Anonyme [1652], LE LABYRINTE DE L’ESTAT, Ou les veritables causes des malheurs de la France. A CTESIPHON. , françaisRéférence RIM : M0_1797. Cote locale : C_12_8.
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LE
LABYRINTE
DE
L’ESTAT,

Ou les veritables causes des malheurs
de la France.

A CTESIPHON.

A PARIS,

M. DC. LII.

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LE
LABIRINTE
DE
L’ESTAT,

A CTESIPHON.

TV m’as conuié plusieurs fois, ô Ctesiphon
de te dire mes sentimens par escrit,
touchant les miseres de l’Estat, &
les veritables causes des troubles dont
la France est maintenant agitée, parce qu’il te
sembloit, comme tu m’as temoigné d’vne façon
obligeante, que mon discours dans nos entretiens
familiers t’auoit mieux éclaircy ce point
que tous les raisonnemens contenus dans les
écrits, de ceux qui se sont meslez d’approfondir
cette matiere. Il est vray que ce sujet a souuent
exercé mes pensées, & que le bruit que font nos
guerres, m’a souuent obligé d’y reflechir auec

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assez d’attention pour en pouuoir iuger sainement :
mais comme c’est vn vaste champ, ie te
puis dire en general, que si depuis tant de siecles
on a veu le bon heur & le mal heur s’esleuer
comme par vagues en cét Empire, & la France
elle mesme rouler comme vne nauire sans gouuernail
au gré des vents sur vne mer tousiours
agitée, c’est qu’elle n’a pas comme les Republiques,
ou comme l’Espagne, de Conseil stable
& permanent, dont l’action soit tousiours tenduë
à preuoir les perils qui la menassent pour
l’en rendre victorieuse par sa conduite. En effet,
si l’on refleschit meurement sur la subordination
de ses puissances, telle qu’elle a paru iusqu’icy,
l’on verra que le Parlement, que ce soin
deuoit le plus toucher, a resté tousiours esclaue
du Priué Conseil, le Priué Conseil du Prince le
Prince de ses Fauoris, & les Fauoris de l’ambition
ou de l’interest : On verra que ce que l’vn
auoit esleué par sa prudence ou son courage,
l’autre l’a destruit par sa ialousie ou son caprice.
Que les passions & les emportemens de ceux
d’entre les grands Seigneurs, dont l’humeur
estoit portée aux factions, & qui connoissoient
le foible du Prince & de ses principaux Ministres,
ont basty sur ce principe les fondemens
de plusieurs desseins ruineux à l’Estat, que ces

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apres auoir excité autant d’orages & de tragedies,
qu’ils estoient capables d’oser & d’entreprendre,
ont tousiours esté recompensés des
actes d’hostilité qu’ils auoient exercés au gré de
leur phrenesie, & parmy tous ces vacarmes, le
peuple qui ne demande qu’à couler ses iours en
repos, & qui ne tient le peu qu’il a de vie & de
bien, que de la nature & de Dieu, a tousiours
porté la peine de leur violence & de leurs sanglantes
vsurpations : on verra que les desirs &
les interests d’vn particulier sont deuenus ceux
du general, & ceux du general les interets d’vn
particulier ; de sorte qu’on peut dire auec raison
que l’Etat a changé de forme autant de fois qu’il
a chãgé de gouuerneurs & de Regents, ce qui
est le souuerain point du desordre : Et c’est ce que
l’oracle des François a déja trop souuent repeté,
pour n’auoir pas imprimé cette importante cõnoissance
en tous les esprits.

 

Ie n’ay point besoin aussi d’éclaircir ce point ;
ceux qui ont leu tant soit peu l’Histoire de
France, sçauent que peu de nos derniers Rois,
ont marche sur les traces de Clouis, de Charlemagne,
de Phelippe Auguste, & de S. Louis :
mais ce qu’il y a de plus deplorable en ce suiet,
peu, dans vn si grandnombre que le leur, depuis
Pharamond, ont assez bien connu la science des
Rois, pour se montrer dignes de porter la plus

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belle Couronne de l’Europe, ou se sont seruis
des lumieres de leur esprit pour regir leur peuples.
Tous les autres plongés dans les tenebres
d’vne grossiere ignorance, esclaues du desreglement
de leurs passions, ou possedez de cette
croyance, que le soin de regir vn Estat, se pouuoit
aussi bien transferer en vne autre personne,
sans preiudice de l’authorité Royalle, que celuy
de cultiuer vne terre, se sont appliquez à des
occupations Bourgeoises, & mechaniques, & se
sont contentez de porter le titre de Rois, sans
en connoistre ny le merite, ny la dignité, ny le
deuoir. Ils ont regardé la Royauté d’vn mesme
œil, que les ieunes Seigneurs Romains fils d’Empereurs,
faisoient l’Empire, pour auoir la liberté
d’oser & de faire beaucoup de crimes, de contracter
impunement des mariages illegitimes,
& d’auoir à leur discretion les femmes & les
biens de tous leurs sujets, & n’ont pas songé
qu’Othon qui s’estoit flatté de cette esperance,
estant encor personne priuée, trouua l’Empire
si pesant apres y estre paruenu, que n’en pouuant
porter la charge qu’il voyoit necessaire à
subir à quiconque a l’hõneur de porter le Sceptre :
il aima mieux se donner la mort, dont il couurit
le dessein de pretextes plus honnorables,
que de viure parmy tant d’espines que le trosne
luy presentoit, au lieu des roses dont il esperoit

