Anonyme [1649], LE MEMOIRE DES PLVS REMARQVABLES PIECES faites depuis le 26. Aoust iusques à present. Contenant vne particuliere description de toutes les affaires & negociations de l’Estat & des Barricades, auec l’emprisonnement de Monsieur de Broussel. Ensemble son eslargissement. , françaisRéférence RIM : M0_2444. Cote locale : D_2_1.
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Le Memoire des plus remarquables pieces faites depuis le 26.
Aoust iusques à present : Contenant vne particuliere description
de toutes les affaires & negociations de l’Estat
& des Barricades, auec l’emprisonnement de Monsieur
de Broussel, & son eslargissement.

Mercredy 26. Aoust 1648. La Reine pour oster tout soupçon
que les Parisiens auoient conçeu, qu’elle n’estoit bien
aise de la victoire obtenuë en Flandre proche de la ville
de Lens en Artois par l’armée du Roy, conduite par Monsieur le
Prince dessus l’Archeduc Léopold, fit chanter le Te Te Deum dans l’Eglise
Nostre-Dame Cathedralle de la ville de Paris, plus magnifiquement
que iamais, il y auoit des gardes depuis le Palais Cardinal,
iusques dans le Paruis Nostre-Dame, dequoy se voulant se preualoir
à l’issuë de cette ceremonie, l’on fut au logis de Monsieur de
Broussel comme il disnoit, & fut enleué si promptement, que le
quartier n’en sçeu rien qu’il ne fut hors leur pouuoir de le pouuoir
secourir : Neantmoins ledit sieur de Broussel du long des ruës, il
mit sa teste à la portiere du carrosse qui ce brissa deuant la porte de
Monsieur le premier President ; mais il fut remis si promptement
dans vn autre carrosse d’vne Dame qui passoit fortuitement par là,
où il fut conduit au Palais Cardinal, de là au Menil Madame Tance.
Cependant le Bourgeois ce grossit en vn moment, & passerent
vne partie de leur collere sur le debris de ce carosse qu’ils ietterent
dans l’eau, de là allerent au logis de Monsieur le premier President
à dessein de le mal-traiter, mais il les preuint, venant au deuant
d’eux criant à haute voix, allons, allons enfans, il faut auoir nos prisonniers,
Monsieur de Blanc-Mesnil estoit aussi prisonnier à la Bastille,
ie m’enuois au Palais Cardinal les demãder, venez auec moy,
en effet il y alla accompagné de Monsieur le Coadiuteur Archeuesche
de Corinthe, vestu des habits Pontificaux, suiuy d’vn nombre
infiny de toute sorte de peuple, qui furent renuoyée sans rien
obtenir, ny mesme auoir audience, sinon qu’on dit à Monsieur le

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Coadiuteur qu’il se meslast de dire son Breuiaire, & que l’on auoit
donné bon ordre pour empescher les Bourgeois de faire les meschans,
& que le lendemain les prisonniers payeroient pour tous ;
Au mesme temps on vid sortir le grand Maistre, suiuy de cent
homme de caualerie, allant le long des ruës, faisans les braues, pensant
par leur rodemontade espouuanter la populace : Mais venant
pour entrer dans la Cour du Palais en la ruë S. Louis, on le salua
d’vne si grande quantité de coups de pierre, vne desquelles ayant
eu l’effronterie d’ateindre la moustache dudit grand Maistre, fut
contraint de s’en fuïr auec tous ses gens ; Les Bourgeois en vn moment
tendirent les chaisnes par tout Paris, les gardes demeurerent
sur le pont-Neuf, & autour du Palais Cardinal, le reste de la iournée
se passa en allée & venuë que le Parlement fit au palais Cardinal
sans rien obtenir, cependant le peuple marchant en grande troupes
le long des ruës, qui ne parloient que tuer, brusler & piller sur le soir
lesdites gardes, quitterent le pont Neuf, & allerent auec le reste autour
du Palais Cardinal. Le lendemain à six heures du matin, le
Chancelier pensant que le Bourgeois auoit jetté son feu venant
au palais porter plusieurs lettre de cacher pour empescher le Parlement
de s’assembler, & pour exiller plusieurs, voulant entrer dans
la place Dauphine, il voulut faire abattre vne chaisne qui luy sut
apres plusieurs contestations refusée apres quelque parole, il sut
reconnu du peuple, qui dirent c’est le Chancelier, il le faut ietter
dans la riuiere, ce qui l’obligea de passer outre, gagne le quay des
Augustins, & estant vis a vis de l’Hostel de Luyne, ce voyant poursuiuis
de quantité de ie ne sçay qui, & gens de neant qui crioient
arresté il le faut tuer, ce qui l’obligea de ce ietter dans ledit Hostel
de Luyne, qui fut en mesme temps enfoncé, & on le chercha par
tout le logis sans le pouuoir trouuer, il estoit caché auec sa fille dans
vn aissement, il se passa en cette recherche prés de deux heures, au
bout duquel temps, deux compagnies des gardes, sçauoir l’vne
Françoise & l’autre Suisse, accompagne du grand Maistre & de la
gendarmerie du Roy y arriuerent, qui d’abord firent retirer le
Bourgeois qui y estoit sans armes ; pendant le temps M. de Droict
Capitaine au Regiment des gardes du Roy, assisté de quatre soldats
François, se saisir du Chancelier, & firent marcher au milieu de la
caualerie à pied, plus viste que les cheuaux qui n’estoient que vis à

