Anonyme [1652], LE MIROVER DE LA REYNE. Luy representant tous les desordres de sa Regence. ET LVY DONNANT D’INFAILLIBLES moyens pour les reparer. , françaisRéférence RIM : M0_2482. Cote locale : B_20_10.
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LE
MIROVER
DE LA REYNE.
Luy representant tous les desordres
de sa Regence.

ET LVY DONNANT D’INFAILLIBLES
moyens pour les reparer.

A PARIS,
Chez IACOB CHEVALIER, prés Sainct Iean
de Latran.

M. DC. LII.

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LE
MIROVER
DE LA REYNE,
Luy representant tous les desordres de
sa Regence.

ET LVY DONNANT D’INFAILLIBLES
moyens pour les raparer.

MADAME,

Il faudroit n’estre point François pour voir la desolation
generale de la pauure France, sans estre touché
d’vne iuste compassion à la veue de ses miseres, l’estat
deplorable où nous la voyons reduitte ne nous regarde
que trop pour n’estre ny indifferents ny insensibles
à ses souffrances qui nous sont communes, &
puis que nous sommes nez Frãçois, c’est à dire miserables,
il faut que nostre propre malheur, & la Ruine
de nostre chere patrie nous fassent du moins ietter
des larmes & former des plaintes contre tous ceux
qui seront cause de nostre mal : elles ne seront que
trop legitimes, quelque respect que demande de
nous les souueraines puissances qui disposent si absolument
du destin des hommes qu’ils font d’autant
plus rigoureux, qu’ils peuuent le rendre meilleur &

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plus fauorable.

 

Il n’est tien de si naturel que de se plaindre dans
son affliction, c’est vn signe que la nature a imprimé
dans toute creature sensible qui represente la douleur
dont elle est combattue, & dont elle ne souffre
iamais la violence qu’auec des gemissements qui
declarent son oppression, c’est vn ressentiment que
Dieu mesme ne condamne pas dans sa plus rigoureuse
iustice, & dont Iob fut capable dans l’excez
de ses afflictions, saus toutefois qu’il offençast en rien
celuy qui preparoit des couronnes à toutes ses souffrances.

Que si ce ressentiment propre n’est point contraire à
la loy Diuine qui s’accommode à la foiblesse humaine
encor qu’elle luy soit si fort Superieure, la sensibilité
que l’on témoigne des miseres generales d’vn
Peuple affligé qui semble estre encor quelque chose
de plus que ce qui nous touches en particulier,
est sans doute aussi quelque chose de plus legitime
& de plus raisonnable, mesme vne sublime vertu si
elle est mise en vsage par vn principe de charité à
l’endroit, du prochain qui souffre, & qui nous oblige
de compatir à sa souffrance, ainsi le Prophete Ieremie
deplore les maux qui deuoient arriuer au Peuples
de Dieu, quoy qu’ils fussent vn iuste chastiment
de leur incredulité.

Il ne sert de rien d’opposer icy que c’est blesser
l’authorité que de s’en plaindre, & qu’on doit supporter
patiemment tout ce que font les souuerains
sans rien dire de peur d’estre criminel d’estat, &
suppliciable aussi tost par les loix qui deffendent
tous ces mouuements qu’ils nomment desordonnez
& sediteux à part ces faux respects qui ne sont
deubs qu’a Nabuchodonosor qui le vouloit faire
adorer comme vn Dieu, & faire passer ainsi toutes

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ses mechancetez pour legitimes ; ostez cét abus insupportable
de flatterie qui fait des Tyrans, & qui
ruine bien plus infailliblement cette authorité de laquelle
ils sont si ialoux ; il en est de cete autorité comme
de l’ombre qui suit le corps qui la produit, & qui
le fuit tout aussi tost qu’il se met à la poursuiure,
fuyez cette vanité & dite comme le sage Salomon
donnez moy Seigneur vn cœur plein de iustice pour
bien conduire le Peuple que vous m’auez soumis.

