Anonyme [1652], LE MERCVRE DE LA COVR, OV HISTOIRE COMIQVE DE CE TEMPS. Contenant tout ce qui se passe, tant à la Cour qu’à Paris. CINQVIESME PARTIE. Turbatus est à furore oculus meus, inueteraui inter omnes inimicos meos. Psalm. 6. , français, latinRéférence RIM : M0_2452. Cote locale : B_18_5.
Sub2Sect précédent(e)

Sur la maladie des deux Parlemens,
par vn Bourgeois de Paris.

 


Deux Parlemens, chose notoire,
Ont bien le Mazarin trompé,
Celuy de Pontoise a la foire,
L’autre à Paris est constipé.
Le Medecin, sage personne,
Pour tous deux mesme chose ordonne,
Et prononce ainsi sagement,
Selon la methode Françoise,
L’vn à besoin de lauement,
Pour le faire aller à Pontoise,
Et l’autre en a besoin aussi,
Mais pour le reserrer icy.

 

Le Cardinal Mazarin ne peut s’empescher de
rire, & les autres Conseillers, il n’y eut que ledit
President, qui se repentit de sa curiosité,
neantmoins il le dissimula, & riant du bout des
dents comme Saint Medart, luy demanda s’il n’y
auoit point quelques autres pieces qui courrussent.
Il dit ouy, qu’on auoit fait le Parlement
de Pontoise en vers Burlesques, où ils estoient
tous assez bien dépeints, & qu’il auoit leu de

-- 16 --

plus, vne certaine histoire Comique, appellée le
Mercure de la Cour, qui rapportoit en bouffonnant,
tout ce qu’il se faisoit à la Cour & dans
Paris, & railloit les vns & les autres indifferemment,
sans espargner personne, & qu’il s’estonnoit
fort d’où il pouuoit tirer ses memoires, veu
qu’il parloit des Conferences les plus secrettes de
M. le C. auec ses Confidens. Maz. s’écria, Catzo
qu’elle coione mi la pagara : Et le Pres. poursuiuit.
Ie ne doute pas qu’on ne parle bien
de nous, les oreilles nous doiuent bien corner,
mais que c’est-il passé de plus remarquable durant
vostre sejour ? Ie fus, dit-il, au Palais d’Orleans,
où ie vis arriuer grand bruit, & m’estant
informé de ce que c’estoit, on me dit que c’estoit
Monsieur le Comte de Rieux que l’on menoit à
la Bastille, alors la curiosité m’ayant fait auancer
pour en sçauoir le sujet, ie fis rencontre d’vn Officier
de Son Altesse Royale qui m’en dit tout le
d’étail, qui estoit, que Monsieur le Comte de
Rieux voulant preceder le Prince de Tarente
dans le Conseil, auoient eu prise de parole ensemble,
dequoy Monsieur le Prince s’estant apperceu,
tira à part ledit Comte de Rieux, lequel
luy alleguant les raisons pour lesquelles il deuoit
preceder le Prince de Tarente, & Monsieur le
Prince supportant le party du Prince de Tarente,
ils se piquerent de paroles, Monsieur le Prince

-- 17 --

luy disant, qu’il n’estoit point son amy ny de sa
maison, dequoy ledit Comte indigné, respondit
brusquement, en touchant de sa main le bout du
chapeau de Monsieur le Prince, ie ne suis point
aussi le vostre, & ne m’en soucie guere, sur quoy
Monsieur le Prince luy donna vn soufflet, & ledit
Comte luy presenta vn coup de poing, & mit
la main à l’espée, aussi-tost ledit Prince n’en ayant
point, prit celle d’vn Gentilhomme : mais Monsieur
le Duc de Rohan qui se trouua-là, se mit
entre-deux, quoy que le Prince le menaça par
plusieurs fois de le tuer : neantmoins, il donna le
temps par sa prudence à Monsieur le Duc d’Orleans
de venir, & tous les Gardes qui se jetterent
sur la fripperie du Comte de Rieux, & le menerent
à la Bastille.

