Anonyme [1649], LE PACIFIQVE OV L’ENTRETIEN D’ARISTE AVEC LVCILE, SVR L’ESTAT DES AFFAIRES presentes. Eccles. 4. Il y aura vn conseil de Paix entre l’vn & l’autre party. , français, latinRéférence RIM : M0_2641. Cote locale : A_7_1.
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LE
PACIFIQVE,
OV L’ENTRETIEN D’ARISTE
auec Lucile, sur l’Estat des affaires
presentes.

Erit concilium pacificum inter vtrosque.
Eccles. 4.

Il y aura vn conseil de Paix entre l’vn & l’autre
party.

SI la Paix est le plus cher obiet des yeux de
Dieu, & le plus bel ouurage de ses mains, mon
cher Lucile, on peut bien dire, que celuy qui
ne peut souffrir la douceur de ses charmes, ou
bien qui entreprend de le detruire, est indigne
de cette noble inclination, qui porte naturellement les hommes
à la hayne de la confusion & du desordre, & à l’amour du
repos & tranquillité de l’esprit.

Car outre qu’il n’est pas tousiours facile d’éteindre vn feu
qui a esté allumé par imprudence & sans necessité, & que l’issuë
des guerres, ne depend pas des mesmes puissances qui les
declarent, puis que le hazard & la fortune y ont souuent le
plus de part : Il est certain que les vertus tranquilles sont plus
propres à la conseruation de la Religion & de la Societé, que
les conseils des esprits violens, qui semblent agreables d’abord,
mais qui en effet se trouuent facheux dans la suite du

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temps, & presque tousiours funestes dans les euenemens.

 

Cela vient d’vne fatale demangeaison de quelques vns,
qui trouuent beaucoup moins de satisfaction, mesme dans
cét heureux repos qui est le fruit de la victoire, que dans le
bruit de la dispute : iusques là, qu’ils ont de l’amour pour la
haine mesme toute horrible qu’elle est, & qui dans la guerre,
se fait tousiours accompagner de mépris, de crainte, & de menaces,
& où l’on se porte plustost, par vne vaine, esperance de
faire parler de soy, que par aucun motif d’vne veritable vertu.

Ce sont des gens qui se ioüant de la vie, n’ont iamais appris
à vouloir ce qui est à desirer, & dont les resolutions sont mobiles
comme le vent. Ils se moquent des conseils & des auis
des sages, & n’en reçoiuent point qui ne leur plaisent. S’ils
semblent auoir du zele, il n’est point sans amertume & sans desir
de vengeance. L’inconstance les suit par tout : ils sont ennemis
mortels de toute discipline : ils regardent la Iustice
comme vne chose cruelle : L’éclat de toutes les veritez, ébloüit
les yeux de ces pestes publiques, & ne le pouuant supporter,
ils mettent toute leur ioye aux artifices du mensonge,
& aux inuentions de l’imposture.

Ils arrestent les simples au milieu des ruës, pour leur inspirer
le venin qu’ils ont dans l’ame : Ils font à cét effet des Assemblées
dans les places publiques ; ils courent de nuit & de
iour au secours de leur party chancelant. Quelques-vns vont
faire leur entretien dans les ruelles des Dames, & tandis que
les autres écriuent au dehors de fausses nouuelles ; ceux-cy
tachent de trouuer entrée dans les cabinets, & de penetrer
iusques au Sanctuaire, & tous pour vne mesme fin, qui seroit
vn renuersemẽt de toutes choses, & vn desordre sans remede.

C’est sans doute de ces sortes d’esprits dont Dieu se plaint,
de ce qu’ils méprisent la glorieuse qualité de ses enfans, en
méprisant les fruits de la Iustice, qui ne peuuent estre semez
ny croistre que dans la Paix. Ils ont éleué leur cœur, dit-il, &
m’ont chassé de leur memoire ; mais comme vn ourse enflammée
de colere par le rauissement de ses petits, ou bien comme vn Lion
plein de furie, ou quelque autre beste farouche, ie couray au deuant
d’eux pour les mettre en pieces ; ie leur dechireray les entrailles,
& les consumeray comme le feu.

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Si cette rage, mon cher Lucile, est odieuse au Dieu de Paix,
elle ne sçauroit plaire aux ames iustes. Luy mesme se reposa si
tost qu’il eut fait l’homme : & bien que la condition de celuy-cy
soit malheureuse dans la guerre continuelle que se font
l’esprit & la chair ; toutesfois ces deux ennemis ne laissent
pas de se tenir embrassez, & de se baiser sans cesse l’vn l’autre.

