Anonyme [1649], LE MIROIR FRANÇOIS REPRESENTANT LA FACE DE CE SIECLE CORROMPV. Où se void si le Courtisan, le Politique, le Partisan, & le Financier, sont necessaires au maintien & conseruation d’vn Estat. , françaisRéférence RIM : M0_2480. Cote locale : C_6_22.
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LE
MIROIR
FRANÇOIS
REPRESENTANT
LA FACE DE CE SIECLE
CORROMPV.

Où se void si le Courtisan, le Politique, le Partisan, &
le Financier, sont necessaires au maintien &
conseruation d’vn Estat.

A PARIS. M. DC. XLIX.

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LE MIROIR FRANCOIS, OV SE VOIT
si le Courtisan, le Politique & le Financier sont necessaires
au maintien d’vn Estat.

ON iuge de la foiblesse ou de la beauté des esprits selon les choses
où ils s’amusent ; mais quel iugement feray-ie de ceux de ce
temps ? Car la plus-part admirent leur promptitude, leur industrie,
leur inuention, & beaucoup d’autres particularitez ; leur consentitay-ie
donc ? & l’impetuosité de ce torrent, rompera-il les digues de la raison
qui s’oppose au contraire, il ne le semble pas, car qui pourroit auoir
l’entendement r’assis & loüer comme vne chose parfaite, ce qui est impur,
plein de vent & de corruption ? Me banderay-ie aussi contre l’vnanime
consentement ? c’est trop de temerité, & m’asseure que quelqu’vn
me dira que ces paroles là meriteroient vn Royaume pour leur
donner authorité : mais tous ces nuages n’empescheront point que ce
petit esclair ne donne iusqu’à vous, & comme en vn grand orage, le
tonnerre se faict en quelques lieux pour faire seulement dissoudre les
humiditez amassées à l’oposite, & en d’autres pour y faire tomber le foudre,
auec beaucoup de degast où il s’eslance ? Aussi ce discours sera
pour vous esclaircir du doute que vous pourriez auoir en cecy, & pour
terrasser ce bel edifice, qui n’a que le fable pour fondement. Et afin de
vous faire comprendre cecy plus facilement, ie pense qu’il vaudra
mieux vous desduire succintement la nature de l’esprit humain.

L’ame de l’homme est vne enthelechie, ou vne substance diuine
raisonnable, immortelle, qui sçait & iuge des choses par l’intelligence,
& qui par la conscience, fait & tend aux choses necessaires
pour sa fin.

Cecy ie pense passera pour vne veritable definition. De sorte que tout
homme, qui n’a la science ny le iugement des choses, & qui par ses
actions ne fait & ne tend à ce qui luy est commandé pour son but, son
ame est plustost vne chose corporelle simplement animée qu’vn esprit
raisonnable incorporé, & par consequent il est moins esleué, plus terrestre,
plus opaque, & du tout imparfait.

Il me reste donc maintenant à vous monstrer que la plus part des nostres
sont tels. Ie ne touche point à quelques particuliers, (desquels la
memoire m’est aussi recommandable comme celle des autres m’est

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odieuse) mais à ceux qui par vn bon vent poussez dans le port, estalent
en public des perles qu’ils disent auoir peschees en l’isle d’Ormus, &
bien souuent ils les ont prises de ceux qui sont encore à la rade. Ce sont
ces ballons enflez que ie veux picquer, pour voir s’ils me rendront autre
chose que du vent, voyons les donc au descouuert.

 

Si ie ne me trompe i’en remarque trois genres, qui contiennent en
eux plusieurs especes, ie les diuise en Courtisans, en Politiques,
& en Partisans & Financiers. Les premiers, comme ils disent en l’art
militaire s’aduancent par les armes. Les seconds, par leur bonne police,
s’esleuent iusques au gouuernement, & les derniers, comme les plus
sages, bastissent leur fortune par leurs mains.

Si ie voulois maintenant finir ce discours, ma conclusion se feroit en
cet a gument, que s’il n’y a point de discipline militaire, ny de police
parmy nous, les deux premiers n’ont pas besoin de beaucoup de ceruelle
pour paruenir à leur grandeur : & quant aux troisiesmes, ie croiray
qu’ils en ont si l’on m’accorde que la glus en a aussi ; Car que font-ils
autre chose que de prendre ce qui se iette dans leurs viscuositez ? (&
Dieu nous garde de ces sangsuës qui succent plustost le bon que le mauuais
sang) Mais non, ie veux m’estendre d’auantage, & deuant que
de prononcer l’Arrest ie veux vous faire lire leurs defenses.