 

Ne sçait on pas que Dieu a toûjours escouté les
plaintes des Peuples à l’extremité. Il tira les Israëlites
de captiuité parce que Pharaon les auoit fait
esclaues, & les trairoit auec trop de rigueur, il permit
la diuision de leur Monarchie pour la trop grande
tyrannie de Roboam qui les accabloit ; mais sans
rapporter icy les changemens d’estat dont les Histoires
sont pleines pour preuue de ce droit naturel ;
il suffit de dire qu’il est inouy que l’on ait voulu
fermer la bouche aux affligez, & qu’on ayt voulu faire
vn crime de desobeissance de leurs iustes plaintes.

La preuue de cette iustice qui se lit dans tous les
temps sans interruption, se treuue encor en nos
derniers siecles, qui n’ont pas manqué de sujets de
plaintes, qui se sont fait entendre aux Souuerains
dans les oppressions où leurs sujets se sont veus si souuent
par les mauuais conseils des Ministres, & principalement
des Estrangers : car sans aller chercher
dans la premiere race de nos Roys des Saincts Germains,
des Saincts Leger, ou le bon Archeuesque de
Rouën nommé Pretextat, qui representa si bien à la
Reine Fredegonde tous les desordres dont elle estoit
la cause, & qui enfin fut sacrifié à sa vangeance, sans
rapporter icy les Cardinaux d’Amboise, & de Tournon ;
qui ont dit tousiours leurs sentimens auec vne
liberté si sincere & des-interessée, & ont fait entendre

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les plaintes du peuple à leur Souuerain, ie me contenteray
de marquer icy la representation des desordres
qui furent faits dans le pays d’Aunis, sous la Regence
de Catherine de Medicis, immediattement
apres la mort de Charles IX elle escouta fauorablement
les plaintes de ces bonnes gens ruynez, quoy
qu’ils fussent de la Religion, & pour les recompenser
de leurs pertes, elle leur accorda douze cent mille
escus ; ie veux que cela se fist par maxime d’estat
pour les retenir dans le deuoir, pendant l’absence du
Roy qui retournoit de Pologne, mais du moins ne
crût-elle en rien diminuer de l’authorité, d’escouter
des sujets qui se plaignoient auec assez de raison, &
de leur faire quelque sorte de Iustice en leur accordant
quelque grace, afin de soulager leurs miseres.

 

Sous la Regence de Marie de Medicis qui a precedé
la vostre, le Fauory tyran qui s’estoit rendu maistre
de l’authorité, ruyna la pluspart des familles
d’Amiens, en abbatant & bruslant les maisons de plusieurs
particuliers de cette ville, sans leur faire aucun
remplacement de leur perte, & mesme les chassant
de là auec violence & par mocquerie, il ne pût pourtant
empescher qu’ils ne fissent leurs plaintes hautement,
& qu’il ne leur restast encor cette derniere liberté
de gemir dans leur plus grande oppression qui
se fit ressentir également dans la Picardie & dans la
Champagne, & particulierement és enuirons de Soissons,
où la desolation fut horrible & déplorable.

C’est donc vn droict, MADAME, qui ne se
peut oster aux affligez de se plaindre pour toute consolation
de leurs miseres, mais ce que ie voy de plus
pitoyable en leurs lamentations, c’est, helas ! qu’elles
sont vaines & inutiles le plus souuent, & que les cris
& les gemissemens inexplicables qu’ils poussent vers
les Cieux n’arriuent que trop rarement aux oreilles

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des puissances, elles sont toutes remplies de flatteries,
il n’y reste plus de place aux plaintes des miserables,
& quand elles y pourroient estre receuës, on
empesche par tous moyens qu’elles n’en approchent
selon la damnable politique de ceux qui les obsedent,
& cependant pour comble de tyrannie & d’oppression,
ces mauuais Ministres taschent d’étouffer
les plaintes par des menaces dont ils épouuantent
des mal-heureux effrayez encor des premieres atteintes
qu’ils viennent de ressentir.

