Anonyme [1652], LE GRAND RESSORT DES Guerres ciuiles en France. Faisant voir dans les vies de tous les Ministres d’Estat qui se sont ingerez de nous gouuerner. I. Qu’ils ont tousiours esté la source de toutes les dissentions publiques; & le sujet qui a fait prendre les armes aux Grands du Royaume. II. Qu’ils ont eux mesmes fait naître & entretenu les Guerres ciuiles, comme vn des moyens propres pour les rendre necessaires aux Rois, & pour se maintenir dans le Ministere. III. Qu’ils ont tousiours employé tous leurs artifices à detourner la conoissance des affaires d’Estat aux Rois, & fait tous leurs efforts pour abatre les Princes, & tenir les Peuples dans l’oppression. Le remede necessaire & Politique à tous ces desordres. I. Est de donner vn Conseil de sages testes au Roy, qui l’instruise dans l’art de Regner par soy mesme. II. D’éloigner de luy cõme des pestes d’estat tous ceux qui voudront s’opposer à ce loüable établissement. III. D’établir de rigoureux supplices pour les Ministres qui passeront leur deuoir, qui est seulement de donner conseil à leur Souuerain, sans iamais rien entreprendre de leur teste: De rendre le rang aux Princes du Sang qui leur est deu par leur naissance; & donner le repos aux Peuples. , françaisRéférence RIM : M0_1513. Cote locale : B_3_18.
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LE GRAND RESSORT DES
Guerres ciuiles en France.

PREFACE.

LE corps Politique a cela de commun auec le
naturel, qu’il est susceptible comme luy de
maladie & de santé ; dans l’vne il a besoin de
remedes efficaces ; & dans l’autre, le bon reglement
& le regime y doit estre exactement obserue, si l’on
veut le maintenir dans vne longue suite d’années.

L’Empire Romain s’est bien conservé dans vn
parfait temperament d’Estat ; & mesme s’est accrú
iusqu’à ce poinct de vigueur, qui le rendit le plus
fort de tous ceux qui l’auoient precedé ; mais si tost
que les emotions intestines s’y esleuerent, il ne pût
treuuer de remede efficace pour les destruire ; si bien
que se glissant insensiblement, & le feu croissant peu
à peu faute de l’esteindre, il a cause vn si grand embrazement
dans toutes ses parties, qu’à peine peut
on encor discerner les moindres vestiges de sa vaste
grandeur, & de son immense estenduë.

Tout ce que pût voir Cesar passant par la Phrygie
de ce fameux siege de Troye ; ce fut de iuger selon
les lumieres qu’il auoit des situations des places
fortes que Troye estoit en tel endroit ; & que l’armée
des Grecs pouuoit estre dispersée en tels & tels

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quartiers : tout ce qu’on peut iuger de luy mesme,
& de son puissant Empire ; c’est qu’il a esté, & qu’il
ne reste plus rien de luy, ny de tout cet assemblage
de conquestes, qui faisoit l’Empire d’vn monde.

 

Ie ne treuve que deux sources de cette effroyable
dissipation d’Estats ; les aueugles mouuemens des
Souverains, tout à fait desreglez, & incapables de
toute conduite Politique, auec les continuelles guerres
ciuiles, qui ont consommé iusqu’au cœur ce
grand Colosse, ont fait tous les rauages que nous en
lisons dans les Histoires, & l’ont reduit à n’estre plus
rien qu’vne vaine idée sur vne carte.

Il n’est donc rien si necessaire à vn Estat qu’vn
Prince digne de commander aux autres, & par sa
naissance, & par sa vertu. C’est le plus ferme appuy
d’vne Monarchie, & vne colone inesbranlable qui
luy sert de soutien, & qui dissipe tous les troubles par
sa bonne conduite, de mesme qu’vn Soleil dans son
midy dissipe les nuages de l’air par la force de sa chaleur
& de sa lumiere.

Que s’il arrive quelquefois qu’il ait besoin d’vne
intelligence estrangere pour la conduite de ses affaires,
& qu’il luy abandonne vn pouvoir qui n’a
point de lieu naturel que dans luy seul ; c’est pour
lors qu’on voit naître d’effroyables obscuritez & des
embaras inexplicables, dans lesquels tous les sujets
estant miserablement plongez ; & le Monarque
n’ayant pas la vertu de les en retirer, tout perit dans
la confusion du feu & des armes, qui sont toute la

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lumiere, & toute la chaleur que ces intelligences batardes
peuuent produire.

 

La raison de tout ce que ie dis n’est que trop bien
appuyée sur l’experience qu’on lise l’histoire de France,
& qu’on la parcoure d’vn bout à l’autre, l’on y remarquera
infailliblement, que toutes les fois que
nos Rois ont eu besoin de Ministres pour conduire
toutes leurs affaires ; ceux qui estoient appellez à
cette trop haute dignité, ou bien ont eu assez d’ambition
pour pretendre à la Royauté eux mesmes, &
peut estre assez de merites pour y paruenir, ou bien
ont esté enuiez des Grands comme des personnes
apostées pour regner dessus eux, & qui n’auoient
point ce droict de la nature, mais de la faueur du Monarque.
De quelque maniere qu’ils se soient cõportez
en cet estat ils ont tousiours esté la seule cause
des guerres ciuiles : Car s’ils ont pretendu de se rendre
maistres de l’Estat par leurs menées, ainsi que
Pepin le Maire du Palais de trois Rois faineans, il a
fallu détruire par les armes toutes les oppositions qui
se pouuoient rencontrer à leur ambitieux dessein ;
de là vint la ligue de Robert qui dura cinquante six
ans, qui épuisa toutes les forces de la Royauté.
Que si les Ministres n’ont regardé que l’établissement
de leur fortune presente, ils ont consideré tout
ce qui pouuoit la renuerser ; Les Princes du sang & les
les grands de l’Estat sont deuenus aussitost leurs plus
grands ennemis, parce qu’ils pouuoient legitimement
pretendre leur place ; & il a fallu employer

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toute la force des Rois pour les exterminer du
Royaume.

 

Voila donc la guerre ciuile qui accompagne inseparablement
le Ministere ; & l’histoire de tous ceux
qui l’ont exercé, que l’on verra dans la suite de ce
Discours, fera connoître assez qu’il n’y en a point eu
en France, qui n’y ait à mesme temps apporté la
guerre intestine, qui est la plus dangereuse peste du
corps Politique.

Ce n’est point encor assez d’estre le suiet principal
de ces desordres, & le pretexte specieux qui a tousiours
seruy aux remuemens, & qui a fauorisé les entreprises
des Grands de ce Royaume : Ces lasches tyrans
de l’authorité des Rois par vne damnable Politique,
qu’ils appellent Preuoyance, ont fait vne maxime
d’Estat de ce déreglement, si bien qu’ils ont
conclu, que deslors qu’vn homme estoit appellé au
Ministere, il deuoit faire naître vne guerre ciuile ; ils
sont fondez sur trois puissantes raisons, toutes d’interests
que ie veux rapporter icy, afin qu’on voye
qu’ils ne peuuent auoir que de tres-mauuaises & de
tres-pernicieuses intentions.

La premiere raison qu’ils ont de tout perdre, c’est
afin de se rendre necessaires à leur Maistre ; car luy
ayant emmeslé ses affaires de telle sorte qu’il ne puisse
plus les débroüiller, & connoissant la peine qu’il
faut prendre à se conduire dans cet embaras ; il faut
qu’il ait recours aux artifices de ces broüillons, qu’il
les garde aupres de luy, qu’il abandonne tout, & iusqu’à

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son propre Sang pour leur conseruation. Les
voila à l’abry de la disgrace de ce costé là, ils regnent
sur l’esprit du Monarque, dont ils font le premier
de leurs suiets, au lieu qu’il deuroit estre leur Souuerain,
& prendre le soin de les faire pendre pour oster
toute cette confusion.

 

La 2. raison qu’ils ont de procurer la guerre, c’est
parce qu’ils font beaucoup mieux leur compte pendant
les troubles, ou il faut beaucoup plus de finances
au Roy que pendant la paix ; si bien que pillant
impunement le bien public, qu’on enleue auec violence,
sous pretexte de subuenir aux necessitez de
l’Estat, ils deuiennent en peu de temps puissamment
riches, par la diuersion qu’ils font des deniers à
leur propre vsage ; volerie, qu’ils ne peuuent exercer
pendant la paix : mais ils peuuent se souuenir, s’il
leur plaist, qu’Enguerrant de Marigny fut pendu
pour ce crime Politique.

La derniere raison qui leur fait aymer vne guerre
ciuile, c’est qu’ils tiennent pour maxime d’Estat
que les troubles font toutes leur seureté ; & que ne
pouuant estre supportez longuement sans les armes,
ils ne dureroient guere pendant la paix. Les Medicis
auoient cette raison pour deuise, de diuiser Florence,
afin de regner en seureté. Et l’ambitieux
Ebroin Ministre de Clotaire auoit coustume de dire,
qu’il falloit opprimer les François par les guerres
ciuiles, de peur que deuenant trop gras par vne longue
paix, ils ne vinssent à le detruire, & à luy oster
toute son authorité.

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C’est donc vne necessité indispensable à vn Ministre
d’Estat de faire la guerre ; c’est sa premiere intention,
lors qu’il prend le soin de nous gouuerner,
que nous sommes malheureux de ne pouuoir esleuer
des hommes par dessus nous, que pour nous perdre
& nous ruiner.

Mais le Roy le veut, il est le Maistre, il peut choisir
tel qu’il luy plaira pour cette charge ; ses Sujets
n’ont rien à dire à cela, ce sont des rebelles & des
factionnaires ; s’ils ouurent la bouche, ils ont tort de
se plaindre, leurs remontrances sont invtiles, le Roy
est absolu, il fait ce qu’il veut, & ne rend conte à personne
de tous ses deportemens.