Peut estre que tout ce qui est d’honnestes gens dedans &
dehors cette Ville affligée, ne trouuera pas étrange, que dans
la conioncture des affaires presentes, où chacun s’emporte selon
sa passion, ie ne resiste pas assez fortement à la tentation
dont tu me presse, Lucile, depuis si longtemps, pour te dire
mes sentimens contre les mouuemẽs aueugles, de cette multitude
d’esprits, qui s’échauffent en toute rencontre, à persuader
la continuation du malheur de nos troubles, & qui ne cessent
de ietter malicieusement de nouuelles semences de diuisions.
Et tu as bien raison de me dire, qu’il n’y a rien à craindre
pour moy, puis que ie n’ay aucun dessein de nuire, ny d’offenser
personne, & que tu me connois si éloigné de l’humeur
de ceux qui ne peuuent écrire, ny parler sans qu’ils déchirent.

Il n’y a rien de si facile, que de noircir la reputation d’autruy ;
Où l’on suit, ou l’on croit bien plustost le mal que le bien,
& chacun pense s’éleuer à mesure qu’il croit abbaisser ceux
qu’il attaque. Mais la plus insupportable médisance, est infailliblement,
celle qui sort de ces ames laches, qui sçauent le
contraire de ce que leurs plumes écriuẽt ; ou du moins qui passent
bien loin de la verité dans le mensonge. Quelque plaisir
qu’elles y trouuent, il y a neantmoins de la contrainte & de la
violence pour elles ; & certainement cette conduite me semble
bien rude, tres peu genereuse & fort contraire à la vertu.
Ce n’est point par les inuectiues, mais par la raison, ou par le
fer que se doit terminer cette affaire.

Tant d’iniures & tant de malheureuses productions qui font
gemir toutes les presses, & qui passent auiourd’huy sous les
yeux de tout le monde, à quoy peuuent elles seruir, qu’à nous
faire moquer de nos propres malheurs, ou bien de l’incapacité
& de la folie de leurs Autheurs ?

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Ie ne m’arreste pas icy, Lucille, aux loüanges de celles qui
sont des preuues vtiles & agreables des beaux esprits de ce
temps, & ausquelles on remarque les regles de l’art d’écrire
en perfection, & auec la modestie & la retenuë qui se pratiquent
en toutes choses parmy les gens d’honneur.

Ie voudrois parler seulement sans choquer l’esprit ny l’inclination
de qui que ce soit, de deux sortes de personnes, dont
les vnes sont trop amoureuses des tumultes & des broüilleries,
& preferent la guerre à la paix aueuglément, & sous
quelque condition que ce soit : Et les autres par vne auersion
toute contraire aux Loix de la Religion que nous tenons, employent
tous leurs momens & toutes les puissances de leurs ames,
à inuenter de nouuelles iniures, & de nouuelles façons de
les écrire.

Ce n’est pas que ie presume assez de moy mesme, pour faire
auec assez de iustice & de capacité le seuere Censeur d’autruy :
Ie ne suis ialoux de la liberté ny du merite extraordinaire de
personne ; au contraire, mon inclination me porte à reuerer
l’excellence de la vertu par tout où ie la trouue. Les beaux
feux que ie voy briller dans l’esprit & dans les chefs-d’œuures
de nos Illustres, m’ont tousiours rauy, & i’admire les agreables
nouueautez de leurs hautes pensées, aussi bien que la rareté
de leur expression. I’auouë mesme que ie sçay beaucoup
moins que tous ceux dont la mauuaise humeur & les mauuais
écris ne plaisent, ny aux plus sages, ny aux plus capables.

Mais quand ie considere l’honneur de nostre Nation, quand
ie repasse dans l’esprit toutes les douceurs de la concorde, &
la necessité d’vne Paix iuste : Quand ie voy la honte de tant
d’auortons, de qui la naissance ne sçauroit estre auoüée par aucun
Pere ; i’ayme mieux me mettre au hazard de me voir accusé
moy mesme de temerité, que de manquer au deuoir qui me
sollicite.

