Anonyme [1649], LE MERCVRE PARISIEN, CONTENANT TOVT CE QVI s’est passé de plus particulier, tant dans Paris qu’au dehors, depuis la nuict du iour & Feste des Roys iusques à present. Et qui n’ont esté remarquées aux Imprimez cy-deuant publiez. , françaisRéférence RIM : M0_2455. Cote locale : C_6_13.
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LE
MERCVRE
PARISIEN.

CONTENANT CE QVI S’EST PASSÉ
de plus memorable, tant dans Paris qu’au dehors,
depuis la nuict du iour & Feste des Roys, iusques
à present.

PREMIER ORDINAIRE.

LA Ville de Paris croyoit estre asseurée & deliurée
du trouble qu’elle auoit iustement apprehendé,
depuis ses barricades du 6. 27. & 28.
d’Aoust iusques au dernier d’Octobre Vagile de la
Feste de tous les Saincts, qu’elle vit & [1 mot ill.] le
Roy à son retour dans Paris, auec les feux de ioyent & salu[illisible] de
mousquetades par toutes les ruës ; les cris & les allegresses
telles qu’elle se peuuent desirer d’vn peuple qui ayme parfaitement
son Prince.

Aprez la sainct Martin l’ouuerture du Parlement estant faict :
Les Chambres recommencerent à s’assembler au suiect des gens
de guerre, que l’on auoit fait auancer aux enuirons de Paris,
contre les promesses donnees, qu’elles n’en approcheroient
de vingt lieües, Messieurs le Duc d’Orleans & le Prince de
Condé, furent par ordre de la Reyne, au Parlement où les

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Chambres assemblees. Monsieur le Duc d’Orleans dit que la
Reyne croyent auoir donné tout contentement sur ce que la
Cour desiroit, touchant les plaintes qui s’estoient faites des charges
& impositions, trouuoit mauuais que le Parlement s’assembloit
derechef, la dessus on fut aux opinions, que Monsieur le
Prince vouloit interrompre, ce qui fut cause que ce iour là les deliberations
n’ayans esté libres, il ne fut rien arresté, aucuns de
Messieurs dirent, que la coustume de la Cour estoit que venant
aux opinions, chacun deuoit opiner librement, afin de recueillir
les aduis auant que prononcer.

 

Aprez cela Messieurs les Duc d’Orleans & le Prince de Condé
s’en retournerent.

Le lendemain ils se rendirent derechef au Parlement, où fut
deliberé sur les propositions faites le iour precedent, & que la
Reyne seroit suppliée de donner ce contentement au peuple de
Paris ; de ne permettre que les passages par où ses commoditez y
arriuent iournellement, fussent occuppez par les gens de guerre.

Tout le long de l’Aduent le Parlement fut occuppé à rendre la
Iustice distributiue au public.

Ce qui n’empescha point qu’il ne courut vn bruit par Paris,
qu’à la Messé demi nuict, pendant que le peuple seroit aux Eglises
se deuoit faire vn tumulte par les gens de guerre qu’on y feroit
entrer, ce qui fut neantmoins sans effet.

Neantmoins on ne laissa point de croire que le Cardinal Mazarin
auoit quelque dessein d’enleuer le Roy hors de Paris, & le
mener-ou à Blois ou à Tours, les autres disoient à Lyon ou à
Dijon : ce qu’il tint tellement secret que nul ne pouuoit qu’en iuger,
si non la nuict du iour des Roys sixiesme Ianuier dernier, sur
les deux heures aprez minuict, qu’il l’enleua & le fit sortir auec
la Reyne par la porte de Richelieu, sans auoir la Maison du Roy
& de la Reyne, eut loisir de faire charier tout leur bagage, qui
demeura au Palais Cardinal, & se rendirent tous à sainct Germain
en Laye.

Ce fut lors qu’on vid vn coup d’Estat executé & que tout Paris
se trouua tout en trouble du prompt & soudain enleuement
du Roy, qui eust sans doute esté suiuy de quelque grande emotion,
n’eust esté l’ordre que le Parlement assemblé dez ce iour là
y mit, ordonnant qu à la diligence des Preuosts des Marchands

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& Escheuins, les portes seroient gardez par les Bourgeois &
corps de gardes establis de nuict par les quartiers.

 

Le Ieudy 17. Ianuier Lettres de cachet enuoyées de sainct Germain
en Laye, furent apportees au parquet de Messieurs les
gens du Roy, portant translaction du Parlement de Paris en la
Ville de Montargis, de la Cour des Aydes à Poictiers, de la
Chambre des Compte à Orleans, du Grand Conseil à Mante
& du Conseil priue à Poissy : Ces lettres furent renuoyées par le
Parlement, sans estre ouuertes ny leües.

