Anonyme [1652], LE HARAVT FRANCOIS SVR LA TIRANNIE, FAISANT VOIR QVE NOVS mourrons plustost que de consentir à son restablissement si nous considerons, I. Que la Reine ne peut se restablir sans nous destruire. II. Que son retour doit estre accompaigné de celuy de la mal toute. III. Que la presence de la Reine & de son Mignon, est incompatible auec celle des Princes, sans méfiance. IV. Que la Reine & son fauory ne peuuent se restablir sans nostre decry. V. Que la presence de la Reine & de son Mignon, sera l’eternel pretexte de ceux qui voudront broüiller. VI. Et que la France est perduë, si la France ne perd la Reine, & son fauory. , françaisRéférence RIM : M0_1617. Cote locale : B_20_34.
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LE HARAVT
FRANCOIS
SVR LA TIRANNIE.

IE me lasse enfin de perdre tant de coups à
tracer des inuectiues, pour décrier la cõduite,
du C. M. Il est temps de proceder vn peu
plus solidement à sa perte, & de terminer toutes
mes plus iustes poursuittes par vn dernier
coup de grace, que les moins sçauants estimeront
sans resource, s’ils veulent tant soit peut
considerer la force, & l’adresse auec laquelle ie
m’en vay l’asseurer, pour en depéscher tout de
bon cét Estat. Ie sçay qu’il est encor beaucoup
d’esprits, qui seroient peut estre enfin assez mal
auisez, pour se laisser conuaincre dans leur insensibilité
de la necessité d’vn accommodemẽt,
Et pour donner les mains à ces raisons trompeuses,
que les Ennemis de l’Estat vont déguisant
tous les iours auec mille beaux artifices ;
dans le dessein qu’ils ont de faire conceuoir aux
Peuples, qu’il est plus important de rachepter

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leur repos par la tolerance du rétablissement de
Mazarin, que de l’exposer à toute sorte de troubles
par vne pretention ridicule, comme ils pretendent,
de le vouloir rasseurent aprés son éloignement,
que ces Sophistes d’Estat mettent
dans l impossibilité. Et pour des abuser la credulité
de ceux qui pourroient estre charmez
par ces illusions, ie m’en vay leur porter le plein
iour deuant les yeux, afin de les mettre en estat
de pouuoit discerner par le moyen d’vne évidẽce
que ie rendray visible aux plus aueugles,
qu’il ne peut point estre d’accommodement
qui puisse faire compatir la subsistance de Mazarin,
auec la solidité de nostre repos ; & qu’il
est par consequent necessaire de ne terminer
point ce different que nous auons auec luy, fallut-il
mesme nous croiser pour nous en défaire,
iusqu’à ce qu’en ayant tout de bon depéché cét
Estat, ou par vn éloignement sincere, ou par
quelqu’autre moyen infaillible, nous nous
soyõs mis en posture de ne pouuoir point estre
troublez dans nostre repos, mesme par les apprehensions
de son rétablissement.

 

I. La premiere raison dont ie pretends appuyer
la necessité du bannissement & de la
perte de Mazarin, est empruntée de sa derniere
disgrace, de laquelle ie conclus auec les moins

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aduisez sur les maximes de tous les sages du
monde, que ce Ministre ne peut remonter sur
le faiste de ses premiers grandeurs, qu’auec le
danger ou la necessité mesme de mille horribles
vengeances, auec lesquelles il est sans
doute, que la iustice pretenduë de ses passions
luy feroit reprendre le maniment des affaires
de cét Estat.

 

Pour obliger les plus opiniastres de donner
les mains à cette proposition, ie les supplie de
considerer premierement que les siecles passez
n’ont peut-estre point iamais veu de Ministre
d’Estat, auquel on ait arraché l’administration
des affaires auec tant d’outrages ; contre lequel
tant d’ennemis se soient declarez, comme contre
le Cardinal Mazarin, que les Princes, que
les Parlements, que les Seigneurs, que les Gentilshommes,
& que les Peuples en general,
ont attaqué auec des violences, qui ne sont
presque point connuës dans l’Histoire, &
que nos nepveux ne considereront que comme
des Romans, que nous aurons pris plaisir à
forger, pour fournir de matiere à leurs diuertissements.

Cela estant, comme les enfans mesme n’en
peuuent point douter, puis qu’on les a esleuez
dans vne haine irreconciliable contre le Mazarin,

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dont le nom sert auiourd’huy de phantosme
aux nourrices pour en intimider leurs nourrissons :
N’est ce pas auec toute sorte de probabilité
que ie dis, que le restablissement de ce
Cardinal, soit qu’il subsiste par accommodement,
soit qu’il remonte par force, est beaucoup
à craindre pour les vengeances qui l’accompagneront ;
& l’experience que nous
auons, que ce proscrit n’est pas assez conscientieux
pour estouffer genereusement le souuenir
de tant d’outrages, ne fonde-t’elle pas trop
raisonnablement la iustice de cette apprehension,
qui nous doit faire regarder son retour
auec des yeux de desespoir, puis qu’il n’est pas
croyable qu’il puisse reussir qu’auec le succez
de mille sanglantes catastrophes.

 

Si ces horribles consequences ne sont point
infaillibles apres le restablissement du Mazarin,
ie soustiens du moins que dans la façon de faire
des grands, on peut fort raisonnablement les
apprehender ; & qu’à moins que ce Cardinal
ne soit extremement conscientieux, (ce qu’il
n’a point encor donné suiet de croire,) il est
non seulement probable, mais en cor infaillible,
qu’il ne reprendra point le pouuoir auec la
mesme authorité, qu’il auoit auparauant, que
pour s’en seruir contre ceux qui l’auront trauersé.

