Anonyme [1651], LE MANIFESTE DE LA NOBLESSE QVI S’EST IETTEE DANS LE PARTY du ROY, sous la Conduite de Monseigneur le PRINCE. Où les veritables Desinteressez verront dans la suitte d’vn beau raisonnement, que les Seigneurs & les Gentilshommes qui se sont declarez pour Monseigneur le Prince, sont les veritables Seruiteurs du Roy. Et hoc etiam vidente & ringente inuidia, Sen. lib.2. de Benef. , françaisRéférence RIM : M0_2357. Cote locale : B_6_15.
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LE
MANIFESTE
DE LA
NOBLESSE
QVI S’EST IETTEE DANS LE PARTY
du ROY, sous la Conduite de Monseigneur
le PRINCE.

Où les veritables Desinteressez verront dans la
suitte d’vn beau raisonnement, que les Seigneurs
& les Gentilshommes qui se sont declarez pour
Monseigneur le Prince, sont les veritables Seruiteurs
du Roy.

Et hoc etiam vidente & ringente inuidia,
Sen. lib.2. de Benef. 

M. DC. LI.

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LE
MANIFESTE
DE LA
NOBLESSE,
QVI S’EST IETTÉE DV PARTY
du ROY, sous la Conduite de Monseigneur
le PRINCE.

PARMY les estonnemens qui pourroient aujourd’huy
s’emparer des Esprits foibles, ou de
ceux qui ne sont pas bien instruits dans les
consequences des affaires d’Estat ; Celuy de voir la
plus belle eslite des Seigneurs & Gentilshommes
de France dans le Party de Monsieur le Prince,
pendant que la personne du Roy se trouue dans vn
autre, sembleroit auoir plus de fondement pour
en justifier la creance de ceux qui s’y seroient attachez,
par les seuls principes de leurs raisons particulieres.
Car s’il est vray, comme il n’est que trop
constant, que la Noblesse des particuliers n’est rien
autre chose qu’vn beau rayon éclos de la Majesté
de leurs Souuerains, ou bien vn certain écoulement
de grandeur emané de leur Authorité : Il est
du moins à presumer fort apparemment que la presence

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des Roys est aux Gentilshommes, ce que celle
du Soleil est aux Astres ; & qu’il semble que le
plus bel éclat de la Noblesse est dans son éclypse,
lors que la splendeur n’en est point releuée par la
presence de celuy qui en est le seul principe.

 

Cette raison, en effet, pourroit bien estre assez
surprenante pour jetter l’erreur dans les connoissances
des foibles ; lors qu’ils viendront à considerer,
Que les Seigneurs & les Gentilshommes qui se
sont jettez dans le Party de Monsieur le Prince, &
qui se sont du moins aparemment écartez de celuy
de leur Souuerain, semblent s’estre dégradez volontairement
de l’éclat de leur propre Noblesse,
puis qu’ils se sont esloignez de celuy qui en estoit la
source : Mais il est si facile d’esclairer les erreurs de
cette ignorance, & de faire voir que la luëur apparente
de cette raison, n’est qu’vn Phainomene trompeur ;
Que i’ose me promettre, sans temerité, qu’apres
le raisonnement que ie m’en vay mettre en son
jour, il ne sera point de veritable Desinteressé, qui
ne juge auec moy, que les Seigneurs & les Gentilshommes,
qui se sont rangez du costé de Monsieur
le Prince, sont les veritables Seruiteurs du Roy ; &
que ceux qui s’en sont écartez, ne doiuent estre
considerez, (quelque montre qu’ils fassent d’vne apparence
trompeuse de fidelité) que comme des veritables
Factionnaires, & les Ennemis les plus dangereux
de l’authorité de leur Souuerain.