Flaterie insuportable, que ie ne puis souffrir sans
répondre, quelque trophée qu’elle fasse de se couurir
de l’authorité Royale, à laquelle il n’y a point de replique.
Le Roy le veut, le Roy ne sçait donc pas qu’il
fait naître vne guerre ciuile dans son Estat, qu’il va le
reduire à la derniere ruine, qu’il va exterminer vn
million de ses Sujets, qu’il va dissiper toutes ses finances,
en sorte qu’il s’appauurit luy & son peuple
pour long temps, pendant que les Estrangers ioüiront
de nos biens, & de nos richesses dont on leur a
donné le pillage : Ie ne croy pas qu’il veille tout cela,
pourquoy maudits flateurs nous voulez vous faire
vn monstre, vn Tibere, vn Neron, vn Caligule d’vn
ieune Prince innocent & capable de toute sorte de
vertu, si vous ne peruertissiez son bon naturel par vos
fausses maximes ; allez, nous ne sçauons que trop

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que le Roy est le Maistre absolu de tout ce que nous
auons ; que nos volontez luy doiuent estre soumises,
qu’il ne rend compte à personne ; mais qu’il depend
des volontez diuines, & des regles de la raison contre
lesquelles vous vous efforcez de le faire pecher,
en luy faisant à croire qu’il a vn pouuoir sans limites.
Vous estes criminels de leze Maiesté ; le Roy ne veut
point ce que vous dites, il est bien meilleur que vous
ne le faites ; & nous sçauons fort bien discerner que
s’il veut ces choses, c’est que vous luy auez detourné
la connoissance du mal qu’elles peuuent produire.

 

En effect nous connoissons assez tous les artifices
que vous employez à luy celer toutes vos malices ; le
soin que vous prenez à l’esleuer dans l’ignorance de
tout ce qu’il doit sçauoir ; la mauuaise education que
vous luy donnez, en luy inspirant la vengeance contre
ses Sujets, & ne luy faisant prendre de mouuement
plus releué que celuy de ses passions. Où sont
donc ces volontez Royales que vous nous supposez,
nous n’y reconnoissons que les vostres, qui nous sont
également fatales, soit que nous nous y soumettions
pour estre opprimez, soit que nous y resistions pour
vous exciter à nostre derniere desolation.

Vous auez donc enuie de mettre le Roy en vn
estat de ne regner iamais par luy mesme, afin que
vous vsurpiez toujours cette authorité absoluë que
vous retenez sur luy, & sur ses Sujets ; vous voulez, à
quelque prix que ce soit, abbatre de genereux Princes,
qui meritent pourtant bien vn sort meilleur, puis

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que de leur conseruation dépend celle de leur pays ;
qu’ont-ils fait à la France que de luy gaigner des victoires ?
qu’ont-ils fait au Roy que de mettre leur vie
pour son seruice ? qu’ont-ils fait à la Reyne que de
luy deferer la Regence sans limitation ? qu’ont-ils
fait au Card. Maz. que de le souffrir au dessus d’eux
triompher des bons succez qu’ils ont gaignez à la
pointe de leurs espées ? il faut pourtant les esloigner
du maniement des affaires ; les Ministres veulent
gouuerner, sans leur ayde, elle leur est trop suspecte,
absolument il faut s’en deffaire.

 

Il ne faut pas non plus laisser le peuple dans le calme,
comme il connoit vostre vsurpation, il ne faut
point luy donner le loisir de s’en deffaire ; il faut luy
tracer vne longue suite de maux qui l’exerce à les
plaindre, & le mette si bas qu’il n’ait aucun pouuoir
de s’en vanger ; le voila tantost reduit à ce miserable
estat, où la politique des Ministres le demande.

Mais n’y a-il aucun remede à tant de malheurs ? la
violence & l’injustice seront elles toujours les plus
fortes en France ? & ne treuuera-on iamais de moyen
assez puissant pour les exterminer auant que l’Estat
succombe tout à fait à leur tyrannie.

Ce grand Corps a bien senty son mal, il en a eu
des mouuemens & des agitations extraordinaires ;
c’est bien quelque bonne marque que sa vigueur
n’est pas tout à fait esteinte ; mais il n’a rien fait pourtant
encor que de souffrir dauantage en s’obstinant
à combatre son mal, il luy faut vn secours plus present,

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& vn effort bien plus vigoureux pour se deliurer
de ses souffrances ; pour y reussir, il ne faut point
attendre à l’extremité.

 

Vn mal se guerit par son contraire : c’est vne verité
que l’experience a confirmée dans tous les temps,
que les Ministres ne sont establis qu’à sa ruine ; il
n’en faut donc plus souffrir aucun dans l’administration
des affaires. I’en auertis Monsieur le Card. de
Rets ; mais l’Estat ne peut demeurer sans conduite
pendant la ieunesse d’vn Monarque qui a encor
besoin d’experience auant que d’en prendre tout le
gouuernement. I’en suis bien d’accord auec tout le
monde ; mais il y a quantité de personnes en France
qui pretendent à cet auantage ; on ne doute point
de l’ambition des vns, & des bonnes volontez des aures :
Toutefois si nous escoutons la Iustice, les loix
fondamentales de l’Estat, & les desirs generalement
de tous les Peuples ; la premiere place est deüe à son
A. R. il y a donc bien de la iustice de ce costé là.

Si nous consultons encor ces mesmes oracles, le
Prince de Condé meritera bien la charge de combattre
pour la deffense de sa patrie, & de commander
dans les armées pour la prosperité de cet estat ; outre
qu’vne place dans le Conseil ne sera pas mal remplie
par vn Prince si sçauant, & si subtil dans ses raisonnemens.

La Reyne a trop de peine d’abandonner ce pouuoir
absolu que luy donnoit la Regence, elle y peut
auoir sa place sans beaucoup de contredit, quoy que

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pourtant il faille vne loy nouuelle pour authoriser la
deliberation d’vne femme parmy celle de tant de
grands hommes.

 

Le Card. de Rets se desespereroit s’il en estoit tout
à fait rebuté ; son ambition demesurée n’épargne
rien pour l’y introduire, on la peut limiter à vne voix
afin de luy donner quelque chose qui le console de
toutes les peines, & de toutes les fatigues qu’il a eües
à la poursuite de l’administration : Mais il y a encor
vne infinité de Sages testes en France, dont les sages
conseils pourroient temperer toute l’authorité de ces
Grands, qui se porte quelquefois plus loing qu’il
n’est raisonnable pour le bien de la Monarchie. Ces
gens de sçauoir & de probité exposant en conscience
ce qu’ils iugeroient de plus equitable en toutes sortes
d’affaires S. A. R. & la Reine faisant le choix des
meilleurs auis, y ioignant le leur & interposant leur
authorité aupres du Roy, afin de mieux faire valoir
dans l’esprit du Roy le poids de leurs raisons, & de
leur equité. Monsieur le Prince, tousiours prest à
l’execution des volontez de sa Maiesté & capable de
discerner ce qui se peut faire auec éclat, & par la force
de son genie apportant son auis sur le sujet.

Monsieur le Card. de Rets y ioignant le sien pour
l’interest de la Religion, ce la s’appelle pour dire
Amen. Le Roy resoudroit toutes choses de luy mesme,
& s’instruiroit dans tous les Conseils de toutes les
veritables maximes de l’art de Regner ; en sorte qu’à
force de les pratiquer, il se rendroit le plus digne Monarque

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du monde, & ne feroit pas moins de prodiges
dans son temps, que les Constantins, les Charlemagnes
& les Augustes, qui ont épandu la renommée
de leur sage conduite par tout le monde, &
ont fait sentir les pointes de leurs Epées aux Nations
les plus reculées & les moins accessibles ; n’ayant iamais
rien treuué qui les pût destourner de leurs
hautes entreprises.

 

En effet, les François vnis de la sorte sont inuincibles
à tous les autres : Ils ne peuuent estre surmontez
que par eux-mesmes, & c’est leur mal-heur de
faire si souuent épreuue de leurs forces à leur prejudice.

Sur cette facilité de les diuiser & de les animer les
vns contre les autres, Messieurs les Ministres d’Estat
ont fondé toute leur Politique, ils regnent en seureté
par la diuision, & l’entretiennent aussi long-temps
qu’ils viuent, se souciant fort peu de la perte de tous
les autres pour leur propre conseruation.

Si l’on n’apporte ce reglement de conseil à ce
mal-heureux desordre, leur tyrannie continuëra
tousiours à opprimer le plus florissant Royaume
du monde. Nous serons tousiours dans la seruitude,
& nostre Nation capable de conquerir toutes les autres,
& de commander au reste de l’Europe, demeurera
miserablement occupée à executer les folles passions
de nos Ministres, au grand desauantage de leur
gloire & de leur renommée, qui s’auilira chez tous
les Peuples qui en ont eu autrefois de la veneration.

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Afin de conseruer cette estime il faut prendre les mesmes
voyes que nos ancestres, qui nous l’ont acquise ;
les bons conseils & l’vnion y sont necessaires, de courage
& de valeur on n’en manque pas ; vn bon établissement
des affaires est tout ce qu’il faut à nostre
Nation.