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le voir semé. Ils ont cru que puis qu’ils auoient
l’honneur de porter le nom de Rois, ils pouuoient
viure en terre oisifs, comme les Dieux
des Payens dans le Ciel, se repaistre comme
eux d’ambrosie, & s’enyurer de nectar, & que
du moins ils ne deuoient plus estre touchez des
soins des autres hommes pour ne descendre en
leur bas rang, par cet abaissement de leurs pensées
sur la misere & les necessitez de leurs sujets ;
& de cette façon, comme ils n’estoient que les
phantosmes des veritables Rois, ils n’ont veu
que l’ombre de la Royauté, & se sont éuanoüis
comme des ombres, ne laissant d’eux qu’vne
memoire obscure, qui nous laisse en quelque
façon douter s’ils ont vescu. Sous l’Empire de
ceux-cy, par le defaut d’vn Roy, dont la France
ne voyoit que l’image en leurs personnes ; les
Prouinces ont souffert l’empire d’vne infinité
de Roytelets qui les ont toutes rauagées, comme
en l’absence du Soleil, la nuit parmy ses nuages
mesmes, produit tousiours beaucoup de
petits flambeaux qui ne font rien naistre, mais
qui causent la corruption en beaucoup de corps
par les qualitez malignes de leur influences. Ce
sont ceux, lesquels comme l’Empereur Calicule
ayans en peu de temps dissipé les tresors qu’ils
trouuoient dans les coffres de leurs Espargne
par le bon mesnage de leurs predecesseurs, ont

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mis en auant les tributs par la suggestiõ de leurs
Maires du Palais ou de leurs Fauoris qui ne
cherchoient qu’à les décrediter pour auoir l’auantage
de seoir sur leurs Trosnes, en les faisans
renfermer dans des Monasteres, apres s’en estre
long temps seruis comme d’instrumens propres
à les esleuer à la grandeur. Pour moy ie trouue
en effet, considerant l’insuportable negligence
de ces Princes, qui ne semblent estre Rois que
pour authoriser les crimes des Tyrans qui regnent
sous leur authorité, que l’affront que Tamerlan
faisoit à Baiazet cet insolent Empereur
des Turcs son prisonnier, de le traisner dans vne
cage de fer auec luy, & de luy faire baisser le dos
toutes les fois qu’il mõtoit en carrosse pour s’en
seruir cõme d’vn marche pied, nous represente
bien la sujetion de ces miserables Princes, dont
leurs Fauoris ou leurs Ministres disposent auec
vn tel empire qu’ils les rendent ployables à
tous leurs sentimens & toutes leurs volontez,
& les traisnent par tout auec eux, enfermez
dans leurs Carrosses, pour s’en seruir à monter
leur fortune plus haut, lors qu’il se presente
quelque benefice, ou quelque charge qu’ils se
font aussi tost donner. Il est vray que comme
ces Monarques nourris parmy l’abondance, la
pompe, le luxe & la vanité, n’auoient aucune
idéeou connoissance de la misere des personnes du

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bas estage, ils n’ont iamais fait de scrupule de
leur imposer de nouuelles charges.

 

Et pourquoy nourris de cette façon, n’eussent
ils pas creu qu’ils estoient de vrays Dieux
en terre, puis que pour leur inspirer plus d’orgueil
& de vanité, on leur rompoit la teste de
ces termes de la Sainte Escriture, accommodez
à l’ambition des Roys, Ego dixi dij estis, Reges eos
in virga ferrea, & de beaucoup d’autres de pareil
sens, qui monstrent les libertez iniustes que
prennent les Roys, non le pouuoir qu’ils ont
d’en vser auec si peu de consideration pour nostre
foiblesse, & si peu de retenuë.

Les Tailles ne se leuoient que par le consentement
des Estats, & pour vn certain temps dans
les grandes necessitez de l’Empire, mais depuis
vetustate regnandi coalita audacia, comme dit Tacite,
ils ont fait vn droict pour eux de ce qui
n’estoit qu’vn don auparauant, & pour le rendre
desormais plus ferme, ils ont trouué bon d’establir
par tout des Officiers, ausquels le soin de les
regler en chaque contrée appartient suiuant les
sõmes qu’il plairoit à leurs Maiestez d’exiger, se
reseruãs le pouuoir de les multiplier iusqu’à l’infiny.
Le Ciel leur sembloit trop liberal dans les
faueurs qu’il nous fait, bien que pour conuaincre
les Roys de s’attribuer des droits qui ne leur
appartiennent pas, il ait declaré hautement qu’il

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donnoit la terre à tous les hommes, suiuant le
sens de ces termes, terram autem dedit filiis hominum ;
ils ont voulu restressir les bornes de ses liberalitez,
& ce qui me paroist plus estrange dans
le soin qu’ils ont pris de nous rendre l’vsage de
la vie difficile, ils se sont monstrez auares d’vn
excrement de la mer qu’elle iette comme par
depit sur ses riuages, & c’est ce qu’Horace a mis
au dernier degré de l’abjection, lors que voulant
reprocher à quelque auare l’indignité de sa
bassesse, il ne croit point luy pouuoir dire de plus
grande iniure que celle que contiennent ces
deux paroles.

 

Et salis auarus.

En effet, que peut on conceuoir de plus insupportable
que de les voir se faire vn thresor
de ce que la nature nous donne à si vil prix, que
parce qu’il est necessaire aux hommes, & de
forcer ceux qui veulent se priuer de ce bien
pour ne l’achepter si cherement, d’en prendre
vne certaine quantité qu’on leur vend auec
poids & mesure, à tel prix qu’il plaist au Prince,
& qui maintenant est le plus excessif du monde.
Certes quand ie voy qu’vne infinité de supposts
de cette tyrannie qu’on nomme Archers, sont
establis sur tous les passages des riuiëres, & presque
dans toutes les villes, pour l’asseurance de ce
tribut qui subsiste depuis tant d’années, & que

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[illisible] orages roulent sur leurs testes,
sans que leurs foudres tombent sur eux pour les
écraser, afin de rendre la franchise au monde, ie
doute presque comme Tacite, s’il est au Ciel
quelque prouidence qui veille sur les choses
humaines, ou si plustost vn destin aueugle &
temeraire qui les balãce, ne les laisse pas du tout
errer à l’auanture, presque sans connoissance du
bien & du mal : mais outre l’imposition de tant
de tributs que nos Roys auiourd’huy mettent
au rang de leurs reuenus legitimes : Qui ne rougiroit
de honte pour eux, de voir que l’argent
qu’ils exigent des offices depuis le plus grand
iusqu’au plus petit, est cause que la iustice est
venale dans leurs Estats, où les plus gens de
bien ne doutent point de vendre en détail, ce
qu’ils achettent cherement en gros.

