Anonyme [[s. d.]], LE MANIFESTE CIRCVLAIRE DE MONSEIGNEVR LE PRINCE. Enuoyé aux Peuples de France, touchant les succez de Mouron, de Coignac. & de la derniere bataille qu’il a gaigné sur le Comte d’Harcourt dans la Xaintonge. Et sur les ordres qu’on a enuoyé au Cardinal Mazarin d’entrer dans l’Estat auec le titre de Generalissime. , français, latinRéférence RIM : M0_2352. Cote locale : B_6_11.
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LE MANIFESTE CIRCVLAIRE
DE MONSEIGNEVR
LE PRINCE.

IE serois mal instruit de la Politique des
Estats, si ie ne sçauois, que les mescontentemens
des Princes du Sang, ne se sont iamais
peu iustifier d’aucune raison que leurs ennemys
n’ayent d’abord traité ou d’iniuste ou de pretextée,
pour la rendre moins receuable dans l’esprit
des peuples. L’ambition qui n’a iamais manqué
de fomenter l’insolence des particuliers esleuez
par l’iniustice de la fortune, pour soustenir cette
tirannique authorité qu’elle s’est de tout
temps vsurpée sur les grandeurs du monde ; à
principallement affecté le droit pretendu de
leur pouuoir faire attaquer auec impunité les
plus proches mesmes de la Couronne, sous le
pretexte specieux d’en soustenir l’esclat & l’authorité,
contre les menées pretenduës, de ceux
qui n’estoient coupables d’aucun attentat de
cette nature, que parce que pour l’ordinaire ils
auoient trop de vigueur pour succomber laschement
à la tirannie des fauoris. Aussi n’a t’on
iamais veu de calme dans les Estats, pendant que

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ces Potirons de fortune, se laissans esbloüir par
les esclats trompeurs d’vne grandeur imaginaire
& tributaire de toute sorte de reuers, ont crû que
s’estant aprochez de la Couronne par les faueurs
capricieuses de leurs destins, ils auoient le pouuoir
d’y contester la preferance, à ceux mesme
qui auoient l’honneur d’en estre les plus illustres
Fleurons ; Et c’est cét aueuglement prodigieux,
que les grands Politiques apres en auoir serieusement
balancé toutes les raisons, ont regardé
comme la plus feconde source de tous les desreglemens
des Empires.

 

Quoy que la verité de ces reflections n’ayt
esté que trop iustifiée par l’experience de tous
les siecles passez ; elle parut neantmoins plus manifestement
il y a six mois, lors que Scruient,
le Tellier & Lyonne pratiquant par leurs secretes
menées le restablissement du Cardinal Mazarin,
reueillerent le zelle de tous les Princes du
Sang, & de ceux qui estoit veritablement affectionnez
au repos de l’Estat, pour leur faire opposer
des obstacles à l’iniustice de ce retour,
dont la iuste apprehension fonda le mescontentement,
qu’il a du depuis fallu faire eclater,
pour emporter par la voye des armes, ce qu’on
ne pouuoit point obtenir par les voyes de la
douceur.

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Cette resolution, quelque iuste qu’elle me
semblât estre, ne laissa pas d’allarmer puissamment
tout le party, dont la France est en dessein
de desemparer son Estat, pour rapeller les beaux
iours de sa premiere tranquillité, Et comme le
mal-heur voulut que nostre ieune Mineur ne passa
dans sa Majorité, que pour ne sortir point
d’entre les mains de ceux qui auoient regenté son
enfance Royalle, & dont la faueur se trouuoit
aueuglement engagée à soustenir ces pestes d’Estat :
Il arriua qu’ils eurent assez d’artifice pour
m’imputer des desseins particuliers, que ie desguisois
seulement de l’apparence trompeuse de ce
beau pretexte ; & cette imposture se trouuant
mal heureusement secondée par la trop grande
credulité de la Reyne, qui d’ailleurs auoit tousiours
regardé le bannissement du Mazarin, comme
vn attentat de la fraude sur les droits absolus
de l’authorité Souueraine, ils ne manquerent pas
de la faire hautement esclater dans l’Estat, auec
tous les plus beaux desguisemens dont ils se pouuoient
imaginer pour surprendre la simplicité
des peuples, qu’vne semblable aprehension, sembloit
deuoir engager dans mon party.

