Anonyme [1649], LE MIROIR DES SOVVERAINS OV SE VOID L’ART DE BIEN REGNER, ET QVELLES SONT LES PERSONNES qu’ils doiuent élire pour estre leurs Commensaux, leurs Domestiques, leurs Seruiteurs, leurs Conseillers, & leurs Ministres d’Estat. QVEL EST LE DEVOIR DE TOVS ces diuers esprits; & quelle doit estre leur recompense. , françaisRéférence RIM : M0_2478. Cote locale : C_6_21.
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Qualitez requises aux Ministres d’Etat.

Celuy qui veut conseiller le Souuerain en la
conduite de tous ses affaires, doit estre franc
de haine, d’amitié, de compassion & de colere.
Quand les passions seruent d’obstacle, il est
grandement difficile à l’homme de connoistre
la verité. Iamais personne n’a sçeu faire ensemble
& selon ses interrests & selon le bien de la
patrie. La passion qui preocupe nostre esprit
est celle-la qui le fait agir à sa fantaisie. Violer
la Loy & peruertir tout l’ordre de la iustice ;
sont les diuertissement ordinaires de ceux qui
se laissent aller à leurs desirs effrenez, comme
s’ils n’auoient point de conte à rendre vn iour
à celuy qui doit punir éternellement iusques
au moindre des crimes.

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Saül premier Roy des Israëlites fut bien reprouué
de Dieu & de ses sujets, pour auoir
mal vsé de l’authorité que ce Souuerain Seigneur
luy auoit donnée. Ozias pour s’estre
voulu emparer de l’office Sacerdotal, fut bien
persecuté delepre, & priué de l’administation
de son Royaume. Olofernes au milieu de toutes
ses legions, eut bien la teste tranchée par
vne femme. Aman esleué par Assuerus dans la
premiere dignité de son Empire, fut bien attaché
à la Croix qu’il auoit preparée à la mesme
innocence. Plusieurs Princes & plusieurs
fauoris, par vn excez de passions illegitimes se
sont ainsi perdus les vns & les autres. Les sages
deliberent & se conduisent auec raison
contre les premiers mouuemens d’vne volonté
illegitime. Ils n’entreprennent ny ne conseillent
rien indigne du rang qu’ils ont, ny de
la iustice qu’ils doiuent rendre.

Ceux qui ayment mieux faire que dire, qui
n’exercent point leur esprit sans le corps, sur
qui la bonté & l’equité n’ont non plus de pouuoir
par les loix que par la nature : qui sont
francs d’esperence, de crainte, & de partialitez ;
qui sont incorruptibles & sans peur ; dont les
querelles, les inimitiez, & les effets de la colere,
ne se pratiquent iamais que contre les

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ennemis de l’Estat : qui sont vigilans en paix &
en guerre : qui sçauent pour le bien de leurs
Souuerains & du Public, gaigner l’amitié des
estrangers : qui donnent le mesme conseil à
leur Prince, qu’ils luy voudroient donner s’ils
estoient à l’agonie de la mort ; & qui font vn
pareil examen de leur conscience, en les conseillant,
que s’ils se confessoient à Dieu de tous
leurs crimes : Ceux-là veritablement sont dignes
d’estre non seulement simples Conseillers
des Princes : mais du gouuernement des
plus grands Empires de toute la terre habitable.
Ce que ne sont pas ceux, qui pour paruenir
à leurs fins interressées, s’abandonnent à
toute sorte d’iniquitez pour se satisfaire.

 

La conseruation des Estats, ne consiste pas
en l’entretien des forteresses, ny en la grandeur
de ses armées, veu que ce sont des choses
qui sont toutes consommées par le temps
ainsi que le reste des estres : mais en l’obseruation
des bonnes loix, & des prudens conseils
des sages. Ceux qui tirent l’or des mines, ne
sont pas capables de iuger de sa qualité ny de
sa nature, & c’est vn mystere qui n’apartient
qu’à ceux qui l’essayent au feu & qui l’esprouuent
à la coupelle.

Les Conseillers d’Estat, pour bien conseiller

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les Princes ; ont les Oracles Diuins & la parole
de Dieu qui les oblige à faire ce qu’il luy
plaist, & non pas ce que bon leur semble. C’est
vn adorable Legislateur, qui leur apprend à
bastir sur la stabilité de ses veritez, & non pas
sur le sable mouuant de leur caprice, ny sur
leurs considerations momentanées, qui au
moindre cours du vent & des eaux, se trouuent
toutes aneanties. Dieu surprend les sages
en leurs ruses & en leurs cautelles. La prudence
humaine est tousiours vne mauuaise conseillere,
& iamais l’on ne sçauroit ariuer à vne
bonne fin, par des moyens aussi mal heureux
qu’illicites. Il faut conformer toute sa vie &
toutes ses actions à cette sainte & sacrée parole,
si en sa vertu l’on veut paruenir iusques en
la montagne d’Horeb, où la felicité des esprits
doit estre éternelle.