 

Delà, cher amy, vient vne grande partie de
nostre mal ; par là l’ambition s’accroist, & l’auarice
se perpetuë, & la tyrannie deuient vn monstre
à cent mille testes, qui ne laisse rien exempt
de son venin, & qui tire la substance du peuple
par beaucoup de voyes apparentes & cachées,
& dont vne des plus dangereuses, est l’occasion
d’vne infinité de procez entre les miserables,
sur lesquels on fait ces exactions, dans la liberté
qu’on leur laisse d’en reietter, s’ils peuuent, vne
partie sur ceux qui leurs paroissent moins surchargez.

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Ie sçay bien que la coustume [illisible]
que façon, l’aigreur des maux les plus insupportables
& que les forçats mesmes dans les galeres
trouuent leur chaisnes moins rudes apres
les auoir long-temps soustenuës : toutefois
nous esprouuons au contraire que comme la
goutte d’eau par sa cheute continuelle caue le
rocher, il n’est point de patience qui ne se lasse
par la rigueur d’vne souffrance qu’on veut rendre
eternelle comme celle des enfers, & de là
n’aist souuent le desespoir qui nous emporte à
toutes sortes de violences, contre ceux qui faisoient
vanité de nous mal traitter, lors que
nous restions pour eux dans la soûmission & le
respect. Nous voyons ainsi que nostre patience
à souffrir de longs outrages, oblige nos tyrans
à nous traitter plus cruellement, & sans mentir
nous n’aurions pas veu dans nos iours les
Tailles tant de fois multipliées, & si souuent
mises en party, si nos peres se fussent opposez
à leur establissement, & nous n’aurions veu depuis
peu le Mazarin en vser auec tant d’insolence,
si nous nous fussions roidis contre la puissance
du Cardinal de Richelieu, lors quelle
estoit encor foible, & qu’elle pouuoit estre
moderée.

On pourroit s’estonner de ce que le Parlement
depuis qu’on commence à faire dans l’Estat

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des changemens si preiudiciables à son repos,
n’a point tasché de s’opposer à ces nouuelles
impositions de charges induës, qui doiuent
enfin causer la ruine de cette Empire, lors que
tous les peuples ayant secoüé ce joug, se voudront
faire des loix à leur phantaisie : ce qui deuoit
estre vn effet de sa preuoyance, mais pour
leuer ce sujet d’estonnement, il faut seulement
considerer que les anciens Rois connoissans,
que par vn droit aussi vieux que la Couronne
de France, cette puissance bien que subordonnée
estoit opposée à la leur, pour empescher ce
qu’ils voudroient tenter contre les loix, ont
tousiours tasché de l’affoiblir & de limiter leur
iurisdiction à la connoissance des causes des
particuliers.

 

Louys XIII. mesme, nostre Roy dernier
mort par vn mouuement de haine hereditaire
qu’il tenoit de ses ancestres, se monstra souuent
si jaloux du peu d’authorité qui restoit à ce
grand corps qu’il ne s’efforça pas moins de
l’affoiblir que d’abaisser l’orgueil de l’Espagne,
bien que l’vn & l’autre ait tant soit peu repris
haleine apres sa mort. Le Cardinal Duc de Richelieu
ne manqua pas de le seconder en ce
dessein, & comme il ne vouloit que la France
eust aucune puissance qui ne fléchit & ne tremblast
sous le joug de sa domination, il esteignit

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ou dissipa tout ce qu’il y auoit de vif ou d’esclattant
en cette illustre Compagnie, & n’admit
pour rendre iustice aux particuliers, que ceux
de leur nombre, qu’il iugeoit propres pour
estre les instrumens de sa tyrannie. Le Mazarin
aussi qu’on peut nommer auec raison le singe
de cét autre Cardinal, a suiuy les traces en ce
dessein, & dans les premieres années de son
gouuernement, auant que la faction contraire
preualust par le défaut de sa conduite ; il sçeut
à point nommé se deffaire par le poison de tous
ceux de ce corps que les sentimens de franchise
qu’ils témoignent par leurs paroles ou par leurs
actions, rendoient suspects à sa ialousie & à sa
crainte. Que si plusieurs de ce nombre tremblerent
& fléchirent à lors, & si plusieurs tremblent
& flechissent encore à present, nous le deuons
trouuer d’autant moins estrange, qu’estans
membres ou chefs de grandes familles,
qu’ils sont obligez de conseruer, & se voyans
en possession de charges qui leur coustent des
sommes immenses, ils sçauent que leur salut
importe à beaucoup d’autres personnes ausquelles
ils sont liez par beaucoup d’interests &
de deuoirs, & que leur ruine attireroit celle de
tous leurs amis.

 

De cette façon ils ne peuuent faire impunément
les genereux, & se relaschent facilement

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vers le respect pour les Ministres, où ils trouuent
seulement leurs auantages & leurs seuretez.
Comme la prudence commune enseigne à
suiure les chemins battus ; ils croyent que c’est
se tesmoigner amis de l’ordre, que de souffrir
les desordres que font les Ministres & les Partisans,
& se proposent à suiure les exemples de
quelques vns dé leur corps, qui se sont rendus
riches & puissants, en deferant aux sentiments
du prince & de ses fauoris, sans les examiner
pour les contredire, plustost que de quelques
autres, qui pour auoir tesmoigné qu’ils les trouuoient
iniustes, & les auoir trauersez inutilement,
ont attiré sur leurs testes des disgraces qui
les ont autant abaissez, que par cette illustre
ambition ils auoient tasché de s’esleuer. Il faut
dire enfin pour rendre la veritable raison de leur
foiblesse, & de leur ignorance en la Politique,
que cét esprit de sagesse & de prudence ne vient
aux plus resolus de cette Compagnie, que par
inspiration & par genie, puisque celuy de leur
corps en general se peut nommer vn esprit d’interest
& d’altercation ; & d’ailleurs la crainte
que tous les autres ne soient d’vn aduis ou d’vn
sentiment contraire au leur, fait que souuent ils
se rangent du costé de ces interessez, & trahissent
les droicts de la Iustice à cette croyance, qui
les rend foibles, & timides, pour ne paroistre
somptueux & temeraires.