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Ce n’est pas tout : i’adioust encor à la probabilité
de ces apprehensions, que le Cardinal
Mazarin estant remonté, sera obligé par les raisons
d’Estat empruntees en effect de plusieurs
politiques, mais principallement de ceux de
son païs qui concluent tousiours à la vengeance,
de ne se tesmoigner point insensible à tant
d’outrages ; & d’en poursuiure les raparations
par toutes les voyes que ses maximes luy pourront
enseigner, pour faire plus heureusement
triompher sa passion. La raison n’en est que
trop sensible, parce que les premiers Ministres
qui laissent dans l’impunité, vn attentat, qu’ils
auront descouuert contre leurs personnes, tesmoignent
par cette indulgence, qu’ils manquent
de resolution ; & s’imposent par mesme
consequence vne necessité indispensable de ne
pouuoir rien refuser, ou d’estre suiets à toutes
les violences, ausquelles les mescontẽts se porteront
dautant plus facillement, que moins ils
verront de danger à choquer celuy que les impunitez
precedentes auront fait passer dans leur
esprit, ou pour vn lasche qui n’a seulement pas
assez de courage ; ou pour vn impuissant, qui
manque de force pour s’en pouuoir ressentir
auec succez.

Cette verité ne sera pas encor moins euidente

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à ceux qui voudront prendre la peine de cõsiderer,
que les Fauoris quelques esleuez qu’ils
soient par dessus les testes des autres, sont neãtmoins
sujets aux secretes entreprises de ceux,
qu’vne presomption de ie ne sçay quoy de plus
esclatant qu’ils reconnoissent en leurs personnes,
fait regarder auec ialousie : Et cette enuie
se porte dautant plus resolument à brasser des
monopoles, contre celuy qu’elle ne peut point
regarder sur vn degré plus éminent que le sien,
sans dépit ; que moins elle a de suiet d’apprehender
ses poursuites, lors mesme que ses mines
seront éuantées ou par l’imprudence de sa
conduite particuliere ; ou par les veilles de ceux
qui sont commis à la garde de sa personne : Ainsi
ie pense qu’il appert assez clairement que la
vengeance n’est seulement point permise, mais
encor enseignee, & pour l’ordinaire eniointe
par la politique des Estats ; & que les Ministres
qui sont esleuez aupres de leur gouuernail par
la faueur de leurs Souuerains, sont obligez, de
ne laisser rien dans l’impunité, de peur qu’en
donnant vn idée fort probable ou de leur lascheté
ou de leur foiblesse, ils ne releuent le
courage de ceux, qui se preuaudront de cette
connoissance, pour brasser incessamment de
nouueaux desseins.

 

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Qu’on concluë de ces veritez, si l’apprehension
des vengeances du Cardinal Mazarin, apres
son restablissement n’est point raisonnable,
puis que la politique mesme y fait trouuer de la
necessité : & si c’est sans beaucoup de probabilité
que l’auance, que, ne deuant ny ne pouuant
point laisser sans punition les outrages qu’il a
receu, lors qu’il se verra restably dans sa premiere
authorité, nous deuons conspirer vnanimement
pour former des obstacles inuincibles
à son retour, qui ne peut reussir au gré de sa passion
qu’auec le bouleuersement general de
tout cét Estat, & la continuation infaillible des
mesmes troubles, qui trauersent nostre repos
depuis tant d’annees : & voila la premiere raison,
sur laquelle i’establis assez probablement
ce me semble, le besoin que nous auons tous
de nous opposer à ce restablissement, pour la
conseruation de nostre repos ; puis que nous
sçauons que le Mazarin ayant esté choqué par
tous les Estats de la Monarchie, ne bornera par
consequent point ses vengeances qu’à celles
qu’il ne pourra point executer ; & que la necessité
de s’en garentir, obligera ceux qui craindront
d’en estre les obiets, de se cantonner contre
luy par des secretes menées, qu’ils ne pourront
brasser que pour les faire éclater enfin au

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preiudice de la tranquillité publique, le retour
de laquelle on ne pourra plus esperer, qu’aprés
la fin des vengeances qui seront peut estre pour
ne finir iamais, parce que les causes de les continuer,
remaistront incessament des monopoles
de ceux, qui seront obligez à la resistance, pour
la conseruation de leurs personnes ou de leurs
fortunes.

 

II. Mais si cette raison nous oblige à vne
parfaite intelligence, pour conspirer la ruine de
cet ennemy commun : celle que ie m’en vay
estaller, ne sera pas moins conuainquante, pour
nous faire apprehẽder la fatalité de son retour,
qui ne peut manquer d’estre suiuy d’vn surcroy
de desolation, dans la quelle il est sans doute que
ce voleur acheuera de piller le peu de bien qui
nous reste de tant de concussions passées, tant
pour se rembourser des frais qu’il est obligé de
faire par la necessité de son restablissemẽt, que
pour dedomager les grands qui pretendront
s’estre incommodez pour son seruice, ou pour
recõpenser la vertu de ceux qu’il iugera s’estre
rendus les plus remarquables dans la mesme
occasion.

Pour mettre cette raison à l’espreuue, il faut
sçauoir que le Maz à tant despensé de bien depuis
sa disgrace, comme il est à la veille d’en despenser

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vne si prodigieuse quantité deuant son
restablissement, qu’il n’est pas possible que son
tresor n’en soit ou n’en doiue estre espuisé par
tant de couruées, quelque inespuisable qu’il ayt
esté iugé par ceux qui n’en auoient supputé les
sommes que dans leur imagination : Les grandes
pensions, qu’il a fallu secrettement entretenir
dans l’Estat pendant sa disgrace, pour empescher
le hazard qu’il y auoit d’estre enfin delaissé
par ses creatures, & pour en pratiquer de nouuelles :
Les troupes qu’il a fallu mettre sur pied à
ses seuls despens : les sommes immenses qu’il a
fallu prodiguer, pour corrompre la fidelité de
ceux qui pouuoient s’oposer à son passage : celles
qu’il est obligé de faire tous les iours, pour
s’asseurer dans les villes par lesquelles il se fait
tolerer à forcer d’argent, & pour s’acheter des
traistres dont il puisse disposer au gré de ses caprices ;
ne marquent que trop qu’il est en grãd
hazard de voir bien tost le fonds de sa bourse,
quelque profonde qu’elle soit, & qu’il n’a pas
plus d’argent qu’il luy en faut, si toutefois il en
doit auoir assez pour fournir à toutes les despenses,
qu’il ne peut point refuser à la necessité de
son restablissement : & cela est d’autant plus
vray, qu’il est constant, que le Mazarin puise
tousiours dans son tresor, sans qu’il ayt aucune

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source pour le faire remplir à mesme temps, &
que les Maltoutes n’ont plus assez d authorité
pour faire accroistre ses finances, à mesure qu’il
est obligé de les faire décroistre par la necessité
de se maintenir.