 

Le plus souuent vn homme iuste peut sauuer
toute vne ville, & mesme tout vn pays.
Lors que ceux de la marine à Venise s’ataquerent
aux habirans, en sorte qu’il ny auoit ny
Duc, ny Senateur, ny Magistrat qui ne fut rebuté ;
Pierre Loredan, simple Gentil-homme
Venitien, se monstrant au plus fort de leur furie,
ne fit que leuer le bras pour leur faire tomber
les armes des mains, sans auoir plus aucun

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dessein de se mal faire. Chacun porte reuetence
à sa vertu, & tous esbloüis de sa splendeur
se tiennent coy comme s’ils eussent esté des
statuës. A Florence où l’industrie humaine, les
loix & les Magistrats, n’estoient pas des puissances
assez fortes pour appaiser vne guerre
Ciuile qui s’estoit formée entre les Bourgeois ;
l’Euesque du lieu reuestu de ses habits Pontificaux,
se presente à eux & leur impose silence ;
& Alexandre venant en furie auec son armée,
pour raser la ville de Ierusalem, à la veuë du
Souuerain Sacrificateur, il tourne sa fureur en
reuerence, & luy octroye tout ce qu’il demande :
tant la majesté d’vn seul homme de bien
à du pouuoir sur les ames les plus poussées de
fureur & de rage. La iustice doit estre soustenuë
de tout le monde iusques au dernier soupir.
Les matelots apres la mort du Pilote, n’abandonnent
pas le vaisseau au milieu de l’orage ;
au contraire ils employent toute leur industrie
pour le conduire au port auec tout le
soin qu’il leur est possible.

 

Il y a des viandes qui sont bien meilleures
les vnes que les autres, & que la nature de
l’homme ne laisse pourtant pas de receuoir
pour sa subsistance. Les Princes qui sont prudens,
reconnoissent les paroles des gens de

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bien à l’expression & au geste. Ils prennent
ceux qui craignent Dieu pour Conseillers, &
qui leur aydent à supporter leurs aduersitez,
s’il leur en arriue : qui sçauent doucement
obeir par raison, & qui reçoiuent toute sorte
d’accidens, sans en estre aussi peu ébranlez
qu’vn Socrate : qui s’exposent librement pour
eux, & qui n’ont point d’autre interrest deuant
les yeux que celuy de l’Estat & de la patrie.
Vn nombre infiny d’hommes inutiles, d’esprits
flateurs, des gens necessiteux de biens & de
conscience, vne fourmiliere de chauue souris
aueuglées de la splendeur du Soleil, sont souuent
esleuez inconsiderement par les Princes
au plus haut faiste de la fortune, & pour ne
prendre pas bien garde à leurs alechemens &
à leurs supercheries, ils les deçoiuent, & leur
font soub-signer des mandemans & des depesches,
qui ne vont qu’à la ruine de tout le
peuple, pour s’enrichir, pour se vanger, & pour
se satisfaire. Ha ! Seigneur en quelle estrange
desolation se verront ces pauures ames, lors
qu’il faudra rendre conte à Dieu de toutes leurs
actions, & lors qu’on n’y pourra plus apporter
du remede ; Ce sera en ce temps là que ce
Souuerain Monarque de l’Vniuers donnera à
chacun ce qui luy apartient, & selon sa fidelité,

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& selon sa iustice.

 

Les Princes ne doiuent iamais rien entreprendre,
sans bien examiner leurs desseins en
particulier, & sans bien consulter leur conscience.
La gloire de Dieu & l’interest du peuple
doiuent estre les principaux conseillers de
tous leurs affaires ; & ainsi conduits du saint
Esprit, ils ne sçauroient faillir en façon quelconque.
Enfin ils doiuent estre tels en leurs
resolutions & en leur conduite, qu’ils voudroient
estre au iour qu’ils seront iugez éternellement,
par celuy qui les a constituez en
vne dignité si eminente. Ainsi ils obligeroient
équitablement les vns & les autres à faire d’vn
franc cœur, ce à quoy ils les obligent bien
souuent par contrainte. Les chaisnes les plus
propres à bien retenir vn peuple à son deuoir
sont l’amour, la liberalité, & la mansuetude.
Depuis qu’on est obligé de craindre on est forcé
de ne plus aymer, parce que la crainte est
vne passion de l’appetit irrascible, qui porte
l’ame à meditation du mal qui la menace, &
ainsi l’esprit de l’homme se trouuant comblé
d’vne passion si seruile, n’en sçauroit contenir
vne autre qui luy est tout à fait contraire ; ou
que deux choses incompatibles ne sçauroient
subsister ensemble à cause de la repugnance ;

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ou de l’auersion qui se trouue en elles.

 

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