Anonyme [[s. d.]], LE MERCVRE INFERNAL. , françaisRéférence RIM : M0_2453. Cote locale : C_6_15.
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LE
MERCVRE
INFERNAL.

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AVERTISSEMENT.

Les nouuelles qui viennent de loin ne peuuent
pas arriuer si tost : Aussi faut-il considerer qui
ce qui n’a point encor esté vû est nouueau quand
il paroist au iour : Tellement que nous trouuans
dans vn temps où tout se publie ; pour donner vne
genereuse resolution aux gens de bien de continuer à
l’estre, & l’emulation aux autres de les imiter, nous
ne deuons plus laisser dans l’oubly ceux qui pour
leurs iniques deportemens ont receu apres leur mort
vn iuste chastiment de leurs crimes, afin que cela
serue d’exemple à tous les meschans.

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LE
MERCVRE
INFERNAL

Caron voyant entrer dans sa Barque l’ame
de Bulion qui auoit la mine d’estre vn fort
mauuais payeur, prit dessein de se faire auancer
le Naulage ; & la longue contestation qu’ils eurent
ensemble fut cause que l’Ombre du premier
President arriua à temps pour passer le Fleuue
auec luy, confirmant l’imposture dont ils excroquerent
ce vieux routier, à qui le temps a
pourtant donné beaucoup d’experience.

Ils ne furent pas si tost debarquez qu’ils firent
des projets aussi pernitieux que leurs effets l’ont
esté au monde ; mais en ayant communiqué auec
plusieurs ames errantes pour de semblables crimes,
qui leur estoient venuës à la rencontre, ils
sceurent qu’en ces lieux là l’on detestoit telles gẽs
& que l’on n’y pouuoit estre aucunemẽt cõsideré

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du Prince que par des actions qui donnassent temoignage
d’vne sincere probité ; d’autant qu’il
maintenoit sa Souueraineté par la force de la Iustice
qu’il faisoit obseruer inuiolablement par
toute l’estenduë de son Empire, & qui des proposition
contraires y estoient punies comme vn
crime de leze Maiesté. Ce ne fut point sans vn
merueilleux estonnement que ces deux Monstres
sceurent ces nouuelles là, iugeant bien qu’il seroient
odieux dans vn estat si bien policé, & estãs
abhorrez de chacun, ils seroient en fin vagabons
comme les autres : Mais leurs esperance fut encore
vaine, se trouuans décheus de cette grace ; par
ce que le Roy des Enfers ayant sçeu leur arriuée
prit dessein de s’en seruir en choses conuenables ;
tellement que cette morne seuerité qui reside
continuellement sur son visage s’esuanoüit à l’aspect
de Bulion, dont la mine grotesque excelloit
l’original d’vn ridicule Godenot ; ce qui donna
enuie au Prince d’en faire son sibilot ; & par vne
gratification particuliere le faire coucher sur l’estat
de sa maison en qualité de son porteur de
chaise d’affaires & guide bassin ordinaire ; & deslors
il la luy fit consigner, dont le nouueau Officier
luy rendit mille actions de graces, benissant
sa destinée d’auoir en sa garde vne si pretieuse
Cassolette, dont il faisoit toutes ses delices au
monde : Mais comme la tristesse est inseparable

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de da ioye, il s’en trouua viuement attaqué quand
il luy fut deliuré vne grande boëste pleine de cotton
musqué pour en seruir son immortel Maistre.
C’est là où il commença à deplorer sa misere, &
maudire le sort : Toutefois voyant qu’il en falloit
passer par là, il prit courage, esperant que
l’extremité de cette rigoureuse penitence pourroit
en fin expier ses plus noirs crimes.

 

Le pitoyable & comique diuertissement est
merueilleux, quand par deuoir il baise le cotton
auant que de le presenter au Prince : car du commencement
il ressemble à vn vieux Magot qui
esternuë en odorant de la Moustarde, & au mesme
instant on le void entrer en des conuulsions si
violentes qu’il expireroit sur le champ si Pluton
ne commandoit qu’on luy fist vistement receuoir
le parfum du Bassin, qui luy est vn plus prompt secours
que la Grotte du Chien pres de Naples, à
ceux que l’on a exposez à la premiere ; car au mesme
moment il respire, & parest plus gaillard
qu’vn petit Iean ressuscité.