Faisons donc venir sur ce Theatre vn des Suffragans de la premiere
bande, qui auec vne grosse perruque frisee, cordelée, saupoudrée, les
sourcils pincetez, les iouës plastrees & vermeillonnées, la moustache
redressée, la teste branlante, la gorge ouuerte, la bouche pleine de blasphemes,
& tout le corps en vn mouuement perpetuel, me vienne aborder
auec vne main sur l’espée, l’autre à son costé, & me dire : Par la
M..... Monsieur le Philosophe vous estes volontiers quelque homme
bien entendu au fait de la guerre pour nous en discourir : mais dites
moy nouueau Censeur ne serez vous point vn de ces iours la monstre
pour me demander mon seruiui ? Par la M..... ie croy qu’il vous feroit
bon voir en vn camp, mais ce seroit au coing d’vne tente la teste dans
vne main & les yeux sur la 70. epistre de Seneque, meditant vostre derniere
heure. Toutesfois afin que vous ne puissiez dire que ie vous aye
payé de Rodomontades, ie veux pour ceste fois faire tant d’honneur à
vos resueries, que de m’arraisonner auec elles.

Dictes moy donc, quelles histoires auez vous leuës, de quel siecle
auez vous ouy parler, où l’art militaire ait esté en plus grand honneur
que cestui-cy ? Tant de combats, de defaictes, de prises de villes, de redoutables
Capitaines & de vaillans soldats, qui se sont faits & retrouuez
parmy nous durant ces dernieres guerres, ne sont-ils pas suffisans

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pour vous faire croire, que iamais la guerre ne fut conduite de la façon
qu’elle a esté & qu’elle est encore à present ? Et puis que nous sommes
venus au dessus du vent, que vous importe si c’est par l’ayde des rames
ou des voiles ? contentez-vous, mon amy, que nous auons acquis vne
telle reputation dans ce pays que nous faisons tout trembler au seul recit
de nostre nom ; & pensez-vous que si nous n’auions de l’esprit que
nous nous puissions si bien conduire : d’où nous seroit venu tant d’argent
pour nous entretenir durant nos longues couruées ? comment
cussions nous dompté ce puissant monstre Rochelois à tant de testes
sans iugement ? comment le Roy eust-il secouru la Sauoye & l’Italie,
fait trembler l’Allemagne, battu l’Espagne, subjugué tant de Prouinces,
& porté le nom François aux quatre parties du monde ? comment
nous pourrions nous maintenir aupres du Prince sans vne grande preuoyance ?
& nostre entregent auec les Dames qui nous ayment, &
qui nous recherchent, qu’est ce autre chose qu’vn bel esprit ? Mais si ie
dy que la langue Françoise, les plus beaux termes, la plus belle Poësie,
& bref tout ce que le monde produit de plus beau parmy les siens, procede
entierement de nous comme il est cognu d’vn chacun, ne faudra-il
pas que vous m’aduoüiez que vostre proposition est fauce ? & qu’au
contraire il ne s’est iamais veu au monde d’esprits plus deliez ny mieux
entendus, que ceux des Courtisans de ceste Cour ? Retirez-vous donc
auec vos Stoïques, leur recitant les dons que la nature nous a departis
par-dessus tous les autres, & vous contentez de la grace que ie vous
faits, si vous ne voulez que ie vous enuoye comme vn autre Empedocle,
chercher l’immortalité dans la profondité du mont Æthna.

 

Voila que me pourra dire le Courtisan, voyons que nous dira le Politique,
car ie le voy desia paroistre auec vne ample & longue robe de
taffetas, la barbe peinte, la perruque godronnée, les yeux enfoncez, &
le sourcil releué, se marchant à pas sousleuez & mesurez, en son viure
vn Luculus, en ses paroles vn Caton, qui d’vn regard plein de menaces
me vient dire :

Et quoy ieune homme ? ne pensez vous point estre en quelque republique
Grecque, ou dans quelque Tribune aux harangues pour nous dire
impunement tout ce qu’il vous plaira ? la Monarchie ne souffre point
ceste liberté, il faut simplement obeyr, sant s’enquerir. Admirez seulement
le gouuernement, que si vous auiez de la ceruelle pour bien comprendre
toutes choses, vous cognoistrez vne prudence presque incomprehensible
en la conduite des affaires durant vn si fascheux temps.
Et tant de conseils salutaires que nous auons donnez, tant d’aduis meurement
digerez, tant de redditions de villes en vn temps desesperé, pas

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qui pensez vous que cela se soit fait, sinon par nos pratiques ? & qui a
reüni tant de peuples sous l’obeissance du Prince, ou qui les y
maintient auiourd’huy sinon nostre conseil ? Et puis vous direz que nous
sommes sans esprit & sans iugement, vrayement cela est trop absurde,
aussi n’vseray ie point en vostre en droit de ma puissance, ny de mon
authorité pour vous punir. Car ie voy que vous auez plus besoin d’Elebore
que de Ciguë.