 

Cependant, MADAME, vous ignorez ces
desordres qui rejallissent sur vostre conduitte, &
remplissent de mille taches Vostre Majesté, qui ne
les remarque peut-estre pas, faute d’vn Miroir qui
vous represente telle que vous estes, sans qu’il déguise
en rien la face de vostre gouuernement.

Dans la creance que i’ay que ce Miroir vous seruira
de quelque chose malgré tout le fard dont la Cour
veut couurir ces defauts ; Vous les pourrez voir,
MADAME, a découuert, & vous chercherez peut-estre
des remedes conuenables pour les effacer, ou
du moins pour leur oster vne partie de leur deformité,
en leur opposant l’éclat de quelques Vertus heroïques
dont la practique n’est iamais trop tard embrassée.
Du moins, MADAME, vous vous y verrez
auec toutes ces laideurs que vous pourrez détruire
en les faisant cesser, ie veux dire en faisant vn noble
effort qui rende la France paisible, ce doit estre-là, la
fin de vostre regne, si vous auez enuie d’en sortir
auec honneur, & auec ce brillant éclat qui efface toutes
ces obscuritez affreuses qui nous empeschent de
voir ce qui est de plus beau dans la conduitte d’vne
puissante & glorieuse Reyne. Enfin, MADAME,
vous y verrez ce que vous ne pouuez peut-estre entendre,
n’y ayant personne aupres de vous assez zelé

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& des-interessé pour vous le dire, & vous aurez toujours
cét auantage de vous y estre veuë toute telle
que l’histoire vous representera vn iour, ce sera à
vous de iuger si vous ne voulez point qu’on n’y
corrige rien, & si le tout est iustement comme vous
le desirez.

 

Le diuin legislateur Moise auoit fait entourer de
miroirs le Tabernacle afin que tous ceux qui venoient
presenter leurs vœux & leurs prieres a Dieu
pussent voir de quelle maniere & en quelle posture
ils paroissoient en presence du Dieu des batailles,
en sorte que tout le monde pust du moins remarquer
en quel estat il se treuuoit pour lors, & s’il
estoit pur en telle sorte qu’il ne remarquast sur soy
aucune tache ou dans son maintien aucune desagreable
posture.

L’histoire est le tabernacle des grands, où vous
pouuez, Madame, remarquer tous vos gestes compter
toutes vos demarches & reconnoistre ce qu’il y a de
beau ou de difforme en vostre vie, & ce miroir que
ie vous presente n’est que pour vous aiuster si bien
que vous y paroissiez sans reproche, & que s’il y a
en vous quelques taches vous mettiez peine a les
reparer, ou les couurir par quelque agreable ornement
de vertu, iettez les yeux sur cette glace qui ne
flatte point & vous y remarquerez d’abord, le mauuais
choix que vous fistes des le commencement de
vostre Regence d’vn ministre d’estat estranger à qui
vous remistes l’entier maniment de l’estat à sa plus
grande ruine. Vous luy fustes d’abord si prodigue de
vos faueurs qu’il n’y eut point de grandeurs dont
vous ne remplissiez son ambition, qu’il n’y eut point
de richesses dont vous ne contentassiez son auarice,
point de delices dont sa volupté ne fust assouuie.