 

Est il maintenant de Mazarin qui soit assez
hardy, pour m’entrer caution de la generosité
de son maistre, lors que sa bonne fortune, & nos
mauuais destins l’auront vnanimement remis
dans ses premiers grandeurs ; & qui soit en estat
de me nier que ce Ministre, pour espargner nostre
pauureté, ne cherchera point à se rembourser
de tant de frais immenses par de nouuelles
impositiõs dont il nous surchargera ; & que sans
se rendre aucunement sensible aux iustes plaintes
de ceux qui se seront ruinez en le seruant
genereusement, il escoutera fauorablement les
souspirs de ceux, qui ne luy rendront pour lors
leurs hommages, que parce qu’ils n’aurõt point
eu assez de puissance pour le destruire.

Ne nous flatons point de la vanité d’vne esperance,
qui n’est nullement raisonnable : mais
resoluons nous de bonne heure à fournir tout
ce qui sera necessaire, pour acquiter les grandes
debtes qu’il est obligé de contracter maintenãt ;
pour recompenser les seruices de tous les grands
qui le seruent aujourd’huy auec tant de passion ;

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dedomager ceux qui font semblãt de s’incommoder
du leur, pour assouuir l’auidité insatiable
de ses pensionnaires ; pour le defraier de tous les
voyages qu’il luy à fallu faite depuis sa disgrace ;
& pour luy remplir vn second fonds inespuisable
par le moyen duquel il se puisse mettre à l’abry
de tous les reuers qui pourroient desormais
menacer sa fortune, si tant est qu’il puisse la restablir
dans fon premier éclat.

 

Il faut estre bien ennemy du iour, pour ne
voir pas que les raisons de cette crainte ne sont
que trop éuidentes, & qu’outre cela mesme le
Maz, se sentira obligé nõ pas tãt par les pressants
motifs de sa propre necessité que par ceux de
sa vengeãce, d’establir de nouuelles impositiõs
sur les peuples, dont il aura reconnu l’impuissance
dans le plus grand des appareils qu’ils auront
peu faire, pour le destruire ; & dont il n’aura
par consequent point de raison d’apprehender
vne seconde entreprise contre sa personne,
puis qu’apres le sousleuement general des Princes,
des Parlements & des peuples que toute la
France fait aujourd’huy pour en despescher son
Estat, il n’est pas possible de croire qu’on puisse
brasser aucun dessein, qui puisse estre plus forcement
appuyé & plus generallement soustenu.

Iugeons ensuitte de ce second raisonnemẽt,

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si ie n’ay pas suiet de dire que la necessité d’establir
vn solide repos, exige vne conspiration
generalle de tous les peuples, contre le restablissement
du Mazarin, & qu’il est important
que la France n’interrompe iamais les pour suites
qu’elle fait à present contre cét ennemy
commun, à moins qu’elle ne se resolue de fournir
vn iour à tout ce que son ambition luy suggerera
& de viure incessamment dans les allarmes
d’vne perpetuelle tyrannie.

 

III. Si la necessité de perdre le Cardinal
Mazarin, paroist éuidente dans les deux raisonnements
que ie viens de desduire, ie pense que
ce troisiesme n’en laissera plus douter à ceux
mesme qui sont engagez de la soustenir par la
consideration de leurs interests particuliers ; &
qu’il ne sera point de bon François, qui ne
prenne party contre ce mauuais Ministre, lors
qu’il considerera qu’il ne se peut en aucune façon
que son restablissement ne soit accompagné
de mille mefiances, entre luy & Messieurs
les Princes, en suite desquelles ils seront obligez
de se regarder les vns & les autres auec ialousie,
& de pratiquer pour l’establissement de
leurs interests particuliers, des intrigues & des
monopoles, qui ne pourront iamais éclater
qu’auec danger de porter le trouble & le desordre

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dans la tranquillité publique.

 

Cette necessité que les vns les autres auront
d’agir continuellement par intrigues ; ne reçoit
point de difficulté dans la creance de ceux qui
sçauent fort bien, que les haines de Cour ne se
reconcilient iamais qu’en aparence ; & qu’en
effet elles fomentent tousiours les mesmes ressentiments
de dans le cœur, pour les faire éclater
plus heureusement lors que les conionctures
d’Estat feront naistre quelque occasion fauorable.
Ie sçay bien que Messieurs les Princes
seroient assez genereux pour sacrifier au repos
de l’Estat la iustice mesme de leurs interests ; &
pour enseuelir dans vn perpetuel oubly, le souuenir
de tout ce qui se seroit passé pendant les
diuisions : Mais sur l’asseurance qu’ils auroient
que le Mazarin se preuaudroit à son ordinaire
de cette generosité, qu’il reconnoistroit en
leurs Altesses, pour rafraischir plus heureusement
les playes de l’Estat par l’attentat de quelque
nouuelle fourbe ; Messieurs les Princes seroient
obligez d’en contreminer les secretes
pratiques par d’autres menées, & de se tenir
tousiours sur leurs gardes pour faire auorter les
pernicieux desseins de cét Italien, ie veux dire
de cét irreconciliable.