Au mesme temps que leur Majestez furent à sainct Germain,
le Cardinal Mazarin, ayant surpris la naïfueté naturelle de
Monsieur le Prince de Condé, luy mettant en l’esprit qu’au parlement
il y en auoit qui auoient intelligence auec l’Espagnol,
auec intention d’attenter à la personne du Roy, le porta à prendre
la charge d’inuestir la ville de Paris de tous costez, fit venir
l’armee de Flandie & leue les garnisons des villes frontieres pour
les ordonner aux passages des riuieres des lieux d’où se conduisoient
les viures à Paris, Monsieur le prince selon cet ordre,
fit entrer dans sainct Denys, dix Compagnies du Regiment des
Gardes Françoises, le Regiment de Nauarre, vn Regiment de
Caualerie Allemande & polonise, auec les quatre Compagnies
des Suisses qui y ont leur quartier ordinaire.

Se saisit du Chasteau du Bois de Vincenne où il mit vne garnison
de quatre cens hommes & deux cens cheuaux sons le commandement
du sieur Droüet Capitaine au Regiment des Gardes
& licentia du Chasteau les Morte-payes des village de Fontenay
sur le bois, de Noisy le sec, de Bagnolet & de Montreuil, lesquels
villages furent tellement barricadez par leurs habitans en nombre
de plus de mille de leurs Communes assemblez auec fuzils,
mousquets, fleaux, hallebardes, longs pieux & battons à deux
bouts, qu’aucunes des garnisons de S. Denys & du Bois de Vincẽnes,
ne les ont peu forcer & toutes les fois qu’ils s’en sont aprochez
ils y ont tousiours laissé quelques vns des leurs tuez ou blessez.

Ledit sieur prince tenant la Campagne du costé de Brie, se
saisit de la ville de Lagny sur Marne où il mit six cens hommes
sous la conduite du sieur de Baradas.

Il fit le mesme à Corbeil où il fit ietter 600. hõmes, aiant gaigné
de son costé le sieur du Perray, qui en etoit Gouuerneur qui les

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y receut nonobstant le refus que les habitans en faisoient.

 

Les mesmes trouppes dudit sieur Prince s’emparerent des
Bourgs de sainct Clou & de son pont, & des villages de Surenne,
Bologne & Pute aux où ils ont commis des voleries & des cruautez
plus que barbares, notamment à Seures & à Meudon, qui furent
pillez, & les habitans du dernier furent contraincts d’abandonner
leur demeure & les laisser à la proye de cinq cens Allemans &
Polonois qui y estoient le Dimanche 7. Fevrier, sur l’aduis qu’on
auoit eu que le Prince de Condé auoit resolu d’attaquer le pont
de Charenton, gardé par vne forte garnison que les Generaux y
auoient enuoyez, s’estant tenu le Conseil en l’Hostel de Ville de
Paris où estoient quelques-vns des Generaux, le Marquis de la
Boulaye & quelques vns du Parlement, fut resolu que le lendemain
de grand matin 8. Fevrier, seroit commandé par les Officiers
de la ville de faire sortir les Compagnies des Bourgeois par
la porte sainct Anthoine, afin d’empescher la prise de ce pont &
des les six heures du soit du iour 7. Fevrier, les Officiers des quartiers
eurent ordre d’aduertir les Bourgeois de tenir les armes prestes
& de sortir au premier son de Tambour à peine de grosse
amande, & sur les cinq heures du matin du Lundy 8. Fevrier,
autre commandement fut fait aux Bourgeois de sortir promptement
auec les armes & se rendre sous leurs Capitaines à peine de
la vie, ce qu’ils firent & tous allerent dans la place Royale où la
montre & la reueüe fut faite, aprez quoy tous marcherent en bon
ordre iusques au bout du faux-bourg sainct Anthoine : & au mesme
temps l’on sortit quatre pieces de Canon de l’Arseral auec les
munitions pour les conduire vers Charenton.

Le Duc d’Elbeuf & autres Chefs auec plus de deux mille cheuaux
s’estoit auancé vers la vallée de Fescamp ; & en chemin faisant
il apprit que le pont de Charen on auoit esté pris par les gens
de Monsieur le Prince, ce qui l’obligea de retourner & remercia
les Bourgeois, sortis en nombre de plus de trente mille hommes
sous les armes, de la diligence qu’ils auoient faite pour l’assister en
vne occasion si necessaire pour le bien commun de la ville, aprez
quoy chacun rentra & retourna en son quartier & le Canon sorty
de l’Arsenal y fut remené auec toutes les munitions.

Dans l’attaque de ce pont de Charenton, les ennemis y firent
vne perte notable & entrautres celle du Comte de Chastillon,

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fort estimé du Prince de Condé, du Baron de Saligny son Cousin,
du Baron de Faures & de quantité de Capitaines & Officiers.