Il fut d’abord esleué en vn rang superieur à celuy

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de tous les Princes du Sang, & il n’y eut pas vn grand
du Royaume qui ne se vist soûmis aux volontez
de cét Estranger auquel il falloit obeïr ou vous déplaire
quelque dépit qu’ils en conçeussent tous,
il n’y en eut pas vn qui ne fléchit plûtost que d’encourir
vostre disgrace, & vous fistes en vn instant vôtre
Mazarin le plus absolu de tous les hommes pour soutenir
cette dignité ; les tresors du deffunct Roy vostre mary,
ne furent pas suffisans, non plus que les moyens qu’il
auoit laissez pour les entretenir, il fallut surcharger le
peuple de nouuelles impositions, & luy tirer iusqu’à la
la derniere goutte de ses sueurs & de son sang, dont il
ne luy restoit plus que des larmes qu’il estoit encore
contraint d’épancher à la veuë de ses miseres reduit à
cette extremité, il a fallu se seruir du fer & du feu pour
obliger leurs veines languissantes à verser encore quelques
gouttes qu’elles se conseruoient pour leur propre
nourriture, il a fallu enuoyer par les Prouinces des impitoyables
fusiliers, dont les extorsions inoüyes n’ont
pas laissé dequoy fournir à l’entretien d’vne vie languissante.
Voila l’estat des pauures Prouinces sous votre
Regence, dés-lors on jugea bien que la Monarchie
si fort affoiblie en tous ses membres ne se pouuoit presque
plus soûtenir, & qu’elle estoit menacée d’vne foiblesse
qui deuoit luy faire atteinte iusqu’au cœur, &
luy causer vn dangereux éuanoüissement.

 

Cette authorité Souueraine que vous auiez communiquée
à vostre Ministre, fut d’abord employée à la continuation
de la guerre pour se rendre comme il pensoit
fort necessaire, iusques-là qu’il fut bien si insolent que
d’en abuser à la rupture du Traitté de Paix auec nos ennemis
qui s’y estoient portés de bonne sorte. Ce malheureux
coup qui offensa toute l’Europe, fit vn tort irreparable
à la France, qui dans cette conjoncture reçeut
le blasme d’estre le flambeau fatal des diuisions de

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l’Europe, & détruisant la Iustice de ses armes dont elle
estoit en possession, la faisoit voir desormais les armes
à la main pour combattre iniustement ceux qui ne luy
demandent que la Paix.

 

Le Cardinal en suitte de tous ces coups d’authorité
absoluë qui luy auoient si heureusement reüssi, outre
quelques progrez en Flandres dont il estoit redeuable
au courage de Monsieur le Prince, se creut assez puissant
pour rompre l’vnion des Parlemens qui luy sembloit
vne pierre d’achopement à sa grandeur, il resolut
donc de rompre cette chaine qui ne luy donnoit pas la
liberté de tout faire selon sa volonté. Il entreprit cette
desunion fatale d’où sont prouenus desia tant de desordres,
& en fait encore raisonnablement apprehender
de pires : Si V. M. MADAME, ne prend bien-tost
la resolution d’y pouruoir mieux que par le passé.

Vostre Ministere ne pouuant reussir au gré de son
ambition auec cette facilité qu’il s’estoit proposée, exposa
tout vostre pouuoir pour prendre les sieurs de
Blasmenil & Broussel, qui auoient genereusement resisté
à toutes ses attaques, vous fauorisastes trop la passion
déreglée qu’il auoit de se rendre redoutable par la
vangeance. Ce fut la seule cause des barricades qui firent
vne si grande bresche à cette authorité que vous
soutenez, sans discerner sur quels fõdemẽt elle s’établit.

Vous vous souuenez bien, MADAME, que vostre
passion trop vehemente vous porta au Blocus de Paris,
que le Mazarin alluma ce feu de vangeance dans vostre
esprit irrité, & que Monsieur le Prince suiuit tous vos
mouuemens auec ardeur sur les pretendus affronts que
l’authorité auoit receuë comme vous luy fistes bien
adroittement accroire.

Ce fut pour lors que le cœur de l’Estat ressentit les
rudes symptomes d’vne maladie prochaine qui le deuoit
mettre aux derniers abois où nous le voyons à present,

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& que le feu commença de s’allumer pour aller
par apres deuorer toutes les Prouinces, & puis retourner
à sa source y faire vn dernier effort.