Ces ennemys de l’Estat, qui sont encor mieux
connus par le titre honteux de Mazarins, auoient
cet auantage sur moy, qu’ils pouuoient faire fulminet

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sur mes desseins par la bouche de sa Majesté
dont ils s’estoit emparez contre les loix de
l’Estat, & dont ie puis dire, qu’il disposoient si
souuerainement, qu’abusant méchamment de
l’incapacité de son âge, ils ne se seruoient de ses
parolles Royalles que pour en four ber plus heureusement
la credulité des peuples ; & triompher
par ce sacrilege d’Estat de tous les efforts que ie
pourrois faire, pour les remettre dans la possession
de leur premiere tranquillité.

 

En effet les declarations solemnelles, qu’ils
ont fait courir pour authoriser vne fourbe visible
par l’infaillibilité des parolles Royalles, n’ont
que trop honteusement profané le respect qu’on
doit aux Oracles de sa Maiesté ; puis que malgré
l’euidence du dessein qu’ils auoient de restablir le
Cardinal Mazarin, ils ont voulu que les serments
du contraire fussent reçeus sans aucune contradiction,
parce qu’ils auoient le pouuoir de les fair
attester par la bouche d’vn Roy : Et certes ie veu
bien croire, que cette fourbe sacrilegue n’a plaissé
de leur reüssir en beaucoup de lieux, tante
suitte de la creance respectueuse que les Franço
ont tousiours inuiolablement conserué pour les
parolles de leur Souuerain ; que parce qu’ils ne
manquoient pas de faux Orateurs achetez à pri
d’argent pour me suposer des desseins ambitieux

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au preiudice de la sincerité, auec laquelle ie pretendois
m’interesser genereusement pour le repos
de l’Estat.

 

Neantmoins comme ie voyois qu’il falloit necessairement
que leurs desseins ou les miens fussent
iustifiés ou condamnés par le temps ; &
comme ie sçauois que les fourbes se descouurent
enfin par elles mesmes, quelque artificieux que
soit le desguisement qui les rend d’abord receuables :
la Politique m’aprit de surseoir pendant
quelque temps le ressentiment que ie deuois
auoir de tant de calomnies ; & d’attendre que la
trame en fust descouuerte par les succés des affaires,
que nous estions sur le point de faire esclater ;
Moy, pour opposer des obstacles au retour du
Cardinal Mazarin, dont ie faisois hautement retentir
l’vnique dessein ; & eux, pour faire auorter
les entreprises, dont ils pretendoient que
i’ourdissois la trame, sous l’aparence des belles
intentions que ie faisois, disoient ils, esclater,
pour la tranquillité publique.

Cette seulle reflection fut capable de desarmer
sur l’heure tous mes ressentiments ; & l’iniuste
traitement que ie reçeus de la Cour, ne peut exiger
de moy que le dessein d’vne simple restraite,
pendant laquelle ie ne doutois pas, que les euenements
ne fissent voir le iour a tout ce qui estoit

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de veritable dans nos communes intentions ; ou
pour ne condamner s’y i’en auois de contraires à
celles que ie pretendois faire considerer par l’Estat,
ou pour me iustifier, s’y i’auois le bonheur
d’estre reconnu pour sincere par la faueur des
heureux succés dont i’esperois infailliblement
que Dieu beniroit ma conduite.

 

Ie ne pretends cependant pas m’arrester sur
toutes les particuliarités, qui pourroient iustifier
mes deportements, s’y ie voulois attentiuement
repasser sur tout ce qui m’est arriue depuis
mon depart ; puis que la France n’est que trop
instruite, de la qualités des grands qui se sont
ouuertement déclarés pour seconder la iustice de
mes intentions ; du nombre des Prouinces qui
sont entrées dans mon party parce que ie ne me
suis iamais passionné que pour les interests generaux
de l’Estat ; & de toutes les actions dont les
illustres succés n’ont que trop hautement parlé
pour la iustice de mes desseins, par la iuste creance,
qu’ils ont fait conceuoir a tous les desinteressés,
que mes intentions aparentes pour la tranquillité
publique & pour le restablissement de
l’authorité Royalle ne pouuoient estre que tres
sinceres, puis que la prouidence sembloit prendre
mes interests par les glorieux euenements
qu’elle procuroit a toutes mes entreprises pour
la iustification de leur conduite.

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Neantmoins ie pense que ie puis asseurer sans
presomption, que mes ennemys furent obligés
de confesser à l’attaque du fort de Montrond,
qu’ils auoient armé contre moy auec autant d’iniustice
que d’impuissance pour me pousser à
bout comme ils pretendoient, Et si la passion
qu’ils auoient de me perdre, ne les aueugla pas
entierement, ce succez ne leur fit paroistre
que trop de jour, pour voir la honte & l’euidence
de leur temerité, dans le carnage de sept ou huict
cens de leurs meilleurs hommes, que l’imprudence
de Paluau conduisit à l’attaque sans qu’il
luy fut possible d’en ramener vn seul, pour en accompagner
sa retraite.