En effet, que pouuons nous attendre, ie te prie, Lucile, de
la continuation de cette guerre, que la desolatiõ de cét Estat ?
Que peuuent produire ces miserables écrits, que des haines &
des mouuemens criminels, & laisser à ceux qui viendront apres
nous, des images infames des crimes de nostre siecle ? Car

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souffrir ces desordres indifferemment, n’est-ce pas preparer
des moyens d’authoriser par de mauuais exemples, la mauuaise
conduite de nostre posterité ?

 

Ne penses pas, Lucile, que ie nomme icy personne, ny que
ie sois si osé, que de toucher aux moindres fautes du gouuernement ;
s’il doit estre blamé en quelque chose, les raisons en
sont en d’autres testes que la miẽne, & nous deuons tous deux
laisser trouuer & appliquer les remedes, dont son mal pouroit
auoir besoin, par l’équité des Loix, qui sont les fondemens de
l’ordre, & de l’integrité, & par des mains plus fortes & plus adroites
que les nostres.

Ce n’est pas icy vne entreprise d’vne reformation generale ;
c’est seulement vn desir de reünion & de Paix : & si tout le
monde l’auoit, sans estre porté d’aucun interest particulier, ce
seroit vn moyen presque assez fort & assez puissant, pour obtenir
de la Bonté Diuine, vne faueur si precieuse.

Sans m’arrester donc à iuger des prouisions & des articles
de Rueil, ou de S. Germain, sur vne affaire de si haute importance,
& qui auroit besoin du conseil des Anges, plustost que
de celuy des plus grands genies du Royaume : Ie me contente
de la seule enuie d’insinuer doucemẽt le desir de Paix à tous
ceux qui luy ferment les yeux & les aureilles, & de temoigner
icy la haine que ie porte à la médisance, & à ces fatras injurieux,
qui sont si indignes de la veuë des gens de lettre, & de la
patience de tous les gens de bien.

Supposons cependant deux choses, dont la consideration
est necessaire, afin que les Censeurs de ce discours, n’y trouuent
aucune prise raisonnable : Et confessons d’vn costé, que
l’innocence des Peuples affligez au dedans & au dehors de
cette Ville, est dautant plus digne de compassion qu’elle est
toute entiere : & de l’autre, que nous sommes infiniment redeuables
au zele de ces ames nobles, qui regardant au dessous
d’elles leur interest particulier, n’ont autre but dans les
soins qu’ils ont pris, & dans les efforts qu’ils desirent faire,
que le bien de tout le Royaume.

Tu m’as protesté plusieurs fois, Lucile, que les vns & les
autres font presque les mesmes plaintes, & qu’ils n’ont tantost

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plus qu’vne voix, qui est celle de la douleur. Tu m’as dit
qu’ils soustiennent, qu’il n’y peut auoir de salut où les Loix
sont violées : que rien ne se conuertit plus facilement en haine
ou en fureur, que les suiets du desespoir. Qu’il faut punir
les coupables, & non pas les innocens. Que la Sagesse, qui est
la Princesse des autres Vertus, est trop peu reconneuë des
grands, qui possederoiẽt tout sans enuie, s’il ne leur manquoit
tousiours quelqu’vn pour leur dire la verité. Que n’y ayant
point de plus fort lien pour obliger à garder la foy, que le serment,
on ne laisse pas de le rompre, pour ioindre la ruse à la
force, & pour chercher la conseruation de quelques coupables,
dans la perte de tous. Qu’il y a suiet de craindre, que la
soumission & la souffrance du passé, ne donne ouuerture aux
miseres de l’auenir. Qu’il ne faut point souffrir de monstres ny
de harpies dans les Estats, si l’on veut qu’ils soient fleurissans.
Que la tyrannie trop frequente des Fauoris, nous est vn ioug
insupportable. Qu[1 lettre ill.] si d’vn costé, la trop grande seuerité du
gouuernement, affoiblit l’amour des suiets : de l’autre, il est
aisé de voir, qu’vne facilité trop excessiue des supremes puissances,
enuers ceux qui ne les approchent, que pour abuser
de leurs faueurs à la ruine publique, diminuë tousiours honteusement,
l’authorité legitime. Que quiconque méprise sa
propre reputation, méprise facilement les Vertus.