 

Le Cardinal Mazarin se mit à crier ! O que
s’il eust tué le Prince de Condé, qu’il eut fait vne
belle despeche, ie luy aurois donné ma Niece de
bon cœur, & l’aurois fait grand Seigneur.

Le Cour. Il n’est pas si facile à tuer, c’est luy
qui tuë les autres, il auroit bien trouué à qui parler,
mais peu de iours deuant. Il arriua vne bien
plus sanglante querelle que celle-là, que i’oubliois
à vous dire, qui fut celle de Monsieur le
Duc de Beaufort, & de Monsieur le Duc de Nemours,
qui se couuoit depuis long-temps, Monsieur
le Duc de Nemours, ayant fait appeller le

-- 18 --

Duc de Beaufort, ils prirent chacun deux Seconds,
& furent se battre derriere l’Hostel de
Vendosme, où Monsieur le Duc de Nemours
tira son coup de pistolet le premier, sur Monsieur
le Duc de Beaufort, dont vne balle luy passa dans
les cheuaux, & puis mit la main à l’espée, mais le
sieur de Beaufort voulant l’espargner, luy dit
qu’il demandast la vie, laquelle ledit Duc de Nemours
ne voulut accepter, & taschant à l’offenser
de son espée, le sieur de Beaufort luy lascha
son coup de pistolet dans l’estomach, dont il
mourut sur l’heure. Le combat finy par là, il y
eut aussi vn des Seconds du Duc de Beaufort
blessé à mort, & puis ils s’en retournerent, faisant
emporter les corps, dont toute la Cour de
Son Altesse Royale fut bien triste, & pour y redoubler
encore le deüil. C’est que presque au
mesme temps, Monsieur le Duc de Valois, fils
de Monsieur le Duc d’Orleans deceda. Enfin ce
n’estoit dans cette Cour que deüil, que larmes &
gemissemens.

 

Le Cardinal Mazarin. Vous voyez mes amis
comme tout mal-heur arriue à cette grande Cité,
depuis qu’elle a quitté le party du Roy, comme
l’on si entre-égorge, comme ses campagnes sont
ruinées, ses Villages aux enuirons deserts, &
tous les pauures Paysans circonuoisins contraints
de se retirer dans son pourpris, pour accroistre

-- 19 --

encore le nombre des miserables, si bien que l’on
en pourra dire vn iour ce que le Prophete Ieremie
a dit de Ierusalem. Quomodo sedet sola Ciuitas
plena populo facta est, quasi vidua domina gentium
Princeps Prouinciarum facta est sub tributo.

 

Voyez ce qui s’est passe à l’Hostel de Ville,
combien d’honnestes gens & bons seruiteurs de
Roy y furent massacrez, vne autresfois prez du
Palais, combien de badauts se firent tuer comme
des cochons, & puis on m’en impute la cause,
ô miserable Cité, que cette l’amentation te conuient
bien, Plorans plorauit in nocte, & lacrimæ eius
in maxillis eius, non est qui consoletur eam ex omnibus
Charis eius, omnes amici eius spreuerunt eam &
facti sunt ei inimici. Ouy da, ton Gouuerneur n’a
t’il pas bien sujet de te vouloir du mal, ton Prouost
des Marchands, & quantité d’honorables
Escheuins, que tu as honteusement chassez, d’amis,
n’ont-ils pas bien sujet de deuenir tes ennemis :
mais escoute au moins les bons seruiteurs
du Roy, qui te crient auec le Prophete Ieremie,
Ierusalem, Ierusalem, conuertere ad Dominum Deum
tuum, retourne à ton Seigneur & à ton Maistre, &
ne t’informe point de Mazarin.

Le sieur B. Vous ressemblez les Cordeliers de
nostre païs, vous ne preschez que pour vous.

Maz. Ie n’ay plus d’interest en l’affaire, le
Roy prend pour moy le fait & cause, il n’est plus

-- 20 --

question que de sçauoir si Sa Majesté en aura le
démenty.

 

Le sieur B. Voicy vn procez qui durera longtemps,
cependant tel en payera les despens, qui
n’en pourra mets, & à la fin les battus payeront
l’amende.