 

Et me voila depestré des deux, il ne me reste plus que le troisiesme,
que vous considererez de loing ie m’asseure auec vne petite courte robe
à manche, la toque de veloux sur des cheueux frisez, tout parfumé,
& mignonnement chausse, & pour le reste à peu pres accoustré comme
le Courtisan, qui tout du premier abord nous vient dire, que l’argent
c’est l’ame & le sang des mortels, & par consequent celuy qui en a ne
peut qu’il n’aye de l’esprit. Et certes, dira-il, en vn temps si fascheux,
il faut auoir de l’industrie pour acquerir en huict ou dix annees deux ou
trois cens mille escus contant sans tout plein d’autres rentes & reuenus,
& auec tout cela contenter le Prince sans qu’il se soit plaint de nostre
seruice, si non depuis ie ne sçay quels iours, que de certains brouillons
luy ont voulu faire entendre des choses qui pour n’auoir aucun fondement
s’en iront aussi en fumee. Et si quand on voudroit passer outre,
nous sçauons les moyens d’en sortir, tant nostre esprit a de preuoyance,
que ceux qui semblent nous estre les plus contraires, ce sont ceux
que nous auons pratiquez de longue main. Mais afin que vous ne disiez
point que nostre industrie ne s’estend qu’à nostre profit, combien d’inuentions
auons nous données pour trouuer de l’argent ? Et combien
pensez vous que le Prince en a esté secouru de fois au plus fort de ses affaires ?
mais encore pour vous monstrer que nous auons plus d’esprit
que tous les autres, voyez-vous pas que les Grands nous recherchent &
nous font la cour ? que sans nous en ne peut rien entreprendre ny bien
executer, & que vostre seule presence en vne armee fait plus que celle du
Roy Antigone en la sienne ? Chantez donc icy la Palinodie, & vous
desdisez hardiment, si vous ne voulez encourir la punition d’vn Icare,
& fondre du tout aux rayons du Soleil, puis que vous osez mesdire de
ses ministres.

Or me voicy assailli de tous costez, & ie m’asseure que vous me plaignez,
car i’ay forte partie : toutesfois i’ay pris nouuelles forces, & comme
quelque Atlete aux ieux Olympiques, ie me suis resolu de leur prester
le colet : mais separement, car ils m’out liuré le combat de ceste sorte,
& puis mon Trofee orné de trois Couronnes, rendra par ceste Tiarema
victoire plus glorieuse, & voyons ce que dit nostre Courtisan.

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Ie l’ay entendu exalter son siecle iusques au plus haut ciel de la gloire,
& comme assis sur son throsne iuger de l’antiquité auec beaucoup de
desdain, mais pour ruïner ce Faëton, ie ne veux que des paroles.

Dites moy donc pauure Commourant, n’est-il pas vray que tout
l’art militaire consiste en trois choses, en l’election des soldats, en la
bonne discipline parmy eux, & en la preuoyance pour leur conduite ? Et
neantmoins tous nos soldats sont pris à la volee, de la lie de tous les peuples,
sans se soucier plus auant, sinon qu’ils ayent la face d’hommes, ils
viuent à discretion, sans garder ny Loy ny Ordonnance quelconque, &
ruï nant plustost l’amy que l’ennemy ? sont bien souuent aussi lasches au
combat, comme ils ont esté hardis à la ruïne de leur païs.

Quant à la preuoyance, qui sera celuy des estrangers qui ne deuienne
vn Democrite, pourrire à cœur saoul de la façon de nostre conduite :
Si nous assaillons vne place nous n’auons ny viures ny munitions, ny
des hommes à moitié pres du nombre requis pour la prise. Si nous la
defendons nous sommes tous de mesmes, & si par hazard il y a dedans
des gens de guerre, suffisamment pour la defendre ils auront vn chef
ignorant, traistre, & mauuais François, qu’on y aura mis par faueur,
& non pour sa valeur.

