Anonyme [1649], LE MINISTRE D’ESTAT RESTABLY ET IVSTIFIÉ. , françaisRéférence RIM : M0_2471. Cote locale : A_6_32.
Section précédent(e)

LE
MINISTRE
D’ESTAT
RESTABLY
ET IVSTIFIÉ.

A PARIS.

M. DC. XLIX.

-- 2 --

-- 3 --

LE MINISTRE D’ESTAT
rétably & iustifié.

QVE c’est vn estrange monstre que la guerre,
elle n’est pas seulement l’vn des fleaux
de Dieu, mais elle est vne meschante &
pernicieuse ouuriere, qui n’a point d’autre
dessein qu’à mettre tout en trouble, &
en confusion, pour ruiner & détruire toute la Nature.
Pour satisfaire à sa cruelle enuie, elle ne produit pas seulement
la peste, la famine, les horreurs, & les cruautez
pour faire mourir les corps : Elle a encore cette lasche
industrie, de tourmenter, & de persecuter les esprits des
hommes, afin de ne laisser rien en eux, qui soit exempt
de ses atteintes. N’est-ce pas elle qui fait parler la calomnie,
qui fait naistre l’enuie, l’orgueil, la rage, le desespoir,
& tous les autres vices les plus execrables ? C’est
cette affreuse Déesse, qui fait fouler aux pieds le respect
que les Subjects doiuent à leurs Rois, à leurs Princes, &
aux Heros mesmes qu’ils constituënt pour l’administration
de leur Estat, & l’affermissement de leur Couronne ?
C’est cette insolente Reine des meschans esprits, qui permet
de tout faire & de tout dire, pourueu que les pernicieux
effets aboutissent au mal, & non pas au bien.

Les plus fameux Empereurs de l’Antiquité, ont esté
le but à ses traits, & les plus illustres Monarques modernes,
& éclairez de la lumiere du Christianisme, ont en
vain essayé d’éuiter ses coups par leurs bonnes mœurs, &
leurs vertueuses actions, elle a aussi bien fait agir la médisance

-- 4 --

contre eux, que contre les autres, qui faisoient
plus d’estat du vice que de la vertu. Les Puissances terriennes
ont bien deub subir à l’esclauage de ses iniques
loix ; puis que les Euesques, les Archeuesques, les Primats,
les Cardinaux, & les Papes mesmes, n’ont pû s’affranchir
par leur saincteté de vie, de tomber en la puissance
des langues médisantes, qu’elle tient à gage, pour
aussi bien noircir de la calomnie, la Pourpre, les Crosses,
les Mitres, & les Thiares, que les Sceptres, les Diadémes,
& les Couronnes.

 

Cette cruelle meurtriere, qui ne distingue point les
Rois d’entre les autres hommes, & qui les couche aussi
bien dans le Tombeau que les moindres de leurs Sujets ;
Cette ennemie irreconciliable de la concorde, & de l’vnion,
qui rauage & deserte les campagnes, les vallons, &
les montagnes, qui desole les bourgades, les villes & les
citez, qui ne s’efforce qu’à ruiner tout par vn deluge vninersel,
qui rougit bien souuẽt les fleuues, & qui abreuue
la terre : En fin cette inexorable aduersaire de toute la
Nature, ne vient-elle pas fraischement de nous donner
des témoignages sensibles des choses que ie viens de
toucher cy-dessus ?

Les Parisiens, & toute la France mesme, n’ont que
trop esprouué à leur dommage les maux qu’elle fait pour
douter de la verité que i’auance, & les villes de S. Denis,
de Brie-Comte-Robert, & les Bourgs de Meudon, de
Charenton, de Bievre, de Nanterre, & tant d’autres,
ressentent encore trop les sanglãtes marques de sa cruauté,
pour pouuoir oublier les brigandages, les sacrileges,
les incendies, & les violemens de filles & de femmes, que
cette inhumaine a fait commettre par des barbares.

C’est cette mesme guerre quï a causé de la mes-intelligence
entre le Roy & vne partie de ses Subjets, & c’est
elle encore qui passant de cet Auguste Prince à son principal
Ministre, a émeu le menu peuple (que les Anciens
ont à bon droict nommé vne teste sans oreilles, le voulant

-- 5 --

representer sans iugement, sans raison, & sans conduite)
à médire sanglamment de cette Eminence le Cardinal
Mazarin, autant chery & estimé autrefois de toute la
France, comme depuis elle l’a eu en haine & en auersion.