I’adiouste encore à cette verité, que le Cardinal

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Mazarin se voyant restably dans la pessessiõ
paisible de la faueur de sa Majesté, ne borneroit
point son ambition à cette faueur signalee de
sa bonne fortune, pendant qu’il se verroit dans
la dependance du iuste pouuoir de son Altesse
Royale & de Messieurs les Princes ; Mais qu’il
tenteroit toutes les voyes qui seroit possibles,
pour rauir à ces intelligences nees de nostre
Estat le rang & l’autherité qu’ils doiuent auoir
dans l’administration de nos affaires, en s’efforçant
de les faire décheoir par des calomnies secrettes
de la faueur de sa Majeste. Sa conduite
passee & la cõnoissance parfaite que nous auons
de son genie, nous font trop raisonnablement
prejuger les efforts temeraires de cette ambition ;
& certes nous auons suiet de craindre
que le Mazarin apres auoir gouuerné cét Estat
independamment de tout autre pouuoir, feroit
tous ses efforts possibles pour secoüer le ioug
de son Altesse Royale, & de Messieurs les Princes,
en taschant d’eneruer leur authorité, par les
voyes que nos malheurs passez ne nous ont
que trop renduës reconnoissables.

 

Ce dessein ambitieux pourroit il bien reussir,
sans estre accompagné de beaucoup de desordres :
Son Altesse Royale & Messieurs les Princes
pourroient ils voir l’establissement de la

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nouuelle tyrannie du Cardinal Mazarin ; sans se
mettre en estat de luy former des oppositions ?
Messieurs les Princes se pourroient ils defier de
ce Ministre, & ce Ministre se pourroit il de fier
de Messieurs les Princes, sans s’entrechoquer les
vns les autres ? & n’est il pas vray qu’on seroit
vne seconde fois reduit à la necessité de vuider
les differents par la voye des armes, & que par
consequent la tranquillité des peuples n’auroit
de temps pour s’affermir, qu’autant qu’il luy
en faudroit pour ne succomber point entierement
aux desordres qui la viendroit trauerser
dans la possession de son repos.

 

Cela veut dite qu’il ne se peut que le Mazarin
ne soit la cause eternelle & la source intarissable
de nos diuisions ; que ceux qui se trauaillent
tant pour le restablir, sont les ennemis de nostre
repos, puis que la politique leur doit apprendre
que sa subsistance est incomparable
auec le calme de l’Estat, & qu’il faut necessairement
ou qu’on le perde, ou qu’on perde son
Altesse Royale, & Messieurs les Princes, puis
que leurs méfiances eternelles doiuent estre
l’eternel suiet de nos diuisions ; lequel des deux
est le plus expedient, ie pense ou qu’il faut estre
enragé, ou qu’il ne faut point estre François
pour en douter.

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IV. Quand ie diray que le Cardinal Mazarin
est vn Estranger, qui n’a nul attachement à
l’Estat, ny par interest, ny par alliance, ne sera-ce
pas assez, pour conclurre qu’il ne se peut en
aucune façon, que sa subsistance ne soit la source
intarissable de mille troubles qui nous trauerseront
sans aucune interruption ; & qu’on ne
doit esperer de son restablissement qu’vn desespoir
infaillible de pouuoir iamais establir
aucune solidité sur l’incertitude de l’administration
de nos affaires, parce qu’il ne sera point
possible de regler sa conduite auec assez de prudence,
pour n’estre point exposee aux secretes
attaques de la ialousie, que les nostres ne fomenteront
que trop iustement dedans leurs
cœurs, pour luy rauir à quel prix que ce soit le
maniment des affaires de cét Estat.

A iuger de l’aparence de cette raison, on la
prendroit pour vne suite de la precedẽte, quoy
qu’en effet il y ayt bien de la difference, puis
que ie la pretends establir sur des differents
principes. Et pour cette fin considerons vn peu
si le Cardinal Mazarin lors qu’il sera remonté
sur ses premieres grandeurs, & qu’il sera remonté
malgré les resistances generalles de toute la
Monarchie, ne s’aduisera point, d’adiouster aux
alliances qu’il a desia commencé, celles qu’il

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verra les plus considerables dans l’Estat, & de
pourueoir ses plus proches de toutes les plus
belles charges de la Monarchie, comme il voulut
auant l’emprisonnement de Messieurs les
Princes procurer à son nepveu Mancini la charge
de Grand Maistre de la Maison de France, &
comme depuis quelques iours mesme il luy a
fait remplir celle qui estoit occupée par M. de
Bellingan.

 

Le Cardinal Mazarin seroit du moins fort
mauuais politique, s’il se comportoit autrement ;
& si suiuant les maximes ordinaires à
tous les Ministres d’Estat esleuez de la poussiere
par la faueur de leurs Souuerains, il ne faisoit
beaucoup de creatures pour les engager à n’espouser
que ses interests, & pour se mettre à
couuert des efforts de l’enuie, qui n’a iamais
manqué d’attenter à l’authorité des grands, ou
par des mines secretes, ou par des entreprises
ouuertes contre leur puissance : Il ne faut point
douter que les inclinations du sang preuaudroit
sur l’esprit du Mazarin, pour luy faire choisir des
creatures parmy ceux de sa parenté, pour l’establissement
desquels, soit qu’il veuille les destiner
à des grandes alliances, soit qu’il veüille les
asseoir sur les plus hautes charges de la Monarchie,
il faudra necessairement qu’il se resolue

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d’en releuer la bassesse, par les plus illustres titres,
& les plus belles richesses de l’Estat, qu’il
sera contraint de leur verser à plaines mains, autrement
il seroit à craindre que les grãdes maisons
dont il voudroit entrer dans les alliances,
desdaigneroient ses recherches, & qu’elles ne
voudroient point consentir à mesler le sang heroique
de leurs anciennes familles, auec celuy
d’vn potiron de terre éclos dans vne nuit par la
faueur de sa bonne fortune, à moins que les
grands esclats de sa faueur ne les esblouyssent
pour ne leur faire regarder que les aduantages,
qui leur pourroient estre procurez par son entremise.