 

Cette leuée de bouclier qu’on qualifie du titre d’enleuement
du Roy, a ruiné l’épargne, incommodé les
grands & plus aysez du Royaume, & mis à sec la meilleure
partie des familles particulieres.

Dans la iuste apprehension que vous auiez que toute
la hayne publique ne vint à tomber sur le Mazarin vous
pristes la resolution de la rejetter sur M. le Prince qui
en auoit esté le principal instrument, vous suiuistes le
Conseil trop precipité que vous donna vostre Ministre
de le faire arrester, mais son innocence ayant éclatté
par dessus tant d’impostures dont il le surchargeoit, la
Iustice vous a obligée à le lascher, & contraint vostre
fauory d’abandonner la France pour vn temps auec la
malediction de tout le monde, & poussé par vn Arrest
du Parlement irrité de ses procedures.

I’oubliois la prison de Monsieur de Beaufort, qui n’eut
iamais de cause legitime, si ce n’est que l’enuie que luy
portoit le Cardinal, vous l’ait fait trouuer digne d’vn
traittement si rigoureux, bien qu’en effet il ne merite
que de la gloire & des Couronnes.

Si vous vous regardez bien dans ce miroir, MADAME,
vous vous remarquerez toute enuironnée d’intrigues,
de fourbes, de tromperies, de laschetez, de perfidies,
que vos Courtisans ont mis en vogue aupres de
vous pour s’assurer des diuerses pretentions qu’ils ont
de profiter du debris de vostre puissance.

Vostre Ministre entre tous les autres introduit adroittement
ces lasches practiques pour se conseruer encore
dans vostre esprit pendant son Exil, & dans l’esperance
qu’il a de reuenir aupres de vous, il fait joüer tous
les resorts que son esprit fertile en fourbes est capable
d’inuenter pour entretenir vostre bonne volonté en son

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endroit, d’autre part la Cabale de Madame de Cheureuse
& de Mõsieur le Coadjuteur tend à ses fins, pendant
qu’ouuertement on pousse les Princes du Sang à
bout, & qu’on reduit les Peuples à l’extremité, qui gemissent
sous le poids insupportable des armées. Cependant
ces Princes sont declarés criminels de leze
Majesté, parce qu’ils fuyent vostre colere, les miserables
Peuples pour comble de leurs afflictions sont tenus
pour des rebelles, parce qu’ils resistent à ceux qui viennent
leur rauir le peu qu’ils ont de reste, & leur vie le
plus souuent, ensuitte dequoy le Mazarin est rappellé
en France auec cinq ou six mille Estrangers aussi meschants
que luy pour les venir chastier de leur rebellion.
O que le Roy aura vn iour de beaux remercimens à
faire à ces Messieurs Estrangers qui viennent établir
vne si belle Police en son Royaume, qu’il leur aura d’obligation
quand ses Peuples luy obeïront. Voila les
François reduits à l’obeïssance forcée, eux qui se sont
soûmis si volontairement, & auec tant de franchise aux
Loix de leur Monarque, de maniere qu’il estoit comme
naturel de leur estre soumis. Que leurs voisins sont
bien meilleurs & plus iustes qu’eux de venir establir vne
dependance si legitime, leur charité est incomparable.

 

Mais que bien loin de voir son Royaume florissant
de ces, belles conquestes, il se trouuera desolé &
remply de funestes ruines. Helas ! que lors qu’il sera
en aage d’en prendre la conduitte il le trouuera plein
de troubles, & de difficiles embaras, qui l’empescheront
de faire tout ce qu’i voudroit bien, & qui
l’obligeront par des necessitez Politiques à ce qu’il
ne voudroit pas, & pour lors il detestera l’affection
Estrangere qui luy aura esté si funeste, & se prendra à
vous, MADAME, de les auoir introduits & soutenus
auec tant de passion.