 

Mais il y a des Factieux qui trauerseront aussi tost
cette entreprise ; les Ministres qui veulent gouuerner
sans compagnon, employer ont toute leur puissance,
celle du Roy, & encore des Estrangers à rompre
vn si loüable dessein. Si vous leur en faites seulement
la proposition, ou ils la mépriser ont ainsi que
le Cardinal de Richelieu, qui disoit que cela estoit
beau & bon ; mais qu’il falloit regner, où bien s’en
offenseront comme le Cardinal Mazarin, qui crie
que ce sont des Cromvuels & des Fairfax, & ne nous
menace que de la corde & de la potence. Mais crions
à nostre tour que ce sont des Tyrans, des Denys,
des Phalaris, des Sejans, des Herodes & des Caligules.
Oüy, ce sont des Ennemys du repos public qui
nous viennent troubler au plus profond de nostre
repos : Ce sont des Boutefeux, des Traistres & des
Perfides, ausquels il faut faire rendre compte de leur
mauuaise conduite, & les chastier en suite du plus
rigoureux supplice qui se puisse inuenter. Il faut absolument
se deliurer de ces Tygres, qui se repaissent
du sang de tant de millions de personnes : ces monstres
font horreur à la nature, il s’en faut depescher,
& n’en souffrir jamais, qui puissent encore infecter

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la France par leurs lâches empoisonnemens.

 

L’Estat des Atheniens estoit si bien policé, pour
ce qui regarde ce manquement, que les plus grands
hommes de leurs Magistrats, & ceux qui auoient le
mieux seruy la Republique, mesme à leur commune
opinion, estoient toutefois comptables de leurs
moindres déportemens, & si quelqu’vn estoit trouué
coupable d’auoir affecté cette Tyrannie, auec
tous les auantages qu’il auoit parmy le Peuple, il ne
laissoit pas de perdre la teste, que la plus belle action
& la plus glorieuse victoire ne pouuoit point rachepter
du dernier supplice.

Themistocle qui auoit sauué son païs des saccagemens
des Perses, fut long-temps fugitif vers son
Ennemy, y treuuant beaucoup plus de douceur
qu’en sa propre Patrie : Il voulut encore pourtant
la seruir contre les Lacedemoniens, il y reüssit auec
tout l’honneur d’vn grand Capitaine ; & apres cela
il est contraint de prendre du poison pour se garentir
de leurs Arrests qui l’auoient condamné au
dernier supplice. Il ne falloit qu’vn soubçon pour
estre criminel, & c’estoit assez d’estre declaré tel, pour
n’en eschapper jamais.

Si cette seuere Loy auoit vne fois pris l’auantage
sur nos ambitieux Ministres, ils deuiendroient moderez
par leur Politique, & n’affecteroient pas ouuertement
le pouuoir absolu, comme ils font aujourd’huy
en France, & leur ambition limitée dans
l’estenduë de leur employ, ne se produiroit pas auec

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tous les rauages d’vne sanglante Guerre Ciuile.

 

Si nous n’auoins des exemples trop frequens dans
nostre Histoire, du chastiment qu’on a souuent ordonné
à leurs maluersations, nous serions peut-estre
plus en peine de nous en defaire à present que nous
sommes reduits sous leur insolente Tyrannie ; mais
comme leur injustice a tousiours esté manifeste, ils
ont eschappé rarement sans punition. Protade, vn
faquin d’Italien, qui sous la faueur de Brunehaut,
diuisa toute la Maison Royale, fut tué dans la Tente
du Roy Thiery en sa presence. Landays Ministre du
Duc de Bretagne, fut arraché des bras de son Maistre
pour estre massacré de ses cruautez, & puis cette
genereuse Troupe luy vint demander pardon à genoux,
de l’excez commis à sa veuë. Oliuier le Dain,
paya cherement l’abus qu’il auoit fait de la faueur de
Louys XI. Enguerand de Marigny fut pendu le premier
à Mont-Faucon, gibet qu’il auoit fait eriger
pour pendre ceux qui luy seroient contraires. Et tout
nouuellement le Marquis d’Encre a laisse à la posterité
vne exemple signalé de la fin trop funeste de tous
ces ambitieux.

Ie ne puis pourtant passer sous silence la punition
publique que fit faire Alexandre Seuere, de son plus
confident Ministre. Ce lâche & indigne possesseur de
toutes les faueurs les plus particulieres d’vn Empereur
veritablement illustre, abusant des bontez que
son Maistre pretendoit de communiquer gratuitement
à ses Subjets, leur vendoit les graces du Prince,

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& n’en departoit aucunes qu’il n’en tirast des
sommes considerables de deniers. L’Empereur
estant auerty de cette taxe qu’il mettoit à sa liberalité,
au grand preiudice de sa gloire, le fit prendre
& apres luy auoir reproché son infamie, fit allumer
vne grande quantité de foin, il le fit ietter au milieu
de la fumée ardente que produisoit cette matiere
humide, & le fit etouffer en cette sorte, pandant
qu’vn Herault crioit tout haut au peuple,
Celuy qui a vendu de la fumée, est puny par la fumée.
Voila la iuste punition d’vn fauory auare & ambitieux.

 

La Reyne sçait bien que le C. Mazarin a épuisé
toutes les Finances du Royaume, que pour recompense
du sang & des sueurs des Prouinces il leur a
procuré la guerre Ciuile, qu’il a vendu auec vne
epouuantable simonie, tous les Benefices qui sont
tombés entre ses mains, qu’il s’est attiré par ses crimes
la hayne de tout le monde ; Qu’il a exposé
l’honneur de sa Majesté à mille indignités par ses
fourbes, & ses manquements de foy & de parolle :
apres cela, pourquoy ne le punir point, pour quoy
soustraire sa teste à la Iustice qui la demande ? Elle
va contre toute sorte d’équité, & se rend aussi iniuste
que son fauory à qui elle donne sa protection :
apres qu’elle a auoüé elle mesme qu’il estoit le
plus criminel de tous les hommes, elle a pris son
party qu’elle sçait bien estre mauuais, c’est vouloir
manquer auec affectation, & de propos deliberé.

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Elle ne sçait pas peut estre assez l’importance de
cette faute, cela luy pourroit couster bien cher, &
elle ne doit pas moins craindre ce que de puissants
Roys ont apprehendé en de pareilles occasions.

Henry III. Roy d’Angleterre auoit pour Ministre
de toutes ses affaires l’Euesque de Vvincestre,
sa mauuaise conduitte l’auoit mis dans l’auersion
publique, tous les autres Euesques du Royaume
luy firent de tres humbles remonstrances, pour l’eloignement
de cét homme, & pour r’appeller aupres
de luy, le grand Maréchal d’Angleterre, qui
s’estoit ligué auec le Roy d’Escosse, & le Prince de
Gales à poursuiure cét eloignement. Ce ministre
en presence du Roy, ayant oüy leurs belles harangues,
fit response sur le champ pour le Roy son
maistre qu’il ny auoit point de Pairs en Angleterre
comme en France, que le Roy estoit absolu sur ses
sujets, & pouuoit faire toutes ses volontés sans en
rendre conte à personne. Sur cette response arrogante
ils excommunierent le Roy & son Ministre,
en suitte de quoy luy ayant fait encore de pareilles
supplications, le Roy luy fit rendre compte de
tout le maniment de l’Estat, & l’esloigna pour tousjours
d’aupres de sa personne.

Cauerston ayant vne pareille authorité aupres
du Roy Edoüard II. fut chassé deux fois par ce
Prince, en suitte de plusieurs remontrances, &
pourtant ce grand Monarque ne crût en rien diminuer
de son authorité absoluë. Thomas de l’Enclastre

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fit ligue auec les Milors du Royaume, pour
son eloignement, la paix fut concluë à condition
qu’il seroit chassé pour ne reuenir iamais.

 

Il est vray que la Reyne a desia eloigné deux fois
de ses Conseils le Cardinal Mazarin, mais quoy ?
l’on voit bien que ce n’est qu’en apparence, &
qu’elle pense tousiours à le r’appeller auparauant
qu’il soit party. Et puis quel bien son eloignement
produit-il à la France, puis qu’il y retourne auec
vne armée, mettant le feu & l’horreur par tout où
il passe pour contenter sa vangeance.

Il est vray, disent les Mazarins, qu’il est party.
D’où vient donc que nous n’auons pas la paix ? la
Reyne ne la veut point donner qu’on ne luy liure
tous ceux qu’elle veut sacrifier à sa passion : ceux
qu’elle demande sont tous ceux qui ont contribué
a l’éloignement du Cardinal Mazarin, cét eloignement
luy déplaist donc beaucoup, si bien qu’elle
se deliurera le plustost qu’elle pourra de ce deplaisir,
c’est vne chose assez naturelle, elle ne le peut
faire qu’en ostant tous obstacles à son retour, lesquels
estants leuez il ne faut plus douter qu’il ne
reuienne, que si on ne luy obeit pas en cette trop
iniuste demande, elle veut continuer la guerre parce
que sur ce pretexte elle r’apellera son Mazarin
à son secours, voila Messieurs les Mazarins comme
vostre maistre est esloigné.

Si l’on ne veut pouruoir d’vne autre sorte à nos
maux, nous sommes en danger d’en ressentir bien

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long-temps la violence : La paix que nous esperons
est bien esloignée, puis qu’elle est entre les
mains de la Reyne, & de son Ministre, dont la Politique
est de se maintenir par la Guerre Ciuile. Ils
ne vous veulent donc point de bien, ils ne se soucient
guere que nous perissions, ils y contribuent
mesme tout ce qu’ils peuuent, appelle-t’on cela
gouuerner vn Estat, est cela prendre le soin de ses
interests, & procurer le bien public ? Que les flateurs
en disent ce qu’ils voudront, cela me semble
vne épouuantable Tyrannie, vn déreglement insupportable
de la part des puissances, & vne ruine
totale auec vne honteuse seruitude, pour la nation
Françoise.

 

Voila cette liberté, cette franchise & ces immunitez,
dont nous faisons tant de parade, où la verra
t’on triompher iamais, si les mauuais desseins
de la Cour viennent à reussir ? mais ie veux bien
qu’elle sçache, ce que disoit autrefois vn grand
Empereur Romain à sa confusion. Qu’il n’y a rien
de si honteux & de si cruel, que de laisser manger la Republicque,
à ceux qui ne trauaillent point pour elle.