 

Cette grande liberté que l’on trouue parmy les armes,
a donné sujet à beaucoup de personnes de basse estoffe,
de calomnier ce Prince de l’Eglise, auec autãt d’impunité
que de rage & de fureur, sans aucune autre raison, que
l’animosité que leur fournissoit leur caprice, qui trouuoit
en ce temps là dereglées, & prophanes les choses
les mieux conduites, & les plus saintes. Il s’est trouué
parmy les sçauans des personnes assez incõsiderées pour
écrire sur du papier mille meschancetez de ce Ministre.
Ces Aristarques ne pouuoient pas ciuilement s’en prendre
au Monarque, il fallût s’adresser au principal Administrateur
des affaires de son Royaume, afin qu’en blâmant
le seruiteur on eust plus de iour à blâmer aussi le
Prince.

Les Escriuains ont cette puissance d’aussi bien oster la
vie que de la donner : c’est pourquoy vn gentil Capitaine
auoit accoustumé de dire, que les plumes des Escriuains
percent les cuirasses des gens-d’armes & que par vn contraire
effet, auec deux ou trois gouttes d’encre seulement,
ils peuuent prolõger la vie plusieurs siecles à ceux
qui auront gagné leur bien-vueillance. Les hommes de
lettres doiuent se ressouuenir que la sciencé rend l’homme
glorieux & superbe, & pour cela ils ne la doiuent pas
tenir cachée, ny s’en seruir aussi par vne vaine gloire : mais
en profiter, & conformer leur vie à leur doctrine ; puis
que la science ne sert pas plus à vn homme médisant &
vicieux, qu’vn bon vin en vn mauuais tonneau.

Mais sans nous arrester à faire voir auec quel mépris &
indignité ces mauuais Escriuains ont voulu ternir l’honneur
& la vie de ce Ministre d’Estat, par vn nombre infiny
de libelles diffamatoires & de fueilles volantes, qui ont
couru parmy les ruës, monstrons en quelle posture il est

-- 6 --

venu à Paris, & quels emplois l’y ont amené, de quelle
sorte il a vécu en Cour, & quelle bonne ou mauuaise estime
il s’est acquise pendant le seiour qu’il y a fait.

 

Les personnes separées du commun des autres, sçauent
que ce fut le Pape Vrbain qui le choisit dans Rome
pour l’enuoyer en France traiter d’affaires importantes
entre Sa Saincteté & Sa Majesté Tres-Chrestienne Louis
le Iuste XIII. dunom. Ce Lieutenant de Dieu en terre,
ce Pere commun de tous les Chrestiens, eust-il bien voulu
élire vn tel personage pour l’enuoyer vers le plus
grand & le premier Monarque du monde, pour agir en
des intrigues concernans l’honneur & la gloire du Sainct
Siege, si contre ce qu’on a n’agueres publié de la basse
naissance de ce Cardinal, Sa Saincteté n’eust sceu qu’il
estoit issu d’vne extraction noble & digne de l’employ
où elle l’auoit mis ? C’est vne consequence que ie tire
en sa faueur, & que ie croy qui sera approuuée des gens
sages, vertueux, de naissance, & des-interessez, pour
montrer que la premiere atteinte de la calomnie luy a
faussement imputé vn deffaut qu’il n’a pas.

En moins de rien cét illustre Agent se fit de telle sorte
admirer, & par leurs Majestez, & par toute leur Cour,
& par tout le peuple mesme, de l’vne & de l’autre condition,
tant sa mine, sa façon d’agir, & toutes ses autres
actions estoient trouuées agréables, qu’vn chacun luy
donnoit des loüanges. Son train, son équipage, sa dépense
& l’estime qu’on faisoit de luy, monstroient bien
qu’il n’estoit pas issu d’vne race raualée comme on a depuis
dit : mais bien d’vne Maison noble & fort recommandable ;
puis qu’on l’auoit choisi pour vne commission
& vne entreprise si glorieuse.