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Pour cét effet il faut presuposer ce qui ne sçauroit
estre nié par aucun homme de sens ; que le
Roy, quelque Maieur qu’il soit, & quelque grande
capacité de genie que la nature luy ait eslargy,
n’est neanmoins point encor en aage de porter le
poids des affaires, & de gouuerner le Tymon de
sa Monarchie, sans se conduire par l’intelligence
de ceux qui sont aupres de sa personne sacrée, &
que la bonne ou la mauuaise fortune de l’Estat ont
esleué à l’honneur de sa confidence : pour nier cette
verité il faudroit encherir par dessus la flaterie
de ce Courtizan de la Cour de Macedoine, qui disoit
autre fois pour flatter son maistre, qu’il seroit
à propos de diuiniser les mouches qui se repaissoient
du sang d’Alexandre ; & que cette boisson
estant beaucoup plus pretieuse que le Nectar des
Dieux, il ne falloit point douter que celles qui s’en
repaissoient, meritoient d’estre esleuées à l’immortalité.

Ie presuppose en second lieu, ce que l’experience
ne rend que trop visible à toute la France ; que
les creatures, ou les partizans & protecteurs du
C. Mazarin se sont emparez de la personne sacrée
de sa Majesté ; & que parmy tous ceux qui ont
l’honneur de l’approcher, il n’en est point qui ne
soit renuoyé auec grand mespris, à moins qu’il ne
se rende complaisant à la passion generalle qu’on
a pour le restablissement de ce proscript. Tous les
gens de bien souscriront à cette verité.

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Pour la troisiesme supposition ie soustiens que
le Roy n’ayant iamais esté esleué que dans les sentimens
du C. Mazarin puis qu’il estoit son gouuerneur,
que par les partizans du C. Mazarin, puis
que ce Ministre n’en permetroit les approches
qu’à ceux qui luy auoient donné des premies authentiques
de leur fidelité, & n’estant tombé apres
sa Minorité qu’entre les mains de ceux qui sont attachez
ou par complaisance ou par inclination au
restablissement de ce proscript ; il ne se peut que
ses inclinations les plus heroiques, n’ayent esté en
quelque façon alterées par les mauuaises impressions
que ce Cardinal leur aura donné ; & que son
esprit Royal ne soit encore dans les mesmes sentimens
dans lesquels on l’a esleué, puis qu’on n’en a
iamais voulu permettre les approches à ceux qui
pouuoient luy en inspirer de meilleurs, & qu’on
s’est constament estudié d’esloigner d’aupres de sa
personne sacrée, tous ceux qui estoient capables
de luy faire enuisager auec sincerité la veritable
posture des affaire de cét Estat.

De ces presupositions, que ie n’estime pas
moins euidentes que les premiers principes, ie
passe à vne verité qui semblera bien estonnante à
ceux qui ne la considereront que fort legerement :
mais qui neanmoins ne laissera pas de paroistre
auec agrement aux yeux de ceux qui voudront
prendre la peine de la regarder auec quelque
peu de reflection : Ie dis que l’authorité Souuerainne,

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c’est à dire cette independance
Monarchique à laquelle les peuples se sont
volontairement soûmis pour la direction de
leur conduitte, ne se retrouue neantmoins
point dans le party qui s’est emparé de la personne
du Roy ; & que les veritables subiets qui veullent
la reconnoistre de leurs hommages ordinaires,
doiuent en suspendre l’affection, iusques à
ce que les bons destins de la France, auront osté
sa Maiesté de la dependance des conseils de ses
ennemys, pour ne faire esclairer la ieunesse de sa
Maiorité, que par les lumieres, de ceux qui sont
veritablement interessés à la conseruation de son
authorité.

 

Ie m’en vay mettre cette verité vn peu plus au
iour par la comparaison d’vne agreable histoire
qui fait le plus bel ornement des Annales de l’Empereur
Basile. Ce Monarque le plus imperieux
que la terre ayt iamais porté, & qui n’auoit pas
assez d’humilité pour permettre qu’aucun de ses
Courtizans, quelque esleué qu’il fut, le regardât
entre les deux yeux ; s’estant vn iour échaufé à la
poursuite d’vn sanglier, qu’il vouloit auoir l’honneur
de terracer sans l’assistance d’aucun de ses
gentils-hommes ; effaroucha tellement cette
beste feroce, que s’estant retournée furieusement
contre luy, elle l’acula dans vn retranchement,