Il est auiourd’huy bien plus indigne & plus abominable,
de voir que ceux qui s’efforcent de nous
ruiner, subsistent, & s’enrichissent de nos dépoüilles :
n’est-ce point nous traitter le plus inhumainement
qu’il est possible ? n’auons-nous pas raison
apres cela, de les tenir pour des ennemys irreconciliables ?

-- 21 --

Tajan auoit coustume de dire souuent, qu’étant
Empereur, il se gouuernoit à l’endroit des
particuliers de la mesme sorte, dont il eust souhaité
qu’ils se fussent gouuernez en son endroit, s’ils
eussent esté Empereurs, & luy personne priuée : si
nos Ministres sont de ce sentiment, nous n’auons
qu’à leur faire vne guerre irreconciliable, leur oster
tous leurs biens, les ruiner absolument, les perdre,
les exterminer, car ils nous en font de mesme, ils
n’ont garde de souscrire ainsi à leur perte, nous
sommes obligez aussi de preuenir la nostre, il n’y
a point de moyen de le faire, qu’en abbattant ces
Monstres d’authorité absoluë, il faut donc les détruire,
il y a de la gloire, de l’honneur, & vne
Paix au bout, qui doit estre le but & le terme de
toutes nos intentions.

Pour peu que la Reyne veuille relascher de cette
haute Protection qu’elle donne au Ministre insolent,
qui nous a si mal traittez, nous viendrons à
bout d’vn dessein si equitable, on en abolira pour
iamais la coustume pernicieuse en France, & nous
nous verrons heureusement deliurez de ces insatiables
Minotaures, qui font leur pasture de tant de
milliers d’hommes.

L’Histoire Romaine nous apprend, que Plotine
femme de Trajan, se voyant conduire auec tant
de pompe & de magnificence au Capitole, lors
que son mary fut declaré Empereur, se mit à dire
en iettant vn profond souspir, Ie souhaitte d’en sortir

-- 22 --

de la mesme façon que i’y suis entrée. Cette iudicieuse
Princesse se ressouuenant des disgraces qui
estoient arriuées aux Imperatrices qui l’auoient
precedées, regardoit cette grandeur comme vne
chose fatale au repos de son esprit, & souhaittoit
veritablement de la quitter, mais auec ce mesme
éclat qui venoit de l’y introduire, témoignant par
là, qu’elle ne l’eust pas volontiers abandonnée,
sans y auoir donné des preuues de sa vertu & de
ses bontez, qui deuoient estre le seul sujet, qui la
pouuoit faire triompher, mesme en son esloignement.

 

La Reyne est entrée dans le Gouuernement de
l’Estat, auec l’approbation generale de toute la
France, elle s’y est veuë esleuer par les grands du
Royaume, auec toutes les déferences possibles,
ceux mesmes qui luy souhaittoient le moins cette
charge, furent les premiers à luy en témoigner de
la ioye, elle s’y vit receuë entre les acclamations
Publiques, chacun se promettoit vn bonheur asseuré
de cét establissement, toute la France respiroit
apres la Paix, & se figuroit qu’elle luy alloit infailliblement
arriuer, sous ce nouueau Regne.

Elle n’auoit rien à desirer pour lors, que le bonheur
d’en sortir de mesme, sa bonne fortune à mesme
temps luy en presentoit vn moyen asseuré :
comme si la Paix generale se fust reseruée pour elle,
on commença d’en faire des propositions, peu
de temps apres qu’elle eut en main l’authorité absoluë

-- 23 --

de la conclure, & peut estre eust elle acheué
heureusement cét ouurage du Ciel, si elle n’eust eu
l’ambition prodigieuse d’vn Ministre à esleuer, qui
ne se nourrit que de guerre, de fureurs & d’iniustice.
Il a fallu remplir cette ardante soif qu’il auoit
du sang des François, qui l’ont donné auec abondance.
Il ne luy reste plus presentement qu’à sortir
de mesme façon qu’elle y est entrée, elle en a encor
le pouuoir, elle peut donner la Paix Generale, vn
bon Conseil au Roy & à toute la France, & vne
tranquillité à ses Peuples, desirée depuis si long-temps,
deslors elle fera la plus glorieuse retraitte
qu’elle sçauroit souhaitter, passant le reste de ses
iours dans le calme qu’elle aura procuré, auec les
loüanges & les benedictions de tout le monde, qui
s’efforcera de contribuer à son tour, tout ce qui luy
sera possible pour sa prosperité.

 

-- 24 --

I.
GVINEMAVD,
Ministre de Childeric.

LA fidelité que ce Ministre eut pour le Roy
Childeric son Maistre, tient quelque chose
d’vne generosité barbare. Ce Prince estoit
dans la disgrace de ses Estats qui l’auoient exilé, à
cause de sa mollesse, & de ses façons de viure trop
laschement volupteuses. Ce Fauory connoissant
bien qu’il falloit ceder à cette premiere violence
des Gaulois, luy conseilla de se retirer chez le Roy
de Turinge, iusqu’à ce que la hayne de ses suiets
s’estant r’allentie auec le temps, il peut prendre
l’occasion fauorable de se restablir en son Royaume.
Et pour gage des seruices qu’il se promettoit
de luy rendre, il partagea vne piece d’or en deux,
dont luy ayant donné vne moitié, & retenu l’autre
pour luy, il le pria de la conseruer, iusqu’à ce qu’il
luy renuoyast l’autre partie, qui luy seroit comme
vn signal asseuré de son retour, que cependant il
prist courage, & eust en luy toute confiance. Les
Gaulois substituerent Gillon en sa place, qui tenoit
pour lors son Siege à Soissons, en qualité de
Proconsul, pour l’Empire Romain. Guinemaud

-- 25 --

ne manque point de s’ingerer au maniment des affaires,
de quoy il estoit fort capable. Son experience
en fait de l’Estat, le rendit aussi-tost necessaire
& considerable à la Cour de ce nouueau Roy
qui estoit bien ayse de le gaigner d’abord, ceux
d’entre les Gaulois qui pouuoient nuire à son établissement
pensant bien les attacher à son seruice
par les presents, & les biens-faits, ou par l’esperance
des recompenses qu’il promettoit à tout le
monde. Le voila en faueur & des plus prests de la
personne de ce nouueau Roy, qui se sert de ses
conseils aux choses les plus importantes, iuge qu’il
est temps de seruir son maistre, & se treuue bien
empesché des moyens d’agir efficacement en cette
conioncture : enfin apres auoir pensé à plusieurs
voyes qui luy sembloient toutes dangereuses &
peu asseurées, il s’auise de cette ruse. Il auoit remarqué
que Gillon deuenoit de iour en iour plus
fier, & plus hautain, qu’il mal-traittoit la Noblesse,
& les principaux Seigneurs du Royaume,
& qu’il commençoit à estre fort-mal dans
leur esprit, l’humeur Gauloise ne pouuant s’accoustumer
iamais à souffrir des rebuts & des affronts,
il remarqua de belles dispositions au reussis
de son dessein, il feint donc d’approuuer le procedé
de ce Prince estranger qu’il vouloit perdre, &
qui se voyant appuyé de ce grand homme d’Estat,
lequel estoit pour luy en apparence, continua dans
cette humeur altiere méprisant insolemment tous

-- 26 --

ces braues qui luy auoient mis la Couronne sur la
teste. Guinemaud le voyant dans la hayne des plus
grands luy represente leur temerité qui les alloit
bien-tost porter iusqu’au mépris des volontés
Royales, au grand preiudice de son authorité. Luy
remonstre que l’humeur Gauloise est legere, remuante
& tumultueuse, mais qu’il estoit facile de
la dompter, que pour se rendre absolu il se deuoit
defaire de tous ceux qui estoient les plus capables
de s’opposer à ses desseins, & qu’il n’auroit pas plutost
fait ce glorieux effort qu’il verroit tout le reste
flechir sous sa puissance. Il donna tant de deffiance
à ce Monarque qui ambitionnoit de regner qu’il
le poussa à faire mourir les plus considerables, il
exerça ses cruautés sur quelques vns, dans l’esperance
que luy donnoit Guinemaud, que les autres
se rangeroient bien-tost à leur deuoir. Cependant
ce fauory découure les intentions du Roy à tous
ceux qu’il auoit resolu de faire perir, leur donne
des preuues infaillibles de la mauuaise volonté que
ce Prince auoit pour eux, les exhorte de s’vnir pour
resister à sa Tyrannie qu’il veut établir sur vn peuple
libre, leur promet toute assistance dans toutes
les entreprises qu’ils feront contre cét homme, qu’il
appelloit vn vsurpateur de la Couronne, fait glisser
adroittement quelque chose du changement
de vie de Childeric son cher Maistre, qu’il nomme
le legitime Successeur du Sceptre Gaulois, il excita
si viuement cette Noblesse irritée des mauuais

-- 27 --

deportements de ce Souuerain, qu’elle se resolut a
quelque prix que ce fust de le ietter à bas du Trosne,
& d’y remettre celuy qu’elle en auoit esloigné
sur l’esperance d’vn plus fauorable traittement à
l’auenir pour eux, & de plus de moderatiõ de sa part
dans le Gouuernement. Aussi tost Guinemaud qui
vit vne si belle ouuerture au retour de son Childeric,
luy enuoye la moitié de la piece d’or qu’il auoit
tousiours cherement conseruée, il pretendoit,
ainsi qu’il arriua, que ses approches eschaufferoient
les affaires & rechaufferoient le courage des
coniurés, pendant que de son costé il se mit à prattiquer
non plus en secret : mais tout ouuertement
les vns & les autres qu’il gaigna d’autant plus facilement
à son party, qu’il auoit le plus de credit
dans le Royaume, ainsi Gillon fut chassé d’vn
rang qui ne luy appartenoit pas, Childeric fut retably
au grand contentement de tout le monde,
qui fut grandement satisfait de sa moderation
tout extraordinaire à gouuerner les peuples, &
Guinemaud vint à bout de la plus subtile, & plus
adroitte trahison qui fut iamais mise en vsage, s’estant
rendu le plus perfide de tous les Ministres
d’Estat aupres de l’vn, pour estre le plus fidelle qui
fut iamais aupres de l’autre.