 

Tout cela se feroit il sans trouble ? les autres
grands de l’Estat qui verroit que la faueur ne
pancheroit que vers les parents & les alliez du
C. Mazarin, ne s’ombrageroient-ils point de
cette iniustice ; & pourroient ils se voit mesprisez,
ou ne se voir du moins pas considerez selon
leur merite, par ce qu’ils n’auroient point eu assez
de lascheté, pour consentir à l’alliance de ce
Ministre ; ou que mesme ils n’auroient point
esté choisis pour la bassesse de cette infamie. Il
faudroit ignorer le passé, pour ne preiuger pas
que cela en pourroit iamais reussir sans desordre :
& pour cette mesme raison il faut conclure

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que nous sommes ennemis de nostre repos, si
nous ne conspirons generallemens auec Messieurs
les Princes pour ne permettre iamais que
ce tyran reprenne l’administration des affaires
de nostre Estat.

 

V. Pour perdre le Mazarin par vne cinquiesme
raison, ie croy que c’est assez, d’aduancer
que l’honneur de l’Estat est engagé à le destruire ;
& que nos ennemis auroient grand suiet
de se preualoir de l’idée que nous leur donnerions
de nostre foiblesse, si ce tyran, estoit assez
fort & assez adroit pour faire auorter à nostre
confusion, la conspiration generalle que nous
auons fait pour en desamparer cét Estat.

Premierement il n’est point d’estranger qui
ne sçache que leurs Maiestez ont donné contre
ce Cardinal trois Declarations Royalles ; que ces
mesmes declarations ont esté verifiées par Arrest
de toutes les Cours Souueraines de la Monarchie,
que S. A. R. & Messieurs les Princes du
Sang se sont ouuertement declatez contre luy ;
& que tous les peuples se sont vnanimement
sousleuez pour s’en deffaire, a la reserue de certains
qui ont esté assez laches pour se laisser corrompre
par les allechements trompeurs de ses
recompenses.

Est-il d’estranger qui ne iuge en suite de ce

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grand apareil que nous auons fait pour perdre
le Cardinal Mazarin, qu’il faut asseurement que
nostre foiblesse soit dans son plus haut degré, si
toutefois nous manquons de forces, pour l’execution
de ce dessein si generalement concerté
par tout ce qu’il y peut auoir de vaillant & de
genereux dans la France ; & qui ne s’imagine
estre en estat de se pouuoir preualoir auec aduantage
de cette idée qu’il aura de nostre impuissance ;
pour releuer son courage iusqu’à des
entreprises beaucoup plus esclatantes, que celles
ou nous nous sommes si souuent commis
auec vne esgalité de succés.

 

Il ne faut point douter qu’on aura grand suiet
de se moquer de nostre politique, si celle d’vn
faquin esleué de la poussier, peut preualoir, pour
faire triompher ses desseins malgré nos resistãces ;
que ce ne sera point sans raison que les
estrangers se riront de nos forces, si quelques
troupes achetées à prix d’argent pour soustenir
le party d’vn proscrit sont capables de resister à
ce grand armement, que, tout ce que nous auõs
de vaillant fait auiourd’huy dans l’Estat, pour
l’en desemparer, que ce sera exposer nostre reputation
au mespris general de toute l’Europe,
si nous permettons iamais, que le tyran dont
nous auons si genereusement secoüé le ioug

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insupportable, reuienne encore vne seconde
fois malgré nos resistances, pour nous l’imposer
auec plus de pesanteur que iamais ; que c’est
à tort que nous pretendions desormais de nous
maintenir, dans l’idée qu’on a eu iusques à present
de nostre generosité, si nous manquons
de resolution pour nous défaire d’vn voleur
dont la teste a esté proscrite par Arrest ; & que
le Cardinal Mazarin se pourra glorifier d’auoir
conquis toute cette Monarchie, quoy que par
l’assistance de certains traistres domestiques
que l’interest a fait ietter dans son party, si nous
sommes assez lasches, pour démordre iamais
de cette genereuse resolution, que nous auons
iusques à present fait paroistre, dou[1 lettre ill.] faire auorter
toutes les esperances de ce proscrit.

 

Si ces motifs ne sont point aussi puissants
que iustes, afin d’affermir nos courages par l’execution
entiere du dessein que nous auons resolu
d’vnir nos communs interests auec ceux de
Messieurs les Princes, ie pense qu’il n’en peut
point estre ; & qu’à moins d’vn aueuglement
& d’vne insensibilité politique, nous sommes
obligez par toute sorte de raisons, de perir plustost
que de consentir au restablissement du C.
Mazarin & de ses adherans.

VI. Mais que me respondront les Mazarins,

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lors que pour faire sousleuer toute la France
contre leur maistre, ie leur prouueray par vne
raison sans replique, que nous n’auons qu’à
desesperer de la Paix generalle, si nous consentons
à ce restablissement : & que la necessité
que Mazarin aura de fomenter tousiours les
diuisions de l’Europe, pour sa subsistance particuliere,
ne luy permettra iamais de donner
les mains à la conclusion de ce Traicté tant desiré
des peuples, auquel il ne luy sera que trop
facile de faire naistre des empeschements, par
l’entremise de ceux qui n’auront point encore
assouuy leur auidité dans les dernieres
guerres.