 

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Pour ce qui est de Messieurs du Priué Conseil,
il ne fut iamais des esclaues si lasches & si prosternez.
Ils ne regardent les interests du Prince
& de ses fauoris que par le leur, & parce qu’ils
souhaitent d’eux, sans considerer s’il est auantageux
ou preiudiciable au bien de l’Estat ou non.
Ils donneront autant d’Arrests, & confirmeront
ou establiront autant de tributs, que Mazarin
ou les Partisans sçauroient desirer, pourueu
qu’ils ayent quelque part au profit, & que la
Reyne ou le Prince en tesmoigne quelque desir.
Ne croyez pas en effet qu’ils examinent si
les Loix diuines & humaines donnent cette licence
au Prince, ils ne bornent sa puissance, &
le droict que par les limites de la souffrance des
peuples : & ne leur importe que la Couronne
soit hazardée dans le consentement qu’ils prestent
à tous les desseins de Mazarin, pourueu
que la passion de la Reyne soit satisfaite, & que
leurs Arrests soient executez. Ils connoissent
bien tous les malheurs de la France, qu’ils
ont veritablement causez. Ils sçauent que la
Reyne perd le Royaume de son Fils, & qu’elle
ne le sçauroit perdre qu’auec leur secours, en
ce qu’ils authorisent ses mauuais desseins ; & cependant
par vne lasche complaisance à ses volontez,
par vne vaine ambition qui leur fait trop
presumer de leur adresse & de l’authorité Royale,

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& par vne folle esperance de destruire ce
qu’ils auoient le mieux du monde estably dans
la ligue de nos Princes.

 

Ces malheureux tentent l’impossible en voulant
faire qu’vn Corps comme celuy de la France,
tout couuert de playes & d’vlceres, subsiste
ou repose, lors qu’on persiste à le mal traitter &
trouuent plus iuste que tout perisse, que si le
Roy par leur conseil se relaschoit tant soit peu de
cette extréme seuerité qu’on l’oblige à tesmoigner
contre la douceur de son bon naturel, pour
donner tant soit peu de repos à ses peuples qui
languissent dans les fers depuis tant d’années.
Certes il me semble au reste que la satisfaction
seroit bien foible pour nous en compensation
de tant de maux, si seulement on cessoit de nous
outrager, & que nos Tyrans auroient sujet d’estre
bien satisfaits eux-mesmes, s’ils demeuroient
maistres de nos dépoüilles, à cette condition
de ne nous mal traiter plus si fort doresnauant.
Ils ont pû voir cependant que le refus
de donner aucun relasche à ces malheureux
qu’ils tiennent depuis si long temps dans les
gehennes & dans vn abysme de misere, & le
mespris des menasses du Ciel qui les en pressoient,
les ont desia presque reduits aux extremitez
qui presserent les Egyptiens, par la dureté
de Pharaon & de son conseil, pour auoir

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augmenté les charges & les trauaux du peuple
d’Israël, lors que Dieu leur commandoit de les
mettre en liberté ; comme il sceut enfin l’affranchir
luy mesme de leurs cruelles mains, &
leur faire trouuer la mort sous les eaux, apres
qu’ils eurent esprouué mille disgraces dessus la
terre. Il en faut donc reuenir à ce poinct, que
la veritable cause de nos malheurs est le defaut
d’vn Conseil pareil à celuy d’Espagne, lequel est
composé d’vn certain nombre de personnes
des mieux esclairées & des plus sages de tout le
Royaume, qui ne peuuent accroistre leurs biens
au delà de la pension que le Roy leur donne ;
ny se marier, de peur que les interests d’vne
femme ou d’vne famille ne partagent leurs soins
qu’ils reseruent entiers au bien de l’Estat.

 

Entrants dans cette Compagnie, ils y trouuent
l’esprit de prudence & d’amour pour le
bien de l’Empire, & l’espousent incontinent
pour le conseruer desormais auec vn zele tres-pure,
& vne fidelité toute inuiolable ; dés lors
tout leur estude est celuy d’Auguste aux dernieres
années de son regne, de connoistre les forces
de l’Empire, tant de mer que de terre : Le
pouuoir qu’il a, par sa propre reputation ou ses
alliances, les tresors de l’Espargne, les richesses
des Prouinces & des particuliers, la resistance
que les peuples apportent au payement des peages

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& des tributs, pour sçauoir si elle est causée
par impuissance ou par mutinerie, de connoistre
aussi l’esprit, l’intrigue, l’application, & la force
de chaque puissant Particulier, pour sçauoir ce
qu’il est capable d’oser & d’entreprendre pour
ou contre le bien de l’Estat, afin de l’obseruer ;
si suiuant l’inclination de la pluspart des hommes
il panche plutost au mal qu au bien, de connoistre
en suitte le gouuernement, la force, les
richesses, & la reputation des Estats voisins, auec
les inclinations & dispositions qu’ils ont à la
guerre ou à la paix ; & si se trouuants en possession
de la derniere, ils peuuent faire l’autre auec
facilité hors de leurs terres quand il leur plaira,
& de quel costé doiuent plustost pancher leurs
armes ; de prendre garde de mesme si quelque
grad genie, cõme Scipion ou Cesar, ou quelque
grand Capitaine simplement, comme Annibal,
ne s’éleue point parmy eux, qui se puisse bien-tost
signaler par des efforts heroïques, aux despens
des ennemis de son pays, & s’il se rencontre
quelqu’vn qui ait quelques marques extraordinaires
de tascher de concilier sa bienveillance
pour leur Roy, par des pensions que sous diuers
pretextes ils font payer en son nom à tous ceux
qui l’approchent, afin de les obliger de luy parler
souuent en faueur de leur bien-faicteur : Enfin
d’obseruer iusqu’aux moindres changemens