Si nous allons à la charge, n’est ce pas plustost vne ardeur qui nous y
guide que la prudence ? ne pouuons nous pas dire ce que disoit Emilius,
ô Hercules que de Capitaines & pas vn soldat ? que s’il y en a quelqu’vn
qui soit capable de bien faire (comme ie m’asseure qu’il y en a parmy
nous) & qu’il veuille vser de prudence & de conseil, ils luy diront incontinent :
mon amy, les affaires de la guerre ne se manient pas auec
tant de meditations, il faut s’exposer à l’aduenture : & là dessus ils vous
le drapent comme vn homme timide & sans cœur. Mais toy quiconque
sois, ô homme de bien, tiens ferme comme vn Fabius, ces Minutiens
croiront quelquefois tes salutaires aduertissemens.

Et puis où sont les stratagemes, & les ruses pratiquees en l’antiquité,
quelques vnes ont esté tentees, bien peu ont reüssi La raison ? C’est
que les principaux chefs les ont mesprisees. Nous donnons bien plustost
dans les pieges de l’ennemy, que l’ennemy dans les nostres, & bien nous
prend, que la nature nous a donné du courage, car si nous remettions
nostre asseurance sur la conduite, comme beaucoup d’autres peuples ont
faict & font encoer, ie croy que nous y ferions fort mal nos affaires.

O les trois cens soldats du premier Africain, que vous estiez heureux
d’auoir vn tel bouclier ? Et vous grand Cesar, cinq mille trois cens
soldats vous donnerent l’Empire Romain ; mais auec quelles armes ?
ces trois que i’ay dites, l’eslection, la discipline, & vostre bonne canduitte,

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de vieils soldats, sous vn vieil Capitaine, feirent ce grand coup
admirable à la posterité. Vous disiez neantmoins que pour des parfumez
ils ne combattoient point mal, comme si vous eussiez regretté d’estre
arriué en la lye de la republique de Romulus, & toutesfois les plus
excellens de ceux-cy, qui n’approchent point du moindre des vostres,
pensent estre plus que vous ny tous les vostres, eux qui n’ont iamais veu
l’estranger à bon escient, hors leur foüier ; s’ils auoient donc gagné
cinquante deux batailles, & fait mourir plusieurs millions d’hommes,
que diroient-ils ?

 

Mais me direz-vous ils ont combatu, ils ont conquis, ils ont vaincu,
ouy ? mais c’est par hazard, & non par science. Ce grand Dieu qui a pris
la conduite des affaires de nostre Prince, les fait prosperer. Mais par miracle
afin que nous vissions clairement que nous sommes deliurez par sa
bonté, & non par leur valeur. Car mettez en auant toutes les batailles
donnees depuis tant d’annees, n’y voyez vous pas plustost de la fuite que
du combat ? vn estonnement, vne espouuente saisit par tout nos aduersaires,
d’autant qu’ils abusent souuent du nom de Dieu.

Et de fait contez (si vous le pouuez) tous les hommes qui sont morts
par l’espee, tant en rendant combat qu’en fuyant, durant toutes ces
annees, vous ne trouuerez point qu’ils arriuent au nombre de dix mille
hommes, ô vn Romain eust obtenu le triomphe auec difficulté, pour
en auoir autant fait mourir en vn seul combat, (encore qu’ils n’ayent
iamais triomphé du sang de leurs Citoyens, sinon sur le declin de leur
Empire) & ceux-cy pour auoir tiré quelques onces de sang, pensent
comme nouueaux Hercules, forcer Pluton dedans son throsne, eux qui
à peine eussent esté receus au rang des velites dans vn camp Romain.

Pauures enfins perdus, vous n’auriez ny Tribuns, ny Centeniers,
non pas vn pauure Manipule ny vne seule enseigne, si vous estiez du
temps de ces grands hommes là, vous seriez seulement semez parmy
les espaces pour remplir les vuides de leurs bataillons, & vous voulez
faire icy les chefs d’armee ? Allez chercher vn Papirius Cursor, combattez
auec luy dix annees consecutiues, & lors ie vous croiray. (C’est
à vous effrontez que tout cecy s’adresse, & non pas aux bons Capitaines
qui bien souuent sont emportez par le desbordement de vostre impetuosité.)

Vous auez bien raison certes, de dire que la guerre ne fut iamais faicte
de la façon : car c’est vn vray brigandage. Et de là vient que vous
estes de vrayes Harpies, gens sans Dieu, & sans loy, vous n’estes pas en
honneur, mais en horreur à tout le monde, vous estes crains pour vostre
tirannie, & non pour vostre valeur, pource que vous estes supportez,

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& non pour l’estime que l’on face de vous, hardis & mauuais garçons
au logis, lasches & craintiues friquenelles à la bataille. Et puis que
toute vostre bonne fortune procede de la fortune, ie crains fort aussi
qu’elle ne face quelque desmarche sur sa boulle, ou que quelque calme
ne baisse ces grands voiles boursouflez.