L’euenement de cét entreprise, eut esté beaucoup
aduantageux pour le faire esclater à ma
gloire ; si la passion que i’ay tousiours eu d’espargner
l’honneur de sa Majesté, ne m’eut empéché
d’en faire part au public, sur la creance que i’auois,
que sa personne sacrée se trouuant engagée
à ce party, depuis les vsurpations tiranniques de
la Regence, il falloit regarder du moins aparement
cette entreprise comme la premiere resolution
de sa Maiorité, la quelle ayant reussy tout
au rebours des intentions de ceux qui l’auoient
apuyée de ce pretexte, ne pouuoit ce semble retentir
à leur desaduantage, sans alterer en quelque
façon les commencements de la gloire de sa

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Majesté, dont le decry seroit beaucoup plus mortel
à mon ame que celuy de ma propre reputation.

 

Mes ennemys n’ont pas manqué de se preualoir
de cette moderation ; & de faire dautant plus
hautement retentir les aparences de leurs aduantages,
que plus ils ont esperé de les faire receuoir
auec quelque sorte de probabilité de la creance
publique, par la faueur du silence dans lequel
i’enseuelissois tout ce que la iustice de mes armes
m’a fait produire de plus esclatant pour la gloire
de mon party.

De qu’elles amplifications ne se sont ils point
seruis, pour releuer la bassesse du siege de Coignac ?
est il de fourbe qu’ils ayent espargné ? est il
d’ostentation qu’ils n’ayent estalé, auec toute
sorte d’apareil, pour faire conceuoir quelque
belle idée, d’vne action, qui n’est esclatante que
du sang respandu de leur plus belles troupes dont
le nombre deffait fut deux fois plus grand que
celuy qu’ils auoient attaqué auec toute leur armée,
pour se rasseurer dans la possession de ce petit
poste, que i’eusse sans doute mesprisé, s’il eut
fallu commander quelque nombre considerable
pour m’en rendre le maistre.

Il n’est pas iusqu’aux tours de la Lanterne &
de saint Nicolas, dont ils ne se soient seruis pour
en enfler leurs ostentations ridicules dans les extraordinaires

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qu’ils en ont fait courir par toutes
les villes de France ; Comme si veritablement ils
auoient quelque raison de se preualoir d’vn auantage
qui ne seroit nullement considerable, si ces
magnifiques sujets de leur triomphe, n’estoit les
plus illustres monumens ou les plus beaux restes
du débris de la Rochelle, & de la victoire de
Louys le iuste ; & qu’à la faueur de l’ignorance
des peuples, ils pourroient de la petitesse d’vne
seriphe, faire conceuoir la grandeur d’vn Mont
Athos.

 

Encor n’eussay ie pas esté surpris de tant de
vent parce que i’nattendois d’auantage ; si mes
ennemys ne se fussent emporteés iusqu’a vouloir
me rauir iniustement gloire de les auoir battus
dans vn combat generalle, ou le carnage de trois
mille hommes que i’y ay fait demeurer sur la place,
& la prise de huict cents prisonniers que i’ay
chargé de fers, ne l’aisserent pas de m’arracher
les l’armes des yeux quelque iustement irrité que
ie fusse contre l’iniustice de leur party : parce que
ie voyois fort bien que la plus part de ceux qui
s’y estoient iettés n’auoient fait d’autre reflection
sur le choix du party qu’ils embrassoient, que
celle qu’vn engagement de preocupation leur
auoit inspiré, pour suiure les traces de leurs parens
ou de leurs amys.

Cependant mes ennemys prenant aduantage

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du silence que ie gardois ayant vne si belle occasion
de parler ; n’ont point perdu leur temps pour
descrier mes armes par le succés de cette bataille,
dont ils ont effrontement donné la gloire au
Comte d’Harcourt, & i’ay appris par le fidelle
rapport d’vn de mes domestiques. qu’il sçauoit
asseurement qu’on auoit gagé du monde dans
Paris, pour insinuer dans l’esprit du peuple la
creance de cette fausse nouuelle, que l’asseurance
du contraire n’a laissé receuoir qu’auec le mespris
de tous les gens d’honneur, Il est vray qu’ils
auoient encor eu assez de honte pour ne la faire
point imprimer, iusqu’à ce que cét imposteur
public s’est auisé de dire dans vne seule periode
de son Iournal, que le Comte d’Harcourt estant venu
en suitte de la reddition de la Tour saint Nicolas, à ma
rencontre me combatit & deffit mes trouppes
adioustant saussement ces parolles, comme vous
auez veu, quoy qu’en effet il n’en eut iamais esté
parlé que par la bouche de ceux qui en debitoient
l’imposture dans les compagnez, pour balancer
la creance du succez de la bataille par l’incertitude
des diuers rapports qui se faisoient sur ce
sujet.