S’il vous plaist d’enuisager ce miroir, MADAME,

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vous y allez voir toutes les cruautez les plus sanglantes
qui se soient iamais exercées pendant la plus grande
chaleur des armes entre les plus mortels ennemis
du monde. Elles ont commancé par le meurtre illustre
d’vn grand Roy à qui les diuisions de France ont
donné occasion, preuoyant l’impunité de la part du
nepueu, qui auroit bien d’autres affaires à démeler le
changement de l’Estat d’Angleterre qui frustre les legitimes
successeurs de leur droit par vne manifeste iniustice.
Vous auez veu, MADAME, la teste de cét
illustre allié de vostre sang tomber si prés de vous, que
vous en auez veu rejaillir le sang cõtre le Ciel qui demandoit
vangeance d’vne si horrible perfidie, vous
l’auez détournée, MADAME, par les mauuais conseils
qu’on vous a donné d’en poursuiure vne autre qui
pouuoit estre suspenduë sans peril de vostre puissance,
& sans l’amoindrissement de vostre gloire ; trop malheureux
Prince, dont l’assassinat effroyable ne laissa
que de l’insensibilité dans le cœur de ceux qui sont les
plus interessez à poursuiure vne si juste vengeance.

 

Cependant on fait agir vostre passion, MADAME,
à maintenir le ressentiment d’vn Ministre offensé seulemẽt,
parce que tout ne se mene pas en France au gré
de sa Tyrannie, Vostre Majesté protege vn Tyran
Estranger, & le veut establir sur les François qui n’en
ont iamais souffert de leur Nation mesme, & qui ne se
peuuent accoustumer à ployer sous le joug d’vn lasche
Italien, bien qu’ils se voyent à l’extremité pour
cette seule cause : Prenez bien garde, MADAME,
à cette tache elle peut defigurer toute la beauté dont
vous pourriez parer vostre Regence.

Mais voyez, MADAME iusques où le desordre de
la cruauté s’étend depuis que vous auez vne fois introduit
cette malheureuse guerre dans l’Estat, dés le
Siege de Paris on se plaignit des vols, brigandages,

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assassinats, violements, incendies, sacrileges pollutions
dès Autels, & de leur tres-S. Sacrement, &
l’on s’étonnoit que cela arriuast sous la meilleure
Reyne du Monde, comme disoit vn Autheur : Mais
Dieu que la continuation de ces desordres est vne
chose de bien plus grand étonnement à quoy cette
bonté Royale deuoit mettre ordre pour sa iustification.
Toutesfois nous en auons veu la suitte auec
horreur, & nous en voyons l’excez auec desespoir, &
il n’y a aucun Estat qui s’en puisse excepter ; car si
nous considerons celuy de la Noblesse, nous le trouuerons
ruiné, & mis au dessous des plus viles canailles
qui tiennent les plus dignes charges de l’Estat,
nous verrons des Gentilhommes égorgez, battus,
foüettez, chassez de leurs maisons qu’on expose au
pillage & au feu. Ie n’en donneray que deux exemples
à. V. M. de peur que la quantité qu’il y en a ne la
remplisse plus d’horreur que de compassion. Le premier
fut l’acte de la plus barbare inhumanité qui se
pratiqua iamais, ce fut à l’endroit d’vn Gentilhomme
d’auprés de Rheims dont le nom se perdit auec le
sang, lors que pour empescher que sa fille vnique ne
fut violée il fut percé de mille coups, & vit en expirant
le desastre de sa fille, & la cheute de sa famille
malheureuse.