 

-- 28 --

Reflexion Politique sur la vie de Childeric.

IL est difficile de iuger si sa constante fidelité merite
plus d’estime, que sa perfide lascheté de
blasme : c’estoit vne belle action, & vn coup d’Estat
& de Iustice, de rendre le Throsne à son legitime
heritier, c’estoit vne lascheté indigne d’vn
homme Politique de trahir celuy qui luy confioit
tous ses secrets ; il en est qui ne veulent iamais seruir
que par les voyes d’honneur, & ce sont les veritables
genereux, dont toutes les actions doiuent
estre éclattantes, il s’en treuuent d’autres qui exposent
iusqu’à leur honneur pour témoigner leur
fidelité, cette action est seruile & point du tout
d’vne ame libre.

II.
LANDRY DE LA TOVR
Ministre de FREDEGONDE.

L’adultere esleua celuy-cy à la qualité de fauory
de la Reyne, & le meurtre d’vn grand
Roy commis par le conseil qu’il en donna, le porta
au plus haut degré de sa fortune, & luy mit entre
les mains toute l’authorité du ieune Lotaire. Il
estoit bien fait de corps & d’esprit, & sa ieunesse
assez accomplie en toute sorte de belles qualités,
estoient capables de donner de l’amour à l’ame qui

-- 29 --

en estoit susceptible. Fredegonde qui en auoit
donné à Chilperic, & qui de simple Damoiselle
estoit deuenuë Reyne, en receut à son tour à la veuë
de Landry : Il ne luy fut point difficile de le posseder,
ayant le pouuoir absolu de luy faire sa fortune aussi
grande qu’il l’a pouuoit souhaiter : Le voilà donc
tout d’vn coup dans les bonnes graces de la Reyne,
qui luy procure auprés du Roy son Mary, les plus
honnorables employs de sa Cour : Ces deux Amants
estoient au comble de leurs felicitez, lors qu’vn accident
impreueu vint troubler cette parfaite joüissance.
Le Roy estoit party pour aller à la Chasse, &
la Reyne attendant son cher Fauory, estoit toute escheuelée
aupres d’vn Miroir : Le Roy ayant oublié
quelque chose au lieu où elle estoit, retourne sur ses
pas, & rentre dans la Chambre où trouuant la Reyne
en cét estat, & ses cheueux empeschant de discerner
qui c’estoit, il luy donna d’vne petite Baguette
sur la teste, elle s’imaginant que c’estoit Landry,
luy fit vne galanterie, en luy disant : Qu’vn bon Caualier
ne frappoit jamais par derriere ; mais tousjours
par deuant, & l’appella son cher Landry, pensant
parler à ce Mignon. Le Roy piqué au possible,
se retire sans dire mot, & la Reyne releuant ses cheueux
pour voir où il alloit, reconnut qu’elle venoit
de se méprendre bien lourdement. Dans la surprise
où elle se trouua, elle enuoye vistement querir Landry,
auquel ayant declaré toute l’affaire, il ne luy
donna point d’autre expedient que de faire tuër son

-- 30 --

Mary, pour se mettre à couuert du chastiment, &
pour continuër auec seureté leurs infames prattiques.
Il ne faut que donner moyen à vne Femme de
mal-faire, elle s’y portera auec assez de promptitude.
Fredegonde executa auant qu’il fust nuit le pernicieux
conseil de son Fauory, elle fit tuër le Roy
dans la forest de Chelles, & contrefit admirablement
bien l’affligée de cette perte, qu’elle eust esté
bien plus fâchée de n’auoir pas faite. Ce coup mit
Landry au plus haut degré de la Faueur. Rien ne se
faisoit dans l’Estat que par son ordre, si bien qu’il
estoit en possession de la Reyne, du Roy Mineur, &
de toute l’authorité.

 

Il se vit en estat d’executer toutes ses meschancetez
auec impunité, Il pensa dés lors à establir son
Gouuernement de longue durée : Il n’y auoit que
Gontran oncle du Roy qui pust s’opposer à ses ambitieux
desseins ; il fit en sorte peu à peu qu’il luy
osta tout le pouuoir sur l’esprit du Roy, qu’il le destourna
de la connoissance des affaires, & qu’il
empescha que ce sage Prince n’enseignast à son
Neueu, l’art de regner qu’on ne luy vouloit point
apprendre, afin que Landry fust long-temps necessaire.
Il vint à bout de ce dessein, mais comme
Childebert Roy d’Austrasie, & Brunehaut sa Mere,
faisoient ouuertement obstacle à son trop grand accroissement,
il voulut leuer cette opposition par la
Guerre qu’il alluma dans ces deux Royaumes.
Moyen ordinaire de tous ceux qui vsurpent les droits

-- 31 --

de la Souueraineté, de les maintenir par la violence,
aux dépens des biens & de la vie des Subjets infortunez,
qui portent la premiere peine des ambitions
des Grands, seruant de marche-pied à leur orgueilleuse
éleuation. Voilà la Guerre declarée entre ces
deux Couronnes, voilà toutes leurs alliances rompuës,
malgré la proximité du Sang qui les deuoit attacher
ensemble d’vn lien indissoluble. L’on met de
puissantes Armées sur pied de part & d’autre. Landry
pour ce coup là eut le sort de la Guerre fauorable,
mais la Fortune le reseruoit à vne autre occasion,
de luy faire connoistre que sa faueur est aussi
changeante qu’elle. Il eut l’honneur de cette Victoire,
comme ayant esté l’autheur de la Guerre. Cét
auantage n’auoit fait qu’enfler l’orgueil de ce Ministre,
il se croyoit desormais tout-puissant, & ne pouuoit
s’imaginer que rien pust jamais troubler les
joyes dont il estoit enyuré. Sur cette folle confiance,
il donne mille conseils artificieux à Fredegonde,
pour se défaire de tous ceux qui luy estoient contraires.
Il fut cause de la mort de plusieurs personnes,
que cette Reyne fit perir, à sa sollicitation : Deux
fois ils manquerent Brunehaut, dé la quelle ils auoient
bien enuie de se défaire. Mais enfin il falloit qu’il reconnust
qu’il estoit homme, & que sa grandeur
estoit sujette au changement.

 

Clotaire auoit enuoyé son fils Meroüée contre
Thierry, & luy auoit donné pour Lieutenant General
de son Armée, Landry, comme vn homme tres-experimenté

-- 32 --

au fait de la Guerre : Ce Ministre neantmoins
estant rencontré à Estampes par Thierry, fut
rudement attaqué, s’estant mis en deuoir de se deffendre,
il reconnut en ce rencontre que les euenemens
des Armes sont journaliers, & que la Victoire
se donne à qui bon luy semble, il fut honteusement
vaincu, & contraint d’abandonner tout pour se sauuer :
Il laissa toute son Armée à la mercy du vainqueur,
abandonna le fils du Roy qui fut fait prisonnier,
& eut le déplaisir de voir Paris forcé à receuoir
son Ennemy, qui voulut y faire son entrée, comme
dans vne ville de conqueste. Mal-heureux d’auoir
suruescu quelque temps à sa disgrace, & d’auoir eu
la honte de fuyr apres celle d’estre vaincu.

 

Reflexion Politique sur la vie de Fredegonde.

VN mauuais Conseiller, dont les sentimens
sont authorisez par dessus ceux des gens de
bien, est capable de produire d’estranges mal-heurs
dans vn Estat. Landry fut autheur de l’assassinat
d’vn Monarque, l’objet des voluptez & infamies
de la Reyne, la cause de la perte de quantité de braues
gens qu’elle fit cruëllement massacrer : Enfin
l’objet d’vne effroyable Guerre Ciuile, qui mit cét
Estat à deux doigts de sa ruyne. Pour preuenir tous
ces desordres, il falloit que Chilperic à l’instant qu’il
reconnut ces amoureuses intrigues, fist prendre la
Reyne, la razer & l’enuoyer le jour mesme dans vn
Cloistre, faire couper la teste à l’adultere, & reprendre

-- 33 --

sa premiere Femme Audoëre, qui estoit sa legitime
Espouse. C’estoit là l’vnique moyen de preuenir
tant de coups sinistres, qui commencerent par
le Roy, & ne finirent qu’auec la vie de quantité de
personnes illustres, au grand prejudice de la Monarchie
Françoise.

 

III.
PROTADE, ITALIEN,
Ministre de Thierry Roy de Bourgoigne,
& Fauory de BRVNEHAVLT.

I’AY bien voulu mesler celuy-cy parmy nos Ministres
de France, pour faire voir combien la domination
estrangere & Italienne est pernicieuse à la
France, afin que l’on puisse aussi remarquer que
nostre temps ne manque pas d’exemples pour le chastiment
d’vn Italien, qui pour faire ses affaires ne se
met guere en peine de la ruyne de nostre pays.

Protade, homme de fort basse condition, venu
d’Italie, vsa de tant d’artifices & de souplesses pour
s’introduire à la Cour de la Reyne Brunehaut, qu’elle
le reconnut propre à executer toutes ses plus lâches
entreprises, & capable de seconder ses desseins,
qui ne tendoient qu’à regner longuement, par le
moyen des fourbes & des intrigues malicieuses
qu’elle mettoit en vsage à tout moment, & ausquelles
l’esprit de Protade estoit fort accommodant.

-- 34 --

Elle ne le iugea pas mesme indigne de ses flammes
impudiques, luy prostituant son honneur à la
veuë de tout le monde, pour l’obliger dauantage à
luy estre fidelle en ses secrettes meschancetez.