 

Il est bien aisé certes d’auoir de l’argent, puis qu’il n’y a qu’à le prendre.
Mais la barbe d’Esculape cousta bien cher à Denis de Siracuse,
gardez que ceste diuinité qui a les pieds de laine, ne vous face rendre
aux despens de vos vies, la vie que vous auez ostee à tant de pauures
gens.

O bel esprit ! ô inuention supernaturelle ! de piller le pauure, violer,
de gesner, de brusler & saccager son païs.

Mais ie leur entends dire, qu’il y a de l’industrie à leur entregent aupres
du Prince, il faut donc voir en quoy cela consiste. Il me semble qu’il y a
trois choses, pour auoir vn bel entregent en ce temps : la flaterie, la medisance,
& la dissolution Pour la flatterie, oyez comme vn ancien la despeint.
C’est vn animal, dont tout le corps n’est que ventre, ses yeux
regardent par tout, & qui marche par ses derits.

La medisance n’est autre chose qu’vn corps composé de plusieurs langues,
la contagion desquelles se porte dans l’ouye des escoutans, (car
ceste lepre de l’ame se cognoist par la langue, aussi bien que celle du
corps, mais c’est auec le temps.)

Et la dissolution, c’est vn Mausolée dont le dehors reluit tout d’or,
de iaspe & de porphire, mais le dedans n’est que putrefaction, & qu’vn
grand corps plein de vent infect & relent. Assemblez maintenant ces
trois choses ensemble, & vous direz que vous n’ouistes iamais parler
d’vn tel monstre, & toutesfois ils sont tels que ie vous les despeints.

Ie sçay bien qu’ils me diront que pour flatter, pour mesdire, & pour
estre dissolu, il faut auoir du iugement, & ie leur accorde (encore que
tout cecy soient de grands maux, & que le mal ne puisse estre bien)
pourueu qu’il se fasse à propos. Mais de la façon qu’on y procede auiourd’huy,
qui ne dira que ce sont des testes sans ceruelle ? Tout se f[illisible]
à la volee, sans discretion ni consideration, ils flattent, mais c’est sans
art, ils mesdisent, mais c’est vniuersellement & impudemment, ils sont
dissolus, mais leurs dissolutions mesmes ne se font pas auec les regles
de la volupté, non qu’ils ayent faute de bonne volonté, mais pource
qu’ils ne le sçauent pas. Ils sont galans pourueu qu’ils soient desbordez
en l’extremité, & emportez qu’ils sont par la concupiscence, &
par leurs passions, ils nous veulent faire croire qu’ils sont conduits par
la prudence & par le iugement.

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Et quant à s’insinuer à la bonne grace du Prince, i’ay quelque fois
appris que l’office du Courtisan, c’est de cognoistre la nature du Prince
& ses inclinations. Et en cecy il y a de l’esprit, mais c’est quand on
se rencontre auec des Princes forts reserrez & dissimulez comme vn
Tibere. Or graces à Dieu, la bonne nature du nostre les releue de ceste peine :
Car sa bonne grace departie esgalement à vn chacun, leur
fait perdre ce vice d’enuie, naturel à tous les Courtisans. Il n’est donc
point icy necessaire d’vser de ruse, ains seulement d’vn naturel vrayement
François.

Où trouueray-ie donc l’estuy de ceste riche piece ? Il faut voir si ce sera
auec les femmes, mais ie les entends desia se plaindre de l’inconstance
& de l’indiscretion de ceux-cy. Et si quelque effrontee a monstré à quelqu’vn
bon visage, si elle parle de luy, ie la voy plutost sur le repentir que
sur la loüange.

Mais posé le cas que ce que nous a dit cestui cy soit veritable, ëst-il
possible que l’on puisse nommer iugement vne alienation d’entendement,
& faire l’amour à vne femme de la façon qu’il se fait auiourd’huy,
c’est à dire luy seruir & luy obeir, n’est ce pas oublier son estre & son
authorité ? Miserables effeminez, appellez vous vos inquietudes perpetuelles,
vos souspirs, vos larmes espanduës, vos paroles la sciues, &
tout ce que la ville de Capouẽ auoit de plus voluptueux pour eneruer vn
Annibal, vn bel esprit ? si vous le faisiez auec quelque conduite, encore
me laisseroy ie aller à quelque croyance, mais de la façon que vous y
procedez, ie n’en puis croire autre chose, sinon que c’est vn desbordement
qui vous conduit en vn precipice. De sorte que quelques vns des
vostres ne sont pas seulement assubiettis aux femmes, mais ils seruent de
femmes, & d’vn amour plus masle ils commencent d’aymer virilement.