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vis les Augustins, quand ils furent poursuiuis des Bourgeois armez,
marchans la teste bessée ; ce que voyant ledit grand Maistre, fit aller
au bout du Pont-Neuf, où il se fit des [1 mot ill.] de part & d’autre ;
Enfin les gardes lascherẽt le pied & s’allerent retrãcher derriere le
cheual Bronze, où le Chancelier, monta au carrosse de Monsieur le
Lieutenant Ciuil. Cependant les Bourgeois le poursuiuoient tousjours,
ils obligerent les gardes de s’en fuïr auec ladite caualerie, &
d’abandonner ledit Pont Neuf qu’ils gardoient dés le iour precedant.
Vn Capitaine mettant le pied dans le carrosse, receut vne
mousquetade, dont il mourut. Outre il y eut deux gardes à cheual
tués ; le carrosse où estoit ledit Chancelier, passa pardessus le corps
du fils de Monsieur Sanson Geographe du Roy, s’estãt laissé tomber
apres auoir esté blessé, & mourut peu de iours apres, & aussi
quelque Suisse : Plusieurs coups furent tirez dans le carrosse par les
fenestres, dont l’vn passa à deux doigs de la teste du Chancelier, le
peuple comme en desespoir de l’auoir manqué, jetterent plusieurs
pierre aux maisons, & casserent plusieurs vistre pour esmouuoir le
Bourgeois à ouurir leur porte qu’ils auoient fermés, & prendre les
armes, ce qu’ils firent : Cependant quelque sorte de gens mal aduisez,
allerent dans le logis de Monsieur de Luyne, où le Chancelier
c’estoit sauué, le pillerent ; Monsieur & Madame de Luyne furent
contraints de se sauuer en chemise chez Monsieur de Bernier
leur voisin : De là ces mal aduisez allerent chez certains Moines
Italiens, appellez les Theatins qu’ils chasserent à coups de bastons
hors de leur Conuent : Sur les neuf heures vne compagnie de
Suisse venãt par dessus le pont Rouge pour se saisir du Pont-Neuf,
fut arrestée au pied du pauillon de l’Hostel de Neuers par deux ou
trois Bourgeois qui tuerent le Capitaine Suisse, voyant leur Capitaine
en bas prirent la fuitte, & s’allerent saisir dudit pont Rouge, y
faisans bonne garde au deux bouts d’iceluy pont qu’ils auoient tousiours
tenu : Cependant vne fille ou femme reuestuë d’vn cotillon
rouge, monte à l’orloge de la Pompe du Pont-Neuf, & sonna le
tocsain, le peuple se meut entendant le tocsain, & voyant cette cõpagnie
de Suisse qui venoit pour s’emparer dudit Pont Neuf, sortirent
de leur maisons armés, & commencerent a se barricader d’vne
telle sorte, qu’en moins de deux heures la ville de paris fut barricadée

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de toute parts, & plus de six cens mille Bourgeois en arme
tous bien resolus, & auec bon ordre de quartier en quartier ; La plus
grande partie de l’entrée des ruës furent despauée pour ayder a faire
lesdites barricades, faisans des fossés remplie d’eau aux pieds de
plusieurs, principallement d’vne qui estoit vis à vis la porte de Paris :
Les premieres barricades commencerẽt au bout du Pont-Neuf
du costé du quay de la Megissierie, auquel coing il y auoit sept baricades,
tous bien gardez, & soustenus de bons Bourgeois, ainsi dans
les autres ruë de vingt toisse en vingt toisse, tous estoient bien barricadez
la moindre estoit capable d’arrester vne armée depuis les
Augustins iusques proche le Palais Royal, il y auoit plus de trente
place d’armes ; Les Bourgeois firent poser des sentinels proche le
Palais Cardinal, & vis à vis celle des Suisses qui n’osoient branler,
le tout se faisoit par l’ordre des Bourgeois : Mesme sur les dix heures,
le Parlement en corps alla au Palais Cardinal faire leur remonstrance
à la Reine, que si elle ne rendoit les prisonniers qu’ils n’estoient
maistre du peuple, & qu’ils ne respondoient pas du malheur
qui en pourroit arriuer, l’on se mocqua d’eux & les enuoya sans
rien obtenir ; mais en s’en retournant, comme ils arriuerent à la
trois ou quatriesme baricade, le bourgeois leur demanda pourquoy
ils ne ramenoient point leurs compagnons, & sans entendre aucune
raison ils voulurent prendre le premier President au collet, en luy
disant qu’il estoit vn meschant & qu’il respondroit des prisonniers,
ayant fait quelque resistance il s’eschappa, & tout le corps du Parlement
retourna trouuer la Reyne, arriuant au Palais Cardinal en
ce desordre la Reyne ne vouloit pas leur donner Audiance, mais ils
l’obtindrent à la faueur de la Reyne d’Angleterre qui estoit là presente,
le premier President se ietta à genoux deuant la Reyne, en
luy disant que tout le Parlement venoit implorer ses graces, & que
si elle ne donnoit ordre que les prisonniers fussent rendus dãs deux
heures tout estoit perdu, le Cardinal fit response qu’il n’y auoit
point tant de mal qu’ils disoient, le premier President luy repartit,
que s’il vouloit marcher dans Paris voir comme tout estoit disposé
à la reuolte que le Parlement le suiuroit, mais il n’en voulut rien faire
La Reine voulant encore renuoyer Messieurs du Parlement
sans rien obtenir, ny esperance de r’auoir leur prisonniers, luy dirent