 

Tu me disois, qu’ils aioustent encore à toutes ces choses,
qu’il est dangereux de dépoüiller le Lion de sa peau, & que
les ieunes Renards, quelques malins & rusez qu’ils soient, ne
connoissent pas tousiours bien la beste, auec laquelle ils se
joüent. Que les Communautez des Villes & des Royaumes,
ressemblent à des monceaux de grains ou de pierres, dont on
ne peut faire tomber les vnes sans les autres. Qu’en ostant aux
suiets tout le bien qu’ils possedent, on leur oste l’ame & le
sang. Que le Iardinier est incapable de son art, lequel en cueillant
les fleurs & les fruicts, arrache aussi la racine : & que celuy-là
veut rendre inutile l’oiseau auquel il coupe les aisles auec
les os. Qu’il paroit bien que l’éclat de tant d’or qui possede
nos damnables sangsuës, & tous les mauuais riches de la
Cour, qui tirent tout le suc de nos Finances, leur trouble

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tellement la veuë, que ne voyant point la misere ny la calamité
des pauures, les cruels qu’ils sont, n’en ont aucune compassion.
Que l’ambition & la malice ont cruellement refusé de guerir
nos playes auec les douceurs d’vne Paix tant desirée, & partant
de millions d’ames : qu’ainsi l’on peut dire, que la prudence
qui gouuerne aujourd’huy, n’est pas cette prudence de l’esprit,
laquelle renferme en soy, la Vie & la Paix, selon l’Apostre,
mais la prudence de la chair. Que les hommes ne doiuent
point estre conduis comme des bestes ; que des brigands s’estant
enrichis de nos dépoüilles, les mains des Citoyens demeurent
vuides aussi bien que celles des pauures, & qu’il ne
leur reste plus que les larmes & les prieres. Tu me disois encor,
cher Lucile, que ce desordre & ce brigandage sont d’autant
plus cruels, qu’on les laisse commettre impunément contre
l’inclination naturelle de l’homme, auec laquelle on le voit
naistre sociable, & enclin à faire du bien, qui est presque la
seule chose, par laquelle il est en quelque façon semblable à
Dieu. Que la Nature oblige tous les hommes à leur conseruation
& à leur defense, en toutes sortes de rencontres, lors qu’il
s’agit de la vie ; que cela se pratique parmy les Nations les plus
polies, comme parmy les plus barbares, & qu’enfin il n’y a
point de raison de s’estonner, si l’extreme misere de la pauureté
est cause de l’impuissance, & si de l’impuissance procedent les
dangers & les effets de la violence.

 

Mais, Lucile, pour ne respondre point icy en particulier à
tous ces poincts, ausquels ie dois tascher de satisfaire en general,
au moins en quelque façon, & qui sont, ou les plaintes
communes d’auiourd’huy, ou des traits de ta politique.

Quand tout cela seroit veritable (& il ne l’est que trop) ie
demande aux plus moderez, & à toy-mesme, si ce grand corps
est en estat de souffrir tout à coup vn changement general ? Si
le malade qui commande & qui veut estre obeï dans ses plus
dangereux accez, ne rend pas cruel le Medecin qui le traitte ?
Si la multitude ne domine pas tousiours auec orgueil, lors
qu’elle n’est point conduite dans la soumission & dans l’obeissance ?
Ne faut-il pas auoüer, que laissant à part les habiles meschans,
qui causent ou qui fomentent les desordres, le peuple

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ne voudroit point auoir d’autres maistres que les sens qui sont
trompeurs ? S’il voit quelque chose, ce n’est que de prés, & des
objets fort grossiers & fort materiels. Ses iugemens sont incertains,
& tousiours accompagnez d’erreur. Souuent il court
apres le mesme mal qu’il tasche d’euiter, & reconnoist pour ses
amis, ceux qui luy tendent des pieges. Pour se flater, il se figure,
qu’il n’y a point de difference ny d’interuale entre la cheute
de quelqu’vn & son extréme fortune. Il bastit des desseins sur
cette fausse opinion, & puis ennuyé dans l’attente d’vne nouueauté
pire que l’estat present ; il remuë toute chose pour se
procurer sa propre perte auec celle du public. Et c’est où nous
en serions, si de plus habiles que luy, si ces Dieux visibles de la
Iustice (ie parle de ceux qui sont demeurez fermes, aux portes
desquels il faudroit planter des palmes, comme l’on faisoit
autrefois, à la gloire de leurs semblables) & si la grande prudẽce
& la genereuse resolution de ces Chefs magnanimes, qui nous
ont seruy de boucliers, n’auoient pris soin de nos affaires, & la
conduite de nos armes. Le peuple, cher Lucile, n’entendit iamais
la voix du Sage, qui nous asseure, que la paix dépend de
Dieu, qui n’en donne point le desir, à ceux qui font la guerre
aux hommes, que lors qu’ils prennent des voyes qui luy sont
agreables.

