Anonyme [1649], LE MOT A L’OREILLE OV LE MIROIR QVI NE FLATE POINT. , françaisRéférence RIM : M0_2498. Cote locale : A_6_4.
Section précédent(e)

LE MOT
A
L’OREILLE
OV
LE MIROIR
QVI NE FLATE POINT.

A PARIS,

M. DC. XLIX.

-- 2 --

-- 3 --

LE
MOT A L’OREILLE,
OV
LE MIROIR QVI NE
flatte point.

CE nom de premier Ministre d’Estat est si eminent,
& d’vne authorité si vniuerselle, qu’il se
trouue peu de gens qui en soient dignes : à peine
le doit on donner à ceux qui n’ont iamais terny
leur reputation par quelque acte d’infidelité,
sans estre par faictement bien asseuré de leur perseuerance :
Pour viue, & pour forte que puisse
estre l’apprehension d’vn grand esprit, il ne laisse pourtant pas
d’auoir besoin du secours, & de la conduitte de ceux qui s’attachent
à ses interests, & qui lisent dans sa fortune. L’Illustre Cardinal,
Duc de Richelieu, le plus grand, & le plus excellent de
tous ceux qui se sont meslez, & qui se mesleront iamais de gouuerner
les affaires d’vne Monarchie, ne s’estoit pas fait de luy-mesme,
pour arriuer à ce supreme degré d’honneur & de gloire, où
il est mort : Il se seruoit dans les rencontres de l’exemple de ceux
qui l’auoient precedé, & de l’esprit de tous les plus iudicieux qui
viuoient dans son siecle ; si bien qu’on peut dire de luy, Nec est, nec
erit, nec fuit alter ; aussi s’est-il veu peu de temps apres en estat de
n’imiter personne, & d’estre imité de tout le monde : En effet, son
iugement s’estoit rendu si sublime, & si extraordinaire, qu’il ne se
conduisoit plus pour faire des miracles, que par son propre Genie ;
la prudence Politique est vne vertu de l’entendement, qui ne
se nourrit que de preuues, & de coniectures : elle s’occupe d’ordinaire
en la recherche des expediens qui nous sont les plus conuenables,

-- 4 --

pour arriuer à la fin que nous nous sommes proposée : &
par consequent, il faut qu’elle consiste en vne vigoureuse force
d’esprit, & en vne experience consommée au maniement des affaires
publiques, dont la connoissance est tres-difficile. Cette science
Royale a la finesse, la fourbe, & l’imprudence pour ennemies ;
& quelques eloges que la secte Mazariniste puisse donner aux supercheries,
si est-ce pourtant qu’elles ne sçauroient estre receuës,
ny admises, en l’ordre de la prudende. Ce ne sont que des seruantes
de Penelope, capables de preoccuper des insensez, & de rebuter
les sages. Les raisons d’Estat ne visent pas tant à faire des desseins,
& des entreprises, qu’à balancer les moyens plus propres,
& plus à les faire reüssir heureusement comme on souhaitte ; &
pour cela, il faut auoir vne connoissance parfaite des hommes,
des affaires, des pays, & estre adroit & sçauant à toute sorte d’occurrences :
il faut estimer ses ennemis capables de tout entreprendre :
il ne faut pas presumer trop de soy, ny se destourner iamais
du bon chemin, pour quelque consideration que ce puisse estre :
il faut n’auoir rien qui ressente, ny le flateur, ny l’esclaue : il faut
sacrifier ses interests particulier pour ceux du public, & ne resoudre
iamais quoy que ce puisse estre, ny par vindication, ny par colere ;
& comme il est impossible de trouuer vne Republique telle
que Platon l’a desirée, ny vn Orateur à la mode de Ciceron, ny
pareillement vn Capitaine, selon que Xenophon le demande ; ie
tiens aussi qu’il est impossible de trouuer vn parfait Ministre d’Estat,
tel qu’ils nous le faut pour bien conduire nos affaires : Neantmoins,
ie ne croy pas qu’il faille prendre la peine d’en chercher
ailleurs, si la France se trouue sterile en la production des hommes
de cette science Iules Mazarin nous monstre assez par ses actions,
combien les Estrangers sont nuisibles au gouuernement de cette
Monarchie. Ce diable humanise, & reuestu de pourpre (quoy
que d’vne extraction tres-vile, comme tout l’Vniuers sçait fort
bien) apres s’estre mis en quelque consideration dans le monde,
par des voyes aussi criminelles qu’abominables, ne nous apprend
que trop cette verité ; & nous voyons qu’elle ne trouue que trop
de tesmoins dans le temps où nous sommes A vray dire, qu’a-t’il
fait pour nous depuis la mort perpetuellement deplorable de nostre
inuincible Louys le Iuste, dans le maniement de nos affaires,
qu’inuenter tous les iours des nouueaux imposts pour ses interests
propres ? Et quoy qu’vne Reine Regente, & pieuse comme la nostre,
soit en estat de disposer souuerainement de ses graces ; si est-ce
pourtant qu’elle ne laisse pas d’estre obligée de regler ses extraordinaires
liberalitez, pour laisser vne parfaite edification dans

