Anonyme [1652], LE MERCVRE DE LA COVR, OV LES CONFERENCES secrettes du Cardinal Mazarin auec ses Conseillers & Confidens, pour venir à bout de ses entreprises. DEDIÉ AVX PARISIENS. Nolite fieri sicut equus & mulus, quibus non est intellectus. , français, latinRéférence RIM : M0_2452. Cote locale : B_18_1.
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LE
MERCVRE
DE LA COVR, OV
LES CONFERENCES
secrettes du Cardinal Mazarin
auec ses Conseillers & Confidens,
pour venir à bout
de ses entreprises.

DEDIÉ AVX PARISIENS.

Nolite fieri sicut equus & mulus, quibus non
est intellectus.

A PARIS,

M. DC. LII.

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Le Mercure de la Cour, ou les
Conferences secretes du Cardinal
Mazarin, auec ses Conseillers
& Confidens, pour
venir à bout de ses entreprises.

Nolite fieri sicut equus & mulus, quibus non
est intellectus.

Qve diable sert de tant crier point de
Mazarin, & ne rien executer : quand il
n’y a que des petits enfans qui crient au
loup, il ne s’en épouuante guere, & ne
laisse pas d’emporter la brebis, mais quand il se
voit talonné par de bons mastins, il est contraint
de quitter sa proye. Nous auons prou de bons
chiens s’ils vouloient mordre, mais ils sont au colier,
nous n’aurions pas besoin de ceux de sainct
Malo, ceux-cy ont d’aussi bonnes dents, il n’y auroit
qu’a les haller sur la beste & leur crier, pille valo,
mais ie croy que les Deputez de nos Messieurs
de Paris, sont de ces Idoles dont parle Dauid, Os
habent & non loquuntur, & ceux qui les enuoyent,
Oculos habent & non videbunt, ils ont des yeux & ne

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voyent pas ceux qui les trahissent, tant de Deputez
les depitent, & les Gens du Roy les vendent.
C’est aux Parisiens à qui ie parle, qui sont clairsvoyans,
& pourtant ie croy que le plus grand Hospital
de cette Ville est celuy des Aueugles, qu’on ne
nomme plus Quinze-vingts, mais quinze cens
mille. Vous ne voyez pas que Mazarin fait le mestier
de Cordier, & que comme nous voyons qu’il
fait tirer toutes les affaires de la France à reculons.
Il pretend faire vne corde de plus de cinquante
mille toises, pour lier & garoter vne certaine Dame
Lutece qui luy a tant chanté d’iniures : cependant
on a beau se rompre la teste à prescher Messieurs
de Paris, ils sont de ceux qui Aures habent &
non audient, ils ont des oreilles, mais ils n’entendent
pas Mazarin qui crie hautement, In die vltionis
visitabo & hoc peccatum eorum. C’est vne meschante
beste qu’vn Italien offensé, c’est vn chien
enragé, dont chaque coup de dent est mortel. Vn
de mes amis me dit l’autre iour, qu’il auoit remarqué
qu’il y auoit plus de Camus dans Paris qu’en
aucune Ville de France, ie luy respondis que cela
passoit à la mode, & que les Dames mesmes ne
vouloient point de chiens s’ils n’estoient camus, &
que commeils se faisoient baiser & lecher par eux,
l’idée leur faisoit engendrer des enfans camus, &
c’est ce qui cause vn grand desordre, car tous nos
Parisiens ne sentent plus rien, Nares habent & non
odorabunt. S’ils auoient bon nez ils sentiroient bien
autour d’eux ceux qui puent le Mazarin comme