Il trouua vn fort facile accez aupres de leurs Majestez,
qui luy firent beaucoup de fauorables traitemens : Il
trouua les mœurs des François, & leur conuersation si
douce & si charmante, qu’il se porta d’inclination à honorer
le Roy, la Reine, les Courtisans, les peuples, &

-- 7 --

tout le Royaume, plus que toures les autres choses du
monde : Ainsi secrettement il consacra son ame & son
cœur pour le seruice d’vn Estat, qui luy sembloit plus
glorieux, & meriter mieux que tous les autres.

 

Il en donne d’assez amples preuues, lors que l’Empereur
& le Roy d’Espagne, ayans ioints leurs forces ensemble
pour détruire le Duc de Mantouë, & d’autrés
Princes les alliez de la France, firent assieger Cazal par
ce grand Capitaine le Marquis de Spinola auec vne puissante
armée, qui sema la terreur & l’effroy dans toute
l’Italie.

Le Roy Tres-Chrestien ne pouuant pas souffrir que
ses Alliez fussent opprimez sans se mettre en deuoir de
les secourir & croyant qu’il y alloit de l’honneur de sa
Couronne de maintenir ses Alliez, fit vn armement si
fort & si puissant, commandé par trois Generaux fameux
& experimentez, qu’en dépit du Duc de Sauoye, qui
voulut s’opposer à son passage, il força ses plus importantes
places, passa les Alpes, & fit marcher ses troupes
vers Cazal, qui estoit si pressé qu’il n’en pouuoit plus,
& estoit sur le poinct de se rendre. Le General Espagnol
sçauoit attaquer & deffendre des Villes, si Capitaine de
son temps l’entendoit ; il auoit pourueu à toutes choses
pour se rendre maistre de cette importante place, dont
il pensoit desia estre le vainqueur, lors que son Eminence
d’apresent, le Cardinal Mazarin, faisant renaistre en soy
cette forte inclination qu’il auoit pour la France, resolut
de l’en empescher par les traits de son esprit, dont il se
seruit fort à propos.

Nos trois Armées iointes ensemble estoient desia
proche de Cazal, resoluës de perir, ou de forcer les retranchemens
du Marquis, & luy faire leuer le siege de
deuant cette ville, quand le Cardinal Mazarin, qui auoit
desia fait plusieurs allées & venuës, & au siege, & à nos
Armées, representa auec tant de pieté & de compassion
le malheur qu’il préuoyoit arriuer de ce furieux choc,

-- 8 --

dont il témoigna apprehender à ce Chef, que les François
fussent victorieux, attendu leurs grandes forces,
qu’il rendoit par son discours beaucoup plus puissantes
que celles de Spinola, & leur ferme resolution de vaincre
ou de mourir, que ce vaillant, & insigne Capitaine,
qui n’auoit iamais sceu que c’estoit, ny de terreur, ny
d’apprehension, craignit à cette fois d’estre surmonté.
Relaschant vn peu de sa vigueur accoustumee, & se laissant
tromper à la fausse opinion qu’il conceut, que l’entremetteur
fust plus Espagnol, que François, il arresta
dans son esprit, apres auoir consideré qu’il perdoit l’Estat
du Roy d’Espagne, s’il attendoit qu’on le forçast dans ses
retranchemens, & qu’on secourust la place assiegée, de
leuer le siege, plustost que de faire vne tentatiue, dont
l’euenement ne luy sembloit pas seulement douteux ;
mais encore funeste à son party, à sa gloire, & à sa repution.

 

Tandis les trois Armées Françoises auançans chemin
vers le Camp ennemy, & estans à la portée d’vn coup de
mousquet des retranchemens, cependant que l’Agent
François conferoit auec le Chef Espagnol, obligea celuy-là,
de quitter celuy-cy, pour s’aller opposer à la marche
de nos Troupes, & les prier de temporiser vn peu, &
iusques à ce qu’il eust acheué de resoudre le Marquis de
Spinola, qu’il auoit fort ébranlé, à leuer le siege.

Cette demande fut trop iuste, pour luy estre refusée,
il va derechef tout en sueur, & hors d’alaine, trouuer le
Marquis, auquel plus fort que iamais, il representa si
bien la victoire asseurée des François, s’il attendoit leur
attaque, veu leurs forces, plus grandes que les siennes,
& leurs gens frais & resolus, que ce grand Chef de guerre
se laissant charmer à l’eloquence de cet Orateur, aima
mieux preferer son salut à sa perte, & leuer le siege
volontairement, que d’y estre forcé, & taillé en pieces.