 

La Sagesse Diuine qui habite dans la hauteur de ses propres
Conseils, & de qui les pensées sont la plus sublime science,
toute puissante & toute admirable qu’elle est, peut-elle contenter
les desirs differens de tous les hommes ? Sa Iustice & sa
misericorde, sont les deux bras, dont il embrasse le monde, ou
bien les deux bassins de sa iuste balance ; toutes ses mesures
sons iustes : tous ses iugemens sont equitables ; il fait reluire par
tout, sa parfaite conduite, & neantmoins, qui sont les hommes
qui n’y trouuent point à redire, qui sont les nations qui n’en
murmurent ?

Nous sçauons bien que les Diademes qu’on met sur la teste
des Roys, sont les marques de leur Prudence, de leur Force, &
de leur Iustice ; & que cette gloire pompeuse qui les enuironne,
leur impose la necessité & l’obligation qu’ils ont de bien
regir leurs Peuples : que Platon les nommoit raisonnablement
d’illustres Pilotes, pour le gouuernement de leurs Estars, qui

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sont de fragiles vaisseaux à faire souuent naufrage : que d’autres
Sages les ont encor appellez auec suiet, les Pasteurs des grands
Troupeaux, de qui la protection doit estre l’vnique objet de
leur solicitude.

 

Mais, cher Lucile, que peut faire le Peuple durant la minorité
de ses Roys, que d’auoir recours aux soins & à l’integrité
des Magistrats ? Que de demander instamment à Dieu, qu’il
daigne presider à leurs Conseils, & faire luy mesme le choix
de leurs Ministres ? Et lors qu’ils sont en estat de commander
eux mesmes, mais auec de notables defauts, que d’obtenir
pour eux s’il le peut, par vn saint renouuellement des vœux de
sa Religion & de sa Pieté, quelque plus claire lumiere d’esprit,
& quelque plus noble rayon de Sagesse ?

C’est ainsi, Lucile, que l’on peut dignement reuerer cét ordre
sacré que le Maistre des Roys a estably en leur faueur, pour
tous les Peuples.

La creance que nous auons des Puissances legitimes, ne
doit iamais dependre du succez de leurs affaires. Le sang de
tous les hommes, est bien de mesme couleur : & s’il s’en trouue
de plus beau & de plus vermeil en quelques vns, cela vient de
la santé qui s’y rencontre plus parfaite, & non pas de la Noblesse.
Mais quelque infirmité qui se remarque aux Souuerains,
le rayon de la Majesté Diuine, dont ils sont les Images visibles,
ne laisse pas de nous imprimer tousiours, ce respect, cette ioye,
& cét amour naturel que nous auons pour eux, & qui se redoublent
par des mouuemens secrets, mais tres-sensibles, toutes
les fois que nous auons l’honneur & la liberté de les voir.

Il est vray, cher Lucile, qu’aussi bien que nous, ils courent
à la mort, comme les eaux qui coulent droit à la mer, & que
dans cette cheute, comme en celle des plus hauts chesnes, dont
chacun ramasse les branches qu’il peut, il se fait tousiours de
grands bruits, qui sont les presages certains des maux qui menacent
les Peuples. Mais comme ces malheurs sont sans remede,
& des effets ordinaires d’vne Loy si commune ; lors qu’ils
arriuent, le feu de nostre amour ne s’esteint point, mais seulement
il passe par succession naturelle de la souche au rejetton,
pour lequel, il conserue tousiours la mesme flame.

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Que les ennemis de nostre repos, ne s’estonnent donc point,
cher Lucile, de cette émotion causée par l’éloignement de
nostre Prince. Qu’ils auoüent qu’on luy tend les bras de tous
costez, & que la splendeur qui l’euuironne, ne fait point dans
nos esprits, vne impression moins aimable, que celle du Soleil.
Car c’est apres quoy, nous soupirons de nuit & de iour, auec
plus d’impatience que n’en tesmoigna iamais Absalom, de voir
son pere, lors qu’il pressoit Ioab, de vouloir finit sa langueur.
Ie te coniure, luy dit il, de me faire reuoir le visage du Roy,
& de luy dire, que ie suis content de mourir, s’il me refuse cette
grace. Non seulement sa paix fut faite, mais il fut encore embrassé
auec tendresse & des larmes de ioye.