Que si vous tenez toutes ces choses dignes de loüange ? Dieu me garde
d’auoir part en vostre confrairie : i’ayme mieux le blasme & le mespris
auec les gens de bien.

Il me reste maintenant à parler des termes bien choisis, & de la Poësie,
mais cela est fort peu de cas. Car i’entends ce grand Seneque (que
ie puis nommer l’intelligence humaine des actions humaine) qui me
dit que telle est la vie tel est le langage, & qu’alors qu’vne republique
se desbauche, le langage effeminé descouure la dissolution des grands
& des petits.

Et qu’ainsi ne soit, tout ce qui se bastit auiourd’huy parmy nous,
n’a que la volupté pour but & pour principe. Tant est (direz-vous)
qu’il y a de l’esprit, au contraire i’y en remarque moins. Car tout ce que

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vous dictes de plus beau, ce sont des larcins, des anciens fardez comme
vos visages, & tous ces beaux traits & ces belles pointes ne sont
point nées dans vos tendres cerueaux, ils ont pris racine en meilleur
terroüer, encore ne les prenez vous pas à leur source. Mais de certains
petits extraits donnez de main en main cõme par Cabale, vous font parler
des choses que vous n’entendez point, & nommez bien souuent des
autheurs dont vous n’auez iamais veu la couuerture, de sorte que tout ce
qui procede de vous ne sont rien que des paroles. Qu’estes vous donc en
cela plus qu’vn Echo ? Car on sçait que ceste voix la se fait par le rebattement
de l’air, dans la concauité d’vne voûte. Aussi la vanité de vostre
esprit fait rebattre à vostre langue ce qu’vn autre a desia dit.

 

Franchimanes, vrais charlatans, que vos drogues nous sont cheres,
puis qu’elles nous causent la mort ! C’est par vous la sentine & l’esgoust
des siecles passez, que tant de coups du Ciel sont eslancez sur nos testes,
c’est vostre vie desbordee qui nous conduit au periode de la nostre.
Et puis vous nous loüerez vostre inuention, vostre industrie, & vostre
iugement ? puissiez-vous plustost finir comme vn Turinus, que l’Empereur
Alexandre Seuere son maistre feit estoufer par la fumee, pour auoir
voulu vendre la fumee, (à sçauoir la faueur de cet Empereur.) Que i’aduouë
cette impertinente proposition, ie concluray plustost que vous
n’auez ny science solide ny action qui vaille, soit en l’intelligence, ou
en la conscience, & que par consequent vous estes indignes du nom
que vous portez.

Ceux-cy m’ont tenu long temps, car d’autant qu’ils sont les plus esleuez
sur le theatre, chacun prend garde à leurs actions de sorte que ce
malheur arriue, que si la Cour du Prince est dissoluë tout le reste du peuple
le sera aussi, si elle est bien reglee, il en arriuera tout de mesme. Voila
pourquoy ie vous les ay despeints plus particulierement, d’autant que ce
m’est vne planche pour passer au reste : & ce que i’ay dit de ceux-cy, se
peut dire des deux autres, principalement pour les mœurs, car en cela
l’vn ne vaut pas mieux que l’autre.

Venons donc à ce Politique enfrongné qui de premiere intrade semble
me mesperiser, pour-ce que ie me mesle de si grands affaires ; Dites
moy donc homme de bien, est-il possible que la teste & l’estomach
soient malades, sans que les bras & les iambes s’en ressentent ? Pouuez
vous mal gouuerner & me laisser en repos ? Et si ie pati, si i’endure
vne extréme necessité, pourquoy ne me plaindray-ie pas en mes trauaux :
Pensez-vous que pour vous estre inferieur en authorite, i’aye
moins de cognoissance de vos fautes ? Croyez que le malade iuge mieux
que tout autre de la suffisance de son medecin, & la vertu du Soleil se

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cognoist mieux sous la Zone temperee que fous la Torride.

 

Cecy seruira de response aussi à ce grand homme de guerre, qui vouloit
que les yeux & la bouche close, ie souffrisse toutes les indignitez
de ses compagnons, auec applaudissement encore de leur beau-faits :
mais Dieu me gardera s’il luy plaist, & deux & de cet erreur.