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dont les aproches n’estoient pas possibles, à ceux
de sa suite, qui ne manquoient sans doute pas de
passion pour le degager de ce peril : Ce sanglier
s’estoit outre cela placé en telle posture aupres de
l’Empereur qu’il estoit mesme dangereux de l’y attaquer
à coups de jauelots sans risquer la personne
sacrée de sa Maiesté Imperiale, tellement qu’il
fallut que les gentils hommes les plus hardys s’efforçassent
de se faire iour par quelque autre endroit,
iusqu’à ce qu’incités par les remonstrances
de l’Empereur, qui se sentoit impuissant pour
resister d’auantage aux furieux assauts de cette
beste farouche, ils furent obligés de décocher
leurs fleches, mesmes auec hazard de l’offencer
à raison de sa proximité : Ils le firent neanmoins si
adroitement, que vint-quatre coups de traits
ayans esté dardés, il ny en eut pas vn seul qui ne
tombât heureusement sur le sanglier, sans que
l’Empereur en receut aucun dommage que celuy
d’en auoir apprehendé le succés.

 

Est-il apres cela besoin de beaucoup d’adresse
pour apliquer cette comparaison ? qui ne voit que
l’Empereur Basile, c’est le Roy ? que le Cardinal
Mazarin est ce sanglier furieux, qui en veut à
l’authorité Souueraine, & qui s’est tellement emparée
de la personne sacrée de sa Majesté, que
ses veritables subiets sont reduits à la necessité ou

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de la laisser perdre ou de la deffendre du moins
auec quelque sorte de hazard ; dans la fausse imagination
qu’on a que les armes qui sont portées
contre le party où le Roy se trouue sont criminelles,
& qu’il faut aueuglement se soumette à sa conduite
quelque éuidence qu’on ait qu’elle n’est
esclairée, que par les lumieres de ceux qui disposent
toutes les affaires de cet Estat à sa ruine.

 

Ie sçay bien qu’on ne void auiourd’huy que
trop de faux conseillers & Ministres, lesquels
soubs pretexte de soustenir l’Authorité Souueraine,
voudroient bien qu’on fist tirer les affaires
en longueur, ou qu’on les disposast pour le
moins à quelque fauorable accommodement par
des uoyes politiques qui peusent faire compatir
leurs interests particuliers auec les generaux ; Et
ceux là sont semblables à ces lâches & ignorans
seruiteurs de l’Empereur Basille, qui sous le faux
pretexte de garentir leur maistre mesme sans aucunne
apparence de danger, se mettoient en deuoir
de le faire, par des voyes longues, pendant
lesquelles, il estoit impossible que ce pauure Prince
ne succombast à la rage du sanglier ; au lieu
que les moins interessez & les plus genereux faisant
vne meute reflection sur la floible resistence
de l’Empereur, iugerent plus sainement qu’il falloit
décocher leurs jauelots contre le sanglier,
quelque proche qu’il fut de l’Empereur : mais qu’il
falloit s’efforces d’assener leurs coups auec tant

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d’adresse, que le sanglier en fut terrassé, sans que
sa Majesté Imperiale en peut estre aucunement
offencée.

 

Celuy qui voudra bien considerer le procedé de
M. le Prince & de tous les Parlemens, Seigneurs
& Gentils hommes qui se sont rangez de son party ?
ne dira-t’il pas auec moy qu’ils imitent entierement
ces sages & genereux de la suitte de l’Empereur
Basile ; & qu’ils ayment beaucoup mieux
attaquer du moins apparemment nostre ieune
Monarque pour le sauuer ; que de faire semblant
de le vouloir deffendre pour le perdre Ils considerent
auec tous les sensez que Mazarin s’est tellement
preualu de la simplicité de sa ieunesse, pour
empieter sur son authorité Royalle, qu’il l’a reduite
aux abois, ou en estat de ne pouuoir point estre
restablie dans sa premiere posture, à moins qu’on
ne l’entreprenne par quelque coup hardy : ils
voyent que les poursuites de ce mauuais Ministre
ont si dangereusement aculé cette mesme authorité
Souueraine, apres les mortelles blessures qu’il
luy a fait ; qu’il n’est pas possible de l’approcher
qu’en l’attaquant ; & qu’il a si dextrement obsedé
la personne sacrée de sa Majesté auec dessein de la
perdre, qu’on ne peut pas mesme se mettre en
estat de la deffendre, sans se mettre du moins apparemment
en danger de l’attaquer.