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tous les Diables. Ce n’est pas qu’il n’y en ait de bien
intentionnez, qui crient sur Mazarin, Crucifige,
crucifige, & disent aux Chefs, faites-nous prendre
les armes, vous trouuerez entre nous des gens de
main. Il est vray que Manus habent sed non palpabunt.
Ils ont des mains, mais ils n’empoignent pas,
ils ne frapent point, ils ne sçauroient porter aucun
coup d’estocade à cét Estranger, car il a le plastron
Royal qui luy couure tout le corps, pourtant ils
trepignent des pieds d’impatience de le voir à bas :
ils veulent tous les iours sortir, mais quand ils ont
esté iusques à sainct Denis ils sont las, Pedes habent
& non ambulabunt. Ils ont des pieds, mais ils ne
marcheront pas dauantage, car ils ont des cors, &
la traite de sainct Germain est trop grande pour
ceux qui n’ont iamais sorty les portes de Paris : c’est
pourquoy, Messieurs de Paris, nos Chefs sont d’auis
de leuer leur Infanterie à la campagne, & la Caualerie
icy, car ils disent qu’il y a de sort bons cheuaux
de toute taille.

 

Quoy que c’en soit, vos propositions sont iustes
& raisonnables de leuer des gens de guerre, que
vous payerez & entretiendrez pour Messieurs les
Princes contre le Mazarin, & que les Bourgeois
demeureront dans leurs boutiques ; vous n’auez iamais
rien dit qui estonnast tant le Mazarin. On luy
luy rapporta cette nouuelle lors qu’il ioüoit des gobelets
deuant le Roy, & la tournant en raillerie, il
foüilla dans sa gibesiere, & dit qu’il y auoit encor
vne rouse qu’il fit sortir dehors, c’estoit vne petite

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boëte dans laquelle il y auoit vn billet sur lequel
estoit escrit, Quand les Parisiens parleront de donner
de l’argent aux Princes pour leuer des gens de
guerre contre nous, nous leur promettrons d’esloigner
nos troupes, & ferons courir sous main vn
bruit de paix, & pour cét effet nous leur ferons encor
danser la courante des Deputez, ils se refroidiront
d’abord & refermeront leurs bourses sur cette
esperance de paix : cela fut leu tout haut deuant le
Roy, qui le trouua bon, car il estoit signé au bas
Mazarini. La Reine l’entendant ainsi desgoiser, dit,
ô qu’il en sçait bien d’autres, mais Bautru ne pût
s’empescher de dire, Si les Parisiens voyent à la fin
qu’on les abuse & qu’on ne veuille point faire de
paix, puis que le premier article d’icelle est vostre
esloignement, ils auront tousiours la mesme intention
pour les Princes ; qui a terme ne doit rien,
luy respondit Mazarin, le temps racommode toutes
choses, & puis à nouueau mal nouuelle emplastre,
on y pouruoira. Là dessus vn autre Courier
arriue, qui les vint auertir de ce qui s’estoit passé au
Parlement en la derniere assemblée, en presence de
Monsieur le Duc d’Orleans, de Monsieur le Prince
& Monsieur le Duc de Beaufort, qui estoit que
l’on presseroit Sa Majesté de donner response aux
Remonstrances par escrit, que les Deputez insisteroient
tousiours sur l’esloignement de Mazarin,
qu’ils n’auroient conference auec luy, directement
ny indirectement, & que si par mal-heur il se trouuoit
à leurs discours, qu’incontinent ils cesseroient

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de parler, & sur tout que l’on cesseroit toutes sortes
de Remonstrances, & qu’on ne les porteroit
plus que dans les mousquets. Le Mazarin au lieu
de se troubler à cét abord ne fit que rire, & comme
les ris d’Italie ne sont quelquefois pas si gais que
les larmes de France, le sieur…… dit en se tournant,
Os ridet, sed cor luget, nous voila bien chanceux,
s’ils font des fautes nous les boirons, & qui
diable voudra laisser sa femme à Paris si l’on nous
declare la guerre, ils seroient emmazarinez comme
il faut. Le Mazarin entendant ce discours s’escria,
O quante balorda fra questi Francezi. Croyez-vous
que ie m’estonne du bruit des Parisiens, ie ne
leur ay pas encore monstré tous les tours que ie
sçay.