Cela premis il faut que i’entre en lice auec ma barbe grise, c’est la
seule difference que ie luy puis donner, d’auec les autres, car toutes les
imperfections que i’ay cy-dessus remarquees, sont en ceux-cy : De sorte
que ie vous puis dire, que lors que ceste neige sera fonduë, vous y
trouuerez beaucoup de fange, & que si vous ne les trouuez si des bordez
en quelque chose, c’est par impuissance, & non faute de bonne volonté.
Mais en recompence, ils sur passe les autres en ambition, en arrogance,
& en presomption, & en cecy vous cognoistrez qu’ils ont du volatil
en abondance, & bien peu de fixe, mais en recompence, ils ont
beaucoup du fiscq.

Ils disent qu’ils sont le maintien des Empires, dautant qu’ils sont les
arcs-boutans d’vn estat arcs-boutans, si dites-vous ? Helas ! qu’il seroit
mal appuié. Ie sçay de certains particuliers auoir donné des aduis au
Prince à leurs despens, & au peril de leur vie, qui sont encore à estre recogneus.

Car d’où viennent tant de partis que l’on remarque parmy nous, sinon
de vostre impertinence, le pauure, la veufue l’orphelin, crient incessamment
que vous soiez gens de bien, mais quand vn Stantor resusciteroit,
sa voix ne penetreroit pas vos oreilles, ny vostre intelligence
assourpie, ou plustost assoupie par la volupté. Et ce sont ces bonnes
oreilles là, qui vous ont donné la cognoissance de toutes choses : Voila
pourquoy (afin de vous contenter en quelque chose) ie vous les souhaitte
telle que celles de Midas.

Tout cecy (direz vous) ne sont que des inuectiues, qui ne font rien à
nostre propos, au contraire ce sont des raisons infaillibles, pour la preuue
de ma proposition. Car qui pourra remarquer du iugement en tout
ce que i’ay dit cy-dessus ? I’ay assez prouué ce me semble, que tout ce
qui a esté fait cy deuant, a esté negotié à la vollee & sans iugement : &
quant à ce dernier nous sommes à deux doits pres de la misere, qui s’en
ensuiura si on n’y donne quelque ordre, & bien tost. Car qui pourroit
supporter que le throsne des Roys deuint vne assemblee de gens corrompus,
corrompans & corruptibles ?

Esueillez vous grand Roy, & voyez ceste pauure Iustice, qui git malade
sur vostre lict, guerissez là : car vous le pouuez par vostre presence,
& par vostre authorité. Entrez dans ce Temple sacré la verge en la

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main, car c’est icy la maison du grand Dieu, & n’y permettez plus ces
ventes & ces eschanges, punissez rigoureusement. Car ces gens cy ne
cherchent que l’Empire, en l’Empire, lequel cependant s’empire autant
en lui mesme, comme ils empirent tous les iours.

 

Quant est de la police qu’ils donnent par les villes, nous le sentons tous
les iours & auec beaucoup de miseres, que tout s’en va en confusion :
De sorte que l’ancienne habitude à l’obeissance maintient plus les peuples,
que l’ordre ny le reiglement que l’on met auiourd’huy parmy
nous. O quels Pericles ! ils nous ont mis dans la guerre, mais ils ne nous
en sçauent retirer. Ils ont nostre substance, & maintenant ils cherchent
les moyens de ne point rendre compte. C’est là leur grand esprit, c’est
là leurs sainctes actions : Aussi n’ayez pas peur que ces gens là deuiennent
des Phociens, des Deciens, ou des Catons ; Ils seroient plustost
Catilinaires, ou Claudiens, voire en vn besoing des Triumvires, s’ils
auoient la ceruelle pour y paruenir. Et voila ce que i’auois à dire de
ceux-cy.

Ie viens maintenant au Financier, qui pense estre l’ame de l’Estat.
Il a bien dit que l’argent estoit le sang des mortels, car il n’est courtisé
que par les mourans, ceux qui aspirent à la vie s’en seruent pour l’vsage
sans affection. Mais laissons ces meditations, & disons plustost que veritablement
ils ont succé tout nostre sang : & c’est pourquoy nostre foye
despourueu de sa chaleur naturelle ne sanguifie plus : Vrais hydropiques,
nous n’engendrons plus que des superfluitez aqueuses qui nous
suffoquent peu à peu.