 

Si ie ne craignois de me rendre importun
par des redites, i’establirois cette verité sur
l’impossibilité que Mazarin auroit de se rembourser
des frais immenses qu’il est contraint
de faire pour son restablissement, si toutefois
il manquoit de pretexte, pour en appuyer les
leuees qu’il faudroit faire pour cét effet : comme
il ne faut nullement douter, que les guerres
estant terminees par vne Paix generalle, il ne
seroit plus en estat de pouuoir establir de nouuelles
impositions, sans donner de nouueaux
dégousts de sa tyrannie, laquelle ne pouuant
plus estre coloree par le pretexte specieux d’entretenir

-- 25 --

les nerfs de la guerre contre les menaces
des ennemis paroistroit par consequent assez
hideuse, pour acheuer de rebuter entierement
la patience des peuples.

 

Mais s’en m’engager dauantage à ce raisonnement,
ie me contente de l’auoir effleuré,
pour appuyer d’vne preuue inuincible, la necessité
que Mazarin auroit de s’opposer fortement
quoy que secrettement à la conclusion
de la Paix generalle : Et pour cét effet ie soustiens
auec tous les politiques, que c’est vne
maxime ordinaire à tous les fauoris, pour se
mettre à couuert des entreprises de la ialousie,
d’esloigner les vaillans & les redoutables d’aupres
de sa Maiesté, sous des pretextes especieux
tels que sont ceux qu’on emprunte ordinairement
du commandement des Armees, & de ne
reseruer aupres de sa personne, que ceux, ou
dont la fidelité leur est recõnuë par l’experience
des seruices qu’ils en ont receu, ou dont le
naturel plus paisible leur fait esperer vne entiere
complaisance pour l’execution de tous
leurs desseins, ou bien dont la foiblesse ne peut
point s’esleuer à brasser des entreprises qui puissent
les faire trembler dans la possession de leur
authorité.

Qui ne voit que le temps de guerre est entierement

-- 26 --

fauorable à cette politique, & que c’est
pendant la diuision des Estat, que les Ministres
trouuent mil occasions, pour éloigner les grãds
dont la ialousie leur est à craindre, & pour les
obliger mesme, par les illustres emplois qu’ils
peuuent commettre à leur conduite. Au lieu
que le temps de Paix, pendant qu’il est tranquille
pour tout le monde, est orageux pour
leur authorité, en ce qu’ils sont obligez de ménager
l’affection de tous ceux qu’ils ne peuuent
point escarter par le manquemẽt de toute sorte
d’emplois ; & qu’il ne se peut en aucune façon
que leur conduite quel que bien estudiée,
qu’elle soit ne fasse des ialoux, qui les suplantent
enfin ou par des entrepises ouuertes, ou
par des attentats qu’ils brassent secretement
& pour les perdre.

 

Si cette raison esbranle les plus fermes Ministres
d’Estat pendant le temps de Paix, & si les
plus sages, & mesme les plus aymez bien souuent
se trouuent bien empeschez, lors qu’il est
question de se maintenir dans le premier rang
de la faueur en presence de tous les grands d’vn
Estat, qui se passionnent enfin pour s’y éleuer
eux mesme par toute sorte d’intrigues. Ne puis
ie pas dire auec toute sorte de probabilité, que
Mazarin ne se maintiendroit qu’auec vne posture

-- 27 --

bien chancellante, si toutefois on ne l’en
faisoit point décheoir ; & que la haine secrete
que tout ce qu’il y a de grand & de genereux
dans l’Estat fomenteroit contre luy, quelque
contraire apparence qu’on fut obligé de faire
paroistre en suite d’vn accommodement ; ne
pourroit enfin qu’elle n’éclarat pendant cette
tranquillité, pendant laquelle il seroit infaillible,
que les genereux & les illustres se rapelleroient
de leur premiere insensibilité, pour considerer
à loisir combien il leur seroit honteux
de releuer des ordres d’vn Ministre qui n’est aucunement
remarquable que par la bassesse de sa
naissance, & par l’incapacité de sa conduite.

 

Cette aprehension fondée sur toute sorte de
probabilité, ne permettroit iamais au Mazarin
de consentir à la cõclusion de ce traité ; à moins
qu’il ne manquat d’artifice pour en éluder toutes
les conditions ; & s’il n’auoit point assez de
puissance pour le rompre entierement, ie pense
du moins qu’il le feroit tirer en vne si prodigieuse
longueur, que les guerres auroit enfin assez
de loisir de voir la derniere goutte de nostre
sang, & le desespoir inconsolable de nos impatiences :
Iugeons apres cela s’il est expedient de
hazader nostre repos pour asseurer celuy de son
Eminence Siciliene ; & si nous ne sõmes point

-- 28 --

obligez par toute sorte de motifs, de depescher
le monde, de celuy qui ne peut y suruiure qu’auec
la desolution generalle de toute la Chrestienté.

 

VII. Si Mazarin doit estre obligé par le
motif de sa seulle conseruation, de faire naistre
des empeschements à la conclusion de la paix
generalle ; il ne fera que ce que nous pouuons
preiuger en suitte de ce qu’il à desia fait comme
il n’est que trop constant par les depositions irreprochables
de Messieurs le Duc de Longueville
& le Comte d’Avaux nos plenipotentiaires
dedans Munster : & c’est de la que ie pretends
emprunter la septiesme raison dont on doit cõclure
la necessité que nous auons d’empescher
le restablissement du Mazarin, de peur qu’en le
tolerant nous ne passions pour des brouillons
dans la creance de toute l’Europe, qui ne iugera
que trop raisonnablement que nous n’aurions
iamais eu de dessein sincere pour l’establissemẽt
d’vne bonne paix, & que par consequent nous
aurons voulu amuser par vne fourbe extrauagante
auant que punissable tous les Plenipotentiaires
des autres potentats, si nous redonnons
le maniment de nos affaires, à celuy qui ne s’en
est autrefois seruy que pour empescher la conclusion
de ce traité par le seul motif de ses interests
particuliers.