 

Le Comte de Chastillon perilleusement blessé fut porté au
Bois de Vincennes, où se rendit aussi le Prince de Condé, auquel
il dit, qu’il ne regrettoit point la mort, mais bien de mourir pour
la cause d’vn estranger & dans vne guerre iniuste & que si Monsieur
le Prince s’y vouloit opiniastrer l’issuë ne luy seroit pas honorable,
veu qu’en vne pareille occasion que celle-cy il verroit
sa reputation ternie & la gloire qu’il auoit acquise par tant de
batailles & victoires remportees sur les ennemis de la France,
grandement diminuee, ce ieune Seigneur estoit vaillant & fait
à la guerre qui s’estoit faicte aux Pays bas : aussi en recognoissance
de son courage, il estoit sur le poinct d’auoir vn baston de
Mareschal de France. Il s’estoit fait Catholique depuis vn an,
ne trouuant point asseurance de son salut en la religion pretenduë
reformee, en laquelle ses peres auoient esté nourris, esleuez &
morts.

Les ennemis s’estant ainsi saisis du pont de Charenton sçachans
qu’ils ne le pouuoient garder le rompirent & l’abandonnerent,
& voulant courir iusques à Brie comte Robert pour y prendre les
bleds qui s’y estoient conduits de Champagne & de Brie pour
estre amenez à Paris, furent rencontrez par les Marquis de Vitry
& de Narmonstier qui rompirent leur dessein.

Et retournans du costé de sainct Denys ils coururent iusques au
Bourget qu’ils pillerent, comme ceux de l’autre costé de la riuiere
le Bourg de Palaiseau, le village de Fontenay aux Roses, ou ils
firent de grandes insolences, iusques dans l’Eglise où ils rompirent
le sacré Tabernacle prirent le Reliquaire d’argent en forme
de Soleil où estoit le sacré corps de Nostre Seigneur & l’emporterent.

Le Mercredy 10 de Feburier, le Duc de Beaufort estant sorty
accompagné du Marquis de la Boulaye & de bon nombre de Caualerie
& d’infanterie vers Loniumeau rencontra les deux Regimens
de Caualerie de la Reyne & de Mazarin en nombre de
sept à huict cens cheuaux, où il y eut combat opiniatré de part &
d’autre, & apres nombre de tuez & de blessez le Duc ayant mis
ces deux Regimens en deroute eut loisir de faire venir a Paris vn
grand conuoy de bœufs, de moutons & de porcs des lieux de

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Chastres, Linas & d’aillieurs, & pour ce faire sortirent de Paris
plus de vingt cinq mille hommes de pied sans attendre l’ordre du
Parlement ny de la ville tres bien armez, depuis les six heures du
matin iusques a vne heure de releuée, qui marchant à grands pas
aussi resolus comme s’ils eussent esté apres quelque grand butin, &
estant en pleine campagne toute cette belle & nombreuse infanterie
parisienne fut en moins d’vne heure mise en bataille par des
Capitaines & Sergens faits a la guerre, en aussi bon ordre que si
ceust esté vne armée agguerrie a la veue de plus de dix mille personnes
sortis pour en auoir le plaisir & le contentement de les considerer.

 

Le Samedy 13 Feburier vn Herault d’armes enuoyé de saint
Germain én Lays arriua à Paris auec trois paquets, le premier addressé
à Nosseigneurs de Parlement, le deuxiesme à Nosseigneurs
les Princes & Generaux, & le troisiesme aux Preuosts &
Escheuins de la ville de Paris, mais il ne fut receu ny des vns ny
des autres, & ainsi s’en retourna à sainct Germain.

Le mesme iour le Cheualier de la Valette fils naturel du feu
Duc d’Espernon & cy deuant General des Venitiens, fut pris a
Paris en iettant vn billet d’vne demie fueille Imprimee, en des
maisons & lieux publics, & fut amené prisonnier en la Conciergerie
du Palais, ce billet est vn Libelle iniurieux & scandaleux,
contre Nosseigneurs du Parlement, & contre nos Princes & Generaux,
tendant à faire sous leuer le peuple contr’eux.

Comme aussi le Duc d’Elbeuf, & le Duc de Beaufort accompagné
d’autres Chefs, de quantité de Caualerie & d’Infanterie,
sortirent pour Brie Comte Robert pour escorter vn Conuoy de
bleds & de farines ; aussi plus de dix mille Bourgeois sortirent
pour aller au deuant de ce Conuoy en tres-bel ordre : mais comme
l’on fut arriué à Brie Comte Robert, on sceut qu’a cause de la
prise du pont de Charenton par les ennemis, la pluspart de ceux
qui auoient amené quantité de Chariots de bleds & farines en
nombre de plus de six cens, s’en estoient retournez sur le bruit
que les ennemis au partir de Charenton, alloient de ce costé là,
ce qui fut cause qu’il ne s’en trouua que cinquante ou soixante
chariots qui furent amenez à Paris.

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Anonyme [1649], LE MERCVRE PARISIEN, CONTENANT TOVT CE QVI s’est passé de plus particulier, tant dans Paris qu’au dehors, depuis la nuict du iour & Feste des Roys iusques à present. Et qui n’ont esté remarquées aux Imprimez cy-deuant publiez. , françaisRéférence RIM : M0_2455. Cote locale : C_6_13.