Ces reflections sincerement des-interessées,
leur font fermer les yeux à tous les reproches, que

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les ignorans ou les mauuais François leur peuuent
faire touchant le dessein du moins apparent qu’ils
tesmoignent auoir contre l’authorité Souueraine :
Et comme ils iugent qu’il n’est pas possible d’attendre
que des voyes plus longues leur en facilitent
vn accommodement plus plausible ; pendant
qu’ils voyent que la Royauté est aux abois, par les
intrigues du Mazarin & des Mazarins, ils asseinent
adroitement leurs coups contre ces sangliers,
quelques proches qu’ils soient de sa Maiesté, auec
asseurance qu’ils ne se seront pas plutost deffaits
de ces veritables ennemis de l’authorité Souueraine,
qu’ils feront voir puis apres en luy rendant plus
asseurement leurs hommages qu’ils n’auoient secoüé
le ioug en apparence, que pour s’y soûmettre
plus humblement en effet.

 

Ce raisonnement est si solide que ie l’estime à
l’espreuue des plus opiniastres cerueaux du party
contraire : mais neanmoins comme il n’est pas assez
populaire, pour des abuser la simplicité des
foibles, que des ombrages mal pris, pourroient
auoir ietté dans des sentimens des-aduantageux à
la verité, Ie m’en vay faire voir par des raisons vn
peu plus vulgaires, que les Parlements & les Gentils-hommes
qui se sont declares pour le party de
M. le Prince, sont les veritables deffenseurs de l’authorité
Souueraine & les plus fidelles seruiteurs
de sa Majesté.

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Comme il est vray que la source de tous nos
desordres passez n’est autre que la mauuaise conduite
du Cardinal Mazarin ; aussi ne faut-il point
douter que l’apprehension qu’on a de son restablissement,
en suitte du pouuoir absolu que ses
partizans ont aupres de sa Maiesté, ne doiue estre
le seul obstacle que nos mauuais destins opposeront
constamment au retour de la tranquillité publique ;
puis que nous voyons que depuis le depart
de ce mauuais Ministre, il n’a pas esté possible de
faire croire aux peuples que son banissement fut
sincere, tandis qu’ils ont veu que ses partisans ou
ses creatures, n’estoient point descheus de leur
premiere authorité.

Cette creance generalle des peuples, est si contraire
à l’intelligence que les sujets doiuent auoir
auec leur Souuerain, pour le maintien de l’authorité
Souueraine, qu’il n’est pas possible d’en renoüer
le nœud rompu par les intrigues de ce malheureux
Italien, tandis qu’elle se conseruera dans
leurs esprits ; & qu’ils auront quelque suiet de demeurer
dans leur mes intelligence, sous pretexte
que celuy qui l’a causée par la tyrannie de sa conduite,
n’est secoüé du gouuernail de cét Estat que
par vne pure complaisance qu’on a voulu porter à
la violence des affaires, qui ne sembloient plus en
estat de pouuoir aucunement compatir auec sa
presence.

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Tellement que les Parlemens, les Seigneurs, &
& les Gentils hommes les mieux éclairez, connoissant
fort bien que pour le restablissement de
l’authorité souueraine, il est premierement necessaire
qu’on restablisse cette vnion tant desirée
des sujets auec leur Souuerain ; & voyant outre
cela qu’il n’est pas possible de rappeller cette
vnion, sans oster le sujet qui l’empesche, c’est à
dire l’apprehension du rapel de Mazarin ; ils se
sont resolus de conspirer vnanimement, pour
oster les causes de cette apprehension, c’est à dire
pour des emparer la personne du Roy, de tout
ce qui peut estre attaché ou par complaisance ou
par inclination à procurer le retour de ce proscrit ;
sur l’asseurance qu’ils ont que c’est par ce seul
moyen que les peuples estant conuaincus de l’impossibilité
de ce restablissement, n’auront plus de
peine à baiser leur ioug qu’ils semblent à present
regarder de trauers, parce qu’il leur est aduis que
celuy qui leur impose le rend intolerable.