O Dieu ! quand sera-ce, que nous ne receurons vne pareille ?
Quand sera-ce, ô Paix, bien plus aymable que le iour ; (Car
il nous est permis de parler ainsi, auec le plus eloquent de tous
les Peres, dans les desirs passionnez qu’il auoit de son temps pour
la paix de l’Eglise par le moyen de l’Vnion parfaite des Peuples)
Toy, dis-ie, ô saincte Paix, que le monde ne peus dõner, qui bannis
toutes les craintes & toutes les tristesses ? Toy, qui es le sujet
de toutes nos pensées, d’où vient que tu nous as quittez si long
temps ? Precieux Don du Ciel, que nous poursuiuons auec tant
de soupirs & de larmes ; rare Tresor que nous deuõs tenir estroitement
embrassé, lors que tu es entre nos mains, & de qui nous
pleurons la perte auec tant d’inquietude & tant d’amertume ;
Objet le plus digne de l’amour de toutes les plus belles ames,
iusques à quand nous serez-vous rauy ? & quand est-ce, que
nous verrons enfin le bien heureux iour du Salut que nous
doit ramener vostre retour ?

C’est elle, mon cher Lucile, qui est l’ouurage accomply
de la Vertu, le couronnement du merite & des plus penibles
trauaux, la gloire des conquestes, le prix & la recompense des
perils & des souffrances passées. On ne peut plaire à Dieu sans
elle. Elle est tousiours victorieuse de l’enuie & de l’orgueil. Elle
est docile & patiente, & ne se plaint iamais, lors mesme qu’on
la blesse. Elle met toute sa ioye à preuenir diligemment par le
moyen du pardon, ceux qui la cherchent : & c’est la plus douce
& la plus riche Hostie qui puisse estre immolée à Iesus-Christ,

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& le plus agreable parfum qui nous l’attire. Aussi est ce par elle,
dit S. Paul, que le Dieu de Paix nous sanctifie; C’est la robbe
auec laquelle nous deuõs aller au deuant du Seigneur, qui nous
a dit, que nous sommes obligez de la donner à tout le monde,
en nous asseurant, qu’elle retournera sur nous-mesmes, toutes
fois que l’on refusera les offres que nous en ferons.

 

Que s’il est difficile aux gens de bien, Lucile, de voir sans
douleur, que l’on eleue dans l’esclat, ceux qui paroissent viure
sans Iustice & sans Misericorde, des esprits qui mettent indifferemment
tout en besogne, pour auoir le plaisir de faire desoler
les Villes & rauager les Campagnes, qui commandent
auec abomination, les sacrileges & les violemens de la pudeur
& de l’innocence des Vierges, ou qui en souffrent impunément
la ruïne à la confusion & au scandale de tous les Chrestiens, ils
doiuent se souuenir, qu’il y a des choses tellement au dessus de
nous, qu’elles dependent presque de Dieu seul, & que comme
il iuge du present bien mieux que nous, il iugera bien plus seuerement,
que l’on ne croit, les crimes de ces impies.

A cause du bon froument, disent les Peres, & pour conseruer
l’Vnion, nous souffrons la paille & l’yuroye meslez ensemble.

N’est-ce pas pour la mesme raison, Lucile, que le grand
Prestre Aaron s’accommoda pour vn temps à la fureur de cette
multitude mutine, qui quitta le culte du vray Dieu, pour fabriquer
insolemment, & pour adorer de fausses Diuinitez ?
Que Moyse le plus doux & le plus paisible de tous les hommes,
eut tant de patience à tant de fois, que le mesme Peuple rodoubla
son murmure & ses plaintes iniustes ? Que Dauid sourfrit
patiemment, les violences de Saül.

Ils tolerent, dit vn grand Homme, pour le bien de l’Vnité,
ce qu’ils haïssent pour l’inter est de la Iustice : & tousiours pour
conseruer la Paix & la Concorde, qui ont esté en veneration
iusqu’à ce point, mesme parmy les Nations les plus fieres, les
plus superbes & les plus ennemies du repos, comme estoient
les Romains, qu’ils leur ont fait bastir cinq ou six Temples.