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& moindres troubles qui se font dans toutes les
terres voisines, pour s’en preualoir à l’auantage
de leur Monarque & de l’Estat, dont ils regissent
le timon. Ie te laisse à iuger maintenant ô Ctesiphon,
si l’application de nos petits Frondeurs
du Parlement, ou de Messieurs du Priué Conseil,
se trouue bien dépeinte en ce que ie viens
de toucher des soius du Conseil eternel d’Espagne.
Quel vœu de grace de ne procurer iamais
que le bien de l’Estat, & le salut des peuples,
peuuent auoir fait sur la saincte Euangile & les
saincts Autels ? Ces perfides que depuis deux ou
trois ans nous auons veu changer deux ou trois
fois de party, selon qu’ils se sentoient differemment
tentez par les offres & les condition qu’on
leur offroit d’vne part ou d’autre. Ces auares qui
se rendoient les Tyrans du peuple en faueur du
Mazarin, quand il leur cedoit vne partie de la
proye : Ces interessez qui se declarerent les protecteurs
& les liberateurs du peuple autant de
temps que ce lasche Ministre leur fist la guerre,
apres les auoir traitez d’esclaues : Ces ingrats qui
permirent que le peuple fust derechef la proye
des Partisans, si tost que cét orage fut calmé
par leur soûmission ; & ces mercenaires qui sont
à present les fauteurs de la tyrannie de cét Italien,
dont ils reuerent les ordres, & reconnoissent
les volontez, comme loix souueraines

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restans dans la dépendance de son pouuoir ; eu
quelque lieu qu’il fasse à present son sejour.

 

Ie te prie ô Ctesiphon, la raison & la Iustice
changent-elles si souuent de forme & de visage,
& souffrent-elles volontiers qu’vn esprit qui fait
profession d’vne vertu sincere, & qui se void
constitué dans vn rang éminent iouë des personnages
si differents en si peu de mois, & se
donne des démentis si considerables : le proteste
cependant que ie ne parle que contre ceux
lesquels ayans quitte le vray Corps du Parlement
qui reste à Paris, fortifient nostre ennemy
dans la resolution de nous fouler aux pieds, s’il
peut venir à bout de son dessein, & insulter à nostre
foiblesse, en nous traitant de criminels & de
rebelles. Mais Ctesiphon, i’auoüe que i’ay tort
d’en parler auec cét emportement & ce transport,
que tu dois pardonner à l’amour que i’ay
pour le bien public, pour lequel ils n’ont aucune
consideration. Ce sont des victimes en effet,
que l’auarice a sacrifiées à cét infame demon
de l’interest, & qui sont dans vn engagement
qui fait que leurs sentimens sont esclaues des
desirs de nostre tyran & qui nous veulent voir
dans les fers comme ils sont dans la dépendance
& la sujetion pour auoir au moins des esclaues
au dessous de leur estage, sur lesquels ils ayent
quelque empire, & sur lesquels ils puissent se

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vanger de l’indignité de leur seruitude.

 

Ce sont cependant des membres de ce Parlement
qui par les fondateurs de cette Monarchie,
fut estably souuerain Arbitre des differens
qui suruiendroient entre le Prince & ses subjets,
qui fut mis comme vne barriere entre le haut
& le bas estage, pour empescher que les foudres
de la colere du Prince ne tombassent sur ses sujets
au gré de sa passion, & que les fureurs du
peuple s’irritant de la moindre rigueur des Rois
ne s’esleuassent facilement, & ne montassent
iusqu’à son throsne, pour le renuerser quand il
leur plairoit : pour empescher aussi que le Prince
ne multipliast iniustement les tributs au desir
d’auoir dequoy remplir son auarice ou son
ambition, & ne se fist des droicts de toutes les
necessitez de sa Maison ou de son Empire, qu’il
authorisast par la force : ou que les peuples ne
refusassent de payer ce qu’ils luy doiuent legitimement :
pour empescher enfin qu’aucun ne
sortist de son rang & de son deuoir, ou pour faire
qu’il y rentrast bien-tost apres, & tenir l’Estat
dans vne assiette tousiours tranquille. Pareil
à la moyenne region de l’air qui tempere les
rayons du Soleil par sa froideur, de peur que la
terre n’en soit incommodée, & qui receuant les
vapeur des eaux, & les exhalaisons de la terre,
s’efforce de les arrester dans son sein, pour ne

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souffrir que la region plus haute qui doit toûjours
estre calme en soit troublée, & qui les
transforme en vents & en pluyes, qu’elle renuoye
en bas pour le bien de la nature & du genre
humain.

 

Pour n’auoir pas soustenu leur rang ny continué
de faire les fonctions de leurs charges suiuant
cét establissement, ceux de ce Corps ont
rompu l’ordre & l’harmonie qui deuoit estre
tousiours entre ses parties, pour les faire conspirer
au bien du tout, ou souffrant que l’vne &
l’autre se rompist, ont donné chez elle entrée
à tous les maux, qui n’en font qu’vn amas de
confusion, & qu’vn abysme de misere à present.

Par le defaut de leur authorité, les Rois se
sont dispensés souuent à traiter leurs peuples
comme des forçats, sans consideration aucune
ny de deuoir, ny de loix, & les peuples de mesme
outres du ressentiment de ces violences, ont
souuent fait les émancipez, iusqu’à refuser au
Prince l’obeïssance qui luy estoit deuë, & souuent
par vne iuste punition du Ciel ces mal-heureux
Princes sont deuenus eux mesmes esclaues
de quelques vns de leurs sujets, lors qu’ils
vouloiẽt faire, les tyrãs ayans souffert que ceux
dont les conseils les portoient à ces violences,
s’esleuassent au dessus de leur propre authorité :

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C’est ainsi que lors que la moyenne region de
l’air est foible pour resister à la violence d’vne
grande exhalaison que sa chaleur & sa seicheresse
poussent en haut, où elle est mesme attirée
par le Soleil, cette exhalaison qui estoit serrée
auparauant, lors qu’elle estoit en païs ennemy,
venant à s’eslargir & s’estendre en la haute
region de l’air qui luy est amie, forme souuent
vn comete qui pour estre plus proche de nous
que le Soleil paroist à nos yeux plus grand &
plus lumineux que cét astre, & nous estonne
d’autant plus que son éclat est extraordinaire &
menassant.