Maz. Ne vous informez pas de cela, tout
vient à temps qui peut attendre, alors le sieur B.
se teut, & le Cardinal poursuiuit ainsi auec le
Courier, dites-moy, les Parisiens ne sont-ils pas
bien ennuyez de la guerre, sont-ils tousiours piquez
au jeu contre moy ? Le Cour. plus que iamais,
la pluspart disent, que si le Roy vous esloignoit
& qu’il reuint à Paris, que ce seroit entierement
ruiner les affaires des Princes.

Maz. I’aurois bien peur de ruiner aussi les
miennes, mais nous y songerons, l’affaire merite
bien d’y penser, cependant allez vous reposer, le
Courier se leua, & la compagnie prit congé.

C’estoit vne opinion qui auoit pris racine dans
la Cour, sur les troupes qui deuoient arriuer aux
Princes, & mesme qui alla iusqu’aux oreilles du
Roy : tout le monde disoit hautement, que si l’on
vouloit sauuer l’Estat & la Couronne, qu’il falloit
que le Cardinal s’en allast, ce qui obligeoit
encore dauantage à cela, c’est que beaucoup s’ennuyoient
à Pontoise, parce que les viures & les
logemens y estoient chers. Messieurs les Courtisans

-- 21 --

sans auoient pris les meilleurs logemens & les
meilleures Hostelleries, & Messieurs du Parlement
n’auoient que les Gargoteries, ce qui causoit
vn grand desordre. Les Capitaines des Gardes
pressoient fort à l’argent le sieur Mazarin, &
il n’aimoit point à voir de tels levriers a sa queuë,
mesmes quelques-vns le gourmanderent, & le
menacerent d’emmener le Roy à Paris, mais il
auala ce calice doucement. Enfin reduit au desespoir,
il fallut encore se seruir de l’Abbe F. &
mander ses plus fideles amis, pour luy tirer cette
épine du pied. Premierement il fut trouuer la
Reine, auec laquelle il eut vne longue conference,
& puis il reuint trouuer ses amis qu’il auoit
mandez, fort triste & dolent, ausquels il parla de
la sorte, Tribulations cordis mei multiplicati sunt de
nec[1 lettre ill.]ssitatibus mei[1 lettre ill.]serue mie.

 

Messieurs, tout m’arriue à contre-point, ie suis
aussi mal-heureux que le chien a brusquet, au
point où ie croyois ma fortune paisible, il me faut
desloger sans trompette, tout le monde crie haro
sur moy, & pour m’acheuer de peindre, on
me vient encore de rapporter la mort de Monsieur
le Duc de Boüillon, l’vn de mes meilleurs
amis, & qui estoit aussi des vostres : enfin Messieurs,
ie ne sçay plus à quel Sainct ie me dois
voüer.

Le sieur B. Quoy Monsieur le Duc de Broüillon

-- 22 --

est mort, ie m’estonne comment il n’a pas
trompé la Dame Atropos, car il trompoit tout
le monde.

 

Maz. Il faut honorer sa memoire, c’estoit le
plus adroit homme du monde pour attraper les
Princes, & si vous n’eussiez pas dit qu’il y touchoit.

Le sieur B. Ie vous asseure qu’il ne faisoit ny
pour vous ny pour eux, mais pour luy-mesme,
c’est ce qui a obligé vn de nostre Confrairie à luy
faire cette Epitaphe,

 


Cy gist Monseigneur de Boüillon,
Qui broüilloit, comme vn fin broüillon,
Ses affaires parmi les nostres,
Mais cette broüillonne Atropos,
Sans s’embroüiller de ses propos,
Là cy broüillé parmi les autres,

 

Enfin Messieurs, comme vn mal-heur ne vient
iamais tout seul, ie voy bien que ie seray contraint
de faire gille, & alias quærere terras.