 

Le second exemple, qui est d’autant plus à déplorer
que V. M. de pleine science & d’authorité passionnée
le voulut laisser à la posterité. Ce fut la condamnation
du miserable Richon que V. M. fit pendre à
Liborne quelque priere qu’on vous pût faire en sa faueur,
& mesme contre l’auis de vostre braue Ministre
qui en témoignoit ou feignoit du moins quelque petite
émotion, encore cette acte n’auroit point semble
si iniuste s’il n’auoit donné lieu à la plus cruelle iniustice
du monde, le Baron de Cauollé estoit entre les

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mains des Bourdelois, il auoit esté pris comme il venoit
trouuer V. M. Le droit de la guerre auquel vous
donnastes lieu luy osta cruellement la vie sans auoir
d’autre crime que son malheur que vous auiez causé
tout entier, on luy vient dire au milieu de ses diuertissemens
qu’il faut qu’il soit pendu dans vn quart d’heure,
& qu’il se resoluë à la mort, parce seulement qu’il
est le plus considerable qu’on tienne. O cruauté
inoüie à l’endroit de la Noblesse & d’vn jeune Gentilhomme,
qui pour n’auoir point de crime doit payer
la faute d’autruy par la perte de sa propre vie.

 

Iettez les yeux, MADAME, sur l’Estat Ecclesiastique,
& vous verrez vne telle confusion de desordres
qu’õ n’en peut faire de particuliere explication. Des
Prestres brûslez, découppez, chastrez, égorgez proche
des Autels cõme victimes des violents Sacrifices que
font sous vostre adueu des Estrangers, des miserables
François, des Religieuses violées dans le Sanctuaire,
d’autre reduites à toutes les extremitez des armes &
de la famine qui fuyent errantes par les Campagnes,
qui sont semées de pieces de croix brisées de reliquaires
rompus de Saintes Reliques épanchées, choses
qui ne leur peuuent seruir de butin. Mais voyez, &
que ce ne soit pas sans lascher quelques larmes, les miserables
Peuples vagabons par les bois & les cauernes
comme bestes farouches, fuyant l’Estranger impitoyable
qui inuente les plus cruels supplices pour
leur détremper la mort auec la vie. O combien en ont
ils assommez, combien de saccagez, combien de
brûlez tout vifs, & combien abandonnans leurs parures
chaumieres qu’ils ont veu embrasées en regardãt
derriere eux sont allez mourir de déplaisir & de famine
derriere vn buisson. Ie croy que vous sçauez bien,
MADAME, que ceux qui les gouuernent respondront
deuant Dieu des ames, du sang & de la vie de

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ces miserables Sujets, & vostre directeur de conscience
vous la deu dire.

 

Vous pouuez encore icy considerer, MADAME,
vne tache generale qui approche bien de la tyrannie,
c’est qu’en vostre Cour cette maudite & Mazarine
maxime est introduitte que tout s’y pratique par des
laschetez interressées toutes les charges, y sont retenuës
pour les prostituer à vne honteuse venalité, encore
faut-il que ce soit aux esclaues du Mazarin que
tous Benefices sont dans la mesmes prostitution auec
vne espouuantable symonie, témoin les deux Archeueschez,
& les cinq Eueschez que le Cardinal tient
entre ses mains si long-temps sans y pouruoir, sans
tous ceux que l’on ne sçait pas qu’il met publiquemẽt
à l’enchere pour contenter son insatiable auidité, &
deshonorer vostre conduite. Ie n’ay pas peur que
vous m’en enuoyez vn pour auoir dit la verité, ce seroit
pourtant vne action de Iustice que le Mazarin n’a
garde de faire.

Que m’importe de luy auoir cét obligation, cela
n’empesche pas que ie ne vous offre gratuitement ce
petit miroir, dont la glace est trop simple pour rien
déguiser, si vous trouuez que ces taches vous déplaisent,
j’offriray bien-tost d’excellens remedes à V. M.
pour les effacer, & pour vous rendre la plus glorieuse
Reyne du monde.

FIN.

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Anonyme [1652], LE MIROVER DE LA REYNE. Luy representant tous les desordres de sa Regence. ET LVY DONNANT D’INFAILLIBLES moyens pour les reparer. , françaisRéférence RIM : M0_2482. Cote locale : B_20_10.