 

Pour ce qui est de Monsieur le Duc d’Orleans,
nous auons vn homme à Paris qui en viendra bien
à bout, s’il nous en couste, vn bon mariage payera
tout. Pour Monsieur le Prince, quoy que tres-ambitieux
& mon plus grand ennemy, neantmoins
comme la guerre aura épuisé ses finances, il faudra
qu’il vienne à iubé, en luy donnant quelques Gouuernemens,
dont toutefois nous nous asseurerons
des places fortes, & quelque assignation, dont il
sçaura bien se faire payer. Pour Monsieur de Beaufort,
nous auons desia vne partie de sa famille de
nostre costé, & puis ce sera à faire à luy expedier
des Patentes d’vn Ancre luisante pour toute sa maison.
Pour Messieurs du Parlement, nous en auons
la meilleure partie, Monsieur le Garde des Seaux

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se leua & dit, ie vous en respond, Monsieur, i’ay si
bien ioüé mon rollet, que moy-mesme, qui ay
l’honneur d’estre le Chef de cét auguste Corps, on
ne sçait à Paris si ie suis chair ou poisson : Monsieur
le Cardinal luy repliqua, ie vous en ay vne particuliere
obligation Monsieur le Garde des Sceaux,
mais le temps viendra de reconnoistre nos amis, ce
qui est differé n’est pas perdu ; à quoy Monsieur le
Garde des Sceaux respondit seulement, auec gens
de bien on ne perd iamais rien. Le Cardinal reprit
son discours & continua ainsi : Nous viendrons
bien à bout du Parlement, il faut qu’il vienne cuire
à nostre four, les Gens du Roy ne sont pas des
maroufles, ils ont voix en Chapitre, & quoy qu’il
y ait de rudes frondeurs qui nous iettent des pierres
qui pesent plus de quatre liures, quand ils nous
auroient rompu vne jambe au pis aller, nous auons
vn bon Bailleul pour la remettre. Pour la Ville, si
les Princes en ont les clefs nous en auons la serrure,
le Gouuerneur d’icelle, sans ce riche Gouuernement
seroit toute sa vie à l’Hospital, c’est pourquoy il ne
demordra iamais. Monsieur le Preuost des Marchands
est vn homme de bien, & par consequent
a plus de peur de perdre que ceux qui n’ont rien,
nous auons aussi quelques Escheuins & beaucoup
de notables Bourgeois, à qui nous rendrons Benefices
pour Benefices.

 

Pour ce qui est des Deputez qu’ils nous enuoyeront,
nous leur ferons prendre de la casse pour les
rafraischir, & de la ptisanne où il y aura plus de patience

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que de reglisse, & s’ils nous viennent tousiours
chanter aux oreilles cét Antienne Da pacem
Domine, &c. nous leur respondrons, Sanctus, Sanctus,
Sanctus, Dominus Deus Sabaoth. Enfin la longueur
de la guerre leur abaissera le caquet, & nous
les rendra souples comme des gands. Tout le monde
s’estonna d’entendre ce grand personnage rafiner
ainsi sur la fourberie : il luy souuint encor de
demander à Monsieur le Garde des Sceaux à quel
iour viendroient nos Deputez, & ayant apris de luy
qu’ils auoient differé iusqu’au lendemain de la Pentecoste,
il s’estonna de ce long delay, à quoy le
Garde des Sceaux respondit, c’est par l’aduis de
Monsieur de Bruxelle ce bon Catholique, parce
qu’il leur dit qu’il falloit attendre que le sainct Esprit
fut tombé sur nous autres pour nous bien inspirer,
Gratia Spiritus sancti obumbrabit eos. Il est
fort sçauant aux Ecritures sainctes, mais il n’entend
pas la politique, respondit le Cardinal, il sçait aussi
bien par cœur sainct Augustin comme ie sçay Machiauel,
& s’attache particulierement au Liure de la
Cité de Dieu, dont il nous rapporte tousiours quelque
passage importun. Ce discours estant fini il
demanda si Monsieur de Guenegaud estoit là qu’on
le fist venir, auquel il demanda s’il auoit payé l’ordonnance
de comptant pour la pension du sieur
…… Officier de Monsieur le Duc d’Orleans, lequel
ayant répondu qu’il n’en auoit sceu payer que
la moitié, attendu le manquement de fonds, &
qu’il l’auoit remis pour l’autre, il se mit fort en colere,