C’estoit-là iustement l’employ d’vn Italien, de
flatter les voluptez, & l’artificieuse conduite d’vne
Femme ambitieuse, aussi reüssit-il à merueille en
l’vn & en l’autre, & la contenta au poinct qu’elle
pouuoit souhaitter. Car outre ses adresses en amour,
mestier, auquel tous ceux de son païs sont Maistres,
il employoit encore tant de ruses au maniment de
ses affaires, qu’elle le crut absolument necessaire
pour se maintenir dans la puissance qu’elle s’estoit
acquise. Elle le fit Maire du Palais de Bourgoigne, &
le donna à Thierry pour administrer ses Estats, desquels
elle estoit la Maistresse absoluë, s’estant conserué
tout le pouuoir en la personne de celuy qui luy
estoit entierement acquis, & qui ne faisoit rien que
par ses mouuemens.

Si-tost que cét Italien se vit en cette haute dignité,
il s’appliqua entierement à la recherche de tous
les moyens qui l’y pouuoient longuement maintenir
auec seureté. Le premier qui luy sembla assez efficace
à son dessein, fut d’amasser des sommes immenses
d’argent, ce qui ne luy estoit pas beaucoup
difficile à faire, ayant tout pouuoir sur les Finances
& sur les tresors du Roy son Maistre, auec la bonne
volonté de la Reyne qui approuuoit ses plus injustes
procedez. Si bien qu’il deuint en fort peu de temps

-- 35 --

prodigieusement riche aux despens de la pauure
France, qui estoit sur chargée des exactions & brigandages
de ce nouueau Ministre qui ne pensoit qu’à
s’enrichir en se moquant des souffrances des miserables
Peuples qu’il mettoit à l’extremité. Le second
moyen duquel il se seruit pour appuyer sa puissance,
& l’establir auec plus de fermeté, fut la disposition
de toutes les Charges & Benefices du Royaume,
qu’il retenoit par deuers luy, & n’en conferoit
qu’à ses creatures, quoy qu’il en promist à tous les
autres. Tellement qu’auoüé du Prince, aymé &
chery de la Reyne-Mere, protegé par les siens, il
gouuernoit absolument l’Estat en dépit de tous les
Grands qu’il auoit fourbez autant de fois qu’ils
auoient traité auec luy, & qu’il tenoit les plus esloignez
des affaires qu’il luy estoit possible. Cette lasche
Politique l’auoit mis dans la hayne de tout le
Monde : car pour estre ennemy des François, il ne
faut qu’estre auare & infidele. Il jugea bien qu’il
pourroit subsister long-temps dans ce grand pouuoir,
s’il faisoit naistre vne Guerre pour se maintenir :
il falloit qu’il se rendit necessaire par des troubles
qu’il souleuoit dans l’Estait ; mais il falloit vn
pretexte pour l’exciter entre les Freres. Son esprit fecond
en malices ne manqua point dans ces semences
de discorde, qui font des ennemys mortels & irreconciliables
des plus proches. Protade persuada à
Thierry d’entreprendre la Guerre contre son Frere
Theodebert Roy d’Austrasie, de le dépoüiller de ses

-- 36 --

Estats, & de s’en rendre le Maistre vnique, comme
en estant l’vnique Successeur : La raison qu’il luy supposa
de cette vsurpation, fut de luy faire croire qu’il
n’estoit point son Frere ; mais le fils d’vn sardinier,
à quoy Brunehault acquiesca volontiers au prejudice
de son honneur. Sur cette preuue, Thierry croyant
la Guerre bien juste de son costé, la declara à son Frere,
qu’il ne traittoit plus que comme vn Estranger
dans sa Famille. Il donna le soin de tout l’appareil
de cette expedition à son Ministre, qui en peu de
temps mit sur pied vne effroyable & nombreuse Armée,
qui estonna tous les Grands-Seigneurs de la
Bourgoigne. Brunehault entretenoit ce grand feu, &
cette inimitié irreconciliable entre les Freres. Protal
de la poussoit aux extremitez par ses maximes Politiques,
qui regardoient tousiours le maintien de
son Pouuoir & de celuy de a Reyne. Les éuenemens
de cette furieuse Guerre furent differens, estant tantost
auantageux à l’vn, & puis à l’autre. Si bien que
les Grands Seigneurs de l’vn & de l’autre Royaume
lassez de tant de fatigues qui duroient si long-temps,
& dont on ne voyoit point de fin pour l’auenir,
s’entremirent d’accorder les Freres, & de remettre
la Paix entre eux qui en auoit esté bannie par
la pernicieuse conduite d’vn Italien, & de cette Espagnolle.
Ils firent plusieurs Remonstrances sur ce
sujet, qui furent toutes tres inutiles, Protade en destournant
tousiours tout l’effet. Ceux de Bourgoigne
qui reconnoissoient bien qu’il estoit le principal auteur

-- 37 --

de ces desordres, representerent au Roy Thiery
les raisons contraires de cette pretenduë supposition
de Theodebert s’efforçant de luy faire voir
qu’il estoit tres legitime, & que toute cette malicieuse
intrigue n’estoit qu’vn moyen qu’on employoit
pour les diuiser & pour entretenir vne
longue Guerre ; mais Protade s’estant mocqué de
toutes leurs raisons, & du bon zele que témoignoit
toute cette Noblesse au bien de leur Estat, il les offensa
tous si puissamment que ne pouuant retenir
leur iuste indignation, mesme en presence de leur
legitime Monarque, ils le m’assacrerent à sa veuë
& dans sa tente, & mirent fin aux grands apprests
qu’il faisoit encore pour continuer vne iniuste
guerre, qui alloit ruiner ces deux Estats, à l’appetit
d’vn Estranger ambitieux, d’vn homme Italien,
& d’vne femme Espagnole si aueuglement passionnée.

 

Reflexion politique sur la vie de Brunehaut.

Iamais la domination Estrangere ne fut sans
trouble & sans violence : & par consequent elle
est tousiours tres-preiudiciable à vn Estat, si l’on
en souffre long-temps la continuation : il n’est rien
tel que de couper court à tant de malheurs aux dépens
de peu de personnes qui veulent regner aux
depens de tous les autres. Cét exemple de Protade,
doit seruir de miroir aux plus ambitieux Ministres,
& la genereuse chaleur de la Noblesse

-- 38 --

Bourguignone, est le meilleur remede qu’on puisse
apporter de nostre temps à nos desordres.

 

IV.
EBROIN MINISTRE
de Clotaire.

Cet homme venu de peu, fut le plus ambitieux
de son temps, & n’epargna rien pour regner
aux depens de sa foy, de son honneur & de sa vie.
Il estoit méchant & cruel au dernier point, qualités
qui luy attirerent bien-tost la hayne de tous les
François, qui ont en horreur la lacheté & la Tyrannie.

Sous le Regne de Clotaire III. Il donna les
moyens d’opprimer le peuples, par la quantité
d’imposts qu’il establit sur toutes sortes de biens
faisant des exactions & des iniustices enormes à
l’endroit de tous les sujets du Roy, qu’il traittoit
comme des esclaues, ayant coustume de dire souuent
que le peuple viuoit trop grassement en France
& qu’il se meconnoissoit lors qu’on le laissoit
dans la iouïssance d’vne trop longue paix.

Apres la mort de Clotaire. Ebroin craignant
que Childeric legitime heritier de la Couronne, ne
voulust pas se seruir de luy au maniment de ses affaires ;
afin de se maintenir en cette dignité, il persuade
à Thierry fils puisné de France, de s’inuestir

-- 39 --

de la Royauté. Il le fait donc Couronner Roy.
mais Childeric arriuant auec vne puissante Armée,
il fallut qu’Ebroin le cedast à ses forces, & à la haine
des François qui luy estoient tous contraires,
aussi bien qu’à Thierry, qu’ils n’aymoient pas à
cause de son Ministre, ce qui fut vn suiet assez
grand pour leur faire aymer Childeric. Thierry fut
donc pris, rasé & confiné au Monastere sainct Denys.
Ebroin fut pris aussi, rasé pareillement & relegué
à Luçon en Bourgongne, ses méchancetés
meritoient des lors vne bien plus grande punition :
mais il estoit reserué encore à de plus grands crimes.

 

Apres la mort de Childeric Thierry fut tiré du
Cloistre, pour Regner à son tour, estant le plus
proche du sang Royal. Ebroin à l’ayde de quelques
Seigneurs mal-contens, s’échappe aussi de sa solitude,
fait vn corps d’Armée assez considerable, &
vient s’emparer de la personne du Roy, afin de Regner
aussi absolument, qu’il voudroit. L’andregesil
qui estoit pour lors estably dans le Ministere,
sous la qualité de Maire du Palais, luy faisoit quelque
obstacle à ses desseins, & par consequent il s’en
failloit deffaire à quelque prix que ce fust, c’estoit
sa Politique, cela luy estoit assez difficile à faire
tant à cause que ce Maire s’estoit esloigné sur la deffiance
qu’il auoit du mauuais naturel de ce defrocqué,
que parce qu’il estoit aymé & chery de tous
les François, pour sa moderation, & toutes les autres

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vertus qui estoient estimables dans vn homme
qui tenoit tout le pouuoir entre ses mains : c’estoit
vn nouueau suiet d’enuie pour Ebroin, qui ne pouuoit
rien souffrir au dessus de son ambition il se
resolut de l’opprimer par vne lacheté abominable,
il employe donc tous les artifices pour luy leuer
tout soubçon, le fait asseurer de sa part de tous les
fauorables traitemens qui pouuoit souhaitter du
Roy, & de luy, qu’il peut sans crainte reuenir à la
Cour, qu’il luy engageoit sa parolle & sa foy, qu’il
ne luy arriueroit aucun mal, il le confirma si bien
dans cette creance, que l’Endregisil s’asseurant sur
la debonnaireté du Roy, sur les belles protestations
d’Ebroin, sur l’amitié de tout le monde qu’il
s’estoit acquise par ses loüables deportements, &
enfin sur sa bonne conscience, qui est la plus grande
seureté qu’on puisse desirer, s’en vint rendre de
bonne foy entre les mains de son plus capital ennemy,
qui l’ayant fait attendre sur le chemin, &
l’ayant pris à son auantage lors qu’il y pensoit le
moins le fit laschement assassiner contre sa parolle,
son honneur & toute sorte de iustice, coup le plus
perfide, vne ame basse & cruelle à qui la vertu donnoit
ombrage, connoissant bien qu’il ne la pouuoit
iamais surmonter qu’en l’opprimant, il fut
aussi-tost capable du crime le plus noir & le plus
detestable entre les hommes.