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Il est donc important pour sauuer nostre reputation
& la sincerité de toutes nos procedures,
dans la creance des peuples, de leur tesmoigner
par le banissement de celuy qu’ils regardent
comme le boutefeu general de toutes les
dissentions de l’Europe, que nous n’auons iamais
esté complices de ses pernicieux desseins ;
& que bien loing de nous entendre secretemẽt
auec luy, lors que contre nos ordres il s’opposoit
à ce grand bon heur, nous n’auons iamais
eu de plus sincere passion que celle de vuider
tous nos differents auec nos voisins par la conclusion
irreuocable d’vn bon & solide traité.

VIII. Ces raisonnements ne souffrent point
de replique. Mais si nous entendons la politique,
& si nous sommes passionnez pour vn veritable
repos, celuy que ie m’en vay deduire ne
nous permetra iamais, de souffrir le Cardinal
Mazarin, quelque grande que soit l’authorité
qui le protege,

La premiere maxime des Estats qui veullent
establir vne solide tranquillité dans le cœur de
leurs Monarchies, ne consiste pas tant à se mettre
à couuert des attaques de leurs ennemis
estrangers, qu’a mesnager si adroitement l’administration
de leurs affaires, que les broüillons
mesmes puissent manquer de pretexte, pour
en apuyer la iustice pretenduë de leurs remuements ;

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parce qu’il ne faut point douter
qu’il ne se rencontre tousiours des esprits ; dont
le naturel incompatible auec le repos, ne manquera
point de faire le mescontent au premier
suiet qu’il en aura ou qu’il en suposera ; & de s’apuyer
à mesme temps du pretexte, que les intelligences
du gouuernement n’auront point
eu de soin de rendre inutile par la preuoyance
de leur conduite.

 

Auons nous vn veritable dessein de restablir
vn calme sans orage, & de viure desormais sans
danger mesme d’estre trauesez dans la possession
de nostre repos. Ne nous contentons pas
d’appaiser nos desordres, mais estendons nos
soins iusqu’à celuy d’en oster les causes & les
pretextes. Et puis que nous pouuons raisonnablement
preiuger en suitte du passé, que quiconque
voudra remuer dans l’Estat, pretextera
d’abord quelque iniustice du Cardinal Mazarin,
pour iustifier ses desseins, ne permettons iamais
que ce voleur se restablisse dans son premier
pouuoir ; &, fallut-il armer les veillards & les
enfans mesmes, faisons vne conspiration si generalle,
que le Maza. & les Mazarins mesme ne
puissent plus trouuer aucune resource pour s’en
demesler, faut-il tant languir pour espargner vn
Cyclope

IX. Mais si nous ne sommes point insensibles

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au decry de nostre reputation, & au mespris
de nostre gloire ; pourrons-nous bien estre
les protecteus du rebut de tous les Potentats de
l’Europe, & les apuys d’vn agrandissement qui
passe aujourd’huy dans l’esprit de tous les sensez,
pour le plus enorme crime des destins, &
la plus haute iniustice, que la fortune ayt iamais
fauorisé dans la reuolution des Estats.

 

Ie ne doute pas à la verité, que le Cardinal
Mazarin ne tente toutes les voyes de son restablissement,
par le motif de la passion qu’il à de
se voir encor vne seconde fois absolu dans le
gouuernement de l’Estat : Mais si ie dis que le
defaut de tout autre retraite, l’oblige à la recherche
de nostre seiour, ie ne pense pas qu’on me
puisse contre dire ; puis qu’il n’est point de souuerain
dans l’Europe qui ne le haïsse mortellement,
& que toutes les puissances du monde
sont tellemẽt irritees contre sa conduitte, qu’il
a iuste raison de croire que l’entrée de leurs
Estats ne luy seroit pas trop fauorable.

Qui ne sçait que l’assassinat commis en la personne
du Nepueu de ce Pape, l’a mis dans la iuste
indignation de sa Sainteté ; que la fourbe de
Cazal l’a rendu l’obiet des imprecations de la
Cour d’Espagne ? que l’iniustice du Duché de
Castro, l’a fait ennemy du Duc de Parme ? que
le [1 mot ill.] de Cremone luy a soustrait les affectiõs

-- 32 --

du Duc de Modene ? que les poursuites qu’il a
fait faire à la France contre le Duc de Mantoüe,
en suite du refus qu’il auoit fait d’espouser vne
de ses Nieces, le fait detester dans la Cour de ce
Prince ? qu’il est mal auec la republique de Venise
depuis que s’estant entremise pour estre la
mediatrice des differents de l’Europe, elle a esté
amusée par ses fourbes ? que les empeschemẽts
de la paix generalle, ont particulierement irrité
l’Empire contre sa conduite ? bref qu’il n’est
point de Souuerain, qui ne le regarde comme
l’écueil general du repos de tout le monde.

 

Et par ce que tout le monde le rebute nous auons
assez de charité pour luy tendre les bras ;
apres tous les maux qu’il nous a fait souffrir, &
ceux que nous n’auons que trop de raison d’apprehender
en suite de son restablissement : Si
nous auõs assez de lascheté pour cette complaisance ?
ne nous estonnons pas si nous nous voions
puis apres l’obiet des mespris de toute l’Europe,
& si toute sorte de malheurs viennent innonder
sur nostre pauure Monarchie, auec vn
de luge de calamitez.

X. Ie tire cette dixiesme raison de la iuste
passion que tous les bons François doiuẽt auoir
pour l’honneur inuiolable du Roy, de laquelle
ils ne se tesmoigneroient sans doute point ialoux,
s’ils permettoit que le plus descrié de tous

-- 33 --

les hõmes, fut le premier Ministre de sa Maiesté,
& qu’elle eut pour confident de tous les secrets
de l’Estat, celui qu’on a fait pendre en effigie dãs
les places publiques, dont on a mis la teste à prix ;
qu’on a fait passer dans la creance des peuples
pour le plus meschant & le plus ignorant de tous
les hommes ; & dont le nom mesme, qu’on est sur
le point aujourd’huy de ne donner qu’à des
chiens & à des cheuaux, passe pour l’iniure la plus
atroce, qui soit dans l’vsage des médisans.