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qu’ils ne sortiroient point, qu’ils vouloient mourir dans le Palais
Cardinal, non pas dans les ruës, ce que voyant la Reine, prit trois
resolutions : La premiere, enuoya querir Monsieur le Comte
d’Harcourt luy dit qu’elle luy donneroit dix mil hommes, & qu’il
marchast dans les rues de Paris, à leur teste & faire main basse à
tout ce qui s’opposeroit à luy, lequel luy fit responce qu’il feroit
tout ce qu’il luy plairoit commander, mais qu’il ne passeroit la premiere
barricade auec ses dix mil hommes : La seconde, qu’elle
vouloit faire sortir le Roy de Paris : Et la troisiéme & derniere resolution
qu’il faloit rendre les prisonniers, & qu’elle s’en vengeroit
au quartier d’Hyuer. Au mesme temps, on depescha Monsieur de
Thou auec vn Exempt des gardes du corps dans le carrosse du
Roy, attellé de six cheuaux, pour aller au bois de Vincenne querir
Monsieur de Blanc-Mesnil lequel carosse passa par dessus le
pont aux Biches, autrement dit la rue Neufue Sainct Martin, passant
pardeuant le lieu & demeure des Chiffonniers il fut arresté par
lesdits Chiffonniers, le Postillon receut vn grand coup de pierre au
coulde, plusieurs coups de pierres & crochets donnez aux cheuaux,
qu’ils ne vouloient laisser passer, enfin apres plusieurs remonstrances
par ceux qui estoient dans ledit carrosse en leur montrant la
commission de la Reine qui estoit pour aller querir Monsieur de
Broussel & Monsieur de Blanc-Mesnil le laisserẽt passer, en mesme
temps on depescha vn courrier pour enuoyer querir Monsieur de
Broussel qui estoit au Mesnil Madame Rances : cependant garde
par tout par ordre des Messieurs de Ville, qui enuoyerent sur les
quatre heures du soir du Ieudy vingt-septiéme du mesme mois, les
Capitaines des quartiers par toutes les maisons faire commandement
de prendre lesdites armes, & aller faire bonne garde tout le
long de la nuit, authorisant par là les Bourgeois qui auoient pris les
armes sans ordre. Le lendemain Vendredy vingt-huictiéme sur
les huict à neuf heures du matin, les prisonniers arriuerent par la
porte sainct Martin, & sur le Midy apres qu il se furent montrez à la
populace, l’on publia vn Arrest du Parlement, par lequel l’on faisoit
commandement à toute sorte de personnes de se retirer, baisser
les chaisnes, & rompre lesdites barricades, & à tous Marchands &
Artisans d’ouurir leur boutique qu’ils auoient fermée, ce qui fut incontinent

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executé sans aucun bruit ny desordre, & chacun se retira
iusques sur les neuf à dix heures du soir, qu’il vint vn grand bruit
qu’il entroit des caualiers dans la ville, chacun se remit dans son
poste, il se trouua que c’estoit deux charrettes d’amonitions de
guerre sortant de l’Arsenac, chargez en apparence de vin ; mais
quand ils furent au Faux-bourg sainct Antoine, ils furent pillez,
l’on dit que c’estoit pour mener au Palais Cardinal, les autres disent
que c’estoit pour des caualiers que l’on auoit veu pendant tous ces
troubles rendu autour de cette Ville en ce desordre, lequel a si bien
pratiqué, il n’y a pas eu tant d’vne part que d’autre quarante ou cinquante
tant homme que femme & enfans tuez que blessez. Voila
vn Te Deum suiuy de quantité de Deprofundis.

 

FIN.

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Anonyme [1649], LE MEMOIRE DES PLVS REMARQVABLES PIECES faites depuis le 26. Aoust iusques à present. Contenant vne particuliere description de toutes les affaires & negociations de l’Estat & des Barricades, auec l’emprisonnement de Monsieur de Broussel. Ensemble son eslargissement. , françaisRéférence RIM : M0_2444. Cote locale : D_2_1.