 

Les siecles vieux nous ont fourny beaucoup
d’exemples d’vne verité si reconnuë : mais
comme le nostre se peut nommer le siecle
des monstres & des prodiges, il emporte
l’auantage sur tous les autres en ce fatal sujet ;
ie puis dire auec raison que depuis le regne des
anciens Maires du Palais, la France n’a rien veu
de pareil à ce qu’elle vient d’esprouuer sous le
mynistere de deux Cardinaux qui nous ont veritablement
plongez dans le labyrinte où nous
respirons à present sans aucun espoir d’en sortir
que par le secours de la mort, que nous souffrons
mille fois en viuant, auant que de receuoir
ce soulagement qui nous est infaillible
apres tant de maux. Ceux qui ont bien examiné

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cette matiere suiuant cét ordre, disent que
la France acheua de perdre sa tramontane à la
mort de Henry le Grand.

 

Ce grand Astre n’estant pas sur nostre horison,
les tenebres s’espandirent par tout où ses
lumieres auoient ietté leur éclat : la Reyne
Doüairiere Marie de Medicis, prenant la Regence
du Royaume sous la minorité de son Fils,
s’efforça bien de les dissiper en quelque façon ;
mais on connut bien tost que ce qu’elle auoit
de brillant dans son action, comme celle de toutes
les autres Regentes, se pouuoit comparer à
cette sombre clarté du corps de la Lune, qui
par vne certaine qualité maligne inconnuë ; &
par sa froide humidité corrompt les mesmes su.
jets, à qui le Soleil donnoit l’ame & laction, &
qui dans l’air où cét Astre entretient la chaleur
& la serenité, n’excite que des orages & des tempestes.
Aussi tost les princes feignants qu’ils
trouuoient beaucoup à redire en sa conduite,
firent de ce feint mescontentement vn pretexte
de guerre ouuerte : Mais ce trouble qui ne meritoit
que le nom d’embarras, non plus que
quelques autres qui le suiuirent, fut calmé bien-tost
apres par la prudence de cette Reyne, qui
força son ambition de s’accommoder au temps,
pour leur donner vne partie des contentemens
qu’ils souhaitoient, en attendant l’occasion de

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les faire repentir de cette entreprise.

 

L’an de la maiorité de son Fils ne fut pas exempt
des dissentions qu’elle auoit causées dans l’Estat
les souleuemens y furent continuels, & la guerre
qu’elle voulut faire à son fils mesme en accrut
le nombre, mais comme le passe ne laissoit
point d’aigreur dans les esprits des peuples, &
que l’indiscretion & l’emportement d’vne Regente
peu iudicieuse n’auoit pû faire haïr le
gouuernement des Roys, apres lequel on soûpiroit,
à cause de la memoire du Roy dernier
mort, vne seule Victime immolée par le Prince
au salut des peuples, & à sa propre gloire, dissipa
tous les nuages que les broüilleries & les
passions de la Regence auoient assemblez dans
l’Estat, & luy rendit assez de iour pour faire voir
à chacun ce qu’il deuoit esperer.

La reconciliation de la Mere auec le Fils, par
l’entreprise d’vn homme, qui fut nostre salut
estant Euesque, & nostre ruine estant Cardinal,
acheua de rendre du tout le calme à la France,
qui ne vid pour cette fois que la porte du labyrinthe
où elle commença de s’acheminer
bien-tost apres. Le Cardinal de Richelieu, fatal
auteur de nostre gloire passée & de nostre
misere presente, ayant esté monstré par la fortune
à nostre Prince en cette occasion, commença
de prendre sur son esprit vn empire, qui

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comme le petit nuage que le Prophete Elie vid
montant dans l’air, où bien tost il parut grand
comme vne mer, d’où sortit vne merueilleuse
abondance de pluye ; d’vn petit commencement
paruint dans l’excés d’vne grandeur si prodigieuse,
que la puissance Royale & l’estenduë
de la France n’ayant pû le limiter : ce Prelat fit
voir vn Roy de France petit en sa comparaison,
& comme le lierre sembla cacher entierement
le sujet qui le faisoit subsister si glorieusement.
Aussi c’est en quoy la fortune parut extremément
ennemie de nostre bon-heur, & traistresse
à nostre destin, puis que lors que le peuple de
Paris mettoit les membres d’vn Tyran par morceaux,
où iettoit ses cendres au vent ; elle obligeoit
le Roy qui le venoit de punir, de faire l’espreuue
de la feinte prudence d’vn autre qui
nous deuoit tout à fait assujettir, & s’éleuer
luy mesme au dessus du Roy : C’est celuy dont
nous pouuons dire qu’il a veritablement formé
le labyrinthe où nous nous trouuons
maintenant enuelopez, & qu’il a dresse le plan
de la seruitude, dont Mazarin s’est efforcé de
nous faire subir le ioug. Il est vray que d’abord
il sembla restablir la reputation de cét Empire,
& de nous deliurer du danger de retomber dans
les perils ou les guerres causées pour l’interest
de la Religion auoient ietté nos peres ; mais ce

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ne fut que pour affermir mieux nos chaisnes, &
pour faire que nous ne vissions plus en France
de secours que nous peussions reclamer, quand
il viendroit à nous opprimer par les charges insupportables
qu’il meditoit des lors d’imposer
sur toutes nos Prouinces & toutes nos Villes,
pour arriuer au but de ses ambitieuses pretentions.
La Rochelle fut prise apres beaucoup de
resistance de la part de ses habitans, nous en
chantasmes le Te Deum, auec des rauissements
incroyables ; & la reduction des Villes protestantes
de la Guyenne & du Languedoc, nous
fist ressentir vne pareille ioye. Miserables ! qui
n’auions pas l’esprit de considerer, que par la
malice de nos Regents les prosperitez de l’estat
estoient les degrez qui nous conduisoient dans
l’abysme où nous nous voyons maintenant precipitez,
& que nostre abaissement deuoit estre
la fatale éleuation de nostre Tyran. Que si toutefois
nous considerons le malheur de ce siecle-là,
tel qu’il nous parut aux dernieres années du
Ministere ou du Regne de ce premier Cardinal,
apres que les Protestants de France, les Alpes &
& les Pyrenées, c’est à dire, ceux du Bearn & les
Sauoyards & Plémontois, puis les peuples voisins
de l’Escaut, de la Meuse, du Rhin, & du Danube
mesme eurent fait joug sous la puissance
du Roy, dont il s’estoit rendu le Maistre.