Ainsi sans coup frapper Cazal fut deliuré : car le Marquis
de Spinola faisant battre aux champs ; en bon ordre,

-- 9 --

& abandonnant la place, les François s’emparerent aussi
tost des retranchemens des ennemis, & au moyen de
ce grand homme, qu’on a si fort mesprisé depuis peu,
cette capitale du Montferrat fut des-assujettie de la tyrannie
où elle estoit sur le poinct d’estre reduite.

 

Ce seruice rendu à la France par le Seigneur Mazarin
fut trop important à l’Estat, pour n’estre pas reconnu
de bonne sorte. Le Cardinal de Richelieu, qui de ce
temps-là estoit le premier ressort, qui par ses auis & ses
conseils, faisoit agir toutes les affaires du Royaume,
fust-ce pour la Paix, fust ce pour la guerre, en fit hautement
considerer ce Romain par sa Majesté victorieuse,
qui le regala auec tant de liberalité & de remercimens
dignes d’vn si grand Prince, que des cette heure
là celuy que l’on gratifia si auantageusement, se fit François
d’ame & de cœur, & quittant Rome se vint établir
dans ce Royaume.

C’est où tous les François l’ont veu demeurer plusieurs
années, & agir aux affaires de l’Estat, sous les regles
du feu Cardinal de Richelieu, qui connut tant de
solidité dans cet esprit, qu’en faisant vne estime particuliere
de luy, il l’employa en des choses assez importantes
& difficiles, pour n’estre confiées par ce grand
homme, qu’à vne personne dont il connoissoit la capacité.
Il fallut que ce grand Genie du Royaume connust
vn excellent merite en la personne du Seigneur Mazarin,
puis qu’il employa tout le credit & l’authorité de son
Maistre, & le sien, pour l’admettre au sacré College des
Cardinaux. Vn chacun sçait comme, sans murmurer, il
fut receu en cette éminente dignité, où il s’est tousiours
fort prudemment maintenu. Le Reuerend Pere Ioseph
Capucin, qui se connoissoit bien en esprits, vantoit par
tout celuy-cy, pour l’vn des meilleurs du Royaume. De
ce temps là l’on parloit si aduantageusement de ce nouueau
Cardinal, que quelque chose que pût entreprendre
le Roy, de glorieux, par les auis de son premier Ministre,

-- 10 --

il y auoit tousiours quelque part, par la croyance
que tout le monde auoit que ce nouueau François contribuoit
tousiours quelque chose du sien à ces heureux
succez.

 

Il a tousiours vescu en cette haute estime, & pour
confirmer l’excellence de son esprit, le Cardinal de Richelieu
reconnoissant ne pouuoir plus viure, crût estre
obligé en conscience auant mourir, de supplier tres-humblement
le Roy de le faire apres sa mort son successeur
à l’administration de l’Estat, & de l’establir pour son
premier Ministre. Ce Prince qui croyoit au Cardinal
de Richelieu comme à vn Oracle, luy promit si religieusement
d’admettre ce Cardinal en sa place, que dés que
son ame fut separée de son corps, il executa sa promesse,
& se deschargea sur luy de toutes les affaires de son
Royaume, qu’il luy mit entre les mains, comme il auoit
fait entre celles du feu Cardinal.

Sous sa nouuelle administration nous prismes plusieurs
places sur les ennemis, nous remportâmes plusieurs
victoires sur eux, & il reüssissoit si heureusement à
tout ce qu’il entreprenoit, que nostre Auguste Monarque
connoissant par la derniere de ses maladies, que
Dieu vouloit luy faire changer son Royaume terrestre
en vn celeste, où il le vouloit attirer à sa Gloire, laissa
auant sa regretable mort, par testament à la France, la
continuation de la dignité de premier Ministre d’Estat
au Cardinal Mazarin. C’est où il a parfaitement bien
agy depuis, & le peuple n’a commencé à le décrier que
lors que l’extreme necessité du Royaume a contraint
les Ministres de tout entreprendre pour recouurer des
Finances pour subsister, & les employer à la guerre,
dont elles sont le nerf.