Il me semble, Lucile, que toutes ces choses condamnent.
auec quelque raison ces Boute feux d’vne guerre ciuile & sanglante,

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qui dans l’vn & dans l’autre Party, ne respirent que le
feu & la flamme, ou du moins les broüilleries, les diuisions &
les desordres, à qui le nom de Paix, qui est celuy de Iesus-Christ
mesme, fait horreur, & par qui nous verrions déchirer
les plus chers enfans de nostre Patrie deuant nos proptes
yeux, auec plus de cruauté, que par les ennemis estrangers
& les plus inhumains, si leur pouuoir respondoit vne fois à leur
malice.

 

Ie ne veux pas tant de mal, à ces cruels ennemis de l’Vnion,
disoit sainct Augustin, à cause qu’ils ont commerce auec les
meschans, que parce qu’ils sont eux-mesmes intolerablement
malicieux. Ils ressemblent à ce mauuais arbre, de qui la racine
deuore le meilleur de la substance de ceux qui sont plantez auprés
de luy. C’est pourquoy ils sont detestables deuant Dieu,
& deuant les hommes ; C’est pour cela qu’il ne les faut point
escouter, quand ils parlent, & c’est enfin pour vne raison en
quelque façon pareille à celle-là, mais toutesfois plus forte,
comme dans vne occasion plus importante, que le grand Constantin
preferant sagement la Paix de toute l’Eglise de Dieu,
à toutes les grandeurs de son Empire, accourut auec tant
de diligence & de zele, au celebre Concile de Nicée, où apres
auoir donné des loüanges dignes d’vne bouche si noble, à tant
d’illustres Peres, qui composoient vne si memorable & si saincte
Assemblée, laquelle auoit procuré le repos de l’Eglise vniuerselle,
il employa toutes les forces & tous les ornemens de l’Eloquence,
pour leur rendre graces, & pour faire les sacrez Eloges
de cette Diuine Paix.

Apres cela, Lucile, que puis-ie mieux faire, que de finir
cét entretien par vne priere plus forte dans le silence, que dans
la parole ; plus ardente dans le cœur, que dans l’organe de la
voix, ou dans les traces de la plume, qu’il plaise à la Bonté Diuine,
de veiller elle-mesme, à la nourriture du Prince, de tenir
tousiours son cœur de sa propre main, de faire couler luy-mesme
dans cét esprit encore si tendre, ou par ceux qui sont choisis
pour cette instruction Royale, des maximes qui soient toutes
sainctes : en luy apprenant, qu’il n’y a rien de plus noble ny
de plus magnifique, que d’écouter auec affection, les prieres

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& les plaintes des miserables, qui taschent d’implorer quelque
secours. Que de releuer l’esprit abbatu des affligez, de
donner la vie & de procurer le salut aux hommes, de les affranchir
s’ils sont esclaues, de les mettre à couuert des maux qu’ils
apprehendent, lors qu’ils sont en danger, & de permettre qu’ils
iouïssent en liberté, de la douceur du repos, qu’ils trouuent dans
leur famille.

 

Que c’est le propre du vray Dieu, & d’vne Puissance
vrayement Royale, de ne refuser iamais aucune preuue de
bonté, & de ne s’arrester pas à peser si exactement le merite de
la personne, puisque l’infirmité naturelle est la cause de nos
deffauts & de nos offenses, qui passent tousiours pour legeres,
quand elles se font dans l’aueuglement d’vne volonté passionnée,
plustost que par la liberté du iugement & du choix que
nous faisons, en quittant le bien, pour commettre le mal ; & sur
tout, qu’il n’y a point de bien au monde plus desirable ou plus
Diuin, selon l’Oracle de l’Apostre, que celuy qui se trouue
dans l’Vnité de l’esprit par le moyen de la paix.

Va maintenant, si tu m’en croy, mon tres-cher Lucile, va
publier par tout ce que ie viens de te dire, & ce que tu vois de
si contraire à l’opinion de ces testes obstinées dans le mal qui
nous lasse, & leur dis, si tu le veux, que ce sont les sentimens
de ton fidele Ariste, qui t’estime parfaitement, & qui t’aime
plus que soy-mesme.

FIN.

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Anonyme [1649], LE PACIFIQVE OV L’ENTRETIEN D’ARISTE AVEC LVCILE, SVR L’ESTAT DES AFFAIRES presentes. Eccles. 4. Il y aura vn conseil de Paix entre l’vn & l’autre party. , français, latinRéférence RIM : M0_2641. Cote locale : A_7_1.