 

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Nous verrons beaucoup d’oppression par
toute la France, beaucoup de violences que les
Partizans exercent dans les Prouinces abandonnées
à leur fureur, beaucoup de cruautez
que commettent les soldats dans leurs logemens
à discretion, beaucoup d’iniustices que les
Parlemens authorisent en faueur de ce grand
Ministre, lors qu’il s’agit de ses interests, beaucoup
de profusions indiscrettes qui se font de sa
part pour enrichir ses parens ou ses creatures,
du bien du peuple, beaucoup de Dames illustres
qui pleurent leurs maris ou leurs freres
emprisonnez ou tuez par ses ordres, beaucoup
d’échaffauts dressez, beaucoup de testes coupées,
beaucoup d’armées en campagne, auec
beaucoup d’espions pour sçauoir tout ce qui se
fait ou se dit de luy, de tous costez, & parmy tout
ce grand bruit, beaucoup de comedies & de
farces pour le diuertir. Mais dans vn Estat si tyrannique
où nous plaindrons le sort d’vn Roy
qui n’a que deux carrosses à sa suitte, lors que
son mignon en a trois ou quatre cents à sa porte,
& le mal-heur d’vne Reyne estimée tres-vertueuse,
pleurante auprés du Dauphin son petit
fils, cependant que la niéce du Cardinal respire
vn air delicieux dans son Luxembourg au milieu
des contentemens & des plaisirs, nous ne verrons
point encore d’apparence de Labyrinthe,

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parce qu’on nous faisoit à toute heure esperer vn
traité de Paix auec l’Espagne, sur qui la France
obtenoit beaucoup d’auantages qui nous soulageoient
en quelque sorte, & qu’vn seul estant
Maistre de tout, sembloit en pouuoir de nous
rendre plus en vn iour qu’il ne nous auoit rauy
durant dix ou douze années. Sans mentir, le refus
qu’il fist de traitter la Paix en vn temps si fauorable,
& d’asseurer la fortune de cét Empire,
se peut nommer la premiere porte de ce dedale,
& la prudence luy deut faire voir que cette paix
fut d’autant plus necessaire à establir, que l’humeur
des François estant vaine & legere, ne leur
souffre pas d’aller long-temps vn mesme train,
ny de marcher constamment sur les traces d’vn
iudicieux entrepreneur.

 

Quoy qu’il en soit, l’astre ou le demon qui
durant sa vie l’auoit rendu tousiours le plus heureux
du monde en ses entreprises, continua de
nous fauoriser encor dans les conquestes que
nous fismes sur les estrangers durant trois ou
quatres années apres sa mort, & l’on peut dire
que veritablement, si Mazarin qu’il nous laissa
pour luy succeder, n’eust esté le plus meschant,
le plus lasche, le plus traistre, & le plus infame
de tous les Ministres, & si la Reyne Regente
conspirant auec luy de vœux au dessein de nous
accabler, de tres-bonne en apparence qu’elle

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auoit tousiours semble, ne se fust renduë tres-mauuaise
en effet, & si l’vn & l’autre n’eust forcé
les esprits de passer des langueurs de la seruitude
aux impatiences de la reuolte, la partie estoit assez
bien faite, & les chaisnes assez bien tenduës
pour faire que nous fussions demeurez dans vn
estat paisible, bien que cruel, loin des horreurs
de cét affreux dedale où nous perissons. En effet
nous auions encor où porter nos desirs dans le
bien des conquestes que nos armes auoient faites
de tous costez, & qui sembloient en quelque
sorte nous recompenser de nos pertes, & tous
les biens qu’on nous auoit rauis durant son Ministere,
estant encore en France, & n’ayant fait
que passer en d’autres mains, la France ne se
pouuoit pas dire tout a fait dépoüillée, & sembloit
n’attendre que la paix que ses ennemis
estoient en estat de luy demander à telles conditions
qu’il luy plairoit, pour estre plus heureuse
qu’auparauant, mais tandis que Mazarin sans
aucun égard de la foiblesse du peuple, ny de la
haine qu’on portoit à la memoire du feu Cardinal
pour sa tyrannie, ny du de faut d’authorité de
sa propre personne, pille les biens de tout le
monde, pour mettre en vn monceau toutes nos
richesses, qu’il enuoye aussi-tost en Italie, tandis
qu’il diuertit nos armées à des entreprises
particulieres en sa faueur, qu’il fait perdre à cét

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Estat toutes les occasions qui se presentent pour
son accroissement, & qu’il ne regarde dans nos
affaires que son seul interest, que la Regente
dispose tout à cette fin, & se sacrifie elle-mesme
à ses desirs, la haine de tous ces maux aussi bien
que celuy qui les causoit fist naistre au dedans de
cét Estat des factions qui commencerent à le
déchirer, & qui l’ont enfin poussé dans le precipice
où nous le voyons.

 

Il est vray cependant que si dans l’entreprise
du Parlement qui fut la fin de nostre seruitude
languissante, & le commencement de nos troubles,
ceux de ce Corps qui feignirent de se declarer
pour le peuple, eussent mieux choisi leurs
Chefs, s’ils eussent refusé l’offre des Princes du
Sang & leurs alliez, sçachans que l’interest qu’ils
ont au soustien de la Couronne, dont les Tailles
& les autres tributs semblent maintenant estre le
seul domaine les empesche tousiours de fauoriser
celuy des peuples, & s’ils eussent monstré plus
de cõstance en leur dessein. La France auroit pû
recouurer sa franchise par leur moyen & le peril
qui les a tousiours menacez depuis en leur faisãt
voir leur defaut, ne leur auroit pas reproché
qu’ils adiousterent à nostre mal-heur, & nous
pousserent plus auant dans le gouffre dont ils
auoient promis de nous tirer. Ce qui mit le comble
à nostre misere, & causa la guerre dont nous

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sentons à present les effets, fut la temerité que
le Mazarin fit paroistre en suitte lors qu’il arresta
le Prince de Condé, sans auoir assez de sujet
ou de pretexte pour le faire perir ou le tenir
long-temps en prison.