Alors les peuples de la campagne, où l’on fit des leuées
d’argent, & les citoyens des villes mesmes, qu’on
ne put pas espargner, fust-ce aux petites & aux grandes,
commencerent a se plaindre, & sans considerer que cet

-- 11 --

amas de tresors ne se faisoit que par l’authorité du Roy,
& par l’aduis de tout son Conseil, on ne laissa pas de
fulminer contre son Eminence seule, & de luy imputer
ce blâme, quoy que s’il eust esté iuste de luy en donner,
il estoit bien raisonnable que beaucoup d’autres personnes
y eussent part.

 

Au lieu que le temps deuoit adoucir cette émotion,
il ne la fit qu’émouuoir dauantage, parce qu’au lieu de
soulager le peuple, les importantes affaires de la guerre
d’Allemagne, de Catalogne, d’Italie, & de Flandres,
fournissoient tous les iours de nouueaux moyens pour
l’incommoder, & c’est ce qui augmenta le mal au lieu
de l’adoucir.

Ce qui a le plus obligé les Citoyens de Paris à auoir
auersion pour cette Eminence, a esté la prison de Messieurs
de Broussel & de Blanmenil, que sa Majesté fit captifs,
pour des raisons qui sont inconnuës. La memoire
de ce qui se passa sur ce suiet est encore trop ressente
pour en vouloir faire icy la description, il me suffira
seulement de dire, qu’auec cette action il s’en est fait
tant d’autres, qui n’ont pas contenté les Parisiens, que
nous en sommes venus aux malheurs, d’où il n’y a pas
long-temps que nous sommes déchargez.

Il est vray que pendant le blocus de Paris, qu’il a
plû à leurs Majestez de commander de faire, le Cardinal
Mazarin a tousjours esté à Sainct Germain auprés
de leurs Personnes sacrées. En quel lieu plus
conuenable le pouuoit-on voir, que d’estre prés du
Roy, de la Reyne, des Princes du Sang, & de tous les
principaux Officiers de la Couronne ? Y a-t’il à croire
que cette Eminence seule, pour affliger cette grande
Ville, la Reine de toutes les autres, au poinct qu’elle l’a
esté, aye eu le credit & l’authorité de faire mouuoir à
son gré, tant de Puissances qui sont au dessus de la siẽne,
que nous auons veuës si fort animées pour la destruction
de cette Cité, pour sa vengeance particuliere ? Que

-- 12 --

ceux qui ont eu, & qui auront cette opinion, se détrompent,
& qu’ils sçachent que parmy tant de Princes du
Sang & de grands Seigneurs, dont la Cour est composée,
il y a eu des mécontens, & qui ayans imputé les premieres
Barricades des Parisiens à vn ouurage de desobeïssance,
l’ont fait passer pour rebellion dans l’esprit de
leurs Majestez, & comme telle leur ont fait trouuer
juste d’en chastier les coulpables, & les autheurs, par
la guerre qu’on leur a faite. Ainsi ne peut on ny ne
doit-on pas accuser seul le Cardinal Mazarin de cette
entreprise ; puis que nous auons éprouué, à nostre dommage,
que d’autres personnes encore beaucoup plus
considerables que la sienne, la fauorisoient trop puissammẽt,
pour n’en estre pas crû les principaux autheurs.
Il ne faut pas douter que son Eminence estant l’vn des
principaux membres de ce grand & puissant corps, n’y
ait contribué du sien tout ce qui luy a esté possible : que
pouuoit-il moins faire, que de fauoriser le party qu’il
voyoit armé pour se vanger, & pour le maintenir ? Tant
y a que s’il a contribué au mal, il faut confesser qu’il a
aussi contribué au bien, & que si l’on l’a veu n’agueres
fort zelé pour la guerre, que depuis on la veu fort affectionné
pour la paix.