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& iura plusieurs fois catzo, & luy enchargea
bien de payer le reste aussi-tost qu’il seroit à Paris,
luy representant qu’il falloit estre tousiours soigneux
à bien payer les espions. Vous souuient-il,
luy dit le Cardinal, de la desroute de Gien, si Monsieur
le Prince eust eu de bons espions, n’estions-nous
pas perdus, à quoy ledit sieur de Guenegaud
respondit qu’il satisferoit ledit sieur……dés le
premier fonds qu’il auroit en ses mains.

 

S’ensuit le Conseil secret tenu par le Cardinal Mazarin
auec les sieurs Abbé F & B. pour sçauoir s’il
doit quitter S. Germain ou non.

Aduis de l’Abbé F.

MONSEIGNEVR, Les perils que i’ay courus
pour Vostre Eminence, la doiuent rendre
assez asseurée du zele que i’ay pour son seruice,
estant mesme tombé, comme elle sçait, entre les
mains des Bourgeois de Paris, In quibus nulla venia,
sed sempiterna rabies inhabitat erga Mazarinos, qui
me prirent des lettres qui s’adressoient à Vostre
Eminence, Dieu sçait si i’essuyay quelques coups
d’Hallebarbe, & me fallut bien-tost renoncer au
Mazarinisme pour me garantir de la fureur de ces
enragez, qui ne me menaçoient pas moins que de
m’escorcher tout vif, pour faire vn tambour de ma
peau, pour estonner les autres Mazarins : c’est pourquoy,
Monseigneur, apres m’estre exposé de la sorte,
vous ne pourrez auoir pour suspect le conseil

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que ie veux donner à Vostre Eminence sur l’affaire
qu’elle nous propose.

 

Nostre prouerbe, dit qu’vne bonne fuite vaut
mieux qu’vne mauuaise attente : c’est pourquoy si
vous me croyez vous banderez vos voiles sans remise :
le Bourgeois ne fait que crier tous les iours
aux Princes, qu’on nous mene à sainct Germain,
ie voulons auoir le Mazarin mort ou vif : quand les
brebis sont enragées, elles sont pires que les loups.
Il vous doit bien souuenir que vous l’auez desia eschapé
belle, quand vous fustes contraint de vous
sauuer à minuit par la porte de derriere du Palais
Royal, & que vous promistes vn ex voto al santo
Saluadori di Roma, mais il ne vous est pas souuenu
depuis de l’aquiter, car comme on dit chez vous,
passato il pericolo gabbato il Santo. Il ne faut pas que
vous vous fiez trop à vostre fortune, tel à couru toutes
les mers qui se vient noyer dans vn ruisseau.
Vous auez grand credit sur la Reine faites en sorte
qu’elle dispose le Roy à retourner à Corbeil & delà
à Melun, nous tiendrons le passage de la riuiere,
& si les badauts font les meschans, nous leur ferons
achepter le bled & le vin bien cher, ils ne seront
pas si sots de vous venir chercher si loin : le
Roy ne dedira pas sa Mere, car il fait tout ce qu’elle
veut, & la Reine tout ce que vous voulez : d’ailleurs
vous ferez d’vne pierre deux coups, car vous
mettrez vostre personne en seureté, & si vous obligerez
vostre personne en seureté, & si vous obligerez
les. Parisiens en esloignant les armées du Roy
qui seront destinées à vostre garde, & ainsi leur

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animosité cessera peu à peu, & gousteront à la fin
du Iuillet Mazarin pour les faire dormir, car il y a
long-temps qu’ils son ennuyez de la garde.