Ce zele de trauailler pour le restablissement de
l’authorité Souueraine, est d’autant plus digne des
Parlements & de l’eslite de la Noblesse de France ;
que plus il est constant qu’ils n’ont d’authorité
qn a mesure qu’ils en reçoiuent de ce premier
principe ; & qu’il ne se peut faire d’alteration dans
le pouuoir de l’authorité Souueraine, qu’il ne se
fasse à mesme temps vne notable bresche à celle

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qui leur en est communiquée par reflection.

 

De cette raison ie passe à vne seconde qui iustifira
plus inuinciblement le procedé de la Noblesse
qui s’est declarée pour le party de M. le Prince ;
Et ie dis que tous ces braues Seigneurs & Gentilshommes
qui se sont genereusement soûmis à la
conduite de ce Heros, ne pouuoit pas plus noblement
faire éclater le dessein de soustenir l’authorité
Souueraine qu’en se reglant sur l’exemple de
celuy qui s’est si souuent & à leurs yeux prodigué
à toute sorte de hazards pour la cimenter de son
propre sang ; & qui n’a pour tout crime, mesme
dans l’estime de ses ennemis, que celuy d’auoir
posposé l’amour general de tous les peuples, à la
gloire qu’il pretendoit en la soustenant.

Cette reflection est si veritable qu’elle ne peut
estre rebuttée que par les ennemis de l’Estat :
mais elle est principalement sans replique, lors
qu’on vient à considerer que ces faux zelateurs
qui font sonner si haut le beau pretexte de maintenir
l’authorité Souueraine, parce qu’ils se trouuent
emparez de la personne de sa Majesté, ne
l’ont iamais respectée que pour la faire seruir de
marotte à leurs pernicieux desseins ; comme ils
ne se sont iamais souciez d’en hazarder les bresches ;
pourueu que l’estat de leur fortune particuliere
n’en fut aucunement interessé. Ce qui est
arriué depuis quatre ans ne parle que trop euidemment

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pour vne entiere iustification de cette
verité ; & par mesme raison ie pense qu’à considerer
sainement, & les Seigneurs & Gentils-hommes
qui sont à present dans le party, où se trouue
la personne du Roy ; & ceux qui se sont declarez
pour M. le Prinçe ; Ceux là ne pretextent l’authorité
Souueraine qu’au dessein de s’en seruir pour
l’agrandissement ou pour la conseruation de leur
fortune ; Comme au contraire ceux-cy mettent
du moins dans l’apparence leurs interests sous les
pieds, pour n’en esperer le rehaussement que par
reflection, par le veritable restablissement de cette
mesme authorité.

 

De ces deux reflections i’en vois naistre vne
seconde, qui me fait voir que ces mauuais Sujets
qui se sont emparez de la personne du Roy, ne
reprochent à M. le Prince qu’il en veut a l’authorité
Souueraine, que parce qu’outre qu’ils le iugent
imprenable de tout autre costé, ils pensent
que la creance en est d’autant plus facile, qu’il
est vray semblable que ce Prince ne peut les attaquer
dans cette conioncture, sans donner quelque
fondement aux simples, de se persuader qu’il
attaque le Roy puis qu’il attaque le party, qui
semble du moins estre soustenu par la presence
de sa Maiesté Mais lors que ces personnes trop
faciles pour se laisser conuaincre dans les plus visibles

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faussetez, voudront considerer, que la haine
de ces interessez est vne necessité de leur subsistance,
ils pourront iuger puis apres moins dangereusement,
si les desseins qu’ils supposent à
M. le Prince ne sont pas plutost des pretextes que
des veritez.