 

Il ne pouuoit douter, connoissant l’humeur
de ce Prince, qu’il ne se portast en suitte à toutes
sortes de violences, pour faire perir celuy
qui s’estoit efforcé de le perdre ; si bien qu’il deuoit
dés lors se resoudre à quitter à iamais la
France, si le Prince sortoit vn iour de cette captiuité.
L’impatience des François, & la haine qu’on
portoit au Mazarin procura bien tost la sortie
de l’vn & de l’autre ; mais auec cette difference,
que l’vn pour rentrer d’où il venoit de sortir, &
l’autre pour n’y rentrer iamais ; prirent tous deux
les armes en de differents climats, & vinrent
auec des forces estrangeres se faire la guerre au
cœur de la France. Le traitté de l’vn auec la Cour
d’Espagne, & l’obstination de l’autre à rester en
celle de France, malgré la haine de tous nos
peuples, ont acheué l’ouurage de nostre labyrinthe,
où tous les Roys de France depuis Pharamond
auoient mis quelque pierre, bien que
quelques-vns de leur nombre en eussent par
fois démoly quelque partie.

Il semble icy que ie die quelque chose de
supposé ; mais si l’on examine les choses de plus

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prés, on verra que c’est vne verité tres-claire &
tres-apparente. On appelle labyrinthe vn lieu
plein de détours, où celuy qui s’y vois enfermé
ne peut trouuer de sortie : & ie voy que l’Estat où
la France se trouue à present ayant cette condition,
merite que son nom rende tesmoignage
de sa souffrance, & du peril où ses Regents l’ont
exposée. Il est vray que de quelque costé qu’on
iette les yeux pour voir ce qui la peut soulager,
on ne voit rien que d’affreux & de menassant, &
vne iuste punition du Ciel, ceux qui nous ont
plongez en ce dedale, se trouuent dans les mesmes
perils, & dans la mesme peine que nous, depuis
les testes couronnées iusqu’aux intrigueurs
& moindres chefs de l’vn ou de l’autre party.
Icy ie te prie donc, ô Ctesiphon, de voir si iamais
Empire se trouua plus embarrassé que le
nostre, & de considerer auec moy l’embarras
de tous nos Regents. Le Roy pour sortir de ce
labyrinthe veut restablir son authorité, sur le
debris des ruines de ses peuples ; & tout l’Estat
semble s’opposer à son dessein, il veut conseruer
vn Fauory dont il est forcé de souffrir l’éloignement,
& sent que son authorité diminuë par les
efforts qu’il fait pour l’accroistre. La Reyne de
mesme ne forme point de dessein qui luy reüssisse ;
& comme tous ses vœux semblent iniustes,
elle voit qu’elle tente des efforts au delà de son

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pouuoir, qui ne font qu’irriter les puissances du
Ciel & de la terre. Le Mazarin aussi se trouue
enuironné de perils incroyables, sa reputation
est prostituée au courrous des peuples, & sa teste
proscrite en France ; il esprouue par tout de faux
amis, & ne peut arriuer que par miracle à la fin
qu’il se propose, voyant deux Royaumes en armes
pour l’en empescher.

 

Monsieur le Prince bien que genereux &
prudent, n’est pas moins embarassé que les
autres, voyant que la France ne l’assiste que
foiblement, & que l’Espagne n’a pour but que
ses interests, & ne luy permet point de remporter
les auantages qu’il souhaitte sur ses ennemis ;
le Parlement d’ailleurs en a trop, ou
trop peu fait, il craint la victoire des vns ou des
autres, & ne preuoit que de la confusion dans
l’Estat, de la defaite de l’vn ou de l’autre des
deux partis ; La Noblesse dans la priuation de
ses priuileges, & du droit d’assembler les Estats
voyant deschirer le Royaume sans qu’elle
puisse le secourir, se croit esclaue lors qu’elle
paroist la plus libre du monde, & le peuple qui
gemit sous le poids de ses fers, & qui nourrit
seul les armées de France & d’Espagne, implore
en vain l’assistance du Ciel & ne sçait que
reclamer des puissances de la terre. La douleur
commune que chacun ressent au fond de ce

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labyrinthe, naist de voir que la violence d’vne
passion iniuste, y retient ceux qui pourroient
en tirer les autres, & qu’vn Estranger donne
la France en proye à des Estrangers ; Ainsi,
Ctesiphon, la France ne se peut pas seulement
nommer vn labyrinte : mais vn enfer, puis que
chacun y viuant sans esperance de sortir de cét
abysme, poursuit les autres d’vne haine irreconciliable
& mortelle, & tu ne peut ignorer
que la Cour ne haisse assez tout le reste de la
France, pour desirer de la voir perir, & que la
France ne haisse assés la Cour pour souhaitter
que le Ciel n’ait des foudres que pour confondre
tous ses suppots.

 

Mais, Ctesiphon, en m’efforçant de te figurer
ce Labyrinthe, ie sens que i’y tombe
moy-mesme insensiblement ; ie voulois t’en
faire vne peinture dans vn bel ordre, & le peu
de temps que tu mas laissé pour cet effect, ne
m’a permis d’en former que de grossieres raisons,
où tu reconnoistras à peine mon stile ordinaire,
& voyant en quelques endroits quelque
chose de traisnant ou de moins acheué,
peut-estre te deplaira ; Aussi ie t’asseure que si
ie n’auois esté pressé par ta curiosité, i’aurois
differé de produire cét ouurage, dont tu dois
pardonner les deffauts à ma precipitation.
Adieu.

FIN.

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Anonyme [1652], LE LABYRINTE DE L’ESTAT, Ou les veritables causes des malheurs de la France. A CTESIPHON. , françaisRéférence RIM : M0_1797. Cote locale : C_12_8.