 

Le Cardinal Mazarin escouta fauorablement ce
discours, & remercia fort ciuilement ledit sieur Abbé,
luy disant ie ne croyois pas que dans Paris il y
eut de si bonnes caboches, mais à ce que ie voy i’ay
desia fait de bons escoliers, & se retournant vers le
sieur B. luy dit, parlez Monsieur quel est vostre auis,
& puis harangua de la sorte.

Aduis du sieur B.

MONSEIGNEVR, Quand ie n’aurois point
esté assuré par Vostre Eminence de l’Abbaïe
……qu’il vous a pleu me promettre pour
mon fils, que ie tiens toute asseurée, l’ayant desia
fait vestir de violet, & qualifié de Signor Abbate. Ie
ne laisserois pas d’auoir vn grand zele à vous seruir,
car ie voy que le Roy vous fait de grandes caresses,
& comme dit le prouerbe Latin, Regis ad
exemplum totus componitur orbis, & quand vous seriez
mesme le Singe de Sa Majesté, nous serions
obligez de vous considerer quand vous nous feriez
la mouë, mais vous estes ce grand tresor que Rome
a donné à la France, dont pourtant elle se fut bien
passée, car elle a tousiours esté gueuse depuis : mais
quoy que c’en soit, on dit que vous estes vn galand
homme, & que vous venez à bout de tout ce que
vous entreprenez, Dieu veuille que vous veniez à

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bout de ce que vous m’auez promis, car on dit que
vous estes fourbe, & que vous ne voulez pas estre
esclaue de vostre parole, mais vous auez iuré per la
santa Croce de Dio & per la Madona Santissima, iuremens
les plus saints d’Italie, que vous me donneriez
vne telle Abbaïe apres la mort de celuy qui la
possede, qui est desia en âge decrepit, c’est pourquoy
assuré sur vostre parole, ie vous donneray icy
mon auis en amy.

 

Quoy que vous aye dit le sieur...... pour vous
faire quitter sainct Germain, & par consequent à
Sa Majesté, ce n’est pas mon sentiment : si vous connoissiez
comme moy l’humeur des Parisiens, vous
n’auriez pas tant de peur d’eux comme vous auez,
ce sont des chiens qui abayent, mais ils ne mordent
pas. I’ay tous les iours cinq ou six personnes que
ie paye pour aller aux marchez & places publiques,
où se debitent les nouuelles, qui m’asseurent qu’il
y en a desia beaucoup qui s’ennuyent des menées
des Princes, parce qu’ils ne voyent goute dans leurs
affaires, & ne resistent pas beaucoup au dessein que
le Roy a de vous mener à Paris pour restablir le
commerce. Il ne faut pourtant pas rien precipiter,
Il faut auoir patience, qui va piano va sano, vous
ferez d’icy la guerre à l’œil, selon les aduis qui
vous seront donnez, car nous auons tous les principaux
pour nous, & quoy que le Bourgeois ait
pris les armes, ce n’a point esté par aucun Arrest
du Parlement ny ordre de la Ville, mais de leur
propre volonté ; si bien que cela fait vne confusion