 

C’est du moins vne des plus illustres raisons
qui a obligé la plus belle élite de la Noblesse de
France de se declarer pour le party de M. le Prince,
lors qu’elle a consideré que ses fameux ennemis
qui sont aupres de sa Majesté, ne fomentoient
cette fatalle & mortelle des-vnion entre le Roy &
son premier Prince du sang, que parce qu’ils ont
veu que leur intelligence deuoit estre l’escüeil
de leurs fortunes particulieres ; & que ce Prince
n’auroit iamais assez de lascheté, pour les soufrir
par la complaisance de ses conseils aupres du Timon
de cét Estat ; Aussi n’a t’on pas fait beaucoup
de cas de ces accusations friuoles dont on a chargé
l’innocence de M. le Prince, qu’il n’en vouloit
qu’à l’authorité Souueraine ; parce qu’on a veu que
cette imposture estoit la seule resource de ses accusateurs ;
& qu’ils n’estoient point en estat de pouuoir
soustenir l’iniuste agrandissement de leur fortune,
à moins qu’ils n’esloignassent M. le Prince
d’aupres de sa Majesté par la seulle & fausse supposition,
qu’il en vouloit à l’authorité Souueraine.

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Apres ce raisonnement peut il estre de maluisé
qui ne rougisse de n’auoir tousiours crû que
la Noblesse qui s’est déuoüée au party de M. le
Prince, est la seulle des-interessée, & la plus genereuse
& fidelle de cét Estat. Mais quand on
vient à considerer la conduite de M. le Prince
dans sa retraite, & celuy de la Cour dans sa povrsuite,
n’a-t’on pas grand sujet de iustifier la Noblesse
qui s’est attachée à la deffence de cèt Illustre
Prince : & de croire que le Roy majeur n’est
point le premier mobile de c’est iniuste dessein
que dans l’apparence ; c’est à dire en tant qu’il s’y
trouue engagé à suiure les conseils de ceux, lesquels
abusant de la simplicité de son âge par la
grande sujection à laquelle ils l’ont accoustumé
depuis le berceau, luy persuadent fort facilement,
mesme que leurs passions sont les veritables
interests de sa Majesté.

Car si la Cour n’eut point eu aucun mauuais
dessein contre M. le Prince lors qu’il se retira de
Paris, il me semble qu’elle pouuoit bien facilement
faire voir à toute la France, que le mescontentement
de ce Prince n’estoit fondé que sur
des raisons pretextées ; si, sans le poursuiure viuement
comme elle a fait, & sans dégarnir pour cét
effet les frontieres, elle l’eut laissé retirer dans
quelqu’vn de ses Gouuernemens ; ou, n’ayant
point aucune raison de se retrancher contre les
poursuites de ces ennemys, qui n’eussent seulement

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pas fait mine de l’attaquer, il n’eust sans
doute point peu armer comme il a fait sans se
mettre en danger d’estre declaré criminel d’Estat
mesme auec le consentement de tous les Peuples ;
& sans donner par mesme consequence quelque
forte d’apprehension aux plus determinez de
s’attacher à son party.

 

Mais lors qu’il a veu que la Cour, c’est à dire les
Mazarins vrays possesseurs Lutins de la bouté
Royalle de sa Majesté, ne le pouuoient seulement
pas souffrir dans le repos ; & qu’ils dégarnissoient
mesme les frontieres, pour l’aller trauerser dans la
douceur de sa retraite ; il a esmeu par la veüe de
cet iniuste traitement, les Parlemens ; veritablement
genereux, à luy permettre de faire des leuées
de gens de guerre pour sa deffence ; & à tout
ce qu’il y a de braue & de bien intentionné dans
la Noblesse de France, de faire foule dans son
party, sur la creance trop probable qu’ils ont eu
que le Roy n’en pouuoit vouloir à celuy qui auoit
apuyé son Trône pendant sa Minorité ; & que sa
bonté Royalle estant innocemment surprise par
les artifices de ses ennemys, on ne pouuoit seconder
ses conseils contre le plus ferme apuy de
son Trône, sans se rendre les instrumens secrets
de la perte de son authorité, & les conspirateurs
criminels de sa propre ruine.