 

Ainsi il reprit le gouuernement du Royaume &
du Roy, qui durãt toutes ces tragedies ne se seruoit

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que de marotte sans iugement, & sans aucune vigueur.
Ebroin auoit toute l’authorité, de laquelle
il se seruoit comme de coustume : c’est à dire auec
toute la cruauté imaginable, le massacre de sainct
Leger Euesque d’Authun, la mort de plusieurs autres
Prelats en furent des marques funestes, qui le
rendirent odieux à toute la France.

 

Il fut bien si forcené de rage, qu’il fit couper la
langue à plusieurs gens de bien, qui le reprenoient
de ses horribles excez, dont les bouches muettes
publierent encor bien plus haut ses tyranniques
infamies.

Enfin s’estant porté à des extremitez dénaturées,
& chacun ayant abomination de ses fureurs, il
trouua enfin vn chastiment à tant de noires malices ;
car ayant offensé tous les nobles, & principalement
vn nommé Ermanfroy, qui en auoit conserué
vn grand ressentiment, ayant trouué l’occasion
fauorable de se venger de ce perfide, il prit l’auantage
que la fortune luy presentoit, apres luy
auoir reproché en peu de mots ses manquements
de foy & de parole, tant en son endroit, qu’enuers
plusieurs autres, luy passa son espée à trauers le
corps, & detruisit ce Monstre si preiudiciable à la
societé humaine.

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Reflexion Politique sur la vie de Clotaire.

IL n’est rien de plus vray que la violence est de
peu de durée, & que la Tyrannie trouue toûjours
vne fin malheureuse. La cheute D’Ebroin
confirme cette maxime, qui est assez appuyée par
la disgrace de quantité d’autres de ses semblables,
La plus infaillible ruine des Estats vient tousiours
de cette source impetueuse, qui épand par tout les
desordres, & la confusion. Vn trouble general
qui s’esleue de ces rauages, dissipe assez souuent ce
Concert des volontez du Souuerain, & des suiets
qui fait le corps de la Monarchie, en sorte que les
Roys aussi bien que leurs Peuples, souffrent dangereusement
par les violentes ambitions de leurs Ministres,
que les Atheniens faisoient mourir dés la
premiere faute qu’ils commettoient dans le Gouuernement
de leur Republique.

V.
GRIMOALD, MINISTRE
de Sigibert.

IL ne fut pas plutost dans le Ministere, qu’il porta
tous ses desseins à la guerre, il y poussa fort
facilement son Maistre, qui estoit aysé à persuader.
Si tost que la resolution en fut prise, il eut le
soin de faire tout l’appareil de ce remuëment en

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peu de temps, il mit sur pied vne fort belle & tres-puissante
armée, employant pour cela la meilleure
partie des thresors de son Souuerain. Il le fit
marcher à force ouuerte, contre Raoul Duc de
Turinge, sur lequel il se figuroit desia de grands
auantages, & de belles matieres de triomphes à sa
conduitte : mais l’euenement ne répondit point à
ses esperances. Raoul de son costé estant bien informé
de leurs desseins, leua des troupes de son
costé, pour s’opposer à leur irruption, il estoit
pour le moins aussi resolu à se deffendre, que les
ennemis l’estoient à le venir attaquer ; si bien qu’en
peu de temps, les vns recherchant le combat, & les
autres ne l’euitant point, ils se virent en presence
les vns des autres. La meslée fut rude, & la victoire
douteuse, iusqu’à ce que Raoul fit voir qu’il sçauoit
la meriter, il repoussa vigoureusement ses
ennemis, & mit en deroute toutes ces belles troupes,
qui estoient venuës l’inquieter dans la possession
legitime de ses terres. Il fallut retourner honteusement
en Austrasie, & Grimoald n’eust l’honneur
que de ramener son Prince vaincu en son
pays, sans auoir enuie de retourner vne autre fois
enuahir les possessions de ses voisins, sans autre raison
que celle de son ambition, qui se modera par
cette disgrace.

 

Grimoald voyant le Roy sans enfans, eut assez
d’orgueil pour pretendre à la Souueraineté. Si tost
qu’il eut porté si haut ses esperances, il pensa aux

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moyens de les faire reussir, il n’en trouua point de
voye plus courte & plus asseurée, que de persuader
à Sigibert, l’adoption de son fils, afin de ne pas
laisser son Royaume sans successeur. Il fut assez insolent
pour luy en faire la proposition luy mesme,
auec tous les artifices possibles, dont il se seruit en
cette occasion, pour preuenir l’esprit de ce Prince,
naturellement facile à suiure les impressions
qu’il luy donnoit. Cette ouuerture d’abord luy
donna beaucoup à penser sur vne affaire de telle
importance, il voyoit bien qu’il alloit frustrer les
enfants de France, d’vn Estat qui leur estoit acquis
par droit de succession, en cas qu’il vint à manquer
sans heritier dans sa famille, neantmoins les discours
artificieux de Grimoald l’emporterent sur
toutes considerations, & son fils fut choisi par Sigibert,
pour succeder à tous ses Estats, au preiudice
de ses neueux, ausquels ils appartenoient de droit,
& selon les Loix fondamentales, qui rendent la
Couronne de France inalienable.

 

Ce bon Roy ne mit guere à se repentir de ce qu’il
auoit fait : mais il estoit trop tard, lors qu’il n’y
auoit plus de remede, il n’auoit pas preueu qu’il
estoit assez ieune & sa femme aussi pour auoir lignée,
en effet, à quelque temps de là, elle deuint
grosse, & eut vn fils qui fut nommé Dagobert,
peu de temps aprés, le Roy mourut & Grimoald
accusé de l’auoir empoisonné, s’empara de son
Royaume au nom de son fils, & en vertu de l’adoption

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qu’en auoit fait Sigibert. Cette vsurpation
fut affermie en faisant tondre l’heritier de la Couronne,
& l’ayant liuré entre les mains de Didon
Euesque de Poictiers, il le confina dans vn Monastere
au Royaume d’Escosse.

 

Il fallut bien tost que cét vsurpateur se preparast
à maintenir son crime, par la violence. Les
François ne pouuant souffrir vne telle iniustice, &
voyant que Clouis leur Roy en auoit des ressentimens
capables de luy faire perdre l’esprit, armerent
puissamment contre ce Tyran, qui se preparoit
de son costé à leur resister de toute sa puissance.
Son obstination à se maintenir ne les estonna
point, au contraire, elle les anima dauantage à le
chastier de son insolence. Ils ne manquerent point
à luy liurer bataille, on decidoit en cette iournée
des forces & de l’honneur de deux puissans Royaumes,
si bien que le courage de ces Nations se faisoit
voir à l’enuie, par l’opiniastreté qu’on apportoit
à vaincre de part & d’autre. Mais enfin les
François furent les victorieux, qui pousserent leur
pointe si auant, qu’ils tuerent le fils de Grimoald,
& ayant poursuiuy le pere chaudement, le prirent
prisonnier, & l’amenerent à Paris, où l’on luy fit
son procez, & fut condamné à mort, comme criminel
de leze-Maiesté.

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Reflexion Politique sur la vie de Sigebert.

DE tous ceux qui ont eu quelque ascendant
sur l’esprit des Souuerains, il s’en est trouué
fort peu qui ne si soient portez à quelque iniustice,
il sẽble que ce vice soit necessaire à ceux qui veulẽt
regner, & qu’ils ne se peuuent empescher d’y tomber
depuis que leur ambition les a fait monter au
Ministere. C’est pourtant vne erreur qu’ils appellent
vne fine Politique. La source de ce desordre
vient ce me semble, de ce que les plus esleuez en
dignité, ne sont point contents de leur condition,
& peuuent assez souuent pretendre plus haut, ny
s’y porter sans vne manifeste iniustice. Ou bien
s’ils se comtentent de l’éclat où ils se trouuent, ils
ne se contentent point de sa iuste durée, & deslors
qu’ils la veulent estendre, ils passent les bornes
prescrittes, cela ne se peut auec équité, ainsi ils
sont ordinairement iniustes, s’ils n’apportent eux
mesme beaucoup de moderation à leurs desirs trop
ambitieux.

Comme il s’en trouue fort peu qui ayent ce pouuoir
sur eux mesmes, il ne faut plus s’estonner s’il
y a tant d’vsurpations, tant d’intrigues, tant de
tromperies. Le malheur en tout cecy est, qu’on ne
peut donner de limites aux cœurs remplis d’ambition,
s’ils ne s’en dõnent eux mesmes. Il faut necessairemẽt
y employer les supplices, pour arrester le
cours de cette passiõ impetueuse, à qui l’on ne peut

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prescrire de fin que dans celle de la vie, ce qui a cause
la mort à tant de braues. Lors que Charles IX. disoit
si souuent que le Duc de Guise estoit trop ambitieux,
& qu’il le trouuoit le plus fier & le plus
hautain qu’il connust, il sembloit le menacer de
l’accident qui luy arriua depuis sous Henry III.
L’ambition du Mareschal de Biron mit le Roy
IV. hors du pouuoir d’exercer sa clemence en son
endroit quoy qu’il eust toutes les enuies du monde
de le conseruer, tant il est veritable, que le meilleur
remede pour obuier aux maux & aux desordres
de cet orgueilleux caprice, c’est d’en perdre
iusqu’à la racine, ne pouuant bien se destruire du
sujet où elle se rencontre.