Mais dites moy, gros frelons, ne serez vous pas d’auec moy, pour
me seruir d’vne preuue que nous sommes la plus folle & la plus esceruelée
nation de la terre ? La finesse perd son nom, quand elle est recogneuë
pour telle, & vous comment vous estes vous comportez en vos larcins ?
au veu & au sceu de tout le monde, de sorte qu’vn chacun en a parlé,
mais personne n’y a donné ordre. Est il possible que vous ayez pris de
toutes mains, & que vous ayez non seulement tary ce grand fleuue
Royal, mais quant & quant espuisé la source qui luy donnoit la vie, impunément,
& sans crainte ? quel assoupissement ? quel hebetement ? ô
Tout-puissant que vous nous auez mis en sens reprouué.

C’est vostre inuention, dites-vous, qui esbloüit nos entendemens,
mais les effets vous dementent. Car quel esprit rassis pourra croire que
vous auez legitimement gagné de tels tresors en si peu de temps ? Et si
l’on recognoist que vous auez pillé, toute vostre industrie estoit peu
de chose, puis qu’elle s’est laissée descouurir par des esprits confus : mais
ceste eau n’est point encore si trouble que ce sable vn peu separé, nous

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ne voyons au fonds combien vous auez pesché.

 

Les choses qui sont sans moyen ne peuuent longuement durer, c’est
icy l’attente des gens de bien, car ayant fait toutes choses auec hardiesse
& à la volee, vous tomberez aux pieges que vous vous estes preparez.

Esponges Tiberiennes, vous osez vous vanter d’auoir contenté le
Prince, vous qui l’auez tousiours laissé en necessité au plus fort de ses
affaires ? Et que faites vous encore auiourd’huy ? n’aymez vous pas
mieux voir l’estranger à nos portes que de secourir l’Estat d’vn seul denier,
vous qui en tenez les nerfs en vos coffres ?

Mais que dis-ie ? c’est en cecy que vous fondez vostre industrie, &
vous gaussez plaisamment de ceux qui veulent entreprendre sur vostre
Perou. Mais Dieu veuille seulement que les gens d’honneur & de vertu
puissent auoir la vogue, & vous verrez que toutes vos eschappatoires,
vos pratiques, & partisans, ne seront point bastans pour empescher la
deffaite de vostre flotte des Indes, & de faire coguoistre à la France,
que si vous auez regné pour vn temps, ce n’a pas esté par industrie, mais
par tolerante.

Comment (direz-vous) nous ne combattons que de la plume, si l’on
nous veut ruiner à main forte, qui pourroit y resister ? Vous vous trompez,
l’espee des gens de bien, c’est la raison, mais il la faut mettre à
cheual, autrement elle sera mesprisée parmy ceste multitude populaire,
& d’autant que vous en estes despourueus, ie m’asseure que vous succomberez
aussi.

O moutons d’or ! vostre laine est si longue, que n’estes vous tondus, ou
plustost escorchez, pour vous rendre la pareille que vous auez faite au
peuple François ? Ie m’asseure si cela estoit, que ces longs bureaux ne
seroient plus enuironnez de Seigneurs, de Iuges, & d’Officiers pour
vous faire la cour, en vous donnant la moitié, voire les deux tiers de
leur deu pour auoir l’autre.

Quoy mon Prince ! ne serez vous point ialoux de vostre dignité ? elle
ne veut point de compagnons non plus que le lict nuptial. Et ceux-cy
ne tirent-ils pas (autant qu’ils le peuuent) toute la Maiesté, l’authorité,
& l’vtilité pardeuers eux ? vn Lysander grand Capitaine, fut fait distributeur
de chairs par vn Agesilaus, pour s’estre fait respecter plus que
son maistre : Et ceux-cy dans vostre camp, en vostre Cour, sont recherchez
d’vn chacun, non pour les recognoistre dignes de cet honneur,
mais pource qu’ils ont l’argent. Ostez leur la cause, l’effect cessera :
ce sont mouches guespes, faites leur perdre cet esguillon, elles seront
inutiles.

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Vn Crassus fut apres sa mort plongé dans vn vaisseau plein d’or pour
auoir trop aimé l’or. Faictes que ceux-cy terminent leur vie dans ces
grands tresors, qu’ils ont esté si cupides d’amasser. En ceste saincte entreprise,
Dieu vous assistera, le peuple vous benira, l’ennemy vous redoutera,
& le profit & la gloire vous en demeureront à iamais.

FIN.

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Anonyme [1649], LE MIROIR FRANÇOIS REPRESENTANT LA FACE DE CE SIECLE CORROMPV. Où se void si le Courtisan, le Politique, le Partisan, & le Financier, sont necessaires au maintien & conseruation d’vn Estat. , françaisRéférence RIM : M0_2480. Cote locale : C_6_22.