Quoy que cette raison ne reçoiue point de replique
pour la iustification de cette braue Noblesse ;

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on la peut neantmoins encore rendre plus
inuincible, par la reflection qu’on peut emprunter
de l’innocence de la conduite du Roy dans toutes
ces conjonctures. On sçait bien que si sa Maiesté
auoit iamais esté en estat de regarder la posture des
affaires de son Royaume par d’autres yeux que par
ceux des Mazarins ; si le choix d’vne Maiorité bien
auancée se fut declaré en faueur de cette engeance
pour la conduite de son Gouuernement ; ceux qui se
metroient en estat de trauerser ses inclinations sur ce
point, donneroient du moins quelque suiet plausible
de croire, qu’ils ne seroient en peine que de trouuer
quelque fauorable pretexte pour leur remuëment.
Mais l’asseurance qu’on a que ce ieune Monarque
n’est iamais sorty des mains des Partisans du Mazarin ;
qu’on ne luy a iamais fait voir d’autres visages,
que ceux qui estoient agreables à ce Ministre, qu’il a
trouué sa Maiorité pourueüe d’vn conseil tout composé
de Mazarins, de peur que ses inclinations naturellement
plus iustes, ne portassent leur choix sur
quelques meilleures testes pour ne se regler que sur
leur conduite ; & que par ces mesmes raisons, ce petit
Prince n’a iamais eu la liberté de parler ou de
faire que par les organes de ceux, qui ne luy ont iamais
permis de se declarer qu’en leur faueur : cette asseurance,
dis-ie, a fait que les veritablement genereux,
se sont dispensés pour quelque temps d’vne
apparence de respect, & qu’il se sont iettez dans vn
autre party, pour tâcher de rompre les iniustes liens

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qui captiuent l’authorité Souueraine sous la dépendance
des Mazarins, & pour la mettre en estat de s’y
pouuoir soûmettre, sans donner aucun suiet à la
France de soubçonner qu’ils se rendent complaisans
à la faction Mazarine.

 

Et de vray : N’est-il pas trop visible que l’esprit Mazarin
anime encor auiourd’huy la grande Machine de
cet Estat, puis que si l’on veut faire vn parallele de la
conduite presente auec le passée, on trouuera qu’elles
ont vn parfait rapport, & qu’on ne voit point auiourd’huy
pratiquer d’autres maximes pour le gouuernement
de cette Monarchie, que celles que cet indigne
Cardinal pratiquoit autrefois, lors que nos mauuais
destins luy en auoient donné le timon. Et cette reflection
est si puissante dans l’esprit de la veritable Noblesse
de France, que la vengeance du rabais de la
Royauté n’anime que trop iustement contre cet insolent
Ministre ; qu’elle s’imagine n’auoir que trop de raison
pour se ietter dans le party, qui n’a pour dessein
que celuy d’affranchir l’authorité Souueraine, & de la
mettre en estat de receuoir les obeissances, que sa condition
oblige de luy porter auec plus de respect que tous
les autres suiets de la Monarchie. Qu’on considere sans
passion ce procedé, sans s’interesser aueuglement ny
pour l’vn ny pour l’autre party, & ie m’asseure qu’on
n’aura point de suiet de reprocher à la Noblesse qui s’est
declarée pour M. le Prince, que d’auoir tardé de le faire,
puis qu’il n’est que luy seul qui s’interesse veritablement
pour l’authorité du Roy & pour la tranquillité
des peuples.

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Ie m’en vay mettre la derniere main à ce Manifeste
par vn agreable exemple que i’emprunte
de l’histoire d’Amintas Roy de Pergame, & dont
ie feray la comparaison auec le sujet du temps,
pour finir comme i’ay commencé. Cét Amintas
ayant esté pris dans vne bataille par Prusias Roy
de Bithinie, fut si rigoureusement traité de ce Roy
vainqueur ; qu’il fut contraint pour garantir sa vie
de deputer vn courier vers Attalus General de ses
armées, pour luy faire commandement d’ouurir
les portes de ses meilleures places à Prusias lors
qu’il s’y presenteroit auec son armée pour s’en
rendre le maistre. Ce General reconnut bien en
en effet par le sceau Royal, que c’estoit son maistre
qui luy faisoit ce cõmandement ; Mais sur la creance
qu’il eust que sa captiuité le dispensoit de luy
obeir en ce point, il luy rescriuit qu’il supplioit
tres-humblement sa Maiesté, de luy permettre
qu’il luy fist reconnoistre sa fidelité en choquant
cette sienne volonté & qu’en attendant qu’il
l’eut affranchy de la puissance de ses ennemys,
pour luy rendre ses hommages ordinaires, il disposast
souuerainnement de tout ce qui estoit necessaire,
pour le recouurement de sa liberté : En
effet il menagea si prudemment sa conduitte,
qu’ayant vigoureusement donné dans l’armée des
ennemis à la teste desquels, le vainqueur auoit

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mis le mal heureux Amintas, il la tailla toute en
pieces, auec vn si horrible carnage, que le seul
Amintas qui auoit esté mis à la teste, pour y perit
le premier, y fut sauué tout seul ; & reçeut à
mesme temps de son Attalus vainqueur, tous les
respects & toutes les obeyssances qu’il luy auoit refusé
estant vaincu.