 

VII.
PEPIN MINISTRE
de Dagobert.

IL estoit vaillant, adroit, hardy & ambitieux :
l’authorité absoluë estoit entre ses mains, il ne
luy restoit qu’à la rendre hereditaire, le foible esprit
de son Maistre luy donna le temps de faire
tout ce qu’il proiettoit. Et comme il estoit artificieux,
connoissant le respect que les François ont
naturellement pour leurs Roys, il n’osoit pas ouuertement
choquer le Monarque ; mais en les excusant
de la foiblesse de leur naturel, & de leur peu

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de vigueur au maniment des affaires, il leur insinuoit
adroittement le mépris pour vn homme si
peu capable de les gouuerner. Il leur donnoit bien
à connoistre que les plus forts esprits & les plus genereux
estoient les plus dignes de l’Empire, ainsi il
decreditoit petit à petit les successeurs du grand
Clouis, deuenus impuissants par leur faineantise, &
disposoit les choses à faire tomber vn iour le Sceptre
en sa famille, par cette conduitte il ietta les
premiers fondements de la seconde race, & disposa
tous les Esprits à ce changement d’Estat auec
vne adresse incroyable.

 

Outre ses enfants legitimes, il eut vn bastard
nommé Charles, qu’il ayma par dessus tous les
autres a cause de la viuacité de son Esprit, & de sa
capacité au fait de la guerre, & de la politique. Enfin
estant venu à mourir, il luy laissa la Duché
d’Austrasie qui estoit desia vn commencement de
Souueraineté, & vne entrée à cette haute puissance
à laquelle il le destinoit.

Reflexion Politique sur la vie de Dagobert.

LA trop grande, mais trop ambitieuse conduite
de ce Ministre, doit apprendre à nos
Roys, de ne point confier leur pouuoir absolu à
quelque autre personne, sans sçauoir comment ils
le font, toute la disposition d’vn pouuoir sans limites,
n’estant qu’vn moyen pour se l’asseurer tout
à fait quand on l’ambitionne. Vn Roy doit estre

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ialoux de sa puissance au poinct de ne la communiquer
à qui que ce soit, si ce n’est dependemment
de luy mesmes, & auec grand soin de la retirer
quand il en voit faire le moindre mauuais vsage.
Si le Monarque pour sa ieunesse n’est point encore
en estat de preuoir vne chose qui luy est si importante,
ses peuples luy doiuent ce soin de ne
laisser point empieter tyranniquement vn Ministre
trop ambitieux sur les droits de la Royauté.

 

VII.
CHARLES MARTEL,
Ministre de CHILDERIC IV.

L’ambition de celuy-cy est si éclatante & appuyée
de tant de belles actions, qu’il est quasi
impossible de le blasmer, quoy qu’enfin il ait donné
la derniere secousse au Thróne de la premiere
Race. Il eut beaucoup de demeslez auec Plectrude
sa Belle-Mere, qui à son prejudice vouloit establir
dans le Ministere vn sien fils nommé Thibault, jusques-là
qu’il fut arresté prisonnier, ayant esté surpris
par les artifices de cette Femme. Cependant
vn certain Vainfroy, s’estant emparé de l’authorité,
tira du Cloistre vn Prince du Sang nommé Daniel,
qu’il fit couronner sous le nom de Chilperic
Il. poussa Plectrude & son fils jusques en Allemagne.
Charles s’estant eschappé de prison, poussa à

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bout les vns & les autres, & se rendit Maistre du
Royaume, ayant fait couronner le fils aisné de Dagobert,
veritable heritier de la Couronne, & apres
sa mort qui fut cinq ans apres, Thierry son Frere.

 

Charles voyant les desordres où le Royaume estoit
plongé, remontra à tous les Grands-Seigneurs ses
amys, qu’attendu la foiblesse des Roys, & la necessité
pressante d’establir vne forme de Gouuernement
absolu, auquel chacun se pust ranger ; Il treuuoit
à propos qu’on fit vn Maistre dans l’Estat, auquel
tous les autres seroient soûmis. Autrement que
les Roys ne parlant point, chacun refusoit d’obeïr
au grand prejudice de toute la France, Que le pouuoir
de Maire & de Ministre n’estoit point assez
grand pour regler toute chose, & ne pouuoit point
empescher les diuisions continuëlles qui naissoient,
pour y auoir plusieurs Maistres dans l’Estat, qui estoit
sa ruïne totale : Qu’il falloit reünir tout dans vn
seul, afin de rappeller la Paix, & que cela se deuoit
faire par vn libre & commun consentement de tout
le monde. En suite de ces Remonstrances, il fit vne
conuocation de cette Assemblée, qu’on appelloit
Parlement, auquel ayant remonstré serieusement
l’importance de l’affaire, il fut arresté & conclu vnanimement ?
Que pour les grands & signalez seruices
rendus à l’Estat par Charles Martel, veu le bon vsage
de sa charge de Maire, & la grande necessité des
affaires presentes qui demandoient vn prompt remede,
& vn pouuoir plus absolu que celuy de Maire.

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Que l’entier gouuernement du Royaume seroit mis
entre ses mains : Et pour rendre son authorité plus
absoluë & digne d’vn plus grand respect, il fut ordonné
que doresnauant il seroit appellé Prince ou
Duc des François. Ordonnance qui fit desia bien
voir, combien son authorité estoit grande parmy les
François, & qui estoit comme vn prejugé de la
Royauté qui alloit tomber en sa Famille. Tout fit
joug deslors sous sa Puissance, horsmis Eudon, qui
auoit voulu luy disputer la dignité de Maire. Cét
ennemy de la grandeur de Charles, ne se voyant pas
assez fort pour s’opposer à ses forces naissantes, appelle
les Sarrazins à son secours ; mais en estant mal-traitté
tout le premier, il fut contraint de se joindre
à Charles son ennemy pour les combattre. Quatre
cent mille combattans venoient s’emparer de toute
la France, si Charles Marte là la journée de Poitiers
ne les eust défaits par sa valeur toute miraculeuse,
leur Roy mesme y perdit la vie, & nostre nouueau
Prince des François y gagna la plus celebre Victoire
dont on ait jamais ouy parler, depuis la creation du
Monde. En suite de ce haut exploit, il reduisit le
Languedoc qui s’estoit souleué en faueur de ces nombreuses
Troupes débordées d’Affrique & d’Espagne ;
& puis il accourut en Frise, chastier les rebelles
qui se fioient sur son esloignement. Enfin ayant
partagé ses biens & ses employs à ses enfans, il mourut
à l’âge de cinquante ans, laissant Pepin en sa
place comme le plus propre à cause de son esprit, à

-- 52 --

continuer la Souueraineté qui prenoit naissance
dans sa Famille.

 

Reflexion Politique sur la vie de Childeric IV.

IL seroit souhaittable à la France d’auoir tousjours
de ces grands Hommes, qui eussent toute la
conduite entre les mains. L’vsurpation veritablement
est injuste ; mais quand il n’y a plus que des faineants
qui la laissent succomber indignement sans
la soulager le moins du monde : Le consentement
general des Peuples est à mon aduis assez fort pour
la rendre equitable : Car qui pourra jamais persuader
que pour le trop grand respect qu’on portera à
vn seul homme qui ne le merite plus, il faille que
toute vne Nation & ce Roy mesme perisse, pour le
quel on auroit cette superstitieuse veneration.

Aduertissement au Lecteur.

Mon Lecteur, ie vous viens de donner tous les
Ministres qui ont gouuerné sous la premiere Race
des Roys de nostre Monarchie : Ie vous laisse à juger
du bien ou du mal qu’ils ont fait à la France ; & puis
ie vous donneray tous les autres de la seconde & troisiéme
Race, & vous verrez s’ils ont mieux reüssi. Ie
n’y dissimule rien, afin que vous connoissiez la verité
de leur conduite. I’attends de vous leur condemnation,
comme ie m’imagine, pourueu que vous
exemptiez l’Autheur de vostre censure, ie vous feray
voir encore beaucoup d’autres varietez Historiques,
qui outre qu’elles sont fort vtiles, ne vous
seront peut estre pas desagreables.

FIN.

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Anonyme [1652], LE GRAND RESSORT DES Guerres ciuiles en France. Faisant voir dans les vies de tous les Ministres d’Estat qui se sont ingerez de nous gouuerner. I. Qu’ils ont tousiours esté la source de toutes les dissentions publiques; & le sujet qui a fait prendre les armes aux Grands du Royaume. II. Qu’ils ont eux mesmes fait naître & entretenu les Guerres ciuiles, comme vn des moyens propres pour les rendre necessaires aux Rois, & pour se maintenir dans le Ministere. III. Qu’ils ont tousiours employé tous leurs artifices à detourner la conoissance des affaires d’Estat aux Rois, & fait tous leurs efforts pour abatre les Princes, & tenir les Peuples dans l’oppression. Le remede necessaire & Politique à tous ces desordres. I. Est de donner vn Conseil de sages testes au Roy, qui l’instruise dans l’art de Regner par soy mesme. II. D’éloigner de luy cõme des pestes d’estat tous ceux qui voudront s’opposer à ce loüable établissement. III. D’établir de rigoureux supplices pour les Ministres qui passeront leur deuoir, qui est seulement de donner conseil à leur Souuerain, sans iamais rien entreprendre de leur teste: De rendre le rang aux Princes du Sang qui leur est deu par leur naissance; & donner le repos aux Peuples. , françaisRéférence RIM : M0_1513. Cote locale : B_3_18.