-- 5 --

l’esprit de son prochain, pour le soulagement de ses subjets, &
mesme pour l’honneur & la gloire du Prince : autrement leur desordre
ne sçauroit faire que susciter des ruines publiques, rendre
leurs Maiestez peu cheries, & ses fauoris tres-odieux & tres-miserables :
ainsi contraints de reuenir en leur premier estre, on leur
apprend à viure, lors qu’on leur en oste le moyen, par des voyes
qu’ils n’auoient pas bien preueuës : & puis la fable acheuée, ils ne
seruent que de risée au public, & de diuertissement à tout le monde.
Le Ciel irrité sur nostre France, a fait naistre certaines passions
en l’ame d’vne Reine que ie tiens n’auoir iamais failly qu’en ce
rencontre, pour nous punir, & pour éprouuer nostre patience ; si
bien que l’excez d’vne faueur si extraordinaire que la sienne, semble
auoir attaché la perte de l’vn à la ruine de l’autre, si Dieu par
vne prouidence toute particuliere, ne fait des miracles pour les
conseruer, ou porter les inclinations de cette Princesse à des sentimens
plus raisonnables ; car l’ambition de cét homme ne peut
estre assouuie que par la ruine vniuerselle de tout cét Empire : mais
si cette passion sert de fondement à sa grandeur : il faut maintenant
qu’elle serue de cause à sa cheute. Vostre Maiesté sçaura, Madame,
que les Italiens ne sont ciuils, honnestes, & courtois qu’en apparence,
& qu’en effet ils sont pleins de tricherie, & de dissimulation,
n’oublians iamais les iniures qu’on leur a faites ; qu’ils n’ont
à cœur chose quelconque que leur propres interests ; qu’on peut
veritablement qualifier l’obiect de leurs inclinations plus extrémes :
Et nonobstant tout cela, Madame, que n’auez vous pas fait
pour vn monstre qui n’a de l’amour que pour luy, & pour sa fortune ?
Outre que vostre Maiesté n’a rien de secret, ny de caché,
pour luy, il falloit necessairement que vostre Illustre Senat de Paris,
luy communiquast tous ses decrets pour les reformer, & qu’il
receut l’ordre de sa propre bouche : les Princes estoient contraints
de rechercher les moyens d’estre bien auec luy, & de l’obliger en
tout ce qui leur estoit possible ; en sorte qu’on ne consideroit plus
ny vostre authorite, ny vostre grandeur, qu’en la personne d’vn
homme, dont la naissance vous est outrageuse. Mais de grace,
Madame, qu’a-t’il fait pour vous & pour nous, depuis sept ans,
ou plus, qu’il y a qu’il gouuerne l’Estat, & que vous l’auez honoré
d’vne charge dont il s’est rendu tres-indigne ? Nous sçauons
bien qu’il a pillé toutes les pierreries de vostre Maison ; qu’il a espuisez
tous les coffres du Roy, & qu’il a tiré le sang du peuple, iusques
à la derniere goute : que les thresors de Venise ne sont riches
que de ceux qu’il nous a volez : & que Rome ne void ses parens, &
ses alliez, dans les biens, dans les charges, & dans les honneurs,

