Anonyme [1649], LE MONOPOLEVR RENDANT GORGE. , français, latinRéférence RIM : M0_2491. Cote locale : A_6_23.
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LE
MONOPOLEVR
RENDANT GORGE.

LE pere de la Medecine Hypocrate, semble auoir
reduit tout cet art en deux points, à sçauoir à adjouster
au corps humain les choses bõnes qui luy manquent,
& oster les mauuaises qui luy nuisent. Il traite
de toutes en general, suiuant cette methode, & en patticulier
parlant de l’yurognerie en l’vne de ses predictiõs, il a pronõcé
cette sentence, à sçauoir, que ceux qui sont yures, s’ils viennent
à perdre tout d’vn coup la parole, meurẽt auec de grandes
conuulsiõs, s’ils ne sont garentis par vn prompt vomissement.
Monopoleurs infames, qui auez sauouré à longs traits
le vin delicieux de la France, qui vous estes remplis & creuez
de nos biens. Margajats inhumains, barbares Canibales,
nourris & engraissez de nostre sang, c’est à ce coup qu’il
vous faut ou mourir ou rendre gorge, puisque vous auez
desia perdu la parole, & que vous ne pouuez esuiter le dernier
supplice qu’en rendant ce que vous auez volé. L’apprehension
des iugemens de Dieu, qui seront bien tost deuancez
par celuy des hommes, vous a rendus muets : vostre
silence est vn tesmoignage, ou plustost vn effet de vostre
crainte : Et comme cet Ancien voyoit tousiours sa figure, de
quelque costé qu’il cheminast, & estoit agité de ce spectre :
de mesme en quelque lieu que vous puissiez aller, vos crimes
qui sont paruenus à leur comble, vous reuiennent deuant les
yeux. Vous estes troublez par la synderese de vostre conscience,
qui vous est vn plus grand supplice que le feu mesme
de l’Enfer.

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Mais comment auez-vous tout d’vn coup perdu la parole,
d’où vous viennent ces tremblemens, ou plustost ces agitations
& ces furies ? I’estime, que tous ces symptomes si violens
& si contraires prouiennent d’vne mesme cause. L’anatomie
(ie parle de celle qui n’a rien de hydeux, à sçauoir la
theorie de cet art) nous enseigne qu’outre cette generale
communication de toutes les parties du corps humain, qui
fait qu’elles ont du ressentiment les vnes pour les autres, il y
a vn commerce tout particulier entre le cerueau, la langue,
& le ventricule, qui fait que leurs affections sont communes,
& de là vient que ceux qui ont la fievre, ont pour l’ordinaire
mal de teste, & le Medecin fait tirer la langue à son malade
pour descouurir par sa couleur, ou par l’humeur dont elle
est chargée celle qui est dans le ventricule. Pour cette mesme
cause l’yurognerie attaque tousiours ces trois parties ; l’vne
ne se sent pas plustost des accidens du vin, que les autres en
sont affligées, ou à raison du voisinage, ou mesmes par sympathie ;
car le ventricule dés aussi-tost qu’il est trop remply
de vin, enuoye des fumées au cerueau qui en est offusqué,
& ne pouuant communiquer ses esprits animaux par les
nerfs, à raison que les passages sont bouchez, la langue se
treuue priuée de mouuement, & en mesme temps il se fait
vn effort, par lequel les parties se veulent desgorger ; & faire
quites des humeurs qui les chargent, & si elles ont assez
de force pour les mettre dehors, les voila hors de danger,
sinon les conuulsions continuent, & à la fin la mort arriue.

Escoutez moy donc, Monopoleurs, car ie suis cousin germain
du Medecin Charitable, & frere du Politique ; si vous
ne rendez gorge, vous estes morts. Et si vous ne sçauriez esuiter
deux genres de mort, à sçauoir la mort premiere, qui
est, comme dit Aristote, la desunion de l’ame auec le corps,
& la mort seconde, que Sainct Iean dit estre, la desunion de
l’ame auec Dieu.

Vous estes saouls & yures, n’est-il pas vray ? Vous en

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auez iusques à la gorge. Et quand vous auriez vu estomach
meilleur que celuy de l’austruche qui digere le fer, vous ne
pourriez iamais digerer ce qui est entré dans le vostre. C’est
folie de croire qu’il y ait de l’or potable, ou que ce noble metail
se puisse digerer & tourner en nourriture. Mais quoy, ie
veux que cela soit, & mesmes ie me veux rendre complaisant
à vn tel point, que contre mon sentiment ie veux croire
que vous ayez treuué la pierre Philosophale, & que vous
scachiez conuertir toutes choses en or, apres tout vous ne
sçauriez euiter la mort sans rendre gorge. Vous auez aualé
comme vn breuuage empoisonné le bien d’autruy, il le faut
rendre. Vous y estes condamnez par l’Euesque d’Hyponne,
non dimittitur peccatum nisi restituatur ablatum. Ne me dites
point que vostre esto mach est si bon qu’il digere tout. Cette
faim insatiable qui vous fait aualer toutes choses, est vne
saim canine, vn boulisme. Vostre ventre ressemble à celuy
du Leuiathan, il deuore l’orphelin & la vefue, & mesmes,
cas estrange, engloutit des terres & des Prouinces toutes entieres :
mais il faut rendre tout cela.