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aux portes pour l’ordre general, chaque Colonel
voulant commander à sa fantaisie, ils refusent
mesme les passe-ports de Monsieur le Duc d’Orleans,
tant ils sont estourdis, & tirent le plus souuent
sur ses Caualiers, Monsieur le Prince a bien
de la peine à donner ordre à vn tel desordre : pour
cela nous n’auons qu’à nous bien déguiser, car si
nous auions seulement sur nostre habit vne tache
de Mazarin grande comme vn denier ce seroit fait
de nous : mais i’ay bien les plus habiles espions du
monde, ils pestent contre vous comme les autres,
& vous donnent tous les iours plus de fois au diable,
qu’il n’y a de pommes en Normandie : mais
pour ioüer mieux leur rolle, ils font courir trente
sortes de nouuelles pour confondre tout, tantost
ils font courir le bruit que Monsieur le Prince a fait
sa paix sous main, & qu’il veut tromper les Parisiens :
tantost que Monsieur le Duc d’Orleans s’entend
auec la Cour, & qu’il tient des conferences
secrettes auec Monsieur le Coadjuteur, qu’il ne
sçait plus de quel costé il est : tantost que Monsieur
le Duc d’Orleans, les Princes & nous autres, nous
entendons comme larrons en foire, & que ce n’est
qu’vne guerre simulée pour attraper le badaut & le
condamner aux despens de l’instance ; & quand
nonobstant tout cela ils s’eschauffent trop, nous
leur faisons boire du laict d’asnesse pour les rafraischir,
en leur donnant d’vn bruit de paix par le nez,
qui les fait d’abord dresser les oreilles comme vn
lievre qui entend japper les chiens autour de luy.

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Toute cette confusion de bruits dans vne ville comme
Paris, fait des merueilles, car elle empesche l’vnion
des esprits, l’vn trouue vne nouuelle à son
goust & l’autre vne autre, si bien que de cette façon
iamais ils ne s’accordent : auec tout cela les Gazetiers
ne s’entendent pas mal auec nous, car ils ne
vendent que des menteries, & l’on est rebatu de
toutes leurs Mazarinades de Scaron, de toutes les
Lettres que les Secretaires de sainct Innocent leurs
donnent, & de toutes leurs defaites & prises de bagage.
Ie concluds donc par là que n’y ayant point
encore d’vnion bien formée contre vous à Paris,
vous ne deuez point partir d’icy, ils se lasserõt bien-tost
de toutes ses fredaines, & vous reuiendrez à
Paris aussi bien que vous y fustes iamais ; c’est le
meilleur aduis que l’on sçauroit donner à Vostre
Eminence.

 

Response du Cardinal Mazarin aux aduis susdits.

VRAYEMENT on dit bien vray, que l’on connoist
les amis au besoin : ie vous ay vne grande
obligation des bons conseils que vous me donnez
que i’estime beaucoup, quoy que differens,
estans tous appuyez de fort bonnes raisons, mais
vous ne trouuerez pas mauuais que i’en choisisse vn
qui me semble le plus seur, veu la necessité du
temps, qui est celuy de Monsieur F. & en voicy
les raisons.

Premierement, il n’y a pas trop de fiat aux Parisiens,

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dans l’extremité des affaires où nous sommes,
ie sçay bien ce que sirent les Gantois sous la
conduite d’vn Tisseran, contre leur Duc : d’ailleurs
il y a trop de Moines à Paris pour estre icy en seureté,
ie crains fort ses Lucarnes. Secondement, c’est
que dans les approches du Duc de Loraine, ie me
trouuerois enuironné de trois armées, de celle des
Princes, de celle du Duc de Loraine, & des troupes
que Paris fourniroit en estant si pres, si bien que ce
seroit ce coup-là que l’on pourroit dire, point de
Mazarin : mais la soury qui ne sçait qu’vn trou est
bien-tost prise, ie leur donneray encor bien du fil
à retordre ; car quoy que le Duc de Loraine ait promis
au Roy de prendre son party si les Princes n’en
venoient à vn accommodement raisonnable, ië
ne me fie pourtant pas à luy, car fin contre fin n’est
pas bon à faire doublure : il a bien fourbé le feu Cardinal
de Richelieu, qui estoit le plus ruzé homme
du monde, il pourroit bien aussi me ioüer vn tour
de son mestier ; c’est pourquoy i’ay a deliberer sur
vne affaire de telle importance, & veux retourner
sur mes pas vers Poictiers, où ie trouuerois plus de
seureté : & pour cét effet, ie vous prie que nous en
conferions demain.

 

FIN.

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