L’Abbé F. Quoy, Monseigneur, vous nous
allez quitter, helas ! vous laissez bien des orphelins,
& moy tout le premier, ie m’en vay seulement
ad tempus, pour attraper les Princes & ce
Diable de Parlement, qui ne veulent rien faire si
i’y suis, mais ie sçay bien le chemin par où ie suis
reuenu, cependant i’ay bien des commissions à
vous donner, dont ie croy que vous vous aquiterez
dignement.

-- 23 --

Le sieur S. Quoy, Monsieur, vous en irez-vous
comme cela, on dit que, qui quite la partie
la perd ?

Maz. Monsieur, vous aurez tous les iours de
mes nouuelles par le moyen de la Reine, à qui
i’adresse mon paquet, aussi de vostre partie vous
supplie que i’aye des vostres, & m’auertissez de
tout ce qui se passera. I’ay donné des memoires
au sieur L. T. pour sçauoir de la façon qu’il faut
traiter, afin qu’on ne nous prenne pas icy pour
des gruës ; & s’il arriue quelques difficultez, l’on
m’enuoyera des Couriers expres pour les resoudre.

Le sieur B. Monsieur, si vous vous en allez,
tout est perdu, nous n’oserions plus nous monstrer.

Maz. Ie vous ay recommandez au Roy & à
la Reine, vous ne deuez point auoir peur, ie
vous laisse pour associez les Milords Germain &
Montaigu, que i’ay enuoyé querir, ils sont braues
gens, fiez-vous en eux : alors ils entrerent &
saluerent son Eminence, qui prit aussi congé
d’eux, en leur disant adieu, ce qui fit dire au Milord
Germain, Pardi Monsur, vous point quite
li Roy, moy suis seruitur di fous, moy li perdray
mon vi pour fostre Minance.

Le Milord Montaigu. Monsur, moy fouterois
bien fostre Minance tousiours icy, car si fou

-- 24 --

li s’en va, moy li perd mon fortune.

 

Maz. Messieurs, viuez en repos de ce costé-là,
vous serez tousiours bien venus aupres du Roy,
car la Reine me l’a promis : cependant ie vous dis
adieu, car ie partiray cette nuit à la sourdine, &
puis apres le Roy ira à Compiegne, où vous le
suiurez, il les embrassa en les quittant, & tous se
mirent à braire comme des asnes.

Les nouuelles du depart de Mazarin ne mirent
gueres à venir iusqu’à Paris, ce qui produisit diuers
effets en beaucoup d’esprits, car l’vn disoit
qu’il falloit obeïr au Roy, & mettre les armes bas,
l’autre disoit qu’il falloit chasser sa sequelle, &
que ce n’estoit qu’vne feinte pour attraper les
lourdauts, quoy que c’en soit, on ne laissa pas
de resoudre dans le Parlement, que le Roy seroit
tres-humblement remercie de l’esloignement du
Cardinal Mazarin : tout cela faisoit esperer a
beaucoup de simples vne paix en bref ; mais pour
s’y acheminer on demanda vne Amnistie generale
en bonne forme, ce qui estoit la pierre d’achopement ;
car l’on suiuoit tousiours en Cour
les Conseils du C. M. que l’on alloit querir bien
loin, comme si c’eust esté quelque chose de bon :
si bien qu’on en enuoya vne qui estoit bien emmazarinée,
verifiée au Parlement de Pontoise,
où Messieurs les Princes n’estoient point compris,
où il y auoit beaucoup de charges & de reseruations,

-- 25 --

ce qui fit dire au sieur Bechefer Substitud,
cela n’est point secundum Lucam, l’on nous
prend icy pour des maroufles. Cependant le Duc
de Loraine n’estoit pas damné, car il reuint auec
ses troupes, Vittemberg auec les siennes : Voila
le Prince remonté sur sa beste à son tour, il court,
il agit de tous costez, il fait reueuë de toutes les
troupes, il les campe, & inuestit le Mareschal de
Turenne, si bien qu’on n’est plus en peine dans
Paris, que du lieu où on le doit loger, son armée
de iour en iour doit estre deffaite, & auoir en suite
le Roy & la paix dans Paris, tout ensemble :
mais nous verrons que qui compte sans son hoste
compte deux fois.