 

Mais ie m’imagine que nayant point eu assés
de hardiesse pour faire vne longue narration de
toutes les particularités de ce succés pretendu,
malgré les sentiments contraires de tout le

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monde, & les tesmoignages infaillibles de la
voix publique ; il a supposé qu’il s’estoit desia deschargé
de ce deuoir ; pour faire passer cette fausseté
pour vne verité qu’il sembloit supposet auoir
esté reçeüe de tout le monde sans aucune contradiction.
Et cette lettre supposée qu’il fait enuoyer
au sieur d’Estissac par le Comte d’Harcourt,
ne marque que trop visiblement la passion
immoderée qu’il a de faire valoir son party, sans
auoir esgard à la iustice des moyens qu’il en
prend. puis qu’au lieu d’espargner la honte d’vn
Prince qui n’est que trop confus d’auoir esté batu
en vne si belle occasion, il en fait encor l’Historien
imposteur d’vne déroute imaginaire, lors
qu’il luy fait dire dans sa lettre qu’outre la défaire
de quatre Regimens qu’il m’a taillé, il m’a contraint
de repasser la riuiere auec confusion. Il parlera
mieux quand il luy plaira, car pour cét imposture
elle a desia reçeu le dementy de toute la
voix publique.

 

Cette conduite de mes ennemys à bien souuent
espuisé toutes mes reflections, & i’ay bien eu de
la peine à conceuoir qu’ils n’ayent point iamais
remarqué, que les fourbes n’estoient pas bien
seantes dans la bouche de ceux, qui sembloient
condamner auec tant de pompe le Genie du Cardinal
Mazarin, pour ne paroistre point compliees
de son restablissement.

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Mais l’impuissance de leur passion à enfin esclaté ;
& lors mesme que la décadence de leurs
affaires leur sembloit imposer vne necessité de
dissimuler encor pour quelque temps, le dessein
iniuste de rappeller ce proscrit ; Leur fierté a paru
plus que iamais, en ce qu’ils ont publiquement
pratiqué le retour de ce mauuais Ministre par les
ordres exprez qu’ils ont fait donner à tous les
Gouuerneurs des Places frontieres pour le receuoir
lors qu’il se presenteroit ; par le soing extrauagant
qu’ils ont eu de luy procurer le glorieux
titre de Generalissime des armées du Roy, quelque
iustement proscrit qu’il soit par les declarations
de sa Majesté & par les arrests de toutes les
Cours Souueraines de cette Monarchie.

Si malgré l’euidence de ce pernicieux commerce,
pour le quel mesme il a fallu que le Parlement
se soit assemblé affin d’en faire des remonstrances
à sa Majesté ; mes ennemys continuent
d’asseurer que le dessein qu’ils ont de restablir le
Mazarin est vne chimere, que ie me suis forgée
dans mon esprit pour en faire le pretexte des autres
desseins qu’ils m’ont faussement supposé des
le commencement de ma retraite ; faut il douter
desormais qu’ils ne soient capables de toute sorte
d’imposture, puis qu’ils en meinent iusqu’à ce
point d’impudence mesme que de vouloir nous
faire fermer les yeux à l’euidence d’vn restablissement,

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qu’ils pratiquent auec tant d’esclat à mesme
que sans aucun respect de l’integrité des parolles
Royalles dont l’infaillibilité ne doit pas estre
moindre que celle des Oracles, ils font faire
des declarations à sa Majesté pour se premunir
contre vne fourbe, dont ils deuroient pour le
moins cacher le dessein, iusqu’à ce qu’ils fussent
en estat de l’executer sans qu’aucune opposition
peut faire auorter l’entreprise. Ie ne raisonne
point dauantage pour faire voir l’innocence de
ma conduite, puis que mes ennemys mesme se
rendent mes Orateurs par l’aueuglement de leurs
impatience ; & s’il arriue que quelque opiniastre
à ses premiers sentimens, refuse encor de iustifier
mon armement dans son idée, il faut necessairement
qu’il accuse vn premier Prince du Sang,
pour auoir armé contre l’ennemy de l’Estat & le
perturbateur visible du repos public. Hic, Lecto
condaum induxi loquentem, vt emicans ab ipsius or
veritatis Maiestas splendidior elucesceret.

 

FIN.

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