-- 6 --

que de nos seules despoüilles : De plus, n’a-t’il pas flaitty sa reputation,
par des actes d’infidelité, qui n’en eurent iamais de semblables ?
n’a-t’il pas monstré par ses procedures qu’il n’auoit nulle
connoissance, ny de l’humeur des François, ny de leurs affaires
N’a-t’il pas fait voir que les Maximes d’Estat, & les procedures de
nos Ennemis, le surprenoient, & qu’il presumoit de sçauoir, & de
pouuoir toutes choses ? N’a-t’il pas donné à connoistre, qu’il n’estoit
propre qu’à faire le passionné, le mignon, & l’agreable ? Qu’il
apprehendoit sa perte, sans auoir l’esprit de l’éuiter par sa prudence ?
Qu’il n’a iamais eu d’adresse qu’aux fourbes & aux filouteries
parmy les dez & les cartes ? Que ses opinions & ses façons de faire
ne sentoient que l’impudence & la lacheté ? Que son interest particulier
ne le portoit qu’à ruiner celuy du public ? Qu’il ne sçauoit
ny demesler, ny resoudre les difficultez que par vindication, & par
colere ? Qu’il n’eust de sa vie, ny foy, ny ordre, en ses escrits, ny
en ses promesses Que la sincerité ne fut iamais en ses opinions, ny
la facilité aux resolutions qu’il deuoit prendre ; & finalement,
qu’il n’estoit capable que de flater l’esprit d’vne femme, qu’il a
preocupée, & de sa fidelité, & de sa suffisance : la generosité est
vne vertu qui abhorre toutes ces procedures. Henry le Grand, le
plus illustre de tous les Princes, auroit pris plaisir de consacrer vn
homme si criminel, à la mercy, & à la fureur de son peuple ; les
François sont trop genereux pour souffrir plus long-temps ces tyrannies.
Tite Liue, Plutarque, Apian, Trogles, Diodore, & Iules
Cesar, ne laissent pas contre ses sentimens, de les preferer en
valeur, à toutes les autres Nations de la terre. Et Iules Mazarin
voudroit pretendre apres cela de les assuiettir, & de les traicter
comme des esclaues ; & mesme imposer sur eux des tributs immenses,
comme il a desia fait pour remplir ses coffres : Est-ce là le
moyen de bien asseurer les affaires d’vne Monarchie, que de trauailler
à sa ruine sans aucune necessité publique ? Tibere, Prince
abandonné à toute sorte de vices, tondoit bien ses brebis : mais il
ne les escorchoit pas comme fait nostre abominable Iules : les tresors
sont les nerfs de l’Estat, sans lesquels ce grand corps Politique
demeureroit sans mouuement, & sans vie : Heureux sont les Rois
qui trouuent des gens de bien pour la dispensation de leurs finances,
d’où depend la Maiesté du Souuerain, & la tranqullité publique.
C’est par le moyen de ces tresors qu’vn Empire se rend redoutable
à ses ennemis, & qu’il vient à bout de toutes choses.
Cesar n’eust iamais sceu ruiner la liberté de la Republique, s’il
n’eust commencé de s’establir a l’Empire par ce sacrilege : la desolation
d’vn Estat, arriue ordinairement de l’iniuste administration

-- 7 --

de ses richesses. Et apres cela, genereux Princes, Illustre Senat,
& vous Peuples François, voudriez-vous consentir au restablissement
d’vn Tyran, & au retour de ses Partisans, sans leur faire iustice ?
Ce ne seroit pas là le moyẽ de passer pour de vrais François,
ny pour des chers peres de la Patrie. Examinez bien de grace ce
que ie viens de dire, & considerez l’eschantillon d’vne matiere que
vous pouuez amplifier par de plus seueres meditations, si vous
estes sensibles à vos propres interests, & si vous ne voulez pas consentir
à vostre propre perte : Vous auez affaire à vne personne qui
ne vous le pardonnera iamais, & qui cherchera tost ou tard, les
occasions, ou de vous ruiner, ou de vous confondre : Outre que
Dieu vous obligeroit quelque iour a luy rendre compte du pouuoir
qu’il vous a donné, pour le bien du public, & de l’inique distribution
que vous en auriez faite : personne ne se sçauroit sacrifier
pour le peuple, qu’il ne soit asseuré de son salut, & de l’eternité
de sa memoire : ce sont des actions que le Ciel reçoit comme
vn encens purifié, ou comme vne victime sans tache. Vous sçauez
bien que le Senat Romain, fit esleuer vne Statuë de la Liberté,
au milieu d’vne place publique, apres la mort de Sejanus.
Trauaillez-donc à l’imiter, afin de vous rendre formidables à
Iules Mazarin, & à tous ses partialisez ; l’honneur de l’Estat, la
gloire du Roy, & le bien de la Patrie, vous demandent ses victimes,
pour appaiser l’ire de Dieu, & les Manes de leurs parricides.

 

FIN.

-- 8 --

Section précédent(e)


Anonyme [1649], LE MOT A L’OREILLE OV LE MIROIR QVI NE FLATE POINT. , françaisRéférence RIM : M0_2498. Cote locale : A_6_4.