Prince auec raison ;
Il ne songe plus à l’outrage
Qu’à vengé son noble courage ;
Mais il demeure au plein pouuoir
Si tu desire de le voir ;
De faire encor agir la canne
Adieu Gersay, T. N. Q. A.

 

FIN.

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