 

Le Duc de Loraine vient saluer Son Altesse
Royale, & Monsieur le Prince, laquelle luy dit
Dieu vous gard mon frere, soyez le bien venu,
vrayement i’estois bien en peine de vous, car
vous auiez emporté le chat, vous en estiez allé
sans nous dire adieu, les Turennois vous auoient
fait peur, mais ils ne sont pas si diables qu’ils sont
noirs, au moins ne venez pas icy pour nous
faire encore ce tour-là, car vous n’y seriez pas le
bien venu.

Monsieur, Il n’y a au marché que ce qu’on y
met, ie n’y estois point obligé par aucun traitté,
ie craignois mes trouppes ; car c’est tout mon
bien & ma marchandise, & si ie les auois perduës,

-- 26 --

ie serois à cul, comme les putains de Bourges : mais
maintenant que ie vous vois les plus forts, que
nous sommes beaucoup plus que le Mareschal de
Turenne, il ne tiendra pas à moy, que l’on l’ameine
coucher à Paris, & si l’on donne combat,
l’on me verra aller à la teste pour le seruice de
Vostre Altesse.

 

Monsieur le Duc d’Orleans le remercia fort
ciuilement de ses belles offres, & le pria de continuer
cette resolution.

Enfin Messieurs de Paris, commencent à se réueiller
à la venuë de ses troupes, ils enragent de se
battre quand ils ne voyent personne, l’on croit
tous les iours donner la bataille, & Messieurs les
Volontaires Bourgeois, se viennent offrir à Monsieur
le Prince, promettant de faire aussi bien
qu’au Faux-bourg Saint Antoine, on les reçoit
ciuillement, on leur donne esperance d’en descoudre
bien-tost : Monsieur le Mareschal de Turenne
se sentant le plus foible, s’estoit retranché
comme vn renard, il s’estoit saisi d’vne eminence
& de Villeneufue S. George qui estoit au bas,
Monsieur le Prince estoit deça à Limé, entre les
riuieres de Marne & de Seine. Monsieur le Duc de
Loraine estoit à Monjeron sur le bord d’Yerre, &
Monsieur le Duc de Vvittemberg à Grosbois, si
bien qu’il estoit inuesti en forme de croissant, il
estoit pris comme dans vn bled, car il ne luy restoit

-- 27 --

qu’vn pont de batteaux pour se sauuer : mais
pour mieux faciliter sa retraitte, il se saisit du Chasteau
d’Ablon ; le bruit courroit par tout Paris,
qu’il ne pouuoit eschaper de là, qu’auec la perte
de son bagage & de son arriere-garde au moins,
tant il estoit serré de prez : mais comme toutes les
troupes, tant Mazarines qu’autres, estoient d’vn
mesmes costé de la riuiere, la garnison de Corbeil
rauageoit à son aise : si bien que le bagage de
l’armée des Princes, qu’ils firent passer de l’autre
costé de l’eau, souffrit vne rude atteinte par les
gens de Montbas : neantmoins ayant gagné les
Fauxbourgs, ils se sauuerent le mieux qu’ils peurent,
les Volontaires Bourgeois sortirent à la recousse.
Le tocsin sonna à S. Medard & autres
lieux, les ennemis estant venus iusqu’aux Fauxbourgs
S. Victor, si bien qu’il y eut beaucoup de
nos Volontaires, qui ne furent pas volontairement
tuez : neantmoins les ennemis furent contrains
de se retirer, ce petit eschec ne fit qu’animer
nos soldats, & n’attendoient que le iour du
combat pour se vanger, toutefois auant que d’en
venir à cette extremité, S. A. R. deputa à la Cour
vn Gentilhomme, pour representer le peril eminent
des troupes du Roy, à ce qu’il pleut à Sa
Majesté d’espargner le sang de ses sujets, par vne
paix tant souhaitée.