 

Outre que les aproches de ce decrié, seroient
honteuses à sa Majesté, elles seroient encor dangereuses
à son authorité ; lors qu’on viendroit à
considerer que le Roy qui doit estre le pere & le
protecteur de ses peuples, se departiront en quelque
façon de ce deuoir, par la faueur dont il honoreroit
celuy qui ne s’est engraissé que de leur
substance & qui ne s’est enrichy que des biens
qu’il leur a pillé ; & qu’en suite de cette reflection
il y auroit grand danger, que ses volontez ne fussent
point receuës auec toute la defference qu’on
leur doit, par la creance qu’on auroit que ce seroit
vne continuation des caprices, de celuy
qu’on ne pourroit iamais respecter quelque esleué
qu’il fut à l’honneur de la confidence de sa
Majesté.

XI. S’il apert par cette raison cõbien il est important

-- 34 --

de s’oposer au restablissement de Maz.
pour les interests de sa Maiesté ; celle que ie m’en
vay deduire ne rendra pas encor cette necessité
moins euidente, lors qu’on considerera, comme
il est échapé à nostre Ambassadeur, de le cõfesser
en quelque cõpagnie, que la froideur de sa Saincteté
pour la France, n’est qu’vn pur effet de la
protection qu’on y dõne au plus mortel de tous
ses ennemis, par l’aduis duquel on estoit sur le
point il y a 5. ou 6. ans de trauerser l’eslection de
ce Pape & de luy declarer la guerre, si feu M. le
Prince n’eust protesté hautement contre ce dessein,
qu’il fit voir entierement contraire à la pieté
de leurs Maiestez Tres-Chrestiennes, & à l’ancienne
coustume qu’ils ont eu de tout temps de
ne se departir iamais du respect que le glorieux
titre de fils aisnez de l’Eglise leur faisoit inuiolablement
conseruer pour le saint Siege.

 

Certes s’il ne tient qu’a nous défaire du Maz.
pour nous remettre dans les bonnes graces de sa
Sainteté auec la quelle tous nos meilleurs politiques,
& nos plus inuincibles Monarques mesmes
ont iugé de tout temps, qu’il estoit tres importãt
pour les affaires de nostre Estat, que nous fussiõs
en vne parfaite intelligence ; il ne tient qu’a peu,
& nous sommes les plus abandonnez de sens cõmun,
qui soient sous le Ciel, si ce motif secondé

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de tous les autres que ie viẽs de deduire, ne nous
oblige encor de nous soûleuer contre ce Tyran,
auec d’autant plus de confience que plus nous serons
asseurez que nos poursuites seront mesme
iustifiees par l’infaillible Oracle de l’Eglise.

 

XII. Terminons ce raisonnement par vn douziesme
qui ne sera point à la verité que de bien-sceance ;
mais qui ne laissera cependãt pas d’estre
energique, si nous le voulons considerer selon sa
valeur : & disons que l’Estat est obligé par les motifs
de la reconnoissance, de reparer la gloire des
Princes de son sang, que ce tyran a fletry, par toute
sorte d’attentats ; & de tesmoigner par les
poursuites que nous ferons, pour l’eternité de
son bannissement que nous n’auons iamais esté
complices de sa tyrannie dans l’execution des
desseins qu’il a fait reussir contre leur liberté.

Ce motif de nostre haine irreconciliable cõtre
le C. M. n’est pas moins legitime, qu’il est iuste de
payer de quelque reconnoissance les grands seruices
que nos Princes ont rẽdu à l’Estat ; & certes
nous ne pouuons donner aucun tesmoignage de
l’estime que nous douons faire des Heros, par la
vertu desquels nous nous sommes rendus redoutables
à toute l’Europe, si nous ne secoüons hardiment
le ioug de celuy, qui se preualant de la
simplicité de nostre Souuerain, dont il auoit la

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faueur, s’est porté iusqu’à brasser des desseins
dont l’iniustice eust esté capable d’effrayer les
plus iniustes tyrans du monde.

 

Apres ces douze raisonnements, ie prie mon
Lecteur de faire vn peu de reflection sur les pretentions
de la Cour, & de considerer, si c’est auec
raison qu’elle veut faire sousleuer les communes
contre le Duc de Nemours & le Vicomte de Tauannes,
sous pretexte qu’ils ont fait entrer en
France des trouppes estrangeres, pendant qu’elle
y a fait entrer & que mesme elle y protege celuy
que tant de Declarations & tant d’Arrests ont
declaré l’ennemy le plus mortel de cet Estat.

Parlons clairement, nous haïssons bien les Espagnols,
mais nous haïssons encor plus Mazarin :
Et si cette nation se veut reconcilier auec nous,
elle n’a qu’à nous prester main forte, pour la perte
de ce Ministre : C’est encor trop peu pour nostre
passion. Que les Turcs, que les Cafres, que les
Malabares, que les Antropophages entrent dans
cét Estat, ils y seront bien venus, pourueu qu’ils
n’y viennent qu’à dessein de conspirer auec nous
pour la perte de ce perturbateur de nostre repos.

FIN.

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Anonyme [1652], LE HARAVT FRANCOIS SVR LA TIRANNIE, FAISANT VOIR QVE NOVS mourrons plustost que de consentir à son restablissement si nous considerons, I. Que la Reine ne peut se restablir sans nous destruire. II. Que son retour doit estre accompaigné de celuy de la mal toute. III. Que la presence de la Reine & de son Mignon, est incompatible auec celle des Princes, sans méfiance. IV. Que la Reine & son fauory ne peuuent se restablir sans nostre decry. V. Que la presence de la Reine & de son Mignon, sera l’eternel pretexte de ceux qui voudront broüiller. VI. Et que la France est perduë, si la France ne perd la Reine, & son fauory. , françaisRéférence RIM : M0_1617. Cote locale : B_20_34.