Il n’en fut pas ainsi du Premier President, d’autant
que Pluton estant encor recemment indigné
contre le Lieutenant Ciuil Moreau (qu’il
auoit estaly Premier Algoüazil des Enfers, pensant
en faire vn Ombre de bien) à cause d’vn faux
exploict que ce nouueau Sergent auoit fait en faueur
d’vne ieune Garce, contre vn vieux Diable

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Chicanoux qui sçauoit le pair & la preze, conclud
d’en faire faire la Iustice sur le champ. Et
sçachant bien que ce gros le L’ay, ce nouueau Sardanapale
estoit vn Archifourbe, il delibera de le
mettre en vne charge où il n’en pourroit pratiquer
de manifestes l’establissant Bourreaux Major
des Manoirs tenebreux ; ordonnant que pour
chef-d’œuure, il prendroit à l’heure mesme le
faussaire.

 

Il ne se peut dire combien les regrets furent
grands de part & d’autre ! Comment, disoit Moreau,
autrefois mon Demon m’auoit bien garenty
d’vne populace irritée, qui me pour suiuoit pour
me ietter en l’eau, & à cette heure il me manque
dans le plus pressant besoin ; Au moins de grace,
chere Confrere, traitte-moy doucement, en consideration
de la mesme Robbe, qui a autrefois
couuert nos iniques souplesses : Le Major fondant
en larmes, le luy promit ; & faisant mille imprecations
contre la vicissitude des choses, auec
des lamentations indicibles, en toute ciuilité &
courtoisie luy mit au cou l’Ordre d’Auanturier
airant. Le tragique diuertissement fut grand,
quand il luy donna le Croc en iambe, & s’augmenta
beaucoup plus lors qu’il commença à le
secoüer ; car il le faut figurer le Iean des Vignes
de la Foire S. Germain qui pend son Camarade,
apres luy auoir fait de belles exortations.

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La piece n’estoit presque finie quand l’on amena
Cornuel qui auoit esté surpris en crochetant
vne armoire de cuisine, dont il tiroit des viandes
pour vendre en cachette, lequel ne pouuant nier
le delict, esseya de le faire passer pour vne galanterie,
disant qu’il auoit apris estant au monde
qu’vn Financier doit auoir ses coffres garnis, &
s’arrester tousiours au comptant, & qu’il croyoit
n’estre point descheu de ce Priuilege encore qu’il
eust changé d’exercice ; Mais le Prince irrité des
continuelles maluersations qui s’exercent dans
toutes les differentes conditions, & voyant que
le changement d’air ne luy auoit point fait oublier
ses vitieuses habitudes, & que d’vn larron
public qu’il estoit auparauant, il estoit deuenu
vn voleur domestique ; il resolut aussi de purger
son Empire de ceste peste ; disant, que puis qu’il
recherchoit du comptant qu’il luy en feroit trouuer,
luy faisant dancer à l’heure mesme le bransle
perilleux en cadence mourante.

Quand ce larron Marmiton entendit cét Arrest
irreuocable, & qu’il se vid hors de toute esperance
de Salut, il se laissa emporter au desespoir,
maudissant sa destinée, & les Caphars enfroquez
qui luy auoient promis vne eminente, ou moindre
place au sortir du monde, selon qu’il leur departiroit
de ses biens mal acquis & extorquez, dont il
ne pouuoit (disoient-ils) autrement descharger sa

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conscience. Puis il poursuiuoit ; Veritablement,
c’est à tort que i’exagere de la sorte contre ces
Reuerends Chatemites : at ils me tiennent parole,
puis que me voicy placé en vn lieu fort esleué ;
mais ce qui me scandalise le plus, c’est qu’ils m’auoienr
celé que la descente en seroit scabreuse ;
Certes telles equiuoques sõt plusvt les que Chrestiennes.
Ha ! continuoit-il, pendant qu’ils sont en
Cuisine à viure grassemẽt aux despens des Idiots
& des simples gẽs qu’ils seduisent cauteleusemẽt,
quel secours peuuent-ils apporter aux Manes de
ceux qui leur ont laissé dequoy faire boüillir leur
Marmite, au grand preiudice des legitimes heritiers ?
Mais quel enraciné abus de croire que les
rudes Chançons de ces Cagots hypocrites puissent
tirer du Feu les Ames qui y sont enchaisnées,
puis que leur braire ne peut seulement charmer la
Corde qui me fait perdre la parole.

 

L’a dessus il passa cette Capriole airée où l’on
ne met point les pieds en terre, qui fut l’Epilogue
de la Tragedie.

C’est ce qui s’est passé de plus considerable en
ces lieux là ; S’il y arriue encore quelque chose qui
merite d’entretenir les Curieux, ils en verront
l’extraordinaire.

Io castigo gli rei.

FIN.

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