 

Le Deputé arriué en Cour, demanda à parler

-- 28 --

au Roy de la part de son Maistre, car son Eminence
ayant tiré ses chausses, il creut d’abord parler
à Sa Majesté, mais on luy fit venir le Prince
Thomas, auquel il demanda si c’estoit à luy que
le Cardinal Mazarin auoit resigné son Benefice
de Ministre, il luy respondit en colere, Catzo
coione, voi non sauete che io son il principe del
Consiglio del Ré.

 

Le Deputé. Monsieur, ie vous demande pardon,
voila les premieres nouuelles que i’en ay
euës, car ie vous croyois plustost du Conseil d’Espagne,
que de celuy de France, & puis on nous
faisoit accroire que le Roy n’auoit plus d’Estrangers
dans son Conseil, mais à ce que ie voy nous
voila tombez de fievre en chaud mal : neantmoins
Monsieur, ie vous prie de la part de S. A. R.
mon Maistre, de sçauoir la volonté du Roy, & si
Sa Majesté veut laisser respandre le sang de ses
bons seruiteurs & sujets, ou s’il luy plaist plustost
donner vne bonne paix.

Le Prince Th. Ie m’en vais sçauoir cela de la
Reine, car le Roy s’en remet à la Reine, & la
Reine à nous. Il entra dans le cabinet de la Reine,
où ayant conferé enuiron vn quart d’heure,
il sortit & luy parla ainsi, la Reine a enuoyé querir
Monsieur le Garde des Seaux & Messieurs les
Milords, ie croy qu’ils viendront incontinent, &
puis vous sçaurez l’intention de leurs Majestez ; il

-- 29 --

n’eut pas plustost acheué de parler, que le Garde
des Seaux entra auec les Milords, & puis ayant
pris leur place, Monsieur le Garde des Seaux leut
vne lettre tout bas, apres la lecture de laquelle
ayant toussé & craché plusieurs fois, il entonna
ces mots, en parlant au Deputé.

 

Vous direz à S. A. R. de la part du Roy, que
Sa Majesté ne souhaite autre chose que de donner
la paix à ses sujets, & de retourner à Paris, &
que mesme la Reine a iuré par Mazarin, que si
S. A. R. fait vn pas pour la paix, qu’elle en fera
quatre.

Le Deputé tournant la teste dit tout bas, ce sera
donc en arriere.

Monsieur le Garde des Seaux adjousta qu’il
falloit enuoyer des Deputez pour la traiter, & que
le Roy donneroit toute sorte de satisfaction, &
eux de mescontentement sur ce sujet.

Le Deputé payé de cette monoye s’en retourna.

Cependant il arriua à la Cour vn autre grabuge,
Mons. le Chancelier, que Sa Majesté auoit mandé,
ayant sceu qu’il estoit du Conseil de Mons. le
Duc d’Orleans, vint en diligence, mais voulant
prendre sa part de la mouture des affaires du Conseil,
Mons. le Garde des Seaux luy disputa, si bien
que dans le Conseil, sur vne Requeste de Committitur,
ils en penserent venir aux prises en s’eschaufans
de paroles, Mons. le Chancelier luy dit, qu’il

-- 30 --

se meslast de ses bignets, mais que pour les affaires
du Conseil, il n’auoit que faire d’y fourer sonnez
en estant le Chef, & qu’à proprement parler
il n’estoit que son Commis : le Garde des Seaux
luy repliqua qu’il estoit tout, puis qu’il estoit seruiteur
de la Reine & du C. M. & que pour son
rang il ne luy vouloit pas disputer, mais que pour
les affaires il n’en croqueroit que d’vne dent. Enfin
le sieur de Guenegaut se mit entre deux, de
crainte qu’il n’y eut quelques coups ruez, & les
separa. Cependant voila vn procez meu entre le
Chancelier & le Garde des Seaux, le Chancelier
s’en plaint à la Reine, qui luy promet d’enuoyer à
Mons. le C. pour iuger ce differend, ce qui fit voir
au Chancelier qu’il perdroit sa cause, & defait le
C. donna gain de cause au Garde des Seaux, ordonnant
que le Chancelier se contenteroit d’y
presider, & dire son auis quand il en seroit requis,
mais laissons-là ces Messieurs se disputer, & reuenons
à Paris.