 

Ne vous souuenez-vous point du Degobilleur d’eau, qui
nous a rendus si esbahis, quand au lieu de l’eau que nous
luy voyions prendre sur le theatre, il rendoit toute sorte de
liqueurs, du vin, du laict, de l’huile, & de la biere. Vous auez
imité en vn point la subtilité de ce charlatan, il vous reste de
le suiure en l’autre. La pluspart de ceux que la curiosité portoit
à voir vne chose si nouuelle, & que mesme ceux qui la regardoient
auoient peine de croire, s’imaginant que cet
homme tenoit certaine drogue dans sa bouche, qui auoit la
vertu de ne pas changer l’eau en vin (car cela ne se peut faire
que par miracle) mais de luy communiquer la couleur & la
senteur, & ainsi il deceuoit l’odorat & la veuë. Mais les mieux
nuisez & les plus sçauants iugeoient qu’il n’y auoit en tout ce
procedé ny changement de substance ny d’alteration, mais
vn simple mouuement local ; c’est à dire, que toutes ces liqueurs
qu’il rendoit, vuidant à part chacune dans sa phiole,

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auoient esté vn peu auparauãt que monter sur le theatre par
luy aualées, & que sans se messer dans son estomach, il les
vomissoit l’vne apres l’autre comme il les auoit prises, & sur
la fin il iettoit l’eau toute pure qu’il auoit aualée sur le theatre,
la faisant rejallir aussi haut que celle qui sort par le tuyau
d’vne fontaine.

 

Voila vn degobilleur d’eau, lequel a paru sur le theatre
deuant les yeux de tout le monde, & voicy non pas vn, mais
plusieurs desgobilleurs de toutes choses, d’eau, de vin, d’huile,
de sang d’hommes, de terres, de villes, de Prouinces, &
de Royaumes. Le premier auoit vn estomach large & ample,
pour ainsi parler, à plusieurs estages, & ceux-cy ont vn
ventre si monstrueux qu’on le prendroit pour vn magazin,
ou plustost pour vn reseruoir de despoüilles, & vn cruel receptacle
d’vn sanglant butin. Autresfois les Romains mettoient
le thresor public dans vn Temple, donnans par là à
connoistre que les biens des citoyens deuiennent sacrez
quand ils sont dediez au Prince. Et maintenant les despoüilles
de toute la France sont dans les maisons profanes des
Partisans : & bien loin que nos Temples enferment le thresor
du public, ou du Prince, au contraire ils sont tous les
iours pillez, & ce qu’il y a de plus sainct & sacré sur nos Autels,
est rauy par des mains sacrileges.

Mais qu’est-ce que l’auarice ne fait faire aux hommes ?
quid non mortalïa pectora cogis
Auri sacra fames ?
Ces Partisans infames, ces detestables Monopoleurs, Antropophages,
mangeurs de peuples, apres auoir inuenté les
moyens de rauir tous nos biens, sçachans bien qu’il est plus
mal-aisé de conseruer vn bien mal acquis, que de l’acquerir.
Qu’ont-ils fait ? Ils en ont transporté vne bonne partie, &
ont caché le reste sous la terre, de peur qu’vn si grand butin
ne decouurit l’excez de leur pillerie, & ne fit voir l’horreur
de leur Monopole. Ils aiment mieux le mettre entre les
mains du Diable, qui garde les thresors cachez, que se faire

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des amis sur la terre, ou dans le Ciel de la Mamone d’iniquité,
si faut-il pourtant rendre gorge ou mourir. Quand
vous auriez foüy toute la terre pour cacher vos thresors dans
l’Enfer, neantmoins il faut qu’ils se trouuent. On sçait bien
qu’il est malaisé de rendre : & que comme disoit vn de nos
Roys, le mot est tres-difficile à prononcer, & la chose beaucoup
plus à faire. Mais aussi pour se garentir de la mort, que
ne fait-on point, omnia dabit homo, disoit Iob, pro anima sua.
L’homme donnera librement tout, pourueu qu’on luy sauue
la vie. Donnez, ou plustost rendez tout. Si vous ne le faites
de bon gré, on vous le fera faire par force. Vous auez la
bouche close, il faut vous deserrer les dents, & vous mettre
le doigt dans la bouche pour vous prouoquer à vomir. Si
l’eau tiede, ou l’infusion de l’Ellebore n’y font rien, vous
nous contraindrez de nous seruir des remedes chymiques,
le Crocus metallorum, le vitriol blanc, le vin hemetique vous
feront vomir iusques au sang, & vous feront rendre tripes
& boy aux. N’attendez point que l’on aille à vos maisons
pour y prendre les despoüilles de la France, le Parlement a
à faire d’argent pour faire la guerre aux ennemis de l’Estat.
Vous auez espuisé les Finances du Roy, vuidez vos coffres
pour remplir les siens : Rendez à Cesar ce qui est à Cesar,
sinon vostre condamnation est toute preste, l’Arrest va estre
prononce, Que tous les Monopoleurs soient pendus &
estranglez, leurs biens confisquez au Roy, & employez aux
fraiz de la guerre : ou sans attendre plus long-temps, pendez-vous
vous mesmes comme Iudas, & creuez par le milieu
comme luy : mais rapportez auparauant l’argent que
vous auez gaigné par vos trahisons, par vos aduis, & par vos
monopoles.

 

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