 

Mazarin est cét iniuste Prusias qui s’est emparé
de l’innocente personne de nostre ieune Amyntas,
c’est à dire de nostre ieune Roy ; & qui dispose
en suite si souuerainement de son authorité, qu’il
l’a fait seruir à toutes ses passions, auec vn empire
si absolu, qu’il semble du moins apparemment
que c’est choquer sa Majesté que de ne se rendre
point complaisant à toutes les volontez de cét insolent
Ministre, ou de ceux qui en sont les interpretes :
ses volontez ne portent que le faux, quoy
qu’illustre titre des volontez Royalles, & sous
pretexte qu’elles sõt seellées de la marque Royalle
de sa Majesté, il pretend que tous ceux qui ne s’y
rendent point aueuglement complaisans, sont les
seuls & veritables criminels d’Estat.

Le vaillant Attalus, c’est à dire, M. le Prince reçoit
ses ordres : il les respecte en effet, parce qu’ils
sont reuestus d’vne apparence Royalle : Mais l’asseurance
qu’il a que c’est le plus mortel ennemy
de l’Estat, qui declare ses volontez par l’organe de

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son Souuerain qu’il a captiué sous la dependance
de ses conseils ; luy fait mespriser de s’y soumetre ;
& luy inspire à mesme temps le dessein de rechercher
viuement toutes les occasions de garentir
son Prince de cette captiuité, affin de courir
promptement à luy rendre ses hommages ordinaires
lors qu’il l’aura eslargy ; & faire voir par son
exemple pendant son triomphe, qu’il ne luy desobeït
maintenant que pour son auantage. Tous
les sensez du moins en doiuuent faire ce iugement ;
& par cette mesme raison ie ne pense pas que les
plus iniustes mesme, ayent assez de sujet de condamner
la Noblesse qui s’est si genereusement declarée
pour le party de Monseigneur le Prince,
puis qu’il appert par les pressantes demonstrations
que ie viens d’alleguer, qu’elle n’a fait que
ce qu’on en deuoit esperer ; & que c’est par sa seule
entremise que nous deuons attendre le parfait
restablissement de l’authorité Souueraine & du repos
des peuples.

 

Pour acheuer la iustification du procedé de
cette genereuse Noblesse, & pour la mettre à l’espreuue
de toute sorte de repart, ie pense que c’est
assés de dire qu’on ne peut blasmer vn party qui se
trouue appuyé de l’authorité de son Altesse Royalle ;
& pour le progrez duquel cét illustre oncle du
Roy s’interesse auec tant de passion, que les plus

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échauffez parrisans du Mazarinisme & les plus
adroits pour fomenter vn complot, n’ont iamais
peu le faire pancher de l’autre costé ; tant il est vray
qu’il n’en a iamais peu approuuer les poursuites,
parce qu’il les a tousiours iugées aussi contraires à
la iustice, que des-aduantageuses à l’authorité Souueraine,
dont il est conuaincu par l’experience de
tout le passé, que M. le Prince est le plus ferme
appuy.

 

FIN.

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Anonyme [1651], LE MANIFESTE DE LA NOBLESSE QVI S’EST IETTEE DANS LE PARTY du ROY, sous la Conduite de Monseigneur le PRINCE. Où les veritables Desinteressez verront dans la suitte d’vn beau raisonnement, que les Seigneurs & les Gentilshommes qui se sont declarez pour Monseigneur le Prince, sont les veritables Seruiteurs du Roy. Et hoc etiam vidente & ringente inuidia, Sen. lib.2. de Benef. , françaisRéférence RIM : M0_2357. Cote locale : B_6_15.