 

Pendant que ces choses se passoient ainsi, &
que ces deux armées estoient en veuës l’vn de
l’autre sans se faire mal, il se passa icy vne chose
fort memorable, quoy qu’elle ne soit pas de mon
sujet, ie ne laisseray d’en dire trois mots en passãt :
& sur ce, ie diray que ce n’est pas sans cause, que
i’ay appellé cy deuant Paris Ierusalem, car iamais
elle ne luy ressemblast tant, que lors que

-- 31 --

certains Frippiers, qu’on appelle Iuifs, traiterent
vn pauure malheureux, sans comparaison, de la
façon que les anciens Iuifs firent Nostre Seigneur,
pour auoir appellé leur Compagnie la Synagogue :
ils le lierent sur vne chaise, & le souffleteret,
luy donnant des nazardes, & puis enfin, lassez
de le tourmenter, luy deschargerent cinq ou
six coups de fusil par la teste, & le massacrerent
ainsi miserablement : cette cruauté sans exemple
estonna tout Paris, & Dame Iustice s’en courrouça
fort, & informa contre-eux ; mais le Portrait
du Roy leur seruit autant que les Eglises font
aux meurtries en Italie : laissons cela à part, &
retournons à nostre propos, nos deux armées
estans si prez l’vne de l’autre, on attendoit tous
les iours vn combat, & mesme les Gazetiers enrageoient,
de ce qu’ils estoient si long-temps
sans se battre.

 

Cependant, cela ne laissoit pas d’estonner nos
Mazarins de la Cour, car ils sçauoient le grand
nombre d’hõmes qu’auoient Messieurs les Princes,
& comme les Parisiens qui les menaçoient,
auparauant leur faisoient obenigna, ce qui les fit
resoudre de brasser quelque reuolte dans Paris,
selon la lettre que le Car. Maz. leur auoit escrite,
qui contenoit que puis que les Princes estoient si
puissans, qu’il falloit faire des pratiques dans Paris,
& tascher à sousleuer le Bourgeois contre le

-- 32 --

Bourgeois, ce que Preuost executa assez adroitement.
Car ayant assemblé beaucoup de gens
dans le Palais Royal, sur le bruit qu’on auoit semé,
que le Roy vouloit reuenir à Paris, & que les
Princes l’empeschoient : Ils firent vne sortie en armes,
les vns à cheual, les autres à pied, dont le
Chef qui les conduisoit auec vn grand Escriteau
à son Chapeau, où estoit escrit, Viue le Roy,
point de Princes, & les autres des Pennaches de
Papier, & tous crioient, qu’il falloit receuoir le
Roy, & mettre main basse sur ceux qui l’empeschoient,
ils contraignoient par force à quitter la
Paille, & prendre du Papier, si bien qu’à la fin,
quelques Paillards se reuolterent contre-eux, &
en assommerent quelqu’vns. Le lendemain le
Parlement s’assembla, en presence de S. A. R. &
des Princes, & fut donné Arrest contre les Seditieux,
qui n’oserent depuis paroistre, si bien que
quelque Frondeur, fit ces vers à leur confusion.

 

 


En vain cette Mazarinailie,
Se sert du Papier pour signal,
Qu’il faut se deffaïre de la Paille
Pour receuoir le Cardinal,
Ils crient en faisant leur ronde,
Qu’il faut exterminer la Fronde ;
Mais fort peu de monde a suiuy
Cette detestable maniere,
Et tout leur Papier n’a seruy
Que pour nous torcher le derriere.

 

FIN.

Sub2Sect précédent(e)


Anonyme [1652], LE MERCVRE DE LA COVR, OV HISTOIRE COMIQVE DE CE TEMPS. Contenant tout ce qui se passe, tant à la Cour qu’à Paris. CINQVIESME PARTIE. Turbatus est à furore oculus meus, inueteraui inter omnes inimicos meos. Psalm. 6. , français, latinRéférence RIM : M0_2452. Cote locale : B_18_5.