 

En fin, comme cette belle Astrée, par les bontez de
nos Majestez sacrées, nous a mis en tranquillité, de
mesme cette adorable Deesse a semblablement remis &
r’estably en ses honneurs & en ses dignitez accoustumees,
le Cardinal Mazarin, dont deux Arrests notables
l’auoient dé poüillé. Tellement qu’aujourd’huy les veritables
François, ont autant de sujet de faire estime de
luy, qu’autrefois, veu qu’il est le mesme homme, le mesme
Ministre d’Estat, & le mesme amy du Parlement
qu’au passé, mais beaucoup plus affectionné pour le
bien & pour le soulagement des peuples qu’il n’a iamais
esté ; & c’est dont il nous en veut donner des preuues si
certaines, qu’il n’y aura plus moyen d’en douter.

-- 13 --

Cessez donc Escriuains, qui cherchez d’acquerir de
la renommée par vos écrits scandaleux, de noircir plus
vostre papier de calomnie contre cette Eminence : Imitez
Sainct Augustin ; faites des retractations, & si vous
desirez auoir du renom trauaillez à faire quelque chose
de grand & de loüable. Disposez vos plumes à écrire
toutes les belles actions que ce Cardinal fera à l’aduenir
pour l’aduantage du Roy, pour sa gloire, & pour le soulagement
de toute la France ; comme par vos injures
vous auez acquis sa disgrace, par vos loüanges vous gagnerez
sa bien-vueillance. Ie sçay bien que tous les sçauans
aspirent par leurs écrits d’auoir de la gloire, comme
estant le legitime salaire qui est deub à leurs peines,
& qu’il n’est personne qui ne soit bien aise de laisser son
nom en bon odeur à la posterité. L’on dit qu’vn certain
Escriuain mit vn iour en lumiere vn petit ouurage intitulé,
Le mespris de la Gloire, où il s’efforçoit de prouuer
que c’estoit vne vanité indigne d’vn honneste homme,
d’aspirer à la gloire par le moyen de ses œuures. Mais cet
Autheur fut depuis accusé d’auoir commis la faute qu’il
blâmoit en autruy, puis que son nom estoit mis en la
premiere page, & au front de son Liure ; ce qui donnoit
bien apparemment à connoistre, que s’il eust veritablement
mesprisé la gloire, comme il vouloit persuader aux
autres, il eust fait imprimer son Liure sans son nom. Les
Escriuains qui s’occupent à croire de belles & bonnes
choses, se rendent recommandables eternellement, &
l’on sçait bien que les faits des grands Capitaines meurent
auec eux, s’ils n’ont quelqu’vn qui les mettent par
escrit. C’est ce que reconnut bien Alexandre, lors qu’il
nomma Achille heureux, pour auoir trouué vn excellent
Escriuain de ses faits. Il ne voulut dire autre chose
par là, sinon qu’il desiroit pareillement rencontrer quelque
Historien qui fit vn Liure de ses conquestes, & de
ses exploits glorieux, sans quoy il sçauoit bien que la
memoire ne se conserueroit pas long-temps.

-- 14 --

Puis que la souuenance de toutes les choses passées
est noyée dans l’oubly, que le Roy est en fort bonne intelligence
auec son Parlement de Paris, & auec tous les
autres, que tout est vny, en concorde, & en Paix, sans
iamais auoir crainte d’vne nouuelle guerre : Que Paris
a eu l’honneur & la gloire de voir tous les Princes &
toute la Cour (à la reserue de leurs Majestez) en sa ville,
depuis la Paix : Qu’en peu de iours, aydant Dieu, nous
verrons icy de retour le Roy, la Reyne, & leur Royalle
famille ; Rendons graces au Ciel d’vn si heureux changement,
& que desormais nos cœurs & nos langues,
n’ayent plus de mouuemens que pour chanter ses loüanges,
& non pas pour ternir l’honneur, ny la reputation
de nostre prochain. Ie tiens pour tout certain, que si les
vrais François desormais, honorent, cherissent & reuerent,
comme ils doiuent, le Roy, la Reine, les Princes,
les Ministres d’Estat, & ceux de la Iustice, que
Dieu les recompensans de mille gratifications, leur fera
naistre vn siecle d’or, qui leur fera ioüir d’autant de bonheur,
& de prosperité à l’aduenir, qu’ils ont n’agueres
ressenty par leur diuision, de maux, de tourmens, & de
peines.

FIN.

Section précédent(e)


Anonyme [1649], LE MINISTRE D’ESTAT RESTABLY ET IVSTIFIÉ. , françaisRéférence RIM : M0_2471. Cote locale : A_6_32.